Jurisprudence : Vie privée
Cour d’appel de Montpellier Chambre sociale Arrêt du 17 mai 2006
Claude G. / Association Ogec Emmanuel d'Alzon
faute - licenciement - pornographie - preuve - site internet - vie privée
FAITS ET PROCEDURE
Claude G. a été engagé par l’Organisme de gestion de l’enseignement catholique (Ogec) gestionnaire de l’Institut Emmanuel d’Alzon, établissement d’enseignement privé, selon contrat à durée indéterminée du 1er avril 1992 en qualité d’enseignant, puis de chef de travaux.
Le 2 décembre 2003, le recteur de l’académie de Montpellier lui a notifié une décision de suspension de ses fonctions pour une durée de quatre mois.
Après convocation à un entretien préalable et placement en mise à pied conservatoire qui s’est tenu le 9 décembre 2003, l’employeur lui a notifié son licenciement pour faute grave par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 décembre 2003 ainsi libellée :
« Dans vos relations de travail, nous avons eu à déplorer de votre part des agissements dont les conséquences constituent une faute grave dans l’application de votre contrat de travail.
A votre demande, il a été fait des opérations de nettoyage de votre poste informatique, pollué par divers virus. Ce nettoyage a été opéré par l’entreprise gestionnaire du système du réseau de l’institut.
Au cours de ce nettoyage, le gestionnaire du réseau a constaté une fréquence importante de connections à des sites internet non professionnels, dont de nombreux à caractère pornographique.
Cette utilisation répétée, récurrente et multipliée pendant des heures de présence à l’institut constitue une faute grave pour les raisons suivantes :
En premier lieu, l’utilisation personnelle et répétée du réseau téléphonique par internet constitue une violation de l’article 6 du règlement en date du 12 avril 1996 de l’institut Emmanuel d’Alzon.
En effet, le règlement de notre établissement ne permet pas au personnel d’utiliser le réseau téléphonique à des fins personnelles surtout répétées et pour l’usage ci-dessus. Ce règlement s’impose à tous nos salariés depuis six années.
Or, il a été relevé de nombreuses utilisations personnelles de votre part du réseau téléphonique via internet.
En second lieu, l’utilisation des horaires de travail et votre présence sur le lieu de travail à des fins purement personnelles pour la consultation des sites internet entre autres, dont certains sont très douteux et à caractère pornographique, de façon répétée et sur de longues fréquences, ne sont pas en adéquation avec vos fonctions et la confiance que l’Ogec pose en vous en tant que membre de l’équipe de coordination de l’établissement.
Par ces pratiques, vous avez créé un préjudice économique et moral à votre employeur.
En troisième lieu, par vos consultations de sites pornographiques, vous avez importé des virus étrangers liés aux dits sites sur votre poste de travail informatique.
Du fait de la mise en réseau des ordinateurs et malgré les protections prises, ces virus peuvent polluer l’ensemble des postes informatiques des membres du personnel de l’institut.
Ces virus étrangers sont susceptibles de détruire ou endommager des données irremplaçables de notre établissement et désorganiser le fonctionnement de l’institut, voir d’en bloquer le système. En effet, vous ne pouvez pas ignorer (puisque vous avez un numéro d’accès) que le système informatique de l’institut fonctionne en réseau.
La reconnaissance et l’élimination de ces virus par un appel à un prestataire extérieur informatique ont des conséquences financières pour notre établissement.
En quatrième lieu, eu égard à vos consultations régulières et répétées des sites pornographiques, vous avez permis le référencement direct du réseau de l’institut auprès de nombreux sites à caractère pornographique que vous avez consultés (« cookies »).
Ceci est très attentatoire à la responsabilité de l’institut et de la communauté éducative qui reste seule identifiée par les sites pornographiques consultés (adresse IP).
En cinquième lieu, la fréquence de vos consultations démontre un attrait anormal pour des sites spécialisés pornographiques, dépassant la simple curiosité malsaine. Ceci ne nous permet plus de vous considérer comme membre de notre communauté éducative.
En sixième lieu, compte tenu du caractère propre de notre établissement, notamment sa spécificité, confessionnelle catholique, par la consultation de sites pornographiques, vous avez porté violemment atteinte à l’image et à la respectabilité de votre employeur, l’institut Emmanuel d’Alzon, et par là même à la congrégation religieuse qui régit l’établissement.
Par cette attitude réitérée et inadmissible, vous avez violé l’article 18 de la convention collective des professeurs du secondaire de l’enseignement privé du 23 juillet 1964 qui vise le respect par les professeurs du caractère propre de leur établissement.
En septième lieu, vous avez également commis un manquement grave aux obligations morales inhérentes à votre mission de cadre et d’enseignant.
A cet effet, nous vous rappelons que vous faites partie, de par vos fonctions, de l’équipe de coordination de l’institut de l’équipe pédagogique.
