Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de la commission administrative 14 mai 2008
Commune municipale de Miège / Antoine B.
marques - nom de domaine
Les parties
Le Requérant est la Commune municipale de Miège, Suisse, représenté par Me Jean-Claude Vocat, Suisse.
Le Défendeur est Antoine B., Les Vieux-Prés, Suisse.
Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le litige concerne le nom de domaine « miege.net » (ci-après désigné le “Nom de Domaine”).
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est GoDaddy.com, Inc.
Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par la Commune de Miège contre Domains by Proxy Inc. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 7 mars 2008.
En date du 10 mars 2008, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du Nom de Domaine, GoDaddy.com, Inc., aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé les données du litige en date du 11 mars 2008, sous réserve de l’identité du Défendeur, ce dernier n’étant pas Domains by Proxy Inc., mais M. Antoine B. (qui a toutefois contesté sa qualité de titulaire du Nom de Domaine; à ce propos, voir les développements figurant à la fin du présent paragraphe 3).
Le Centre a invité le Requérant à amender sa plainte concernant la désignation du Défendeur. Une plainte modifiée a été déposée par le Requérant le 20 mars 2008.
Le Centre a vérifié que la plainte modifiée répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’Ompi (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 1er avril 2008, une notification de la plainte modifiée valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 21 avril 2008. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 19 avril 2008.
En date du 30 avril 2008, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Jacques de Werra. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Par différents courriers électroniques adressés au Centre, le Défendeur a contesté être titulaire du Nom de Domaine, déclarant que le Nom de Domaine aurait été acquis par un tiers (soit M. Thomas K.) en juillet 2007. Le tiers concerné s’est d’ailleurs également manifesté directement auprès du Centre pour faire constater sa légitimation sur le Nom de Domaine, fondée sur cette acquisition prétendue du Nom de Domaine auprès de l’unité d’enregistrement.
Toutefois, selon les informations obtenues par le Centre auprès de l’unité d’enregistrement du Nom de Domaine, il a été confirmé que le Nom de Domaine est enregistré au nom du Défendeur désigné dans la présente procédure, et que le Nom de Domaine n’est pas enregistré au nom d’un tiers (notamment M. Thomas K.). Dans ces circonstances, la Commission administrative estime que la présente procédure doit être dirigée contre le Défendeur, qui est enregistré auprès de l’unité d’enregistrement comme titulaire du Nom de Domaine, à l’exclusion de tout tiers (notamment M. Thomas K.). La Commission administrative note au demeurant que le Défendeur, nonobstant la contestation de sa titularité sur le Nom de Domaine a répondu à la plainte modifiée déposée par le Requérant et qu’il entretient visiblement des liens avec le tiers acquéreur supposé du Nom de Domaine (soit M. Thomas K.), comme cela est confirmé dans sa réponse du 19 avril 2008 (le courrier électronique accompagnant le dépôt de la réponse étant en effet signé conjointement par le Défendeur et par M. Thomas K.).
Les faits
Le Requérant est une collectivité publique en Suisse, soit une commune située dans le canton du Valais. Il est titulaire des sites Internet « miege.ch » et « miège.ch » dont le premier est exploité au moins depuis novembre 2001, et qui comporte des informations sur le Requérant et sur les activités ayant lieu dans la commune du Requérant.
Le Nom de Domaine a été enregistré par le Défendeur en date du 7 décembre 2002. Il est utilisé par un groupe de personnes appartenant au mouvement des raëliens comme plate-forme d’informations relatives notamment à certains événements s’étant produits à Miège à propos de la communauté raëlienne qui est présente dans ce village. Il comporte l’indication suivante sur la page d’accueil du site Internet auquel il est associé : “site officiel de la résistance à la pensée dominante…ou le site non officiel du petit village de Miège en Valais (Suisse)”.
Argumentation des parties
Requérant
Le Requérant soutient en premier lieu que le Nom de Domaine est absolument identique à son nom officiel. Il considère que l’usage de son nom pour désigner le site en question porte atteinte à ses intérêts puisque cette appropriation entraîne un risque important de confusion ou de tromperie en donnant l’impression aux utilisateurs qui se connectent au Nom de Domaine qu’ils accèdent à un site officiel d’une collectivité publique et que les informations qu’ils y trouveront ont été agréées par le Requérant. Les utilisateurs ne trouvent ainsi pas, sur le site en question, les informations et services usuels qu’ils sont en droit d’attendre d’une collectivité publique.
Le Requérant argumente ensuite que le Défendeur n’a aucun droit ni aucun intérêt légitime sur le Nom de Domaine, car le site querellé appartient aux adeptes du mouvement raëlien qui y propagent leurs idées par ce biais et que le chef de ce groupuscule, connu sous le nom de Raël, n’a aucun lien avec la commune du Requérant. Il n’y est ainsi pas domicilié, n’y a pas de famille et n’y a jamais résidé durant une longue période. Seuls quelques adeptes, une dizaine de membres tout au plus, y résident. Ce mouvement n’a, dès lors, aucun intérêt légitime à utiliser le nom de cette collectivité publique pour désigner son site, si ce n’est pour tenter de tromper le public en donnant à son site un caractère d’officialité forcément trompeur. Les adeptes de ce mouvement essaient par ce biais de faire croire que les idées exposées sur leur site représentent des idées largement admises et acceptées par les habitants de la collectivité publique miégeoise et leurs autorités, ce qui est loin d’être le cas.
