Jurisprudence : Vie privée
Tribunal de grande instance de Paris Ordonnance de référé 15 février 2010
Paloma P. / L'UMP
droit à l'image - liberté d'expression - video - vie privée
FAITS ET PROCEDURE
Vu l’autorisation d’assigner en référé à heure indiquée devant nous accordée le 19 janvier 2010 à Paloma P.,
Vu l’assignation qu’en suite de cette autorisation et par acte en date du 21 janvier, cette requérante a fait délivrer à l’Union pour un Mouvement Populaire, par laquelle il nous est demandé, au visa de l’article 809 du Code de procédure civile :
– de constater que l’inclusion dans le clip de I’UMP de la photographie de Paloma P. constitue une atteinte à sa vie privée et au droit qu’elle détient sur sa propre image,
en conséquence,
– de voir ordonner le retrait complet de toutes les antennes de télévision, de tous sites internet, et plus généralement de tous supports l’image de Paloma P. dans les 48 heures de la signification de l’ordonnance à intervenir, et dire qu’il lui en sera justifié à peine d’astreinte de 1500 € par jour passé ce délai,
– d’enjoindre à I’UMP de faire connaître dans les huit jours du prononcé de ladite ordonnance le nombre de diffusions de ce clip, à peine d’astreinte définitive de 1500 € par jour de retard passé ce délai,
– d’enjoindre à l’UMP de faire connaître dans les 24 heures de la signification de l’ordonnance à intervenir le nom et les coordonnées de l’agence et/ou du photographe ayant cédé ce cliché, sous la même peine d’astreinte définitive de 1500 € par jour passé ce délai,
– de se réserver, le cas échéant, le contentieux de la liquidation de l’astreinte,
– de donner acte à Paloma P. de ce qu’elle se réserve de poursuivre devant la juridiction du fond la juste rémunération du préjudice qui lui a été causé par la reproduction et la représentation abusive de son image dans le clip de l’UMP,
– de condamner, dès à présent, I’UMP à verser à Paloma P. la somme de 50 000 € à valoir sur le préjudice qu’elle a subi ainsi que celle de 1500 € en compensation de ses frais irrépétibles, par application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Vu les conclusions en défense prises par l’Union pour un Mouvement Populaire, qui sollicite :
* à titre principal
– qu’il soit dit n’y avoir lieu à référé,
* à titre subsidiaire
– que Paloma P. soit déboutée de ses demandes, soutenant que le cliché dans les circonstances de l’espèce ne porte pas atteinte à l’intimité de sa vie privée ou à son droit à l’image,
* à titre plus subsidiaire
– qu’il soit constaté qu’il n’est versé aux débats aucun élément justifiant du préjudice que pourrait avoir subi la demanderesse,
* en conséquence
– qu’il soit dit que son préjudice moral est dans ce contexte symbolique,
– que l’éventuelle condamnation provisionnelle à intervenir soit ramenée à de plus justes proportions,
Lors de l’audience du 28 janvier 2010, le conseil de Paloma P. a indiqué :
– que le cliché représentant la demanderesse avait été supprimé sur le clip diffusé par Daily Motion le 21 décembre 2009,
– que la vidéo dans sa version initiale reproduisant son image n’avait été supprimée par YouTube que la veille de l’audience,
– qu’elle se désistait de ses demandes concernant le nombre de diffusions du clip et la communication du nom et des coordonnées de l’agence et/ou du photographe ayant cédé le cliché de Paloma P., ceux-ci lui ayant été indiqués lors de l’audience par le conseil de l’UMP,
– qu’elle souhaitait que la défenderesse lui adresse un “courrier officiel” lui confirmant qu’elle s’engageait à ne plus utiliser l’image de Paloma P.
L’UMP a été autorisée à adresser le document sollicité par la demanderesse en cours de délibéré.
Par lettre du 1er février 2010, le conseil de Paloma P. a adressé un tirage de la capture d’écran effectuée le jour même sur YouTube faisant apparaître la photographie de la demanderesse alors que celle-ci n’y figurait plus le jour de l’audience.
Par courriers des 4 et 5 février 2010, le conseil de la défenderesse a, conformément à la demande formée par celui de la demanderesse, transmis d’une part l’attestation du directeur général de l’UMP confirmant que le cliché de Paloma P. utilisé par la réalisation du “libdub” était issu de la base Sipa Press et portait le numéro 543913 et d’autre part l’engagement de I’UMP, établi par le responsable des affaires juridiques, de ne plus utiliser tout cliché représentant les traits de Paloma P. sans avoir reçu préalablement son accord.