Ces fonctions nécessitent, outre diverses qualités professionnelles, une conduite morale personnelle exempte de tout reproche.
En conséquence, nous nous voyons contraints de vous rappeler que l’article 15 de la convention collective du 23 juillet 1964 des professeurs du secondaire de l’enseignement privé indique « le professeur est tenu de conserver, dans son attitude et dans ses mœurs, la dignité inhérente à sa fonction d’éducateur… ».
En tant qu’enseignant et éducateur d’enfants, d’adolescents et jeunes adultes de notre établissement par vos consultations réitérées de sites pornographiques dans l’enceinte même de l’institut, vous avez manqué de manière inadmissible à votre dignité d’éducateur, à vos obligations morales et à vos engagements éthiques.
Corrélativement, votre consultation régulière et massive de sites à caractère pornographique constitue un acte contraire aux bonnes mœurs dont la norme est en relation avec le caractère confessionnel catholique de notre établissement.
Ces comportements sont sanctionnés par les termes de l’article 14 de la convention collective applicable.
Ces agissements graves mettent en cause la bonne marche du service et la réputation de notre établissement.
A cet effet, les explications recueillies auprès de vous au cours de l’entretien préalable ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.
Nous vous informons que nous avons, en conséquence, décidé de vous licencier pour faute grave.
Compte tenu de la gravité de celle-ci, votre maintien dans l’établissement s’avère impossible ; le licenciement prend donc effet immédiatement et votre solde de tout compte sera arrêté à la date de présentation de cette lettre, sans indemnité de préavis ni de licenciement.
Conformément à l’article 14 de la convention collective nationale (article B) du 23 juillet 1964 des professeurs du secondaire de l’enseignement privé, nous vous informons que vous pouvez dans un délai de deux jours francs saisir la commission paritaire régionale à compter de la notification de la présente. Dans ce cas, vous devriez nous en avertir dans les meilleurs délais.
A cet effet, nous vous informations que le recours à la commission précitée est suspensif du licenciement mais non de la cessation immédiate des fonctions et de la rémunération.
Enfin, en cas d’échec de la conciliation par la commission paritaire régionale ou si la commission n’a pas été saisie, le licenciement sera reporté au jour de sa notification au professeur.
Vous pourrez vous présenter le jour de la notification de la présente au service du personnel pour percevoir les sommes vous restant dues au titre de votre salaire et indemnité de congés payés et retirer votre certificat de travail et votre attestation Assedic. »
Contestant la légitimité de cette rupture, Claude G. a, le 24 février 2004, saisi le conseil des Prud’hommes de Montpellier qui par jugement du 26 septembre 2005 l’a débouté de l’ensemble de ses demandes.
Il a interjeté appel de cette décision.
MOYENS ET PRETENTIONS
Aux termes de ses dernières conclusions écrites réitérées oralement à l’audience, l’appelant sollicite la condamnation de l’employeur au paiement des sommes suivantes :
– indemnité compensatrice de préavis : 5549,31 €,
– congés payés y afférents : 554,93 €,
– indemnité de licenciement : 2836,31 €,
– dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 88 788,96 €,
– l’article 700 du ncpc : 1500 €.
Il invoque en premier lieu le non respect des dispositions conventionnelles applicables en cas de licenciement pour faute grave en relevant que la commission paritaire s’est réunie un mois après la notification du licenciement, l’employeur s’étant en outre abstenu de s’y présenter.
Il allègue par ailleurs le caractère illicite des circonstances de la découverte des faits.
Il prétend enfin que plusieurs personnes avaient accès à son bureau et qu’il incombait à l’employeur de mettre en oeuvre un dispositif de filtrage de sites non autorisés et des moyens de prévention.
Il rétorque à l’argumentation adverse, d’une part qu’il a dès réception de la lettre de licenciement et donc, dans les délais requis demandé la réunions de la commission paritaire, d’autre part, que la tentative de conciliation a été fixée bien au-delà du délai de huit jours prévu par l’article 14 de la convention collective nationale et n’a pas eu lieu, qui plus est du fait de la carence de l’employeur.
L’Ogec Emmanuel d’Alzon conclut pour sa part à l’entière confirmation du jugement et à la condamnation de l’appelant au paiement de la somme de 2000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc.
Il réplique en premier lieu, relativement à la procédure de licenciement et notamment à la saisine de la commission paritaire prévue par l’article 14 de la convention collective de l’enseignement privé professeurs du secondaire d’une part que le salarié n’a pas saisi la commission dans le délai de deux jours francs qui lui était imparti, d’autre part, que la saisine de la commission qui intervient nécessairement après la notification du licenciement dans un but de transaction sur les conséquences de celui-ci, et seulement pour faute grave ou lourde est sans incidence sur la légitimité de la rupture du contrat de travail, enfin que l’employeur ne s’est pas volontairement abstenue de se rendre à la réunion de la commission paritaire fixée au 4 février 2004.
