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Jurisprudence : Responsabilité

lundi 24 septembre 2007
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Cour d’appel de Lyon Chambre sociale A Arrêt du 06 décembre 2004

Daniel E. / Telecom Developpement, Cegetel

cnil - déclaration - informatique et libertés - licenciement - pornographie - responsabilté - site internet

FAITS ET PROCEDURE

Daniel E. a été engagé à compter du 15 avril 1999, par contrat à durée indéterminée, en qualité de technicien support client, par la société Telecom Developpement, société assurant la gestion du réseau de télécommunication de la société Cegetel, devenue depuis par suite d’une opération d’absorption Cegetel SAS. Il bénéficiait d’une reprise de son ancienneté acquise dans le cadre de missions d’intérim à compter du 18 janvier 1999.
La société relève de la convention collective de la Métallurgie.
Il travaillait sur le site de Lyon et était affecté à l’équipe commerciale en relation avec la clientèle pour assurer le service après-vente 24h/24h.

La durée et les horaires de travail étaient définis dans son contrat de travail.

Il a signé, le 30 mars 1999, un engagement de responsabilité pour l’utilisation d’internet qui réglemente de manière très précise l’usage qui peut en être fait.

Il percevait une rémunération brute mensuelle de 1313,26 €, outre les majorations conventionnelles au titre des heures de nuit, du dimanche et de jours fériés, et l’indemnisation des heures et des jours d’astreinte prévus au planning.

Par courrier remis contre décharge, en date du 14 septembre 1999, Daniel E. a été convoqué à un entretien préalable le 20 septembre 1999.

Il a été licencié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 29 septembre 1999, pour cause réelle et sérieuse ainsi libellée :
« Nous avons constaté que vous aviez utilisé votre accès internet pour aller sur des sites qui n’ont rien à voir avec votre activité professionnelle, et qui sont à caractère pornographique, en utilisant le matériel de l’entreprise durant votre temps de travail les 2, 8, 9, 16 et 18 mai 1999.
Nous avons constaté ces mêmes irrégularités sur le mois d’août 1999 […]

Surtout nous souhaitons insister sur le fait que votre comportement est de nature à compromettre l’intégrité du Système d’informations de l’entreprise et à nuire à son bon fonctionnement compte tenu du fait que ces sites sont réputés pour receler des virus. »

Contestant le bien fondé de son licenciement, il a saisi le Conseil des Prud’hommes le 15 novembre 1999.

Par jugement prononcé le 11 avril 2001, le Conseil des Prud’hommes de Lyon, section industrie, siégeant en formation de départage, a :
– Constaté que la société Telecom Developpement, en sa qualité de filiale de Cegetel, avait satisfait aux formalités exigées par la loi n°7817 du 06 janvier 1978 ;
– Dit n’y avoir lieu en conséquence à saisir la Cnil ;
– Dit que le licenciement de Daniel E. repose sur un comportement fautif de ce dernier, justifiant la rupture, mais non qualifiable de faute grave ;
– Condamné la société Telecom Developpement à payer à Daniel E. la somme de 1313,26 €, à titre de préavis, outre 131,32 € de congés payés afférents, ce avec intérêts à compter de la demande ;
– Débouté Daniel E. du surplus ;
– Fixé à la somme de 1313,26 € la moyenne des salaires mensuels bruts de Daniel E. telle que visée à l’article R.516-37 du code du travail ;
– Débouté la défenderesse de sa demande reconventionnelle ;
– Condamné la société Telecom Developpement à payer à Daniel E. la somme de 609,80 € au titre de l’article 700 du ncpc ; ainsi qu »aux dépens.

Daniel E. a interjeté appel.

Par ses conclusions régulièrement déposées à l’audience, au soutien de ses observations orales, auxquelles il est expressément référé pour l’exposé des moyens et prétentions de l’appelant, Daniel E. représenté par son épouse, demande à la cour d’infirmer le jugement de dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la société Telecom Developpement devenue Cegetel à lui verser les sommes de 1073,60 € à titre de complément d’indemnité de préavis, 9150 € à titre de dommages-intérêts, 1313,00 € du fait de la brutalité de la procédure outre 2200 € en application des dispositions de l’article 700 du ncpc.

Par ses conclusions régulièrement déposées à l’audience, au soutient de ses observations orales, auxquelles il est expressément référé pour l’exposé des moyens et prétentions de l’intimée, la société Telecom Developpement devenue Cegetel, demande à la cour de constater que Daniel E. a bien été licencié pour cause réelle et sérieuse et non pour faute grave, qu’il a été réglé de son préavis et ne demandait rien à ce titre devant les premiers juges, pour le surplus, de confirmer le jugement, de constater que la société Telecom Developpement avait satisfait aux formalités énoncées par la loi du 6 janvier 1978, de dire que le licenciement reposait bien sur une cause réelle et sérieuse, de débouter Daniel E. de l’ensemble de ses demandes et de le condamner à lui verser la somme de 1700 € en application des dispositions de l’article 700 du ncpc.

