Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de la commission administrative 28 février 2008
Idées & Patentes S.A.R.L. / Institut National de la Propriété Industrielle (I.N.P.I)
marques - nom de domaine
Les parties
Le requérant est Idées & Patentes S.A.R.L., Paris, France, représenté par Guillaume B. et François G., France.
Le défendeur est Institut National de la Propriété Industrielle (I.N.P.I), Paris, France, représenté par Jean Martin, France.
Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le litige concerne le nom de domaine « e-soleau.org ».
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Melbourne IT trading as Internet Names Worldwide.
Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par Idées & Patentes S.A.R.L. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 28 novembre 2007.
En date du 3 décembre 2007, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Melbourne IT trading as Internet Names Worldwide, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 5 décembre 2007.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’Ompi (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2 a) et 4 a) des Règles d’application, le 6 décembre 2007, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5 a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 26 décembre 2007. Le défendeur a fait parvenir sa réponse au Centre le 21 décembre 2007.
Le Requérant a communiqué des observations et documents additionnels les 31 décembre 2007, 7 et 8 janvier 2008.
En date du 6 février 2008, le Centre nommait Christiane Féral-Schuhl, Nathalie Dreyfus et Christian-André Le Stanc comme experts dans le présent litige. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Le Défendeur a communiqué des observations additionnelles le 13 février 2008.
Le 18 février 2008, la Commission administrative a, par ordonnance, enjoint le Requérant, en application de l’article 12 des Règles d’application, de bien vouloir produire une pièce attestant de ses droits sur la marque E-Soleau, au plus tard le 22 février 2008. Cette ordonnance a ainsi prorogée la date de transmission de la décision au 28 février 2008.
Le 22 février 2008, le Requérant répondait à l’injonction de la Commission administrative et lui communiquait une attestation de Monsieur B., son gérant, accompagnée d’une copie de la carte d’identité de ce dernier.
Le 27 février 2008, le Défendeur a communiqué des observations additionnelles en réponse aux éléments produits par le Requérant.
Le 28 février 2008, le Requérant et le Défendeur ont à nouveau communiqué des observations additionnelles.
Les faits
Le Requérant est la société Idées & Patentes SARL, qui a pour activité l’exploitation commerciale de services internet.
Le gérant du Requérant est titulaire des droits portant sur la marque semi-figurative française E-Soleau, enregistrée sous le numéro FR 04 3 323 121 auprès de l’I.N.P.I. le 10 novembre 2004.
Le Requérant a procédé à l’enregistrement des noms de domaine suivants :
– « e-soleau.fr », le 18 janvier 2006,
– « e-soleau.com », le 17 janvier 2006,
– « e-soleau.net », le 17 janvier 2006,
– « e-soleau.eu », le 07 avril 2006.
Le Défendeur est l’Institut National de la Propriété Industrielle (I.N.P.I.), établissement public français placé sous la tutelle du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi, et chargé notamment de délivrer les marques, brevets et dessins et modèles.
Le Défendeur affirme être titulaire de la marque d’usage notoirement connue en France, Enveloppe Soleau.
Argumentation des parties
Requérant
A titre liminaire, le Requérant sollicite que la procédure soit diligentée en français compte tenu notamment de ce que le Défendeur est une institution française et que les échanges entre les parties ont été tenus en langue française.
(i) Le Requérant fait valoir en premier lieu que le nom de domaine « e-soleau.org » est identique ou semblable, au point de prêter à confusion, à la marque E-Soleau sur laquelle le Requérant déclare avoir des droits.
Le Requérant précise qu’antérieurement à l’enregistrement du nom de domaine litigieux, il a régulièrement déposé la marque E-Soleau auprès du Défendeur sans que ce dernier ne manifeste une quelconque opposition. Le Requérant relève également qu’il exploite effectivement cette marque puisqu’il a déposé des noms de domaine comprenant les termes “e-soleau” pour commercialiser ses produits.
Le Requérant ajoute également qu’il a mis en demeure le Défendeur de cesser d’utiliser le nom de domaine en cause, qui est le seul nom de domaine que le Défendeur détient en “.org”.
