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Jurisprudence : Marques

lundi 30 juin 2008
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Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de la commission administrative 15 avril 2008

Alstomi / Stone Mengue

marques

Les parties

Le requérant est Alstomi, Levallois Perret, France, représenté par le cabinet Dreyfus & Associés, France.

Le Défendeur est Stone Mengue, Blois, France.

Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine « alsto.info ».

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est 1&1 internet AG.

Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Alstomi auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 14 février 2008.

En date du 14 février 2008, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, 1&1 internet AG, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 21 février 2008.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’Ompi (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 22 février 2008, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 13 mars 2008. Le Défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 17 mars 2008, le Centre notifiait le défaut du Défendeur.

En date du 1er avril 2008, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Alexandre Nappey. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

Les faits

Le Requérant est un groupe industriel français de renommée internationale, leader dans les secteurs de la production d’électricité et de la construction ferroviaire.

Le Requérant est titulaire de marques enregistrées en France et au plan communautaire, notamment les marques suivantes :

– marque française Alstomi n° 98727757 enregistrée le 10 avril 1998 pour des produits et services des classes 1, 2, 4, 6, 7, 9, 11, 12, 13, 16, 17, 19, 24, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41 et 42,

– marque française Alstomi n° 98727759 enregistrée le 10 avril 1998 pour des produits et services des classes 1, 2, 4, 6, 7, 9, 11, 12, 13, 16, 17, 19, 24, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41 et 42,

– marque française Alstomi n° 98727762 enregistrée le 10 avril 1998 pour des produits et services des classes 1, 2, 4, 6, 7, 9, 11, 12, 13, 16, 17, 19, 24, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41 et 42,

– marque communautaire Alstomi n° 000948729 enregistrée le 8 août 2001 pour des produits et services des classes 1, 2, 6, 7, 9, 11, 12, 13, 16, 17, 19, 24, 35, 36, 37, 38, 40, 41 et 42.

Le Requérant est en outre titulaire de différents noms de domaine dont les suivants :

– « alstom.com » enregistré le 20 janvier 1998

– « alstom.info » enregistré le 31 juillet 2001

– « alstom.fr » (France) enregistré le 11 mai 2000

– « alstom.eu » (Union Européenne) enregistré le 1er avril 2006

Lesquels sont tous exploités.

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine le 15 novembre 2006. Dans un premier temps, le nom renvoyait vers une page de parking mise à disposition par le bureau d’enregistrement 1&1 internet AG. Actuellement, le nom de domaine est inactif.

Argumentation des parties

Requérant

Ayant constaté l’enregistrement du nom de domaine « alsto.info » le 15 novembre 2006, le Requérant a adressé au Défendeur une lettre de mise en demeure en date du 5 décembre 2006, afin de lui notifier l’atteinte portée à ses droits et tenter d’obtenir le transfert du nom de domaine à l’amiable.

Le Défendeur a répondu par courrier électronique du 12 décembre 2006, indiquant en substance que l’enregistrement avait été effectué par erreur, que le nom n’était pas exploité par le Défendeur qui souhaitait par conséquent voir la réservation annulée.

Malgré plusieurs relances du requérant, le Défendeur n’a jamais effectué les démarches de nature à permettre le transfert amiable du nom de domaine objet du litige.

Au contraire, le requérant a relevé que le nom de domaine « alsto.info » avait été renouvelé par son titulaire le 15 novembre 2007 pour une année supplémentaire.

Dans ces conditions, il a engagé la présente procédure.

Le Requérant soutient que le nom de domaine « alsto.info » est identique ou à tout le moins similaire à sa marque Alstomi, au point de prêter à confusion avec celle-ci.

Le requérant considère par ailleurs que le Défendeur n’a aucun droit sur la dénomination contenue dans le nom de domaine, ni aucun intérêt légitime qui s’y attache. Il précise qu’il n’a consenti aucune licence ou autorisation au Défendeur lui permettant de déposer le nom de domaine litigieux.

Enfin, selon le Requérant le nom de domaine « alsto.info » a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur, qui ne pouvait selon lui ignorer l’existence de la marque Alstomi, compte tenu de sa notoriété. L’absence d’usage du nom de domaine et le renouvellement opéré après les échanges intervenus entre les parties attestent de la mauvaise foi du Défendeur d’après le Requérant.

Défendeur

Le Défendeur n’a transmis aucune réponse.

