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Jurisprudence : Contenus illicites

mardi 28 septembre 2004
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Cour d’appel de Toulouse 4ème chambre, chambre sociale Arrêt du 28 mai 2003

Marc P. / Spot image

contenus illicites - licenciement

FAITS ET PROCEDURE

Marc P…, engagé le 21 août 1989 par la société Spot image en qualité de chef de service station réception directe, a été licencié pour faute grave le 6 novembre 2000.

Estimant que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, Marc P… a saisi le conseil de prud’hommes de Toulouse qui a, par jugement du 7 octobre 2002, condamné ladite société au paiement de la somme de 25 763,90 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse outre celle de 15 981,55 € à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, de 12 881,95 € à titre d’indemnité de préavis et de 1288,20 € à titre des congés payés sur préavis.

La société Spot image a régulièrement interjeté appel de cette décision et conclut au rejet des demandes de Marc P… et à l’octroi de la somme de 3000 € à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et de la même somme au titre des frais irrépétibles en considérant que l’intimée est bien l’auteur du courrier électronique (courrier) adressé le 9 octobre 2000 à Yossi B. domicilié en Israël ;

que cela est établi par les éléments et circonstances de l’espèce ainsi que par les attestations produites, que le courrier incriminé ne revêt pas un caractère privé couvert par le secret des correspondances, qu’elle a eu connaissance de celui-ci par un tiers extérieur ;

qu’il est reproché à Marc P… des insultes inqualifiables dans un contexte politique sensible sur un courrier portant les références de la société ce qui pouvait laissé accroire qu’elle cautionnait ce verbiage intolérable ;

que les propos énoncés dans le courrier étaient de nature à porter gravement préjudice à l’entreprise ; qu’en effet son image de marque a été atteinte ; qu’un risque non négligeable a été apporté à ses activités en raison de l’importance du client victime des injures ; qu’un tel comportement intolérable est constitutif d’une faute grave ; que le salarié ne justifie d’aucun préjudice en relation avec la rupture et que la procédure initiée par lui est abusive.

Marc P… sollicite, par appel incident, l’allocation de la somme de 154 584 € à titre de dommages-intérêts outre celle de 2000 € au titre des frais irrépétibles en soutenant que la société Spot image n’apporte pas la preuve ni de l’existence ni du contenu ni du destinataire du courrier incriminé ; que la seule pièce produite par la société appelante est un document mentionnant l’adresse électronique du salarié sans nom du destinataire ;

que n’importe quelle personne peut se servir de son adresse électronique ; que les attestations produites par l’appelante ne sont ni déterminantes ni probantes ; qu’en tout état de cause la société Spot image ne peut arguer du contenu du courrier électronique dont elle fait état dans la mesure où il ne peut s’agir que d’une correspondance privée couverte par le secret d’une telle correspondance ;

qu’aucune interdiction d’utiliser personnellement et de manière ponctuelle l’outil informatique n’existait et qu’il n’est justifié par la société appelante d’aucune conséquence dommageable des faits qu’elle invoque et qui sont formellement contestés.

DISCUSSION

Attendu qu’il s’évince de l’examen des pièces du dossier que le président directeur général de la société Spot image a été destinataire, le 11 octobre 2000, d’un courrier électronique envoyé par le nommé Yossi B. (résidant en Israël) l’informant du fait qu’il avait reçu, la veille, un « e-mail » provenant d’un membre de l’entreprise (soit Marc P…) et contenant des propos injurieux et racistes ainsi rédigé : « petite crapule fasciste, ce matin en arrivant au boulot, ça sentait mauvais. Ca sentait la charogne. C’était ton e-mail. Alors je me suis torché le c… avec. Tes petits nazis de copains israéliens, un jour on se les fera et on rayera de la carte ce pustule arrogant, je t’enc… à sec » ;