Pour ces raisons, le Requérant considère que l’exploitation par le Défendeur du nom de domaine « e-soleau.org » est de nature à engendrer auprès des consommateurs une confusion entre ses produits et services et les prestations offertes par le Défendeur, et conséquemment à détourner la clientèle du Requérant et à discréditer le Requérant.
(ii) En second lieu, le Requérant fait valoir que le Défendeur ne dispose d’aucun droit ni d’aucun intérêt légitime sur le nom de domaine « e-soleau.org ».
Selon le Requérant, l’absence d’opposition du Défendeur à l’enregistrement de la marque E-Soleau effectué auprès de ses services traduit son acceptation à l’existence de cette marque.
Le Requérant fait ensuite état d’un contrat conclu entre le Défendeur et la société Ideas & Patents Ltd, société de droit anglais ayant développé un service de dépôt en ligne avec certification de la date et conservation du contenu, et auprès de laquelle le Requérant a obtenu une licence d’exploitation de ce procédé.
Le Requérant indique ainsi que le Défendeur s’était engagé contractuellement à ne pas porter atteinte aux inventions résultant du savoir-faire de la société Ideas & Patents Ltd, et que le Défendeur a réitéré sa volonté de se conformer à ses obligations de non-concurrence et de confidentialité.
(iii) Enfin, le Requérant allègue que le Défendeur a enregistré et utilise de mauvaise foi le nom de domaine « e-soleau.org ».
Le Requérant considère que la mauvaise foi du Défendeur se déduit du fait que ce dernier n’a procédé à l’enregistrement du nom de domaine litigieux que postérieurement à l’enregistrement par le Requérant de la marque E-Soleau et de noms de domaine comprenant les termes “e-soleau”.
Par ailleurs, le Requérant subodore que le Défendeur a eu recours à un bureau d’enregistrement étranger dans l’unique but de contourner les dispositions du Code des Postes et des Communications Electroniques imposant aux organismes en charge de l’attribution des noms de domaine de veiller au respect par leurs clients des droits de propriété intellectuelle des tiers.
Pour finir, le Requérant a la certitude que l’organisation hiérarchique interne au Défendeur est volontairement opposée à ses droits. Cette certitude résulte du fait que la personne physique ayant procédé à l’enregistrement du nom de domaine était informée du projet technique avorté entre le Défendeur et la société Ideas & Patents Ltd.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Requérant sollicite de la Commission administrative de rendre une décision ordonnant le transfert du nom de domaine « e-soleau.org » à son bénéfice.
Défendeur
Le Défendeur soulève in limine litis l’incompétence du Centre pour connaître du présent litige, au motif que le Défendeur est un établissement public de l’Etat français, qui ne peut, selon les règles internes françaises, se soustraire aux règles qui déterminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d’un arbitre la solution d’un litige.
(i) S’agissant du fond du litige, le Défendeur fait valoir en premier lieu que le Requérant ne peut se prévaloir de la marque E-Soleau puisqu’il ressort des pièces justificatives communiquées par ce dernier qu’il n’en est pas le titulaire.
(ii) En second lieu, le Défendeur expose être titulaire de la marque notoire Enveloppe Soleau, laquelle est de nature à lui conférer un monopole d’exploitation sur la dénomination “e-soleau” en ce qu’elle reprend à l’identique le terme distinctif de sa marque, i.e. le mot “soleau”. Le Défendeur estime en conséquence qu’il lui est légitime d’enregistrer le nom de domaine « e-soleau.org ».
Le Défendeur ajoute que son abstention à s’opposer à l’enregistrement par le Requérant de la marque E-Soleau ne saurait constituer ni un renoncement à ses droits sur ses propres marques, ni une reconnaissance de la validité de la marque enregistrée par le Requérant. Le Défendeur justifie son abstention par la nécessité pour lui de présenter des garanties d’impartialité en tant que service chargé de la réception de l’enregistrement des marques.
