Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de la commission administrative 27 février 2008
Baccarat SA / Jacques T.
marques - nom de domaine
Les parties
Le requérant est Baccarat SA, Baccarat, France, représenté par Meyer & Partenaires, France.
Le défendeur est Jacques T., Paris, France.
Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le litige concerne le nom de domaine « baccaratchampagne.com ».
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est DSTR Acquisition VII, LLC d/b/a Dotregistrar.com.
Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par Baccarat SA auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 3 janvier 2008.
En date du 4 janvier 2008, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, DSTR Acquisition VII, LLC d/b/a Dotregistrar.com, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 4 janvier 2008.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’Ompi (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 15 janvier 2008, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 4 février 2008. Le défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 5 février 2008 le Centre notifiait le défaut du défendeur.
En date du 13 février 2008, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique William Lobelson. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Enfin, en date du 14 février 2008 le Requérant communiquait au Centre un projet de décision rendu par l’Institut National de la Propriété Industrielle en date du 1er février 2008 faisant droit à une opposition engagée par le Requérant contre le Défendeur et dirigée contre une demande d’enregistrement de marque No. 07 3 507 838 déposée par ce dernier, et portant sur la marque “Baccarat Champagne”. Cette décision, non définitive, ordonne le rejet de la demande du Défendeur au vu des droits antérieurs du Requérant sur sa marque Baccarat.
Sur la langue de procédure
En application du paragraphe 11(a) des Règles d’application, la langue de procédure est la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine sauf convention contraire entre les parties.
Dans la présente espèce, il apparaît que le contrat d’enregistrement auprès de l’unité d’enregistrement est rédigé en langue anglaise.
Toutefois, ce même paragraphe 11(a) précise in fine que la commission administrative peut décider qu’il en sera autrement, compte tenu des circonstances de l’espèce.
De précédentes décisions en application des Principes directeurs ont admis que la langue commune aux deux parties pouvait être préférée à la langue du contrat d’enregistrement : Groupe Industriel Marcel Dassault, Dassault Aviation v. Mr. Minwoo Park, Litige Ompi N° D2003-0989 ; Groupe Auchan v. XMXZL, Litige Ompi N° DCC2006-0004; General Electric Company, GE Osmonics Inc v. Optima di Federico Papi, Litige Ompi N° D2007-0645 ; Société d’information et de créations SIC v. Pierre G., Litige Ompi N° D2006-0944.
Au cas particulier, il doit être souligné que le Requérant et le Défendeur sont des sociétés françaises, que le Défendeur a procédé en France au dépôt d’une marque identique au nom de domaine incriminé, et que le Requérant invoque à l’appui de la présente procédure des droits protégés en France ainsi que des dispositions légales relevant du Droit français.
Dans ces conditions, au vu des circonstances de l’espèce, la Commission administrative juge équitable de conduire la présente procédure en langue française.
Les faits
Le nom de domaine contesté « baccaratchampagne.com » a été enregistré le 30 juin 2007.
La société française Baccarat, fabricant d’articles de cristallerie, exploite le nom Baccarat depuis près de deux siècles et détient des droits privatifs sur ce dernier à titre de raison sociale, de nom commercial, de marque et de nom de domaine.
Estimant ses droits bafoués par l’enregistrement et l’usage du nom de domaine précité, le Requérant a notifié ses droits au Défendeur par mise en demeure en date du 31 août 2007, et l’a enjoint de radier le nom de domaine litigieux, mais sans succès. Il a donc été contraint d’engager la présente procédure.
Parallèlement le Requérant a formé opposition en France à la demande d’enregistrement de la marque “Baccarat Champagne” déposée par le Défendeur.
Selon les affirmations du Requérant, qui ne produit toutefois aucune pièce justificative, mais qui n’est pas non plus contredit par le Défendeur, ce dernier aurait présenté des observations en réponse à l’opposition précitée et affirmé connaître la société Baccarat, s’estimant toutefois libre d’utiliser la même marque en relation avec des vins de Champagne.
Selon un projet de décision de l’Inpi du 1er février 2008 produit aux débats, il est fait droit à l’opposition du Requérant : la demande de marque du Défendeur est rejetée de façon provisoire, la décision rendue n’étant pas définitive à ce jour.