Attendu que la lettre de licenciement notifiée pour faute grave à Marc P… fait état du « mail » susvisé, de l’utilisation à des fins personnelles et durant le temps de travail de son adresse « e-mail » professionnelle par le salarié, de l’association de l’entreprise à des insultes inqualifiables dans un contexte politique délicat et de la nécessité pour la société d’avoir à justifier de sa neutralité ;

Attendu, certes, que l’intimé prétend ne pas être l’auteur du courrier électronique dont s’agit ;

Mais, attendu qu’il apparaît que Marc P… ne justifie d’aucune protestation ni réserve, avant la saisine de la juridiction prud’homale (plus de cinq mois après la notification de son licenciement), à propos des griefs énoncés dans la lettre de licenciement et des accusations dont il était l’objet ;

Attendu, également, qu’il ressort des attestations produites, non sérieusement démenties, que le courrier électronique imputé au salarié est tracé dans les historiques des envois au sein de la société appelante ;

Attendu, aussi, qu’il résulte de l’attestation circonstanciée et détaillée (qui n’est pas arguée fausse) établie par Marc B., délégué du personnel, notamment que l’intimé lui avait confié, « sans détour ni ambiguïté » qu’il était bien l’auteur du courrier incriminé envoyé sous le coup de la colère ;

Attendu, encore, qu’il n’est pas démontré que les faits énoncés dans la lettre de licenciement ne constitueraient pas la véritable cause du licenciement ;

Attendu que s’il est admis que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée (laquelle implique le secret des correspondances), il demeure qu’en l’espèce l’employeur, qui a été informé de l’existence et du contenu du courrier électronique par un tiers extérieur à l’entreprise, ne saurait se voir reprocher d’en avoir pris connaissance par une indélicatesse ;

Qu’il est, ainsi, permis de considérer que les faits reprochés à l’intimé constituent pour lui une violation des obligations découlant de son contrat et des relations de travail ;

Attendu, cela étant, que ces faits n’étaient pas de nature à exiger le départ immédiat de celui-ci ;

Attendu, en effet, qu’il n’est pas établi que le courrier litigieux a été envoyé dans le cadre de l’exercice des fonctions du salarié ;

Attendu, de plus, qu’aucun manquement antérieur de Marc P… n’est allégué et qu’il n’est pas justifié des répercussions prévisibles du comportement de ce dernier sur la marche de l’entreprise ;

Attendu, en conséquence, que le licenciement pour faute grave de Marc P… sera requalifié en licenciement procédant d’une cause réelle et sérieuse ;

Que l’intimé peut donc prétendre droit au paiement d’une indemnité compensatrice de préavis, d’une indemnité au titre des congés payés y afférent et d’une indemnité conventionnelle de licenciement dont les montants ont été, exactement déterminés par les premiers juges ;

Attendu que la société appelante, qui n’établit pas la faute ou l’intention de nuire de Marc P… dans l’exercice de la présente procédure, sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts ;

Que l’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du ncpc ;

Qu’en raison de la succombance respective des parties, il sera fait masse des dépens de première instance et d’appel qui seront supportés par moitié par chacune d’entre elles ;

DECISION

La cour,
. Reçoit, en la forme, l’appel jugé régulier,

. Réforme la décision déférée à l’exception de ses dispositions relatives à l’indemnité compensatrice de préavis, aux congés payés y afférent ainsi qu’à l’indemnité conventionnelle de licenciement et, statuant à nouveau,

. Requalifie le licenciement prononcé pour faute grave de Marc P… en licenciement procédant d’une cause réelle et sérieuse,

. Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

. Dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du ncpc,

. Fait masse des dépens de première instance et d’appel qui seront supportés par moitié par chacun de la société Spot image et de Marc P….

La cour : A. Milhet (président), M.F. Tribot Laspierre et JP Rimour (conseillers)

Avocats : SCP Matheu, Mariez, Riviere-Sacaze, Eych, SCP Darribere

Voir l’arret de la Cour de cassation

 
 

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