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Jurisprudence : E-commerce

vendredi 12 mars 1999
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Tribunal d’instance de Rennes, Ordonnance de Référé du 12 mars 1999

SA coopérative "Compagnie Financière du Crédit Mutuel de Bretagne" / Association "Fédération Logement Consommation et Environnement d'Ille-et-Vilaine"

commerce électronique - contrat de crédit

Faits et procédure

Par acte d’huissier en date du 19 janvier 1999, l’association « Fédération Logement Consommation et Environnement d’Ille-et-Vilaine » a fait citer la SA coopérative « Compagnie Financière du Crédit Mutuel de Bretagne » devant le juge des référés de ce tribunal afin de voir ordonner la cessation immédiate, au besoin sous astreinte, d’informations ayant selon elle le caractère de publicité illicite portant sur une carte de crédit dite « Crédit Préférence » diffusée sur le site internet de la société.

Elle demande, en outre, que la société soit condamnée sous astreinte à publier la décision, sollicite 5 000 F sur le fondement de l’article 700 du Ncpc et la condamnation de la défenderesse aux dépens, comprenant le coût du constat des faits par huissier.

A l’appui de son action, la Fédération Logement Consommation et Environnement d’Ille-et-Vilaine indique que les mentions portées sur la publicité incriminée ne respectent pas les prescriptions de l’article L. 311-4 du code de la consommation en ce qu’elles ne précisent ni la durée du contrat, ni la nature et l’objet de l’opération, ni l’identité exacte du prêteur.

Elle indique que ces manquements sanctionnés civilement et pénalement constituent un trouble manifestement illicite que le juge des référés doit faire cesser.

La SA coopérative Compagnie Financière du Crédit Mutuel de Bretagne soulève in limine litis l’incompétence territoriale du tribunal de Rennes au profit du tribunal de Brest, en application de l’article 42 du Ncpc.

A titre subsidiaire, elle estime qu’il ne peut y avoir lieu à référé dans la mesure où les demandes supposent qu’il soit préalablement établi si un site internet est ou non un support publicitaire, qualification qui excède les pouvoirs du juge des référés.

Elle estime que la consultation d’un site internet nécessite un abonnement auprès d’un  » provider « , ce qui suppose un acte volontaire du consommateur, incompatible avec la notion de publicité.

Elle conteste enfin les manquements allégués, indiquant que si le site internet permet d’obtenir l’adresse de tous les caisses de Crédit Mutuel qui consentent les  » crédits Préférence « , informe le consommateurs de ce que le  » Crédit Préférence  » est une réserve d’argent utilisable selon les besoins, sans formalités, sur les lieux de vente, et indique la durée de l’opération pour l’exemple donné.

Elle demande, en conséquence, au juge des référés de se déclarer incompétent et de débouter la Fédération Logement Consommation et Environnement d’Ille-et-Vilaine de toutes ses demandes.

Elle sollicite à titre reconventionnel 7 000 F sur le fondement de l’article 700 du Ncpc.

En réponse à cette argumentation, la Fédération Logement Consommation et Environnement d’Ille-et-Vilaine indique qu’elle a régulièrement saisi la juridiction du lieu du fait dommageable, comme le permet l’article 46 du Ncpc.

Elle fait valoir que le paiement d’un abonnement à internet n’est pas différent du paiement d’un abonnement à une chaîne de télévision cryptée ou à un magazine et qu’internet, comme ces autres moyens de diffusion, constitue un support publicitaire sans qu’il puisse y avoir de contestation sérieuse, la référence aux définitions données par la Cour de cassation ou la directive CEE 84/450 du 10 septembre 1984 ne laissant aucun doute sur ce point.

Enfin, elle estime caractérisés les manquements à l’article L. 311-4 du code de la consommation.

Discussion

Sur la compétence territoriale

Aux termes de l’article 46 du Ncpc, le demandeur peut saisir à son choix la juridiction du lieu où demeure le débiteur ou, en matière délictuelle, le lieu du fait dommageable.

En matière de publicité, le dommage peut se produire en tous lieux où le message publicitaire est reçu ou perçu.

Or, il résulte des constatations de Me Hubert, huissier de justice à Rennes, relatées dans un constat en date du 7 janvier 1999, que la publicité incriminée était à cette date reçue à Rennes.

Il s’ensuit que le tribunal d’instance de Rennes est territorialement compétent pour connaître du litige.