DISCUSSION

Sur la conservation et le traitement des données informatiques nominatives

Daniel E. reproche à la décision du Conseil de Prud’hommes d’avoir admis l’authenticité du document fourni par Telecom Developpement comme étant la déclaration régulière d’un traitement automatisé d’informations nominatives à la Cnil. Il soutient que ce document ne peut faire foi dans la mesure où il s’agit simplement d' »un formulaire de déclaration », que d’autre part, il émane de SFR et non de Telecom Developpement, que le cadre réservé à la Cnil n’est pas rempli, que la société Telecom Developpement a entrepris peu de temps après son licenciement, de faire sa propre déclaration de fichiers nominatifs à la Cnil, que la majorité des pièces « probantes » apportées par Telecom Developpement l’ont été plus de deux ans après les supposés faits, alors que la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés prévoit dans son article 28 al. 1 :
« Au-delà de la durée nécessaire à la réalisation des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées, les informations ne peuvent être conservées sous une forme nominative qu’en vue de leur traitement à des fins historiques, statistiques ou scientifiques » ; que dès lors, Daniel E. n’ayant pas porté atteinte à la sécurité de l’entreprise et ayant été sanctionné, les relevés de mai 1999 n’auraient pas dû être conservés.

La loi Informatique et Liberté du 6 janvier 1978 précise en son article 31 :
« Il est interdit de mettre ou conserver en mémoire informatique sauf accord exprès de l’intéressé, des données nominatives qui, directement ou indirectement, font apparaître les origines raciales ou les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou les appartenances syndicales ou les mœurs des personnes » ;

C’est dès lors par de justes motifs que la cour adopte, que le jugement entrepris a constaté que les informations produites par la société Telecom Developpement, n’entrent pas dans les critères d’exclusion de la loi telles que rappelées ci-dessus ; que le système de contrôle interne, dont le principe est parfaitement licite, dès lors qu’il vise à contrôler l’activité des salariés et qu’il ne repose pas sur des procédés clandestins ou déloyaux a été régulièrement déclaré à la Cnil, même si cette déclaration a été faite par le groupe Cegetel, dont dépendait alors la société qui employait Daniel E. ; qu’en l’espèce, Cegetel a bien déposé auprès de ladite Commission une déclaration de traitement automatisé d’informations nominatives en 1997 ; enfin, que les salariés qui avaient signé individuellement un engagement de responsabilité, étaient informés de ce contrôle ;

Il ne peut être reproché à la société Telecom Developpement de ne pas avoir respecté les obligations de la loi telle que rapportées par Daniel E., ces informations ayant été collectées et traitées pour les besoins de la procédure disciplinaire et pouvait donc être conservées pendant la durée de cette procédure afin d’être produites en justice.

Sur les causes du licenciement

Il y a lieu de relever à titre préliminaire que Daniel E. a été licencié pour cause réelle et sérieuse et non pour faute grâce ainsi que l’a retenu à tort le Conseil de Prud’hommes de Lyon ; qu’il a été dispensé d’exécuter son préavis d’une durée de deux mois qui lui a été rémunéré sur la base de son salaire moyen brut.

Au terme de l’article L 122-14-3 du code du travail : « le juge à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs évoqués par l’employeur, forme sa conviction au vue des éléments fournis par les parties ».

Daniel E. a signé le 30 mars 1999 l’engagement de responsabilité pour l’utilisation d’internet qui précise en son article 5.1 qu’il « ne doit utiliser les services…qui lui sont autorisés qu’à des fins strictement professionnelles »

Il ne peut donc soutenir qu’il avait le droit, notamment lors de ses temps d’astreinte de se connecter sur des sites non professionnels, ni qu’un tel usage ait pu existe dans l’entreprise, une pratique déviante, de la part d’autres collaborateurs, ne pouvant constituer un tel usage, étant au surplus observé que la société justifie les avoir sanctionnés.

Daniel E. a reconnu avoir utilisé internet au mois de mai 1999 et visité des sites pornographiques, mais il a nié toute utilisation personnelle en août 1999.

Contrairement à ce qu’il soutient, la société Telecom Developpement établit que la désactivation de son compte en juin 1999, n’a pas eu un caractère de sanction pour des agissements fautifs dont elle n’avait pas encore connaissance, le contrôle des connexions n’ayant été effectué, ainsi qu’elle en justifie, que fin juillet, mais a été du fait du salarié qui n’avait pas modifié, ainsi qu’il en avait la consigne pour des raisons de sécurité, son mot de passe.

Si au terme de l’article L 122-44 du code du travail, l’employeur ne peut invoquer de fait fautif plus de deux mois après leur commission, il peut, lorsqu’il constate un nouveau manquement, faire état de faits antérieurs même prescrits pour caractériser le comportement fautif du salarié.

