Jurisprudence : Marques
Tribunal de grande instance de Bordeaux Ordonnance de référé du 22 juillet 1996
Sapeso et Atlantel / Icare et Reve
contrefaçon de marque - nom de domaine
La société Sapeso, éditrice du journal Sud-Ouest, a, concomitamment avec la création de sa filiale Atlantel, chargée au sein du groupe des activités multimédia, déposé le 22 septembre 1981 dans les classes 35, 38, 41 la marque « Atlantel ».
Le 30 janvier 1996, Atlantel a déposé sur le réseau Internet le nom de domaine « Atlantel.fr ».
Par acte du 6 juin 1996, Sapeso et Atlantel ont assigné Icare pour voir :
– dire qu’Atlantel est propriétaire de la marque « Atlantel », enregistrée le 6 septembre 1991 sous le n° 1 696 896, et que l’utilisation par Icare de cette marque comme nom de domaine sur le réseau Internet pour accéder à un site Internet est une contrefaçon de la marque déposée « Atlantel »,
– dire que l’utilisation de la marque déposée et de la raison sociale « Atlantel » comme nom de domaine donnant accès à un site Internet qui ne serait pas celui du propriétaire de la marque ou d’Atlantel, par Icare, est un acte de concurrence parasitaire et un agissement parasitaire,
– interdire à Icare toute utilisation de la marque déposée et de la désignation sociale « Atlantel », sous quelque forme que ce soit,
– condamner Icare, sous astreinte de 10 000 F par jour de retard, à faire retirer le nom de domaine « atlantel.com » du réseau Internet en France, dans un délai de 48 heures,
– condamner Icare à faire retirer, sous astreinte de 10 000 F par jour de retard, le nom de domaine « atlantel.com » du réseau Internet dans le monde entier dans un délai de 3 semaines,
– condamner Icare à faire publier à ses frais dans le journal Sud-Ouest et dans les journaux professionnels « a Internet Reporter », Internet Professionnel et Planète Internet, l’ordonnance à intervenir, sans que chaque insertion puisse excéder le coût de 15 000 F,
– condamner Icare au paiement de 5 000 F au titre de l’article 700.
Les sociétés demanderesses exposent les faits suivants :
– Icare, immatriculée au registre du commerce de Bordeaux le 21 août 1995, et qui a pour activités le développement et la commercialisation de services de connexion pour accéder à des réseaux informatiques, a déposé auprès de l’organisme américain InterNIC le nom de domaine « Atlantel.com »,
– Atlantel a vainement mis en demeure Icare d’effectuer le retrait du nom de domaine « atlantel.com » et une assignation au fond lui a été délivrée le 5 juin 1996.
Selon Sapeso et Atlantel, l’usage par Icare de la marque « Atlantel » en violation des dispositions de l’article L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle est constitutive d’une contrefaçon.
De même, l’utilisation du nom de domaine dont s’agit par Icare, concurrente d’Atlantel dans le domaine de la conception et de la réalisation de sites Internet pour des clients, engage sa responsabilité civile pour concurrence parasitaire. Enfin, dans les domaines où Atlantel et Icare ne sont pas concurrentes, Icare se rend coupable d’agissements parasitaires.
En réponse, Icare, à titre principal, conclut au renvoi des sociétés demanderesses à mettre en cause l’association Reve et, à titre subsidiaire, à l’incompétence du juge des référés, à raison de contestations sérieuses. Elle sollicite 7 000 F sur le fondement de l’article 700.
En fait, elle expose qu’elle a été contactée par une association à but humanitaire « Reve », qui souhaitait obtenir en premier lieu comme nom de domaine « Atlantic.com », non disponible, et qui choisit alors celui d' »Altantel.com », disponible sur le réseau international. Dès la mise en service du serveur, la connexion « Atlantel.com » n’a permis d’accéder qu’aux activités de l’association Reve.
En droit, Icare fait valoir que le renouvellement de la marque « Atlantel » a été effectué tardivement le 26 septembre 1991 et non le 6 septembre ; qu’en tout état de cause, seule la classe 42, dont protection n’a pas été requise, concerne l’accès à des dossiers informatiques par voie de serveur et qu’il appartenait à Atlantel d’effectuer un dépôt complémentaire.
Elle conteste se livrer à des agissements parasitaires et souligne que l’usage fait par l’association Reve de l’adresse « Atlantel.com » est exclusif de toute concurrence avec la Sapeso.
Par acte du 25 juin 1996, Sapeso et Atlantel ont assigné en référé l’association Reve à des fins identiques à celles mentionnées plus haut.
A l’audience de référé, l’association Reve, représentée par Mme B., a contesté avoir demandé à Icare, par lettre du 1er avril 1996, la création du nom de domaine « Atlantel.com » au lieu et place d' »Atlantic.com » qui aurait été indisponible. Selon Mme B., sa signature a été imitée au bas de cette correspondance.
Elle fait, en outre, valoir qu’étant landaise et non bordelaise, elle n’aurait jamais usé de cet argument (l’amour de la mer et de l’océan), comme l’indique la lettre du 1er avril 1996, pour faire connaître sur le réseau Internet, sous le nom de domaine « Atlantel », son activité sociale : soutenir et aider les familles défavorisées.
S’estimant victime d’un abus de confiance de la part d’Icare, l’association Reve a, lors de l’audience de référé, demandé à cette société de supprimer immédiatement son hébergement sur le réseau Internet.
