Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de la commission administrative 15 avril 2008
Converse Inc. / Eurotastic Ltd
marques - nom de domaine
Les parties
Le Requérant est Converse Inc., North Andover, Etats-Unis d’Amérique, représenté par le Cabinet Harlé-Phélip, Paris, France.
Le Défendeur est Eurotastic Ltd., Neuilly-sur-Seine, France.
Nom de domaine et prestataire internet
Le litige concerne le nom de domaine « converse.fr » enregistré le 1er juin 2005.
Le prestataire internet est la société Gandi.
Rappel de la procédure
Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 15 février 2008, par courrier électronique et le 21 février 2008, par courrier postal.
Le 22 février 2008, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
Le 22 février 2008, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 25 février 2008. Le Défendeur n’ayant adressé aucune réponse, le Centre a notifié le défaut du Défendeur en date du 17 mars 2008.
Le 1er avril 2008, le Centre nommait Christian Le Stanc comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.
Les faits
Le Requérant est la société Converse Inc. qui commercialise depuis longtemps essentiellement des chaussures et dispose, à ce titre, d’une renommée, voire d’une notoriété certaine.
Il est titulaire de droits de marque, nominale ou semi-figurative, depuis respectivement 1986, 1988 et 1990 notamment pour désigner des vêtements et chaussures. Le terme “Converse” figure dans sa dénomination sociale et son nom commercial.
Le Requérant dispose en outre de noms de domaines « converse.com », « converse.co.uk », « converse.ie », antérieurs à l’enregistrement du nom de domaine par le Défendeur.
Le Requérant a constaté que le Défendeur a enregistré auprès de l’Unité d’enregistrement Gandi, le 1er juin 2005, le nom de domaine « converse.fr » correspondant à un site “parking” permettant d’accéder à des sites commercialisant des articles de mode, spécialement des chaussures de marque “Converse” ou de marques concurrentes.
Le Requérant sollicite le transfert à son profit du nom de domaine « converse.fr ».
Argumentation des parties
Requérant
Le Requérant, au visa de l’article 12.1 de la Charte, fait état des droits de propriété intellectuelle qu’il détient sur le signe “Converse” (marques, dénomination sociale, nom commercial et noms de domaines antérieurs). Il soutient que le nom de domaine « converse.fr » porte atteinte à ses droits sur le terme “Converse”, peu important le préfixe “www.” ou le suffixe “.fr”, nécessaires s’agissant de noms de domaine ; ajoute que le nom de domaine « converse.fr »correspond à un site “parking” actif qui permet une rémunération du Défendeur à chaque redirection des internautes vers les sites liés ; que ledit Défendeur ne détient aucune autorisation d’utiliser le terme “Converse” dans la vie des affaires et relève qu’il a déjà succombé dans diverses procédures administratives, menées sous l’égide du Centre, lui reprochant des faits de “cybersquatting” ou de “typosquatting” au détriment de signes notoires.
Le Requérant détaille, ensuite, en quoi, selon lui, le nom de domaine « converse.fr » porte atteinte à ses marques, nominale, en application de l’article L.713-2 du Code de la propriété intellectuelle ; semi-figuratives, en application de l’article L.713-3 du même Code ; porte atteinte à ses dénomination sociale et nom commercial ; constitue un emploi préjudiciable et injustifié de ses marques renommées, en application de l’article L.713-5 du Code précité, par un Défendeur qui n’est pas un licencié et dont le site est de qualité médiocre ; et suscite un risque de confusion dans l’esprit des internautes en exploitant un site “parking”, de mauvaise foi et dans un but de lucre, en application de l’article 1382 du Code civil.
Défendeur
Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre.
Discussion
Il revient à l’Expert de décider conformément à l’article 20(c) du Règlement qui prévoit : “Il fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits de tiers telle que définie à l’article 1 du présent Règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de l’atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.
L’article 1 du Règlement contient la définition suivante : “Atteinte aux droits de tiers, au titre de la Charte : une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et /ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et au droit au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne”.
Il s’agit donc de vérifier et de décider si, au vu des éléments du dossier, le Défendeur a effectué l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine « converse.fr » de manière à constituer une atteinte aux droits du Requérant et si ledit Requérant justifie de droits sur le nom de domaine objet de l’atteinte.