Le Défendeur n’a en revanche présenté aucune observation dans le cadre de la présente procédure.
Il est encore rapporté et établi par le Requérant que concomitamment à la réservation du nom de domaine contesté et au dépôt de la marque “Baccarat Champagne”, le Défendeur a enregistré deux noms de domaine formées de l’expression “Hermès Champagne” et a procédé au dépôt d’une marque éponyme auprès de l’Inpi.
Argumentation des parties
Requérant
Le Requérant invoque ses droits de marque sur le nom Baccarat et produit à l’appui de sa demande des éléments propres à établir la notoriété de ladite marque.
Il affirme que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime dans le nom de domaine contesté, que la marque “Baccarat Champagne” déposée par ce dernier en France ne constitue pas un droit de nature à légitimer la détention du nom de domaine, qu’une opposition a été engagée contre l’enregistrement de cette marque et que l’Inpi a statué en faveur du Requérant dans une décision récente et donc non encore définitive.
Le Requérant fait valoir que le Défendeur avait nécessairement à l’esprit la marque antérieure invoquée lors de l’enregistrement du nom de domaine, que le Défendeur a explicitement admis avoir connaissance du Requérant, la société Baccarat, et que le Défendeur a également enregistré deux autres noms de domaine formés des termes “hermeschampagne”, illustrant ainsi sa volonté de porter atteinte délibérément à des marques de renommée.
Le Requérant indique encore que le Défendeur porte aussi atteinte aux droits attachés à l’appellation d’origine contrôlée “Champagne”.
Le Requérant estime enfin que le Défendeur, du fait de son inaction et de son refus d’obtempérer à la mise en demeure qui lui a été adressée se rend coupable d’un usage passif de mauvaise foi du nom de domaine.
Défendeur
Le Défendeur n’a présenté aucune observation ni argument en réponse aux allégations du Requérant.
Discussion et conclusions
Identité ou similitude prêtant à confusion
Le nom de domaine contesté est « baccaratchampagne.com ».
Le Requérant justifie dans le cadre de la présente procédure des droits privatifs qu’il détient sur le nom “Baccarat” au titre d’une part de son nom commercial et d’autre part des enregistrements de marques – antérieurs au nom de domaine du Défendeur – dont il est propriétaire, notamment en France (No. 99 787 695) et dans l’Union Européenne (No. 1 816 859).
Force est de constater que la marque Baccarat du Requérant est intégralement reproduite dans le nom de domaine incriminé.
Lui sont adjoints d’une part le nom “Champagne” et d’autre part le radical suffixe “.com”.
La Commission administrative estime malgré cela que le nom de domaine « bacarratchampagne.com » est de nature à prêter à confusion avec le nom “Baccarat” sur lequel le Requérant a des droits, dans la mesure où la seule adjonction du nom géographique “Champagne” à celui “Baccarat” n’a pas pour effet de faire perdre à ce dernier son individualité ni son pouvoir attractif propre.
Le terme “Champagne” est seulement juxtaposé au nom “Baccarat” et ne forme pas avec lui une expression nouvelle dotée d’une signification propre : de fait, le nom “Baccarat” demeure isolément perceptible au sein du nom de domaine.
Au contraire, l’adjonction du toponyme “Champagne”, lequel sert aussi à désigner un vin d’Appellation d’Origine Contrôlée de renommée internationale, est de nature à laisser penser au public que le nom de domaine contesté est une déclinaison de la marque du Requérant, adoptée par ce dernier en référence au vin de Champagne.
Les décisions UDRP citées par le Requérant dans sa plainte sont parfaitement transposables au cas d’espèce : Estee Lauder Cosmetics Ltd, Make-Up Art Cosmetics Inc. v. Telmex Management Services, Litige Ompi N° D2001-1428 ; Société Air France v. DomainsNext.com , Mansour Elseify, Litige Ompi N° D2005-0944.
La marque Baccarat du Requérant est notoirement exploitée dans le domaine de la cristallerie de luxe, et le public peut donc être amené à croire que le Requérant propose sous le nom “Baccarat Champagne” une cuvée vinicole spécialement destinée à sa clientèle ou bien encore un service de coupes ou flûtes à Champagne.