Le Défendeur précise également qu’il ne s’est engagé contractuellement auprès de la société Ideas & Patents Ltd que s’agissant du respect des savoir-faire et éventuels droits d’invention de ce dernier.
(iii) Enfin, le Défendeur déclare qu’il a enregistré et utilise le nom de domaine « e-soleau.org » de bonne foi.
Pour appuyer cette allégation, le Défendeur précise qu’il a effectué l’enregistrement du nom de domaine litigieux auprès d’une société française, qui a délégué l’enregistrement à une société australienne. Le Défendeur n’aurait donc pas cherché à contourner les dispositions législatives et réglementaires françaises. De surcroît, le Défendeur disposerait de plusieurs noms de domaine sur le gTLD “.org”.
Par ailleurs, le Défendeur ajoute que le site accessible via le nom de domaine en cause ne diffère aucunement de celui accessible par son adresse principale.
Pour finir, selon le Défendeur, le fait que la personne physique ayant procédé à l’enregistrement du nom de domaine a eu connaissance du projet technique abandonné entre le Défendeur et la société Ideas & Patents Ltd, n’est pas de nature à prouver sa mauvaise foi. Le Défendeur ajoute que l’enregistrement du nom de domaine de l’INPI a été réalisé pour sauvegarder ses droits atteints par le comportement frauduleux du Requérant.
Discussion et conclusions
Le paragraphe 15 a) des Règles d’application prévoit que “la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout Principe ou Règle de droit qu’elle juge applicable”.
Au demeurant, le paragraphe 4.a. des Principes directeurs impose au Requérant de prouver contre le Défendeur cumulativement que :
(i) son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le Requérant a des droits ; et
(ii) il n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache ; et
(iii) son nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
En conséquence, il y a lieu de s’attacher à vérifier que chacune de ces conditions est bien remplie par le Requérant.
Observations liminaires
(i) Langue de la procédure
Le paragraphe 11 des Règles d’application permet à la Commission administrative de décider que la langue de la procédure ne sera pas la langue du contrat d’enregistrement lorsque les circonstances de la procédure administrative rendent cette décision opportune.
En l’espèce, en ce que les parties au litige sont toutes deux de nationalité française, la Commission administrative estime opportun d’opter pour la langue française comme langue de procédure administrative.
(ii) Compétence de la Commission administrative
Le Défendeur soulève à titre liminaire l’incompétence de la Commission administrative au motif que le Défendeur est un établissement public français soumis aux dispositions du Code civil français et aux principes généraux du droit français selon lesquels “les personnes morales de droit public ne peuvent pas se soustraire aux règles qui déterminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d’un arbitre la solution des litiges auxquels elles sont parties et qui se rattachent à des rapports relevant de l’ordre juridique interne”.
La Commission administrative rappelle que cette procédure administrative ne constitue pas un “arbitrage” au sens des dispositions et principes invoqués et qu’elle n’a pas lieu en France. Ainsi, la décision de la Commission administrative ne s’apparente pas à une sentence arbitrale (voir Hesco Bastion Limited v. The Trading Force Limited, Litige Ompi No. D2002-1038). Le litige qui est ainsi soumis à la Commission administrative ne relève pas des règles juridiques internes auxquelles sont soumises les parties. Il n’appartient donc pas à la Commission administrative de se prononcer sur la validité de la clause du contrat conclu entre le Défendeur et l’unité d’enregistrement au regard du droit public français.
En conséquence, la Commission administrative ne peut se déclarer incompétente sur le fondement d’une règle juridique interne et invite le Défendeur à saisir toute juridiction interne qu’il estime compétente.
(iii) Conformément au paragraphe 10) des Règles d’application, la Commission conduit la procédure administrative de la façon qu’elle juge appropriée tout en veillant à ce que les parties soient traitées de façon égale et à ce que chacune ait une possibilité équitable de faire valoir ses arguments.
En l’espèce, la Commission a tenu à prendre connaissance de tous les arguments des parties, y compris ceux compris dans les observations effectuées le 28 février 2008.