Sur la demande de l’association Fédération Logement Consommation et Environnement d’Ille-et-Vilaine

Aux termes de l’article 848 du Ncpc, le juge des référés peut toujours prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite.

En l’espèce, le contenu de la page incriminée, intitulée  » Exemples de financement « , constitue à l’évidence un message publicitaire visant des opérations de crédit et le fait que le vecteur publicitaire soit en l’espèce un site internet n’affecte en rien la nature publicitaire dudit message auquel sont applicables les dispositions de l’article L. 311-4 du code de la consommation qui vise  » toute publicité, quel qu’en soit son support « .

Or, si le site internet du Crédit Mutuel de Bretagne permet de connaître l’intégralité des agences susceptibles de commercialiser le produit  » Carte Préférence « , aucune de ces caisses locales n’a la qualité de prêteur, et l’identité de la Compagnie Financière du Crédit Mutuel de Bretagne, qui ne conteste pas avoir la qualité d’organisme prêteur, n’apparaît nullement sur la publicité incriminée, ni sur les pages suivantes afférentes à la  » Carte Préférence « .

De même, au regard des conditions indiquées dans l’exemple proposé, la  » Carte Préférence  » a pour objet une ouverture de crédit, assortie de l’usage d’une carte, ce qui n’est nullement précisé dans le document incriminé.

Enfin, si la publicité précise :  » Conditions en vigueur au 1er janvier 1999 « , elle n’indique nullement la durée de validité des conditions de l’opération décrite, information exigée elle aussi par le 1er alinéa de l’article L. 311-4 du code de la consommation.

Il s’ensuit que cette publicité, qui ne permet pas l’information du consommateur telle que voulue par le législateur au travers d’une loi d’ordre public pénalement sanctionnée, constitue un trouble manifestement illicite.

Il convient dès lors d’ordonner la cessation immédiate dans sa forme actuelle de la publicité diffusée sur le site internet du Crédit Mutuel de Bretagne pour la carte  » Crédit Préférence « , sous astreinte.

Le trouble constaté ayant pour support un site internet, la publication de la présente décision dans la presse écrite ne peut être justifiée au titre de la remise en état.

Par contre, il y a lieu à ce titre d’ordonner que, conformément à la demande subsidiaire faite à l’audience, la SA coopérative Compagnie Financière du Crédit Mutuel de Bretagne insère sur le site internet du Crédit Mutuel de Bretagne, au lieu exact de la page publicitaire incriminée, un extrait du dispositif de la présente ordonnance, pendant une durée de quinze jours commençant le septième jour suivant la notification de la présente décision.

Tenue aux dépens, la défenderesse devra également payer à la Fédération Logement Consommation et Environnement d’Ille-et-Vilaine 5 000 F au titre de l’article 700 du Ncpc.

Décision

Le juge des référés, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, en premier ressort, exécutoire par provision,

Vu l’article 849 du Ncpc :

. ordonne la suppression immédiate de la publicité diffusée sur le site internet www.cm.fr/ du Crédit Mutuel de Bretagne, intitulée  » Exemples de financement : Crédit Préférence « , sous astreinte de 25 000 F par infraction constatée, passé un délai de sept jours à partir de la signification de la présente ordonnance ;

. ordonne l’insertion sur le même site internet, au lieu exact de la page publicitaire incriminée, en caractère du corps 18 minimum le texte suivant :  » Le juge des référés du tribunal d’instance de Rennes, par ordonnance du 12 mars 1999, a ordonné la suppression immédiate de la publicité relative à la carte de crédit  » Préférence  » compte tenu de l’absence de certaines mentions exigées par la loi pour l’information du consommateur  » ;

. dit que cette insertion devra être réalisée à compter du septième jour suivant la notification de la présente décision, et pendant une durée de quinze jours, sous astreinte de 10 000 F par jour manquant ;

. déboute les parties de leurs autres demandes plus amples ou contraires ;

. condamne la SA coopérative Compagnie Financière du Crédit Mutuel de Bretagne à payer à l’association Fédération Logement Consommation Environnement de l’Ille-et-Vilaine la somme de 5 000 F sur le fondement de l’article 700 du Ncpc ;

. la condamne aux dépens.

Le tribunal : Mme Tardy-Joubert (vice-président du TGI de Rennes, chargée du TI).

Avocats : SCP Desaunay et SCP Le Porzou.

Notre présentation de la décision

[Voir jugement cour d’appel->?page=breves-article&id_article=247]

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.