Jurisprudence : Contenus illicites
Tribunal de grande instance de Paris Jugement correctionnel du 13 novembre 1998
Le procureur de la République, l'UNADIF, la FNDIR, l'UNDIVG, la Fondation pour la mémoire de la déportation et la Ligue des droits de l'homme/ Robert F.
compétence territoriale - contenus illicites - date de mise à disposition au public - délit de presse - prescription - propos révisionnistes
Rappel des Faits
A la suite de la dénonciation portée, le 24 septembre 1997, par Me Caroline Arene , avocat, auprès du parquet de Paris, du contenu de textes à caractère révisionniste diffusés sur le réseau internet, une enquête a été ordonné par réquisition du 3 octobre 1997, et confiée au Sefti (service d’enquête sur les fraudes aux technologies de l’information).
Cette enquête a révélé la présence, sur un site intitulé « Aaargh », de deux autres textes susceptibles de tomber sous le coup de la loi, dont l’un, sous le titre : « Les visions cornues de l’holocauste », présenté sous le nom de Robert F..
Le prévenu fait plaider plusieurs moyens de procédure et soutient que le texte ne peut lui être attribué.
La discussion :
Le conseil de Robert F. soutient qu’aucun des faits reprochés à celui-ci n’a eu lieu sur le territoire national, puisque la publication litigieuse s’est faite exclusivement aux Etats Unis, où se trouve situé l’émetteur « Aaargh » sous la responsabilité, d’après les enquêteurs, d’un certain « W M », et que la possibilité offerte à toute personne résidant en France de se connecter sur le réseau internet ne change rien à cette règle de compétence.
La défense conclut donc à l’incompétence territoriale du tribunal de Paris pour connaître de la poursuite.
Sur quoi le tribunal
Selon l’article 113-2 (2ème alinéa) du code pénal, une infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire.
En matière de presse, il est constant que le délit est réputé commis partout où l’écrit a été diffusé, l’émission entendue ou vue.
En l’espèce, dès lors que le texte incriminé, diffusé depuis un site étranger, a été reçu et vu dans le ressort territorial du tribunal de Paris, ainsi qu’il ressort de l’enquête, celui-ci est compétent pour connaître de la poursuite.
L’exception d’incompétence sera rejetée.
Sur l’exception de prescription :
Le prévenu fait plaider, d’autre part, que la date figurant dans la prévention comme étant celle de l’infraction (« à compter du 23 juillet 1997 ») ne correspond pas au texte incriminé, et que celui-ci n’ayant pu être daté quant à sa mise en ligne, il doit être considéré comme prescrit.
Sur quoi le tribunal
Il résulte des investigations effectuées, en l’espèce par le service spécialisé du Sefti, que la présence du texte litigieux a été constatée le 31 août 1997 sur le site « Aaargh » du réseau internet, lors d’une recherche réalisée à l’aide d’un moteur de « recherche » « Alta Vista » (D.7 – D.8).
Cette date doit donc être considérée comme celle de mise à disposition du public du texte incriminé, et il appartient, le cas échéant, au prévenu, de faire la preuve d’une publication antérieure de ce même texte, sur le même site.
Cette preuve n’est pas offerte en l’espèce.
Le tribunal constate, par ailleurs, que le réquisitoire introductif mettant en mouvement l’action publique a été pris le 22 octobre 1997, soit moins de trois mois après la publication litigieuse.
Par suite la prescription n’est pas acquise et l’exception sera rejetée.
Sur l’imputabilité:
Le prévenu soutient qu’en dépit de l’indication de son patronyme sous le titre du texte litigieux, il n’est pas l’auteur de celui-ci, ni de sa publication.
En réponse le Ministère Public fait valoir :
– que le site « Aaargh » est la propriété du prévenu Robert F., qu’il comporte de nombreux documents lui appartenant, certains signés, d’autres non, et notamment les conclusions de son avocat dans des procédures antérieures, ou des jugements le concernant ;
– qu’on ne peut techniquement modifier les données figurant sur ces site sans passer par l’intermédiaire de son serveur, soit ABBC.Com , ce qui exclut toute manipulation des messages par des tiers extérieurs ;
– qu’alors même qu’il n’ignore plus , depuis sa mise en examen , l’indication de son nom comme auteur du document litigieux, il n’a pris aucune initiative pour le faire disparaître , au point qu’il continue toujours de figurer sur le message diffusé à l’heure actuelle.
Les parties civiles ajoutent que la pensée de Robert F. est parfaitement reconnaissable dans ce document , et que le texte de la page d’accueil du site souligne d’ailleurs le rôle considérable des écrits du Professeur F. dans le développement du révisionnisme.
Sur quoi le tribunal
En l’état de la contestation élevée par le prévenu et en l’absence de toute présomption légale de responsabilité applicable à une publication étrangère, le tribunal doit rechercher , dans les termes du droit commun , les indices d’une éventuelle participation personnelle du prévenu à la commission de l’infraction.
Le tribunal relève :
– que la seule indication du nom de Robert F. comme auteur du texte incriminé , sur le tirage du document diffusé sur le réseau internet le 31 août 1997 , n’est pas suffisante pour affirmer qu’il est responsable de cette publication accessible en France , cette indication ne revêtant aucun caractère d’authenticité ;
– qu’on ne saurait déduire du fond ou de la forme du discours incriminé un rapprochement avec des écrits antérieurs du prévenu , procédé qui relèverait du procès d’intention ;
– que la présence sur le site de nombreux documents concernant le prévenu , notamment de pièces relatives à ses procès , ne sont pas davantage de nature à démontrer sa responsabilité , toute personne intéressée pouvant prendre l’initiative de les publier sans autorisation particulière du prévenu ;
– qu’aucune investigation n’ayant été réalisée sur les conditions de fonctionnement du site » Aaargh » , sur ses relations avec le serveur ABBC.Com , et sur les contraintes techniques d’accès aux informations, à leur modification ou à leur diffusion , pour des raisons d’ailleurs explicitées par le parquet dans son réquisitoire écrit, il n’est pas possible d’affirmer que ce site est la propriété du prévenu , et que lui seul peut en disposer ;
– que l’absence de toute initiative du prévenu pour obtenir la suppression de son nom en tête du texte incriminé ne constitue pas un aveu implicite de culpabilité , bien d’autres mobiles pouvant expliquer l’inaction de l’intéressé.
Aucun élément n’étant de nature à établir avec certitude la participation personnelle du prévenu aux faits incriminés , une relaxe doit être prononcée , sans même qu’il soit nécessaire d’analyser le contenu même du document incriminé.
Par suite , les parties civiles l’Unadif , la Fndir , l’ Undivg et la Fondation pour la mémoire de la déportation seront déboutées de leurs demandes.
La constitution de partie civile de la Ligue des droits de l’homme est irrecevable , l’objet de cette association n’entrant pas dans les prévisions de l’article 48-2 de la loi du 29 juillet 1881.
La décision
Le tribunal statuant publiquement , en matière correctionnelle , en premier ressort et par jugement contradictoire à l’encontre de Robert F., prévenu , et après en avoir délibéré conformément à
la loi :
Rejette les exceptions tirées de l’incompétence territoriale du Tribunal , et de la prescription de l’action publique.
Relaxe le prévenu Robert F. des fins de la poursuite.
Déclare irrecevable la constitution de partie civile de la Ligue des droits de l’homme.
Déboute les parties civiles l’Unadif , la Fndir , l’Undivg et la Fondation pour la mémoire de la déportation de leurs demandes.
Le tribunal : M. Montfaur (Président),
Avocats: Me Marc Lipskier, Caroline Arene et Eric Delcroix.
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