La société Icare s’est engagée à y procéder dans les 48 heures.
Les sociétés Sapeso et Atlantel ont maintenu leur demande dirigée contre Icare exclusivement.
LA DISCUSSION
Il existe entre les procédures n° 1366/96 et n° 1543/96 un lien de connexité tel qu’il est de l’intérêt d’une bonne justice de statuer à leur égard par une seule et même décision.
Sapeso a déposé la marque « Atlantel » auprès de l’Inpi le 25 septembre 1981, renouvelée le 26 septembre 1991, pour les classes 35, 38, 41.
La classe 38 mentionne la communication par terminaux d’ordinateur et la classe 42 qui aurait dû être requise selon Icare, la location de temps d’accès à un autre serveur de bases de données et non pas, comme le soutient la défenderesse, l’accès à des données informatiques par voie de serveur. La critique sur la classe n’apparaît donc pas fondée.
Atlantel, chargée des activités multimédia au sein du groupe Sud-Ouest a, en outre, déposé le nom de domaine « atlantel.fr » qui lui permet de faire connaître le groupe Sud-Ouest et de promouvoir ses propres activités sur le réseau Internet-France.
Les circonstances dans lesquelles Icare a créé en août 1995 à Bordeaux le nom de domaine « Atlantel.com » apparaissent pour le moins obscures. Il est peu vraisemblable que Madame B. ait pu solliciter le 1er avril 1996 la création du nom de domaine « Atlantel », pour des motifs formellement contestés, dans une lettre adressée à Icare, sous une signature qui paraît avoir été imitée. Cette lettre paraît, en outre, très différente par sa typographie d’une attestation en date du 28 juin 1996 également signée par Madame B., comportant de nombreuses fautes d’orthographe. Cette attestation adressée en cours de délibéré pour le juge des référés par Icare, la présidence de Reve reconnaît avoir acquis gratuitement l’adresse « atlantel.com » afin de créer (sic) un serveur. Cette attestation est dépourvue de caractère probant, Madame B. possédant une orthographe parfaitement correcte.
En revanche, il apparaît surprenant que les associés bordelais d’Icare, société de prestations de services et de conception de serveurs, qui a déjà réalisé le site Internet du Civb, aient pu ignorer l’existence d’Atlantel et de la marque du même nom. Tout se passe comme si un membre d’Icare, également membre de l’association Reve, avait essayé de justifier la création du nom de domaine « Atlantel » par le souhait « Atlantique » de sa présidente d’être connue sur le réseau mondial Internet.
En conséquence, il apparaît qu’en connaissance de cause, Icare a cru pouvoir déposer le nom de domaine « Atlantel.com » directement auprès de l’Inter Nic aux Etats-Unis, au mépris de la législation française sur les marques et en recourant à des manoeuvres condamnables à l’égard de l’association Reve, victime plus que complice.
Dans ces conditions, c’est à juste titre que Sapeso et Atlantel ont assigné en la forme des référés, sur le fondement de l’article L. 716-6 du code de la propriété intellectuelle, Icare qui ne peut leur opposer des contestations sérieuses, en l’espèce inexistantes, pour fonder l’incompétence du juge saisi.
Il convient donc de condamner Icare, sous astreinte, comme indiqué au dispositif de la présente ordonnance, à faire retirer le nom de domaine « Atltantel.com » du réseau Internet en France et dans le monde entier, sans que les faits reprochés justifient en l’état la publication de l’ordonnance à intervenir dans les organes de presse visés dans l’assignation.
Il n’y a pas lieu de prononcer de condamnation à l’encontre de l’association Reve, dont la bonne foi paraît avoir été surprise par Icare.
Il est équitable d’allouer aux sociétés demanderesses, contraintes de s’adresser à justice, la somme de 5 000 F sur le fondement de l’article 700.
La Décision
Le tribunal, statuant publiquement, en la forme des référés, par ordonnance contradictoire :
– Ordonne la jonction des procédures n° 1366/96 et n° 1543/96 ;
Vu l’article L. 716-6 du code de la propriété intellectuelle,
– Interdit à Icare toute utilisation de la marque déposée et de la désignation sociale « Atlantel » sous quelque forme que ce soit ;
– Condamne Icare, sous astreinte de 10 000 F par jour de retard, à faire retirer le nom de domaine « Atlantel.com » du réseau Internet en France, et ce dans un délai de 48 heures ;
– Condamne la même société, sous astreinte de 10 000 F par jour de retard, à faire retirer le nom de domaine « Atlantel.com » du réseau Internet dans le monde entier, et ce dans un délai de 21 jours à compter de la signification de la présente ordonnance ;
– Donne acte à Icare de ce qu’elle s’est engagée à supprimer l’accès de l’association Reve au nom de domaine « Atlantel.com » dans un délai de 48 heures, au plus tard, à compter de la signification de la présente ordonnance ;
– Déboute Sapeso et Atlantel de leurs demandes dirigées contre l’association Reve et du surplus de celles dirigées contre Icare ;
– Dit qu’Icare devra verser 5 000 F aux sociétés demanderesses en application des dispositions de l’article 700 ;
– Condamne Icare aux dépens.
Le tribunal : M.F. Petit (Président).
Avocats : Me Ribeton – Me Puybaraud.
En complément
Maître Puybaraud est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Maître Ribeton est également intervenu(e) dans l'affaire suivante :
En complément
Le magistrat Petit est également intervenu(e) dans les 7 affaires suivante :
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.