L’internaute confronté au nom de domaine « baccaratchampagne.com » a ainsi toutes raisons de penser que ce dernier renvoie au vin de Champagne du Requérant, la société Baccarat, ou bien à une gamme particulière de ses produits de cristallerie.
Il existe donc bien un risque de confusion ou d’association entre le nom de domaine contesté et la marque du Requérant.
L’extension “.com” étant tout aussi inopérante en ce qu’elle ne permet pas non plus de conjurer ce risque de confusion ou de rapprochement entre le nom de domaine contesté et la marque Baccarat du Requérant : Magnum Piering, Inc. v. The Mudjackers and Garwood S. Wilson, Sr., Litige Ompi N° D2000-1525 ; Phenomedia AG v. Meta Verzeichnis Com, Litige Ompi N° D2001-0374, la Commission administrative conclut que les conditions posées au paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs sont satisfaites.
Droits ou légitimes intérêts
Si la charge de la preuve de l’absence de droits ou intérêts légitimes du Défendeur incombe au Requérant, les commissions administratives considèrent qu’il est difficile de prouver un fait négatif. Il est donc généralement admis que le requérant doit établir prima facie que le défendeur n’a pas de droit ni d’intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Il incombe ensuite au défendeur d’établir le contraire. S’il n’y parvient pas, les affirmations du requérant sont réputées exactes : Croatia Airlines d.d. v. Modern Empire Internet Ltd., Litige Ompi N° D2003-0455 ; Belupo d.d. v. Wachem d.o.o., Litige Ompi N° D2004-0110.
Le Requérant affirme que le Défendeur n’a ni droit ni intérêt légitime dans le nom de domaine contesté et garantit qu’il n’a jamais autorisé le Défendeur, avec lequel il indique n’entretenir aucune relation, à enregistrer ledit nom de domaine. En l’absence de réponse du Défendeur à ces allégations, la Commission administrative est en droit de considérer que les affirmations du Requérant sont fondées.
Au surplus, force est de constater que le nom de domaine contesté ne pointe vers aucun site actif, ce qui accrédite la thèse selon laquelle le Défendeur n’exerce aucune activité ni n’est connu sous le nom de domaine contesté, et n’a aucun intérêt dans celui-ci.
Le Requérant fait encore valoir dans ses écritures que la demande d’enregistrement effectuée en France auprès de l’Inpi par le Requérant et portant sur la marque Baccarat Champagne ne justifie pas d’un droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine incriminé, et ce d’autant que le bureau des oppositions de l’Inpi se propose de rejeter cette demande, à la suite de l’opposition introduite par le Défendeur sur la base de ses droits de marque antérieurs.
Mais la Commission administrative observe que le Défendeur n’a lui-même présenté aucune observation ni argument dans le cadre de la présente procédure UDRP dans le but de légitimer son droit éventuel dans le nom de domaine incriminé.
La Commission administrative n’a pas vocation à se substituer au Défendeur pour apprécier si le dépôt de marque effectué par ses soins en France est de nature à constituer un droit ou intérêt légitime dans le nom de domaine incriminé.
La Commission administrative estime encore que le litige qui oppose les parties devant l’Inpi en France est étranger à la présente procédure en ce qu’il ne porte pas sur le nom de domaine incriminé ; elle n’est donc pas liée par la décision rendue le 1er février par l’Inpi, et ce d’autant plus que ladite décision n’est pas définitive.
La Commission administrative conclut que les conditions posées au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs sont satisfaites.
Enregistrement et usage de mauvaise foi
Enregistrement de mauvaise foi
Le Requérant fait valoir qu’en raison de la notoriété de sa marque Baccarat, le Défendeur avait nécessairement à l’esprit cette dernière lorsqu’il a enregistré le nom de domaine contesté, dans le but de détourner et tirer un profit indu de la réputation attachée à la marque.
