Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de la commission administrative Le 12 mars 2008
Société Nationale des Chemins de Fer Français (SNCF) / Christophe L.
marques - nom de domaine
Les parties
Le Requérant est Société Nationale des Chemins de Fer Français (SNCF), Paris, France, représenté par le Cabinet Santarelli, France.
Le Défendeur est Christophe L., Noveant, France.
Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le litige concerne le nom de domaine « tgv-est.com ».
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Gandi SARL.
Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par Société Nationale des Chemins de Fer Français (SNCF) (le Requérant) auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 31 décembre 2007.
En date du 31 décembre 2007, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Gandi Sarl, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 2 janvier 2008.
Une notification d’irrégularité a été adressée au Requérant le 9 janvier 2008 concernant les juridictions compétentes en cas de contestation de la décision à venir par le Défendeur. Le Requérant a remédié à cette irrégularité le 15 janvier 2008 en acceptant la compétence des tribunaux du domicile du Défendeur.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’Ompi (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 29 janvier 2008, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 18 février 2008. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 20 février 2008.
En date du 29 février 2008, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Nathalie Dreyfus. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.
Les faits
Le Requérant est un établissement public industriel et commercial français ayant une activité s’exerçant quasi exclusivement sur le territoire français.
Le Requérant a constaté que le Défendeur avait enregistré le nom de domaine « tgv-est.com » via l’unité d’enregistrement française Gandi Sarl.
Le Requérant met en exergue le fait que le site litigieux est rédigé en français et s’adresse aux internautes français.
Le nom de domaine contesté pointait vers une page d’accueil reprenant intégralement le logo TGV Esteuropeen et donnant des informations dans le domaine des chemins de fer et plus précisément concernant les différents TGV de l’Est de la France. Ceci correspond précisément à l’activité principale du Requérant.
Argumentation des parties
Requérant
Le Requérant est l’établissement public industriel et commercial français SNCF. Il exerce son activité dans le domaine des chemins de fer quasi exclusivement sur le territoire français.
A l’appui de sa plainte, le Requérant verse au dossier de nombreuses marques telles que :
– marque française TGV n° 1 566 899 enregistrée le 17 août 1978 renouvelée, en classes internationales 3, 4, 8, 11, 12, 16, 18, 21, 24, 25, 35, 39, 41 et 42 ;
– marque française T.G.V. n°1 704 927 enregistrée le 12 novembre 1991 renouvelée, en classes 1 à 42 ;
– marque française TGV n°94 506 076 enregistrée le 11 février 1994 renouvelée, en classes 9, 14, 28 ;
– marque française TGV Esteuropeen n°06 3 405 710 enregistrée le 25 janvier 2006 en classes internationales 12, 16, 35, 39 et 43 ;
– marque internationale TGV Esteuropeen n° 908 267 enregistrée le 21 juillet 2006 en classes internationales 12, 16, 35, 39 et 43 ;
– marque française TGV Esteuropeen n° 06 3 405 712 enregistrée le 25 janvier 2006 en classes internationales 12, 16, 35, 39 et 43 ;
– marque internationale TGV Esteuropeen n° 908 265 enregistrée le 21 juillet 2006 en classes internationales 12, 16, 35, 39 et 43.
Le Requérant indique être également titulaire des noms de domaine « tgvesteuropeen.com » et « tgv.com ».
Le Requérant indique que les similitudes visuelles et phonétiques entre « tgv-est.com » et les marques TGV et TGV Est Europeen peuvent prêter à confusion pour les internautes.
En outre, il argue que le Défendeur n’a ni droit de propriété intellectuelle ou autre sur le signe TGV Est ni autorisation pour l’exploiter à titre de nom de domaine. Le Requérant estime donc que la raison d’être de l’enregistrement du nom de domaine litigieux est de profiter de la confusion qui pourrait naître dans l’esprit de l’internaute, du fait de la proximité de l’orthographe du nom de domaine litigieux et des marques et noms de domaine appartenant au Requérant. En outre, ce comportement viserait à capter le trafic des internautes cherchant à se connecter sur le site du Requérant.
Enfin, le Requérant estime que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
Selon lui, le Défendeur ne pouvait ignorer, au vu de la notoriété de la SNCF et de ses marques telles que TGV, de l’existence des droits de propriété intellectuelle détenus par le Requérant, exploitant les noms de domaine « tgv.com » et « tgvesteuropeen.com ».