Identité ou similitude prêtant à confusion
En application du paragraphe 4.a. des Principes directeurs, le Requérant est tenu de démontrer que le nom de domaine litigieux est identique ou semblable, au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits.
Pour que cette première condition soit réalisée, la Commission rappelle qu’il est nécessaire que le Requérant apporte, préalablement à cette démonstration, la preuve de l’existence de ses droits sur la marque à laquelle le nom de domaine litigieux est, selon lui, identique ou semblable au point d’entraîner une confusion dans l’esprit des internautes.
En l’espèce, le Requérant indique que son gérant, Monsieur Guillaume B., est titulaire, depuis le 10 novembre 2004, de la marque E-Soleau, qu’il a déposée en nom propre et sans mandataire auprès de l’I.N.P.I.
La fiche I.N.P.I. de la marque E-Soleau n° FR 04 3 323 121 produite par le Requérant apporte la confirmation que le titulaire de cette marque est Monsieur Guillaume B. et non le Requérant.
Au regard de ces premiers éléments communiqués par le Requérant, la Commission administrative ne pouvait que constater que seul Monsieur B. était titulaire de droits sur la marque E-Soleau. En effet, en l’absence d’éléments de nature à prouver que Monsieur Guillaume B. avait cédé la marque E-Soleau au Requérant, la Commission administrative ne pouvait reconnaître cette dernière comme titulaire des droits sur la marque E-Soleau.
C’est pourquoi la Commission administrative a rendu une ordonnance en date du 18 février 2008, et ainsi invité le Requérant à bien vouloir produire une pièce attestant de ses droits sur la marque évoquée et ce, avant le 22 février 2008.
Le Requérant s’est exécuté en communiquant, le 22 février 2008, une attestation de son gérant, Monsieur B., par laquelle ce dernier affirme avoir cédé par acte sous seing privé du 3 octobre 2005 l’usage exclusif de la marque E-Soleau au bénéfice du Requérant.
Or, en application des dispositions de l’article 714-7 de Code de la propriété intellectuelle français, auquel sont soumises les Parties en raison de leur nationalité, toute transmission ou modification des droits attachés à une marque enregistrée doit, pour être opposable aux tiers, être inscrite au registre national des marques.
En l’espèce, le Requérant ne produit ni l’acte de cession du 3 octobre 2005, ni l’inscription de ce contrat au registre national des marques. La Commission administrative estime donc ne pas être en mesure de se prononcer sur la réalité de cette cession à la date de communication de la plainte du Requérant.
En se contentant de produire une attestation écrite par son propre gérant, la transmission des droits telle qu’invoquée par le Requérant, ne peut être opposable aux tiers, incluant par là même le Défendeur.
En outre, la Commission administrative a pris note de la demande d’intervention volontaire de Monsieur B. au litige. Cependant, une telle intervention volontaire n’étant pas prévue par les Principes directeurs, ni par les Règles d’application, la Commission administrative n’a pu y donner une suite favorable.
Dès lors, la Commission administrative ne peut que constater une dichotomie entre la personne du titulaire des droits sur la marque en cause et la personne du Requérant.
Il est une position de principe des commissions administratives de considérer que lorsque la plainte est déposée par un requérant ne disposant pas des droits sur la marque avec laquelle une confusion est susceptible d’être engendrée par le nom de domaine litigieux, les conditions du paragraphe 4.a. des Principes directeurs ne sont pas remplies (voir par exemple Thelonious S. Monk v. The Holding Compagny, Litige Ompi No. D2003-0828, NBA Properties Inc v. Adirondack Software Corp., Litige Ompi n° D2000-1211).
Par conséquent, la Commission administrative ne peut que considérer que, en ce qu’il n’est pas titulaire des droits sur la marque E-Soleau, le Requérant a échoué dans la démonstration de la première condition du paragraphe 4.a. des Principes directeurs.
Dans la mesure où les Principes directeurs imposent que les trois conditions posées par le paragraphe 4.a. soient remplies cumulativement pour qu’une plainte reçoive une suite favorable, la Commission administrative n’est pas tenue de s’assurer que les deux autres conditions soient ou non remplies.