Discussion et conclusions

La Commission administrative doit déterminer si les trois conditions posées par le paragraphe 4.a. des Principes directeurs sont réunies, à savoir :

i) le Nom de Domaine est identique ou similaire au point de prêter à confusion à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits,

ii) le Défendeur n’a aucun droit sur le Nom de Domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache et,

iii) le Défendeur a enregistré et utilise le Nom de Domaine de mauvaise foi.

Langue de procédure

Le paragraphe 11(a) des Règles d’application prévoit que, sauf convention contraire, la langue de la procédure entre les parties est celle du contrat d’enregistrement. Toutefois, la Commission administrative peut décider qu’il en sera autrement, compte tenu des circonstances de la procédure administrative.

Dans sa plainte, soumise en français, le Requérant déclare que d’après lui, la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine objet de la procédure est l’allemand.

Il soutient néanmoins que la procédure doit être menée en français, eu égard aux circonstances particulières tenant notamment à la nationalité des parties et aux échanges intervenues entre elles avant l’engagement de la procédure.

En l’espèce, l’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine a été enregistré a informé le Centre le 21 février 2008 que la langue du contrat d’enregistrement était le français.

Dès lors, en vertu des dispositions du paragraphe 11(a) des Règles d’application, et en l’absence de contestation ou demande dérogatoire émanant des parties, la Commission administrative confirme que la langue de la procédure administrative est le français.

Identité ou similitude prêtant à confusion

Le nom de domaine contesté est « alsto.info ».

Le Requérant justifie des droits privatifs qu’il détient sur le nom Alstomi au titre des enregistrements de marques – antérieurs au nom de domaine du Défendeur – dont il est propriétaire, notamment en France (n° 98727757, n° 98727759, n° 98727762) et au plan communautaire (n° 000948729).

Le nom de domaine litigieux se distingue de la marque Alstomi uniquement par la suppression de la lettre finale ‘m’, et l’adjonction de l’extension générique “.info”.

D’une part, la seule suppression de la consonne finale ‘m’ n’est pas de nature à écarter tout risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et la marque Alstomi.

Il existe entre les signes des similitudes visuelles et phonétiques telles que l’impression globale qui ressort du nom de domaine n’est pas différente de la marque Alstomi.

Le terme ‘Alsto’ n’ayant aucune signification en français, la langue des parties, la commission administrative est portée à croire, comme le soutient le Requérant sans être contredit, que le nom de domaine correspond plutôt à un cas de typosquatting, qui consiste à exploiter les fautes de frappe des internautes pour détourner la clientèle du requérant.

Dans des décisions antérieures, des commissions administratives ont considéré que la suppression de la lettre finale d’une marque dans un nom de domaine n’était pas de nature à modifier l’impression globale Microsoft Corporation contre Microsof.com aka Tarek Ahmed, Litige Ompi No. D2000-0548 (transfert).

D’autre part, il est de jurisprudence constante des commissions administratives que l’extension de nom de domaine n’est pas de nature à altérer la perception globale de la marque, et partant à faire disparaître l’imitation ou la reproduction de celle-ci, Accor contre Accors Litige Ompi No. D2004-0998 (transfert).

Par conséquent, la Commission administrative conclut que les conditions posées au paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs sont satisfaites.

Droits ou légitimes intérêts

Aucun élément du dossier ne révèle qu’avant d’avoir eu connaissance du litige, le Défendeur ait utilisé le nom de domaine litigieux, ou un nom correspondant au nom de domaine litigieux, en relation avec une offre de bonne foi de produits ou services ou fait des préparatifs sérieux à cet effet.

Le Défendeur n’est en aucune manière affilié au Requérant et n’a pas été autorisé par ce dernier à enregistrer et à utiliser sa marque ou à procéder à l’enregistrement de noms de domaine incluant la marque en question. Il n’est ni licencié, ni tiers autorisé à utiliser la marque, y compris à titre de nom de domaine.

Les nombreuses marques et noms de domaine du Requérant sont antérieurs au nom de domaine litigieux.

Ainsi par exemple, le nom de domaine « alstom.com » est enregistré depuis le 20 janvier 1998, « alstom.info » depuis le 31 juillet 2001.

Par ailleurs, le Défendeur ne fait pas non plus un usage légitime et non commercial du nom de domaine litigieux comme en atteste le fait qu’il n’y ait aucun site exploité à partir de ce nom de domaine, qui a d’abord activé une page de parking du bureau d’enregistrement 1&1 internet AG, et qui est désormais inactif.

