Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de la commission administrative 4 décembre 2007
Société Française du Radiotéléphone, SFR / Zeev A.
marques
Les parties
Le requérant est la Société Française du Radiotéléphone SFR, Paris, France, représenté par le Cabinet Vidon, Marques & Juridique PI Dpt, France.
Le défendeur est Zeev A., Co Mullenbach, Charenton, France.
Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le litige concerne le nom de domaine « sfrarnaque.com » créé le 4 octobre 2007.
L’unité d’enregistrement, auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré, est Online SAS.
Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par la Société Française du Radiotéléphone, SFR auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 12 octobre 2007 sous forme électronique. La version papier a été reçue par le Centre le 15 octobre 2007. Le 17 et le 20 octobre 2007, le Centre en a accusé réception.
En date du 17 octobre 2007, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Online SAS, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 17 octobre 2007.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’Ompi (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 22 octobre 2007, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 11 novembre 2007. Le défendeur n’a fait parvenir aucune réponse. En date du 12 novembre 2007, le Centre notifiait le défaut du défendeur.
En date du 20 novembre 2007, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Jean-Claude Combaldieu. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
La plainte est en langue française et les deux parties résident en France. En conséquence et en application de l’article 11(a) des Règles d’application la présente décision est rédigée en langue française.
Les faits
Le requérant, la Société française du radiotéléphone SFR, est notoirement connu du grand public sous le sigle SFR comme opérateur de téléphonie mobile.
Le requérant est propriétaire de nombreuses marques françaises, communautaires et internationales. Parmi celles-ci il retient :
– Marque internationale SFR No. 643842 du 2 août 1995, sous priorité française du 7 février 1995, déposée dans les classes 9, 35 et 38.
– Marque internationale SFR le monde sans fil est à vous No. 635603 du 27 janvier 1995, sous priorité française du 1er août 1994, déposée dans les classes 9, 35 et 38.
– Marque communautaire SFR No. 004648309 du 22 septembre 2005 déposée dans les classes 9, 38, 41 et 42.
– Marque communautaire SFR, le choix des internationaux No. 001880061 du 27 septembre 2000 déposée dans les classes 9, 16, 35, 36, 38, 41 et 42.
– Marque française semi-figurative SFR No. 00 3071323 du 15 décembre 2000 déposée dans les classes 9, 16, 35, 36, 37, 38, 39, 41 et 42.
Le requérant est également titulaire de nombreux noms de domaine comprenant le sigle SFR seul ou associé à d’autres mots : « sfr.com », « sfr.net », « sfr.fr », « sfr.mobi », « sfr-3gplus.fr », « sfrbox.fr », « sfr.com » etc.
Il est établi que le nom commercial du requérant est SFR d’après un extrait du Registre du Commerce et des Sociétés.
Rappelons que le nom de domaine litigieux « sfrarnaque.com » a été créé le 4 octobre 2007.
Argumentation des parties
Requérant
Le requérant articule sa plainte suivant les trois critères prévus à l’article 4 (a) des Principes directeurs et rappelés dans les Règles d’application à l’article 3.
1. Le ou les noms de domaine sont identiques ou semblables, au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le requérant a des droits :
Le requérant présente son activité d’opérateur téléphonique, et plus généralement d’opérateur de mobilité. Il indique qu’il a en France plus de 17,5 millions de clients et 35,8% de part de marché (octobre 2006), près de 700 espaces SFR en France et 5000 points de vente. Toute cette activité se fait sous le sigle SFR.
Il précise en outre qu’il détient de très nombreuses marques tant en France (environ 430), en Europe et dans divers pays du monde. Sa notoriété est mondiale notamment du fait des accords de “roaming”.
Dans le cadre de la présente procédure le requérant a sélectionné quelques unes de ses marques qui sont citées ci-dessus au point 4.
Le requérant entend aussi baser sa plainte sur sa dénomination sociale et sur son nom commercial ce dernier étant SFR, nom sous lequel il est le plus connu.