Cependant, la Commission administrative estime opportun de procéder à l’analyse des deux autres conditions posées par le paragraphe 4.a. des Principes directeurs.
Droits ou légitimes intérêts
En application du paragraphe 4.a. des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que le Défendeur ne dispose d’aucun droit sur le nom de domaine qui fait l’objet de la plainte, ni d’aucun légitime s’y rapportant. La Commission administrative n’a donc pas à apprécier l’engagement contractuel du Défendeur de ne pas porter atteinte aux inventions issues du savoir-faire de la société Ideas & Patents Ltd.
Au regard de la difficulté pour le Requérant de rapporter la preuve négative du défaut de droits ou d’intérêt légitime du Défendeur sur le nom de domaine, les commissions administratives admettent communément que l’obligation de prouver mise à la charge du Requérant est allégée. Ainsi, il est seulement demandé au Requérant de démontrer qu’à première vue, le Défendeur n’a pas de droit ou d’intérêt légitime sur le nom de domaine. Ce faisant, la charge de la preuve est alors transmise au Défendeur et ce dernier doit prouver qu’il détient des droits ou qu’il a un intérêt légitime sur le nom de domaine objet du litige (voir The Vanguard Group, Inc. v. Lorna King, Ompi Litige No. D2002-1064).
En l’espèce, le Requérant expose que, d’une part, le Défendeur n’a pas manifesté d’opposition à l’enregistrement de la marque E-Soleau, et que, d’autre part, ce dernier s’était engagé contractuellement à ne pas porter atteinte aux inventions résultant du savoir-faire du Requérant.
La Commission administrative considère que l’absence d’opposition de la part du Défendeur, bien que pouvant être justifiée au regard de son statut particulier sur lequel la Commission administrative n’a pas à se prononcer, est de nature à démontrer qu’à première vue le Défendeur ne dispose pas d’un droit ou d’un intérêt légitime sur le nom de domaine « e-soleau.org ».
Ceci étant exposé, la charge de la preuve est transmise au Défendeur qui doit alors démontrer qu’il détient un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine « e-soleau.org ».
En application du paragraphe 4.c. des Principes directeurs, la preuve d’un droit ou d’un intérêt légitime sur un nom de domaine peut être constituée en particulier lorsqu’avant d’avoir eu connaissance du litige, le Défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne de produits ou de services.
En l’espèce, le Défendeur allègue être titulaire de droits sur la marque notoire Enveloppe Soleau, dans les conditions de l’article 6 bis de la Convention de Paris du 20 mars 1883.
La notoriété s’apprécie au regard d’un public concerné sur un territoire déterminé. Le public concerné peut recouvrir soit le “grand public”, soit un public plus spécialisé, tel qu’un public de professionnel par exemple.
En l’espèce, la notoriété doit s’apprécier au regard d’un public ayant une préoccupation particulière en matière probatoire, et notamment ayant une nécessité de se constituer une preuve datée d’un savoir-faire ou d’une création. Ce public a connaissance des divers moyens lui permettant d’attester d’une date certaine, et notamment la lettre recommandée avec avis de réception, l’enveloppe Soleau ou encore le dépôt auprès d’un officier public titulaire d’un office ministériel.
Afin de démontrer la notoriété de sa marque Enveloppe Soleau auprès de ce public, Défendeur expose qu’il exploite depuis près d’un siècle un service désigné “Enveloppe Soleau” permettant aux usagers de justifier de l’existence d’un document à une date certaine.
Le Défendeur produit des copies de textes règlementaires et des décisions de justice associant l’expression “Enveloppe Soleau” à la personne du Défendeur, et fait état d’un très grand nombre d’occurrences le liant à cette expression sur le réseau internet.
La Commission administrative considère que, au regard de l’ancienneté et la durée de l’usage de la dénomination Enveloppe Soleau par le Défendeur, et de la diffusion massive du produit visé, le Défendeur dispose à tout le moins d’un intérêt légitime sinon d’une marque notoire sur cette dénomination.