La Commission administrative estime que le Requérant a fait la démonstration de la renommée de sa marque Baccarat, par les pièces produites aux débats ainsi que par les décisions antérieures d’autres Commissions administratives (Baccarat S.A. v. Travis Hawkins, Litige Ompi N° D2006-1657 ; Baccarat SA v. Web Domain Names, Litige Ompi N° D2006-0038 ; Baccarat SA v. MSL International, Inc, Litige Ompi N° D2005-0048 ; Baccarat SA v. SeriousNet, Litige Ompi N° D2003-0428.
Le Requérant rapporte encore que le Défendeur a explicitement admis avoir connaissance de la société Baccarat dans les observations écrites qu’il a présenté dans le cadre de la procédure d’opposition en cours devant l’Inpi et évoquée ci-avant.
Ces écritures n’ont pas été produites aux débats et la Commission administrative n’a donc pu en prendre connaissance.
Dans la mesure toutefois où l’existence et la véracité de ces écritures n’ont pas été contestées par le Défendeur dans le cadre de la présente procédure, la Commission administrative doit considérer l’affirmation fondée, mais estime qu’elle ne constitue qu’un élément parmi d’autres de nature à étayer la thèse selon laquelle l’enregistrement du nom de domaine a été effectué de mauvaise foi.
La Commission administrative retient enfin des faits qui lui sont exposés que le Défendeur a également déposé, en plus du nom de domaine incriminé, les noms de domaine « hermeschampagne.com » et « hermeschampagne.fr ».
La Commission administrative voit dans ce comportement une volonté manifeste pour le Défendeur de s’arroger des noms de domaine formés de marques françaises de bonne renommée du secteur des produits de luxe.
Il est difficilement imaginable que le Défendeur, ressortissant français, ait pu ignorer l’existence des droits privatifs attachés à une marque aussi connue que celle “Baccarat”.
L’enregistrement par ses soins de noms de domaine formés d’une autre marque notoire, “Hermès”, ne peut raisonnablement procéder d’une coïncidence et permet d’écarter le bénéfice du doute quant aux motivations du Défendeur : Masai S.A. v. Peter C., Litige Ompi N° D2007-0509.
La Commission administrative a donc la conviction que le Défendeur avait bien à l’esprit la marque du Requérant et était donc animé de mauvaise foi lors de l’enregistrement du nom de domaine contesté.
Les développements du Requérant sur l’atteinte portée par le Défendeur à l’Appellation d’Origine Contrôlée “Champagne” seront jugés inopérants par la Commission administrative, qui observe que le Requérant ne justifie d’aucun droit sur le nom “Champagne”. Or il n’appartient pas au Requérant d’invoquer les droits de tiers ou de se substituer à eux dans le cadre de la présente procédure.
Usage de mauvaise foi
Le Requérant rapporte que la mise en demeure qu’il a adressée au Défendeur est demeurée sans effet. Il est observé au surplus que le Défendeur n’a pas jugé utile de défendre sa position face aux allégations du Requérant dans la présente procédure, et que le nom de domaine contesté est demeuré inactif, en ce sens qu’il ne pointe pas vers un site web dans lequel le Défendeur exercerait une activité de bonne foi sous le nom de domaine.
La Commission administrative considère que la seule détention du nom de domaine incriminé interfère avec les droits du Requérant, et qu’en s’abstenant de toute action visant à rétablir le Requérant dans ses droits après avoir pourtant été mis en connaissance de ceux-ci, contraignant ce dernier à engager la présente procédure, le Défendeur se rend coupable de rétention injustifiée, c’est à dire d’usage passif de mauvaise foi du nom de domaine contesté (Telstra Corporation Ltd v. Nuclear Marshmallows, Litige Ompi N° D2000-0003).
Décision
Au vu de l’analyse des faits et de l’examen des pièces et arguments des parties, la Commission administrative estime que les conditions posées aux paragraphes 4(a)(i), (ii) et (iii) des Principes directeurs sont satisfaites, à savoir que le nom de domaine contesté est susceptible de prêter à confusion avec la marque sur laquelle le Requérant détient des droits, que le Défendeur ne justifie d’aucun droit ou intérêt légitime dans le nom de domaine contesté et que celui-ci a été enregistré et utilisé de mauvaise foi.
En conséquence, et conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne la radiation du nom de domaine « baccaratchampagne.com ».
Expert Unique : William Lobelson
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.