Il résulte de l’ensemble des documents produits par la société que Daniel E. contrairement à ce qu’il affirme, a bien utilisé à nouveau les 12, 20, 21, 23 et 28 août 1999, son ordinateur pour accéder à des sites pornographiques pendant ses heures de travail ; qu’en effet chaque salarié était titulaire de deux mots de passe dont un qu’il devait entrer personnellement et changer tous les trois mois ; qu’il ne peut soutenir que ce mot de passe aurait été piraté et que l’utilisation fautive serait le fait d’un de ses collègues, étant en outre observé que la société démontre que cette utilisation est bien concomitante aux prises de service de Daniel E..

L’appréciation de la gravité de la faute s’analyse en considération du comportement du salarié, en tenant compte de la nature de ses fonctions, de son ancienneté, des répercussions éventuelles des faits fautifs sur le fonctionnement de l’entreprise et des mises en garde éventuelles.

En l’espèce, c’est donc pour une cause réelle et sérieuse, que la société a procédé au licenciement de Daniel E. pour l’utilisation à des fins personnelles de son accès à internet pendant ses heures de travail, utilisation susceptible de provoquer en outre une importation de virus dans le réseau de la société et d’occasionner de graves perturbations, alors que l’internet était le principal outil de travail et ce malgré l’engagement signé par le salarié, le 30 mars 1999, quant à son usage à des fins strictement professionnelles, qui lui rappelait en outre que l’utilisation d’internet faisait l’objet de contrôle régulier de la part de la société et le rappel qui lui avait été adressé, après le contrôle effectué en juin 1999 et qu’il ne conteste pas.

Daniel E. doit donc être débouté de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il ne peut reprocher à son employeur de l’avoir dispensé d’effectuer son préavis, qui lui a été rémunéré, dans la mesure où la gravité de la faute et le risque de réitération d’un usage professionnel d’internet, ne permettaient pas à l’employeur de pouvoir le maintenir sur les lieux. Il doit donc être débouté de sa demande de dommages-intérêts pour conditions vexatoires et brutalité du congédiement.

Sur le complément d’indemnité de préavis

Au terme de l’article L 122-8 al. 3 du code du travail :
« la dispense par l’employeur de l’exécution du travail pendant le délai-congé ne doit entraîné, jusqu’à l’expiration de ce délai, aucune diminution des salaires et avantages, y compris l’indemnité de congés payés que le salarié aurait reçu s’il avait accompli son travail. »

Or, Daniel E. travaillait en 3/8 comme l’attestent les plannings d’avril à septembre 1999, qu’il produit, sur la base de 4 jours consécutifs travaillés, 2 jours consécutifs d’astreinte rémunérés et 2 jours consécutifs au titre du repos hebdomadaire, outre 30 minutes de pause quotidienne rémunérées. Cette organisation n’avait rien d’aléatoire et était déterminée au moment de la formation des équipes. Au jour de son licenciement le 29 septembre 1999, Daniel E. ne devait ni changer d’équipe, ni de rotation. Il est donc bien fondé à demander le paiement des heures majorées, des pauses rémunérées et des jours d’astreintes qu’il aurait effectués s’il n’avait pas été licencié, soit la somme de 1073,60 €.

Sur les autres demandes

L’équité n’impose pas l’allocation d’une indemnité de procédure en première instance dans la mesure où seule l’erreur commise par le jugement quant à la qualification de la rupture avait ouvert pour le salarié le droit à une indemnité dont il avait en fait déjà bénéficiée.

L’équité n’impose par l’allocation d’une indemnité de procédure en cause d’appel, au profit de l’employeur.

Toutefois, il y a lieu de faire droit à la demande de Daniel E. au titre des frais irrépétibles engagés en cause d’appel, à hauteur de 500 €.

Les dépens d’appel resteront toutefois à la charge de la société intimée qui a succombé partiellement.

DECISION

Par ces motifs, la cour,

. Réforme le jugement entrepris,

. Constate que le licenciement de Daniel E. a été prononcé par la société Telecom Developpement pour cause réelle et sérieuse, et non pour faute grave,

. Dit cette mesure justifiée,

. Constate que Daniel E. a perçu une indemnité de préavis,

. Condamne la société Telecom Developpement devenue Cegetel à verser à Daniel E. la somme de 1073,60 €, à titre de complément d’indemnité, avec intérêts de droit à compter de la demande, outre 500 € en application des dispositions de l’article 700 du ncpc en cause d’appel,

. Déboute Daniel E. du surplus de ses demandes et la société Telecom Developpement devenue Cegetel de sa demande reconventionnelle,

. Condamne la société Telecom Developpement devenue Cegetel aux dépens.

La cour : Mme Françoise Fouquet (présidente), Mmes Claude Morin et Anne Marie Durand (conseillers)

Avocat : Me Christine Etiembre

Voir décision de Cassation

 
 

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