D’après les éléments figurant au dossier, il apparaît que le Défendeur a répondu à la lettre de mise en demeure qui lui avait été adressée par le Requérant. A cette occasion, il soutenait que l’enregistrement avait été effectué par erreur et qu’il souhaitait que le nom de domaine soit supprimé.

La Commission administrative en déduit que le Défendeur a reconnu implicitement qu’il n’avait ni droit, ni intérêt légitime sur le nom de domaine « alsto.info ».

La Commission est d’avis, dans ces conditions, que le Défendeur n’a pas de droit sur le nom de domaine litigieux ni aucun intérêt légitime qui s’y attache en vertu du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.

Enregistrement et usage de mauvaise foi

Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs prévoit que “aux fins du paragraphe 4(a)(iii), la preuve de ce que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut être constituée, en particulier, pour autant que leur réalité soit constatée par la commission administrative, par les circonstances ci-après :

(i) les faits montrent que vous avez enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais que vous pouvez prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine,

(ii) vous avez enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et vous êtes coutumier d’une telle pratique,

(iii) vous avez enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent ou,

(iv) en utilisant ce nom de domaine, vous avez sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’internet sur un site Web ou autre espace en ligne vous appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de votre site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.”

La Commission administrative examine si l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine contesté ont été effectués de mauvaise foi.

Le Requérant fait valoir qu’en raison de la notoriété de sa marque Alstomi, le Défendeur avait nécessairement à l’esprit cette dernière lorsqu’il a enregistré le nom de domaine contesté, dans le but de détourner et tirer un profit indu de la réputation attachée à la marque.

Au vu des éléments du dossier et des décisions antérieures citées, Alstom contre Yulei, Litige Ompi No. D2007-0424 (transfert) et Alstom contre Cameron Jackson Litige Ompi No. D2007-1022 (transfert), la Commission administrative estime que le Requérant a démontré la renommée de la marque Alstomi.

Dès lors, il n’est pas crédible que le Défendeur ait pu ignorer l’existence de cette marque lorsqu’il a procédé à l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

Cet élément est aggravé par le fait que le Défendeur est domicilié en France, pays dans lequel le siège social du Requérant est établi et où il exerce ses activités principales.

Dans de nombreuses décisions des commission administratives ont par le passé considéré que la connaissance par le Défendeur des droits de propriété intellectuelle du requérant au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux, ou tout du moins le fait que le Défendeur aurait pu avoir connaissance de ces droits, constitue un indice de la mauvaise foi au moment de l’enregistrement. Bouygues contre Chengzhang, Lu Ciagao, Litige Ompi No. D2007-1325 (transfert)

La Commission administrative estime par conséquent que le nom de domaine litigieux a été enregistré de mauvaise foi.

Il résulte également du dossier que le nom de domaine litigieux n’a pas fait l’objet d’une exploitation depuis son enregistrement. Tout au plus a-t-il activé une page d’attente fournie par l’unité d’enregistrement 1&1 internet AG entre son enregistrement et l’envoi de la lettre de mise en demeure par le Requérant.

Il résulte d’une jurisprudence ancienne et bien établie par les commissions administratives que la détention passive d’un nom de domaine enregistré de mauvaise foi peut constituer un usage de mauvaise foi dès lors que d’autres éléments viennent étayer cette circonstance. Telstra Corporation Limited contre Nuclear Marshmallows, Litige Ompi No. D2000-0003 (transfert)

En l’espèce, le Défendeur a été informé par le Requérant de l’atteinte portée à ses droits, quelques semaines après l’enregistrement du nom de domaine.

Il a déclaré que le nom de domaine « alsto.info » avait été enregistré par erreur, et qu’il souhaitait qu’il soit supprimé.

En réponse, le Requérant l’a invité à prendre les dispositions nécessaires au transfert du nom de domaine. En dépit de plusieurs relances, le Défendeur n’a jamais plus manifesté le souhait de régler le différend à l’amiable.

Au contraire, il a procédé au renouvellement du nom de domaine litigieux, lorsque ce dernier est arrivé à échéance.

La Commission administrative en déduit que le Défendeur utilise le nom de domaine de mauvaise foi.

En conséquence, en application du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs et au vu de ce qui précède, le Défendeur a enregistré et utilisé le nom de domaine de mauvaise foi.

Décision

Au regard des éléments développés ci-dessus et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine « alsto.info » soit transféré au Requérant.

Expert Unique : Alexandre Nappey

 
 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.