Il observe, sur le fond, que la matérialité des faits invoqués n’est pas contestée et que ceux-ci consistant à l’utilisation de réseau et matériel informatique de l’établissement aux fins de consultation sur le lieu et pendant les heures de travail, de milliers de fichiers à caractère pornographique sont bien constitutifs d’une faute grave.
DISCUSSION
Sur le respect des dispositions conventionnelles
Aux termes de l’article 14 B de la convention collective nationale de l’enseignement privé professeurs du secondaire : « En cas de licenciement pour faute grave ou lourde le professeur se voit confirmer son licenciement par pli recommandé avec accusé de réception, le professeur dispose de deux jours francs pour saisir la commission paritaire régionale et en aviser son employeur ».
En l’espèce Claude G. a signé le 19 décembre 2003 l’avis de réception de la lettre recommandé de notification du licenciement et a envoyé le 22 décembre 2003 son courrier de saisine de la commission qui est parvenu à cette dernière le 2 janvier 2001 ou à une date postérieure et à l’Ogec Institut d’Alzon le 23 décembre 2003.
La saisine de la commission paritaire ne s’opérant que par la réception effective par cette dernière du courrier, Claude G. n’a pas respecté le délai de deux jours francs qui expirait le 22 décembre 2003 à minuit.
Il n’est donc pas fondé à se prévaloir d’une quelconque irrégularité tirée du non respect des dispositions conventionnelles, le licenciement selon les dispositions de l’article 14 précise, étant dès lors effectif à la date de sa notification.
Sur la légitimité du licenciement
L’employeur ayant procédé au licenciement pour faute grave, il lui appartient de rapporter la preuve d’un fait ou d’un ensemble de faits, imputable au salarié, constituant une violation de ses obligations d’une importance telle qu’elle interdit son maintien dans l’entreprise pendant la durée du préavis.
Il ressort des pièces produites par l’Ogec d’Alzon que :
– l’entreprise Cyberama a effectué le 11 septembre 2003 une intervention sur un poste de l’institut en vertu d’une demande de son utilisateur Claude G. lui ayant permis de constater la présence d’un virus infectant le disque dur, après visualisation de « cookies » correspondant à des sites non professionnels, et l’enregistrement par l’ensemble des sites visualisés pour la plupart à caractère pornographique de l’adresse IP de l’établissement,
– l’enquête diligentée sur instruction du procureur de la république près le tribunal de grande instance de Nîmes a révélé après expertise du disque dur de l’ordinateur utilisé par Claude G., l’existence de plusieurs milliers de fichiers à caractère pornographiques, établissant des connexions qualifiées d’assidues à ces sites pendant les heures et sur les lieux de travail,
– Claude G. n’a pas contesté avoir consulté de tels sites se bornant à « s’étonner » du nombre important de ces connexions.
Les faits reprochés au salarié sont dès lors parfaitement établis, et n’ont pas été portés à la connaissance de l’employeur à l’aide de moyens de preuve clandestins ou illicites, mais dans le cadre d’une opération de « nettoyage » de son poste informatique sollicitée par l’intéressé. De plus Claude G. eu égard aux fonctions qu’il occupait et à son niveau de qualification ne peut sérieusement prétendre avoir ignoré nonobstant l’absence de réglementation précise de l’usage d’internet dans l’établissement, que la consultation prolongée sur plusieurs mois de milliers de fichiers pornographiques dans un établissement scolaire, revêtait une caractère fautif par utilisation massive pendant les horaires de travail, sur les lieux du travail du réseau internet, mis à sa disposition à des fins professionnelles par l’employeur, aux fins de connexion à des sites à caractères pornographique ayant en outre permis le référencement direct du réseau de l’institution auprès de ces sites, Claude G. a failli à ses obligations d’enseignant et d’éducateur tenu selon les articles 15 et 18 de la convention collective nationale applicable de « conserver la dignité inhérente à sa fonction et de respecter le caractère propre de l’établissement ». Un tel manquement fait obstacle à la poursuite de la relation de travail pendant la durée du préavis.
La décision déférée mérite dès lors entière confirmation.
Sur l’article 700 du ncpc
L’équité commande en l’espèce de mettre à la charge de l’appelant les frais non compris dans les dépens exposés par l’intimé à hauteur de la somme de 500 €.
DECISION
Par ces motifs, la cour,
. Confirme le jugement,
. Condamne Claude G. à payer à l’Ogec Emmanuel d’Alzon la somme de 500 € en application des dispositions de l’article 700 du ncpc,
. Le condamne aux dépens.
La cour : M. Louis Gerbert (président), Mmes Marie Conte et Anne Darmstadter Delmas (conseillers)
Avocats : Me Luc Kirkyacharian, SCP Lobier Mimran Gouin
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