A ces droits de propriété, il ajoute tous les noms de domaines comportant le signe SFR, noms également visés au point 4 ci-dessus.
Le requérant expose ensuite que le nom de domaine « sfrarnaque.com » prête à confusion avec les nombreuses marques antérieures SFR sa dénomination sociale et son nom commercial en ce que ce nom de domaine est composé en attaque des trois lettres distinctives SFR associées à un terme générique “arnaque”.
Or le sigle SFR est notoire, notamment en France, ce que ne pouvait ignorer le défendeur qui est de nationalité française et qui habite en France.
De plus, il est constant que l’adjonction d’un terme générique à une marque enregistrée pour constituer un nom de domaine n’est pas suffisante pour écarter tout risque de confusion. Plusieurs décisions le confirment : GA Modefine SA v. Riccardo Bin Kara-Mat, Litige Ompi No. D2002-0195 ; Parfums Christian Dior v. 1 Netpower Inc, Litige Ompi No. D2000-2022.
Le sigle SFR demeure prédominant dans le nom de domaine contesté de sorte qu’il y a un risque de confusion avec les marques, dénomination sociale et nom commercial du requérant.
Circonstance aggravante selon le requérant, le mot générique ajouté “arnaque” est péjoratif : il est synonyme de tromperie ou d’escroquerie. Un internaute tapant le nom de domaine « sfrarnaque.com » peut penser qu’il s’agit d’un site accrédité par le requérant destiné au recensement des arnaques ou, pire encore, à des arnaques du requérant ce qui est un acte de parasitisme portant atteinte à la notoriété et à l’image de SFR vis-à-vis des consommateurs.
2. Le défendeur n’a aucun droit sur le ou les noms de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache :
Le requérant certifie que le défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime à utiliser la marque SFR. Il n’a reçu aucune licence et n’a reçu aucune autorisation.
3. Le ou les noms de domaine ont été enregistrés et sont utilisés de mauvaise foi :
Le nom de domaine contesté a vraisemblablement été enregistré en vue de perturber les opérations commerciales du requérant, de dénigrer son image de marque ainsi que les produits et services qu’il propose à sa clientèle.
En effet le défendeur, qui est de nationalité française et habite en France, ne pouvait ignorer l’existence du requérant qui propose ses services sous la marque SFR qui est notoirement connue. Ce faisant il ne pouvait ignorer qu’il allait créer une confusion dans l’esprit des internautes.
Plusieurs décisions ont déjà reconnu la notoriété du requérant notamment dans des procédures UDRP. (Société française du radiotéléphone SFR contre Sylvain A.-G., Litige Ompi No. D2007-0084 ; SFR contre Modern Limited-Cayman Web Development, Litige Ompi No. D2004-0385 ; SFR contre DLI Dale Miller, Litige Ompi No. D2002-0425).
Enfin, le nom de domaine litigieux renvoie à un site manifestement en construction avec une seule page versée aux débats. Or il existe une jurisprudence constante (citée par le requérant) selon laquelle la passivité du défendeur peut être considérée comme une preuve de mauvaise foi.
En conclusion générale, le requérant demande que le nom de domaine « sfrarnaque.com » lui soit transféré.
Défendeur
Le défendeur n’a formulé aucune observation ou réponse pendant la durée de la procédure administrative.
Discussion et conclusions
Le paragraphe 15(a) des Règles indique à la Commission administrative les principes de base à utiliser pour se déterminer à l’occasion d’une plainte : la Commission doit décider sur la base des exposés et documents soumis selon les Principes directeurs et Règles d’application ainsi que toutes les règles ou principes légaux qui lui semblent applicables.