Cet intérêt légitime sur la dénomination Enveloppe Soleau permet au Défendeur d’utiliser celle-ci dans le cadre de son activité, notamment en enregistrant et exploitant des noms de domaine sur le réseau Internet.
Le nom de domaine litigieux « e-soleau.org » caractérise une telle utilisation par le Défendeur en ce qu’il reprend le terme distinctif de la dénomination sur laquelle ce dernier dispose a minima d’un intérêt légitime, c’est-à-dire le terme “soleau”. Le terme “enveloppe” n’est ici que purement descriptif du produit offert par le Défendeur à ses usagers afin de leur permettre de dater de façon certaine la création de leur œuvre. Ainsi, le fait que le terme “enveloppe” soit remplacé par l’abréviation “e-” ne permet pas de conclure à l’absence de droit ou d’intérêt légitime du Défendeur sur le nom de domaine « e-soleau.org ».
Par conséquent, la Commission administrative constate que le Défendeur dispose a minima d’un intérêt légitime sur le nom de domaine « e-soleau.org ».
La seconde condition posée par le paragraphe 4.a. des Principes directeurs n’est donc pas remplie.
Enregistrement et usage de mauvaise foi
En application du paragraphe 4.a. des Principes directeurs, le Requérant doit démontrer que le nom de domaine en cause a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur.
En l’espèce, le Requérant allègue que la mauvaise fois du Défendeur se déduit d’un ensemble de circonstances que la Commission administrative se doit d’analyser.
(i) En premier lieu, le Requérant expose que l’enregistrement par le Défendeur du nom de domaine litigieux postérieurement à l’enregistrement de la marque E-Soleau et des noms de domaine comprenant l’expression “e-soleau” traduit cette mauvaise foi.
En l’espèce, le Défendeur justifie avoir utilisé depuis près d’un siècle la dénomination “Enveloppe Soleau” pour assurer la promotion et la commercialisation de l’Enveloppe Soleau. A cette fin, le Défendeur produit en effet des éléments propres à permettre à la Commission administrative de la réalité de ces affirmations.
La Commission administrative a ainsi pu s’assurer que le Défendeur utilise l’expression Enveloppe Soleau depuis des dizaines d’années, ce qui constitue un usage largement antérieur à l’enregistrement par le Requérant des noms de domaine dont il dispose aujourd’hui.
(ii) En second lieu, le recours à un bureau d’enregistrement étranger caractérise, selon le Requérant, la mauvaise foi du Défendeur, en ce qu’il n’interviendrait que dans l’unique but de contourner les dispositions du Code des Postes et des Communications Electroniques imposant aux organismes en charge de l’attribution des noms de domaine de veiller au respect par leurs clients des droits de propriété intellectuelle des tiers.
En l’espèce, la Commission administrative constate que le Défendeur s’est en réalité adressé à une unité d’enregistrement accréditée par l’Icann qui a chargé une autre unité de procéder à l’enregistrement du nom de domaine litigieux.
Dès lors, l’on ne peut soupçonner le Défendeur d’avoir voulu contourner les dispositions du Code des Postes et des Communications Electroniques. La mauvaise foi ne peut donc être retenue de ce chef.
(iii) En troisième lieu, le Requérant expose que la personne physique ayant procédé à l’enregistrement du nom de domaine était au fait du projet technique avorté entre le Défendeur et la société Ideas & Patents Ltd.
En l’espèce, la Commission administrative considère que cette allégation ne peut, à elle seule, caractériser la mauvaise foi du Défendeur dans l’enregistrement du nom de domaine en cause.
Par conséquent, la Commission administrative constate que la mauvaise foi du Défendeur dans l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine « e-soleau.org » ne peuvent être retenue.
La troisième condition posée par le paragraphe 4.a. des Principes directeurs n’est donc pas remplie.
Décision
Conformément aux paragraphes 4.i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative rejette la plainte.
Président de la commission : Christiane Féral-Schuhl
Experts : Nathalie Dreyfus, Christian-André Le Stanc
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