DISCUSSION
Les jeunes de l’Union pour un Mouvement Populaire ont produit et diffusé sur les antennes de télévision et sur internet (notamment Daily Motion et YouTube) un clip de promotion ou “Lip Dub” réalisé en plan séquence, montrant plusieurs ministres de l’actuel gouvernement et personnalités du parti UMP, entourés de jeunes gens, en train de chanter en play-back « Tous ceux qui veulent changer le monde” une chanson de l’auteur québécois Luc Plamandon, qui se termine par une image fixe représentant Paloma P. au milieu de la foule, surmontée d’un bandeau portant en grosses lettres sur fond blanc “Le mouvement populaire” avec le sigle de l’UMP et l’adresse des sites de l’UMP et des jeunes UMP.
Indiquant que cette photographie a été prise à son insu le soir de l’élection de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République, la demanderesse fait valoir qu’elle n’a donné aucune autorisation de reproduction et de représentation de son image et sollicite outre le paiement d’une provision à valoir sur l’indemnisation de son préjudice, que soit ordonné le retrait complet de son image de tous supports.
Sur le moyen tiré du défaut de pouvoir du juge des référés
Répondant à titre principal que le trouble allégué par la demanderesse a pris fin dès lors que la photographie litigieuse n’apparaît plus sur les sites de partage YouTube et Daily Motion, l’Union pour un Mouvement Populaire estime qu’il n’y a plus lieu à référé et verse à cet effet aux débats :
– la capture d’écran effectuée le 21 janvier 2010 de trois sites (jeunesump sur YouTube, jeunes populaires officiel sur Youtube et JeunesUmp sur Daily Motion) sur lesquels les “Jeunes Pop” avaient publié leur “Lipdub”, établissant que le visage de la demanderesse a été supprimé,
– la copie de ses demandes de suppression des “contenus contrefaisants” auprès des deux sites YouTube et Daily Motion.
Toutefois, s’il n’a pas été contesté par la demanderesse que le cliché la représentant avait été supprimé à la fin de la vidéo et remplacé par un bandeau « Le mouvement populaire », et qu’elle n’apparaissait plus sur les sites sus-visés lors de l’audience du 28 janvier 2010, il résulte de la capture d’écran faite le 1er février 2010 que le visage de la demanderesse apparaît à nouveau sur le site YouTube, ce que ne conteste pas la défenderesse qui fait valoir que cette nouvelle vidéo a été mise en ligne sous l’identifiant PaicCitron par un particulier qui avait “aspiré” le “lipdub” original.
Par ailleurs, s’agissant des conditions de la saisine du juge des référés, il convient de rappeler que l’atteinte aux droits de la personnalité que sont le droit au respect de la vie privée et le droit à l’image caractérise, en soi, l’urgence qui confère, notamment par application de l’article 9 du Code civil, pouvoir au juge des référés pour statuer.
Il sera également relevé que l’intervention du juge des référés est seule propre à empêcher la poursuite d’immixtions attentatoires aux droits des personnes concernées en manifestant aussitôt que possible après la divulgation d’informations attentatoires à leur vie privée ou à leur droit à l’image, leur souci de voir ces droits respectés, peu important à cet égard que la publication en cause ait cessé à la date de la saisine du juge, dès lors que l’atteinte a été consommée.
Il convient en conséquence de rejeter le moyen tiré du défaut de pouvoir du juge des référés et de dire qu’il y a lieu à référé.
Sur les atteintes aux droits de la personnalité
Il résulte des dispositions de l’article 9 du Code civil que toute personne quelle que soit sa notoriété a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse.
Ces droits qui découlent également de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales peuvent toutefois céder devant les nécessités de l’information du public et de la liberté d’expression, consacrées par l’article 10 de la même convention, dans le cadre de l’équilibre qu’il revient au juge de dégager, en vertu du second alinéa du dit article, entre ces principes d’égale valeur dans une société démocratique.
En l’espèce, aucune nécessité d’information du public ne peut être retenue, la photographie cadrée de la demanderesse tenant un ballon en forme de coeur sur lequel est inscrit “I love Sarko” prise le soir des élections présidentielles en France en mai 2007 ne présentant aucun caractère d’actualité dès lors qu’elle n’a pas été publiée à cette époque pour illustrer la manifestation intervenue ce jour-là.