Appliqué à ce cas, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs indique que le requérant doit prouver chacun des points suivants :
(i) Le nom de domaine enregistré par le défendeur est identique ou semblable au point de prêter à confusion à la marque invoquée par le requérant ; et
(ii) Le défendeur n’a ni droit ni intérêt légitime sur le nom de domaine enregistré ; et
(iii) Le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
Identité ou similitude prêtant à confusion
Il n’est pas douteux pour la Commission administrative que le requérant dispose d’un sigle, d’un nom commercial et de marques qui sont très connus sinon notoires. Nul n’ignore en France, et certainement dans d’autres pays, que SFR est un serveur de téléphonie mobile.
Le nom de domaine litigieux « sfrarnaque.com » est composé de ce sigle SFR utilisé en attaque du nom de domaine et du mot “arnaque” qui est un mot générique figurant au dictionnaire comme étant le synonyme de tromperie ou escroquerie.
Or, il est exact, comme l’exprime le requérant, qu’il existe une jurisprudence constante UDRP selon laquelle l’adjonction d’un mot générique à une marque ne permet pas d’échapper à la similitude prêtant à confusion et, a fortiori, si cette marque est notoire.
L’internaute peut légitimement se demander d’où vient ce site et s’il s’agit effectivement d’un site de SFR destiné au recensement des arnaques qui pourraient être effectuées à l’encontre de la marque SFR.
Sur cette base, la première condition du paragraphe 4(a) des Principes directeurs est remplie.
Droits ou légitimes intérêts
Le défendeur étant défaillant ne justifie pas d’un droit ou d’un intérêt légitime sur ce nom de domaine.
Par ailleurs le requérant indique qu’il n’a concédé aucun droit au défendeur sur l’utilisation de la marque SFR.
La Commission administrative constate que les documents versés aux débats démontrent que le nom de domaine n’était pas exploité au moment du dépôt de la plainte. Ce n’est qu’après la notification de la plainte que le défendeur semble avoir créé un site web critiquant les activités du requérant.
Au regard des circonstances de ce dossier, et notamment de l’absence d’une réponse de la part du défendeur, à qui la plainte a été correctement notifiée, la Commission administrative considère que l’utilisation ultérieure faite du nom de domaine semble plutôt relever du prétexte que de l’usage légitime.
En conséquence nous estimons que la deuxième condition, à savoir l’absence de droit ou d’intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux, est remplie.
Enregistrement et usage de mauvaise foi
L’enregistrement et l’usage du nom de domaine litigieux sont évidemment de mauvaise foi.
En effet le défendeur semblait parfaitement connaître l’existence de SFR puisque son site a été créé pour dénoncer, selon son appréciation, les “arnaques” du requérant comme cela apparaît clairement aujourd’hui. A coup sûr il connaissait le nom commercial, l’enseigne sur les magasins et pouvait bien se douter qu’une société de la taille de SFR avait déposé des marques. Il lui appartenait au demeurant de le vérifier avant le dépôt de son site.
Comme déjà constaté, il apparaît que le site n’était pas exploité ce qui, apparemment, n’est plus le cas aujourd’hui. Mais ceci n’a pas d’incidence sur notre opinion. L’usage du site litigieux reste une atteinte aux droits de propriété industrielle du requérant commise en toute connaissance de cause.
Le but du défendeur est de dénigrer systématiquement le requérant en le traitant d’arnaqueur ce qui constitue un abus du droit à la liberté d’expression.
Décision
Vu les paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application,
La Commission administrative décide :
a) que le nom de domaine « sfrarnaque.com » enregistré par Monsieur Zeev A. est similaire au point de prêter à confusion avec les marques du requérant ;
b) que Monsieur Zeev A. n’a aucun droit ni intérêt légitime à disposer du nom de domaine « sfrarnaque.com » ;
c) que le nom de domaine « sfrarnaque.com » a été enregistré et utilisé de mauvaise foi.
En conséquence, la Commission administrative ordonne que le nom de domaine « sfrarnaque.com » soit transféré au requérant.
Expert Unique : Jean-Claude Combaldieu
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.