Le Requérant soutient enfin que le Nom de Domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur car le Nom de Domaine a été choisi uniquement dans le but de priver le Requérant de la possibilité de l’acquérir et de le réserver pour son propre compte. En désignant son site par le nom officiel d’une collectivité publique, le mouvement raëlien donne à son site un caractère d’officialité, ce qui attire les utilisateurs d’internet qui croient se connecter à un site communal agréé. Il se donne ainsi une visibilité qu’il n’aurait pas sans l’appropriation illicite d’un nom qui ne lui appartient pas. Il y a donc ici clairement utilisation déloyale d’un nom à des fins lucratives.
Le Requérant sollicite sur cette base le transfert du Nom de Domaine à son profit.
Défendeur
Le Défendeur conteste que le Nom de Domaine est identique au nom officiel de la commune du Requérant dans la mesure où le nom de la commune (“Miège”) comporte une lettre accentuée que le Nom de Domaine n’a pas et relève que le nom de domaine correspondant au nom exact (« miège.ch ») existe et que le Requérant en est déjà propriétaire.
Le Défendeur conteste également que le site accessible depuis le Nom de Domaine donne l’impression aux utilisateurs qui se connectent à ce site qu’ils accèdent à un site officiel d’une collectivité publique et que les informations qu’ils y trouveront ont été agréées par le Requérant, notamment compte tenu du fait que le Nom de Domaine a une extension “.net” et pas “.ch” et que la page d’accueil du site comporte l’indication mise en évidence qu’il ne constitue pas un site officiel du Requérant (avec la référence : “Le site officiel de la résistance à la pensée dominante …ou le site non officiel du petit village de Miège en Valais (Suisse)”).
Le Défendeur confirme que le site accessible depuis le Nom de Domaine appartient à titre individuel à un groupe de raëliens localisés dans la commune du Requérant qui ont décidé, suite à certains événements ayant eu des échos médiatiques, de créer un site Internet afin de défendre leur vision de leurs projets à Miège, le Nom de Domaine ayant été choisi parce qu’il concernait essentiellement des événements ayant lieu à Miège, sans intention de tromper qui que ce soit.
Le Défendeur conteste également que le Nom de Domaine a été choisi uniquement dans le but de priver le Requérant de la possibilité de l’acquérir et de le réserver pour son propre compte, dès lors que le site concerne des événements et polémiques qui ont eu lieu à Miège ou au sujet de Miège.
De plus, le Nom de Domaine a été réservé par le Défendeur au moins une année après la réservation du nom de domaine « miege.ch » par le Requérant (l’outil de recherche en ligne « archive.org » attestant de l’existence d’un contenu de « miege.ch » en novembre 2001, alors que le Nom de Domaine a été réservé par le défendeur à fin 2002). De surcroît, le Requérant ne s’est jamais porté acquéreur d’autres noms de domaines (tels que « miege.com », « miege.net » ou « miege.org »).
Le Défendeur conteste également qu’il y ait une utilisation déloyale du nom du Requérant à des fins lucratives, car il n’y a rien à vendre, ni aucune sollicitation pécuniaire sur le site accessible depuis le Nom de Domaine. Le Défendeur indique en outre qu’il n’y a aucune sollicitation à rejoindre le mouvement raëlien sur ce site, ce dernier n’étant pas officiellement affilié au mouvement raëlien, mais appartenant au contraire à certains raëliens, le mouvement raëlien étant une association à but non lucratif selon le droit suisse.
Langue de la procédure
Le paragraphe 11(a) des Règles d’application prévoit que, sauf convention contraire, la langue de la procédure entre les parties est celle du contrat d’enregistrement. Toutefois, la Commission administrative peut décider qu’il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative.
En l’espèce, l’unité d’enregistrement auprès de laquelle le Nom de Domaine a été enregistré a informé le Centre le 11 mars 2008 que la langue du contrat d’enregistrement était l’anglais.
Le Requérant a toutefois déposé sa plainte en français, sans qu’il n’ait formellement requis ni dans sa plainte ni ultérieurement que le français soit la langue de la procédure.
Toutefois, le Défendeur n’a pas formellement contesté l’utilisation de la langue française comme langue de la procédure et a d’ailleurs présenté sa réponse en français, ce qui justifie que la procédure soit conduite en langue française, qui est la langue commune utilisée par les parties dans la présente procédure. En outre, la Commission administrative constate que tant le Requérant que le Défendeur sont domiciliés dans une région francophone et que les textes figurant sur le site Internet auquel renvoie le Nom de Domaine sont rédigés en français, ce qui permet également de justifier le choix de la langue française. Voir SFMI – Micromania contre Domain Drop S.A., Litige Ompi No. D2008-0081, se référant à Société d’information et de créations SIC contre Pierre Guynot, Litige Ompi No. D2006-0944 (retenant que le fait que le site Internet auquel le nom de domaine renvoyait ait été rédigé en français comme un élément permettant d’admettre, en l’absence de contestation du défendeur, que la procédure peut être conduite en français).