Par ailleurs, s’il est exact que le droit à l’image doit céder devant la liberté d’expression chaque fois que l’exercice du premier a pour effet de faire arbitrairement obstacle à la liberté de recevoir ou de communiquer des idées qui s’expriment spécialement dans le travail de l’artiste, la créativité du photographe et la liberté d’expression de l’artiste ont pour limites à la fois le respect de la dignité de la personne représentée et les conséquences d’une particulière gravité qu’entraînerait la publication des clichés pour le sujet.
Dans le cas présent, la défenderesse ne saurait invoquer le travail artistique du “jeune réalisateur” auquel était confié “le soin de réaliser un clip vidéo illustrant l’engagement des jeunes Populaires, leur volonté et leur détermination à faire changer les choses, les idées à préparer le monde de demain”, pour justifier que soit utilisée dans un but publicitaire la photographie de Paloma P. prise deux ans et demi plus tôt dans un contexte totalement différent, même s’il peut exister un lien entre I’UMP et l’élection de Nicolas Sarkozy.
En publiant la photographie litigieuse en l’absence de consentement exprès de la demanderesse, l’UMP a porté atteinte à son droit à l’image, aucune considération ne permettant en revanche de retenir que la publication litigieuse d’un cliché pris lors de la manifestation intervenue le soir de l’élection de Nicolas Sarkozy constituerait une atteinte à sa vie privée.
Sur les demandes
Conformément aux dispositions de l‘article 809 alinéa 2 du Code de procédure civile, le juge des référés peut accorder une provision au créancier dès lors que l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, étant précisé que la violation du droit à l’image génère un préjudice dont le principe est acquis du seul fait de l’atteinte.
En l’espèce, il convient de rappeler :
– que le clip-vidéo contenant l’image de Paloma P. a fait l’objet, en sus de la présentation télévisée le 11 décembre 2009, d’une diffusion par l’UMP sur ses comptes ouverts auprès des deux sites de partage Daily Motion et YouTube,
– que la vidéo initiale a été modifiée par I’UMP sur ces deux sites, quelques jours après la demande qui lui en avait été faite, le visage de la demanderesse étant remplacé par un bandeau,
– que la première version du “lipdub” a été remise en ligne quelques jours après l’audience par un internaute qui l’avait enregistrée lors des diffusions initiales,
– que dans une attestation faite le 4 février 2010, David B., responsable des affaires juridiques, indique que l‘UMP a cessé toute exploitation de l’image de la demanderesse et qu’elle s’engage “à ne plus utiliser, à compter de ce jour, tout cliché représentant les traits de celle-ci sans avoir préalablement recueilli son accord”,
– que Paloma P. est une militante de l’UMP, qui règle régulièrement sa cotisation à ce mouvement.
Compte tenu de ces éléments, le préjudice moral dont se prévaut Paloma P. sera justement réparé par l’allocation d’une provision indemnitaire de 1500 €.
Par ailleurs, en application des dispositions de l’article 802 du Code de procédure civile, il convient de faire injonction à l’Union pour un Mouvement Populaire de prendre toutes mesures nécessaires pour que les éditeurs de site internet qui diffuseraient le “lipdub” litigieux initial comportant la photographie de Paloma P. procèdent immédiatement à la substitution de la vidéo rectifiée, sans toutefois assortir cette injonction d’une astreinte.
Il y a également lieu de faire application au profit de la demanderesse des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile en lui allouant la somme de 1500 € à ce titre.
DECISION
Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,
. Rejetons le défaut de moyen tiré du défaut de pouvoir du juge des référés,
. Faisons injonction à l’Union pour un Mouvement Populaire de prendre toutes mesures nécessaires pour que les éditeurs de site internet qui diffuseraient le “lipdub” litigieux initial comportant la photographie de Paloma P. procèdent immédiatement à la substitution de la vidéo rectifiée,
. Condamnons l’Union pour un Mouvement Populaire à payer à Paloma P. une allocation provisionnelle de 1500 € en réparation du préjudice moral résultant de l’atteinte à son droit à l’image ainsi que la somme de 1500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
. Rejetons les demandes plus amples ou contraires,
. Condamnons l’Union pour un Mouvement Populaire aux dépens.
Le tribunal : Dominique Lefebvre Ligneul
Avocats : Me Brigitte Ruchard, Me Philippe Blanchetier
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