(i) Enregistrement du nom de domaine litigieux
L’Expert constate au vu du dossier que le Requérant justifie de droits sur les signes suivants :
Marque nominale Converse n° 1 450 850 déposée le 19 février 1988, renouvelée, pour notamment vêtements, bottes, souliers, pantoufles, dans les classes 7, 8, 9, 12, 20, 25.
Marque semi-figurative Converse n° 1 595 327, déposée le 1er juin 1990, renouvelée, pour chaussures et vêtements, dans la classe 25.
Marque semi-figurative Converse Chuck Taylor All Star n°1 356 944, déposée le 30 mai 1986, renouvelée, pour chaussures dans la classe 25.
Le Requérant justifie de ce que le terme “Converse” est l’élément essentiel et distinctif de sa dénomination sociale et de son nom commercial.
Le Requérant justifie d’avoir enregistré les noms de domaine actifs « converse.com » et « converse.co.uk » avant l’enregistrement par le Défendeur du nom de domaine « converse.fr ».
Le Requérant justifie de ce que les chaussures “Converse” sont bien connues d’une fraction particulièrement large du public.
L’Expert constate également que la page d’accueil du site “www.converse.fr” procède notamment à la promotion de chaussures et fournit des liens vers différents sites où l’internaute peut se procurer notamment des chaussures de marque Converse ou de marque autre ; qu’il s’agit donc d’un site dit “parking”.
L’Expert estime qu’en cet état l’enregistrement du nom de domaine « converse.fr » serait susceptible de constituer judiciairement la contrefaçon de la marque verbale n° 1 450 850 au sens de l’article L.713-2 du Code de la propriété intellectuelle et, en tous cas, la contrefaçon par imitation des trois marques du Requérant au sens de l’article L.713-3 du même Code, le public d’attention moyenne pouvant croire que le nom litigieux et son site sont détenus par le Requérant et émanent de ce dernier.
L’Expert estime en outre que l’enregistrement du nom litigieux porte atteinte à la notoriété ou la renommée incontestables des marques Converse au sens de l’article L.713-5 du Code précité.
L’Expert estime également et surabondamment que l’enregistrement du nom de domaine litigieux pourrait constituer une faute dommageable au sens de l’article 1382 du Code civil en raison de la reprise de l’élément distinctif essentiel des noms de domaines antérieurs du Requérant, de sa dénomination sociale et de son nom commercial, faits susceptibles d’engendrer un risque de confusion avec la personne et l’activité du Requérant.
(ii) Utilisation du nom de domaine en violation des droits des tiers
Il apparaît aussi à l’Expert que le Défendeur a fait du nom de domaine « converse.fr » une utilisation portant atteinte aux droits du Requérant.
Il résulte du dossier communiqué que le nom litigieux correspond à un site “parking” redirigeant l’internaute vers d’autres sites commercialisant des chaussures, Converse ou de marques autres, par exemple le site “www.spartoo.com” et il est constant que l’exploitation d’un site “parking” permet une rémunération de l’exploitant à chaque fois qu’un internaute se redirige vers un site commercial lié. Cette pratique, selon l’Expert, consiste à attirer délibérément à des fins lucratives des internautes sur un site web suscitant une confusion avec le Requérant, tant en ce qui concerne la source que l’affiliation (Carrefour et Carrefour Hypermarchés contre Eurotastic Limited, Litige Ompi No. DFR2005-0011). Cette attitude n’est pas loyale.
L’Expert relève enfin que le Défendeur, qui n’a pas cru opportun de s’expliquer dans la présente procédure, est coutumier du fait et s’est déjà vu contraint de restituer des noms de domaines enregistrés et utilisés en violation de droits de tiers (Décision précitée ; Compagnie Générale des Etablissements Michelin-Michelin et Cie contre Eurotastic Limited, Litige Ompi No. DFR2005-0013 ; Anil c. Eurotastic ou Eurorasric Ltd et Lantec Corporation, Litige Ompi No. DFR2005-0015).
En conséquence, l’Expert considère que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine « converse.fr » ont constitué tout à la fois une violation des droits du Requérant sur les marques dont il est titulaire et des principes de loyauté qui doivent gouverner la vie des affaires.
Décision
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine « converse.fr ».
Expert : Christian Le Stanc
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.