Par conséquent, au vu des circonstances du cas d’espèce, la Commission décide que la langue de la procédure administrative est le français.
Discussion et conclusions
Conformément au paragraphe 4(a) des Principes directeurs, la Commission administrative doit déterminer si sont réunies les trois conditions posées par celui-ci, à savoir:
i) si le Nom de Domaine est identique à une marque de produit ou de service appartenant au Requérant ou suffisamment proche pour engendrer la confusion ; et
ii) si le Défendeur n’a pas un droit ou un intérêt légitime à l’utilisation du Nom de Domaine ; et
iii) si le Défendeur a enregistré et utilise le Nom de Domaine avec mauvaise foi.
Il appartient au Requérant de démontrer que ces trois conditions sont réunies (en vertu du paragraphe 4(a) in fine des Principes directeurs).
Pour ce qui concerne la première condition (du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs), il convient d’examiner en premier lieu si le Requérant a démontré être titulaire (ou bénéficier à un autre titre) d’une marque de produit ou de service, puis, dans l’affirmative, si le Nom de Domaine est identique à ladite marque ou suffisamment proche de celle-ci pour engendrer la confusion.
Le Requérant n’indique pas être titulaire d’une quelconque marque de produit ou de service à laquelle le Nom de Domaine serait identique ou de laquelle ce dernier serait suffisamment proche pour engendrer la confusion. Le Requérant se limite en effet à indiquer que le Nom de Domaine est identique à son nom officiel (“Miège”).
Or, le terme “Miège” constitue une désignation géographique qui identifie une commune située dans le canton du Valais (Suisse). A cet égard, il est établi qu’en l’absence d’imposition en tant que marque dans le commerce et en l’absence de marque enregistrée, de telles désignations géographiques ne constituent pas des marques dès lors qu’elles ne servent pas à distinguer les produits ou services d’une entreprise par rapport à ceux d’autres entreprises. Voir Commune of Zermatt and Zermatt Tourismus v. Activelifestyle Travel Network, Litige Ompi No. D2007-1318; Empresa Municipal Promoción Madrid S.A. v. Easylink Services Corporation, Litige Ompi No. D2002-1110). Dans ces circonstances, les indications géographiques ne sont pas comme telles protégées par les Principes directeurs.
A titre exceptionnel, une désignation géographique (qui n’a pas été enregistrée comme marque ni ne constitue un élément d’une marque enregistrée) peut constituer une marque au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs à la condition qu’elle se soit imposée dans le commerce comme marque pour désigner des produits ou des services et qu’elle ait ainsi acquis une force distinctive, ce qui pourrait être démontré notamment par la durée et le montant des ventes réalisées sous la marque, la nature et l’étendue de la publicité effectuée ou des sondages réalisés auprès des consommateurs (voir les chapitres 1.5 et 1.7 de l’Index des décisions des commissions administratives de l’Ompi).
Or, le Requérant n’a aucunement démontré que le terme “Miège” se serait imposé comme marque dans le commerce et que ce terme aurait acquis une force distinctive en tant que marque. La Commission administrative relève, par comparaison, que, dans des décisions antérieures, d’autres désignations géographiques n’ayant pas fait l’objet de dépôt de marques, n’ont pas été protégées sur le fondement des Principes directeurs, faute de remplir la première condition du paragraphe 4(a)(i) desdits Principes. Voir Land Sachsen-Anhalt v. Skander Bouhaouala, Litige Ompi No. D2002-0273; Heidelberg v. Media Factory, Litige Ompi No. D2001-1500.
Dans ces circonstances, la Commission administrative considère que la première condition du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs n’est pas remplie en l’espèce, faute pour le Requérant d’avoir démontré (ce qu’il lui incombait de faire) bénéficier d’une marque portant sur le terme “Miège”.
Il n’est dès lors pas nécessaire que la Commission administrative décide si les deux autres conditions du paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont remplies en l’espèce, les trois conditions figurant dans cette disposition étant cumulatives. Voir Guildline Instruments Limited v. Anthony A., Litige Ompi No. D2006-0157; voir aussi Land Sachsen-Anhalt v. Skander Bouhaouala, Litige Ompi No. D2002-0273 (soulignant que la mauvaise foi et l’absence d’intérêt légitime ne peuvent justifier un transfert de nom de domaine en l’absence de droit du requérant sur une marque, en se référant à E-Duction, Inc. v. Zuccarini, Litige Ompi No. D2000-1369).
Décision
Au regard des éléments développés ci-dessus et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne le rejet de la plainte.
Expert Unique : Jacques de Werra
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