Le Requérant note en outre que, sur le site du nom de domaine litigieux, la confusion avec l’identité du Requérant est recherchée par la reproduction du logo TGV Esteuropeen, par l’affichage de la phrase d’accueil “Bienvenue sur le site du TGV Esteuropeen” et par la reproduction des plaquettes commerciales du Requérant.
Le Requérant ajoute ne pas avoir conféré au Défendeur de droits d’utilisation de ses marques ou de ses noms de domaine.
Défendeur
Le Défendeur n’a pas répondu à l’argumentation dans les délais lui étant impartis. Il est en conséquence en défaut.
La Commission administrative note que le Défendeur a soumis une Réponse tardive le 20 février 2008 sans pour autant expliquer des circonstances exceptionnelles pour ce retard.
Selon paragraphe 10(b) des Règles d’application, il revient à la commission administrative de veiller “ à ce que les parties soient traitées de façon égale et à ce que chacune ait une possibilité équitable de faire valoir ses arguments”. Les arguments du Défendeur sont ainsi pris en compte par la Commission administrative dans la discussion qui suit.
Discussion et conclusions
La Commission administrative statue sur la requête au regard de la plainte soumise par le Requérant, la Réponse tardive du Défendeur, des Règles d’application, des Règles supplémentaires en application du paragraphe 15(a) des Règles.
Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs prévoit que “Vous êtes tenu de vous soumettre à une procédure administrative obligatoire au cas où un tiers (le Requérant) fait valoir auprès de l’institution de règlement compétente que :
(i) votre nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits ;
(ii) vous n’avez aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache ;
(iii) votre nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
En conséquence, la Commission administrative s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumises par les Parties que ces trois conditions étaient remplies.
Identité ou similitude prêtant à confusion
La Commission administrative retient que le nom de domaine litigieux est la reproduction intégrale à l’identique de la marque TGV sur laquelle le Requérant justifie avoir des droits privatifs antérieurs.
Le Requérant justifie détenir en outre des enregistrements de la marque semi-figurative TGV Esteuropeen dont le logo est repris intégralement sur le site du nom de domaine litigieux.
Peu importe sous cet élément de l’UDRP que la marque TGV Esteuropeen ait été enregistrée postérieurement à l’enregistrement du nom de domaine litigieux. De plus, la Commission administrative constate que le Requérant bénéficiait de droits antérieurs sur la marque TGV depuis de nombreuses années.
Au vu de ces éléments, la Commission administrative retient que la marque TGV est bien connue en France, lieu où réside le Défendeur.
Bien que l’appréciation de la renommée d’une marque appartient au juge, la Commission administrative peut estimer que les marques appartenant au Requérant telles que TGV peuvent prétendre bénéficier du régime des marques de renommée.
Dès lors, l’évocation du mot “est” porte préjudice au Requérant dans la mesure où il crée une confusion dans l’esprit du public.
Plus précisément, le nom de domaine « tgv-est.com » laisse penser aux internautes qu’il s’agit d’un site appartenant à la SNCF pour la région Est de la France.
Conformément aux décisions antérieures telles que Six Continents Hotels, Inc. v. Domain Park Limited, Litige Ompi No. D2007-0313 (« holidayinnniagrafalls.com) ou La Poste v. Société L et Cie, Litige Ompi No. D2001-1253 (« la-poste-versailles.com ») ou PepsiCo Inc v. Kieran McGarry, Litige Ompi No. D2005-0629 (« pepsiusa.com »), l’adjonction d’une indication géographique à une marque ne suffit pas à faire disparaître tout risque de confusion entre le nom de domaine litigieux et les marques du Requérant.
Il est clair que l’adjonction du mot “est” à la marque TGV non seulement ne suffit pas à écarter tout risque de confusion mais en outre maintient la similarité entre les marques ou noms de domaine appartenant au Requérant et le nom de domaine litigieux au point de prêter à confusion avec les marques TGV de la SNCF.
Par conséquent, la condition d’identité, ou à tout le moins de similitude prêtant à confusion avec une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits parait parfaitement établie.
Droits ou légitimes intérêts
Au vu des pièces annexées à la plainte par le Requérant, la Commission administrative a pu constater que le nom de domaine litigieux redirige l’internaute vers l’adresse URL “www.tgvest.free.fr”.
En outre, le nom de domaine litigieux reproduit intégralement les marques TGV et TGV Esteuropeen.
Le Requérant invoque l’absence de droit de propriété intellectuelle ou autre du Défendeur sur le signe TGV Est et d’une quelconque autorisation pour l’exploitation à titre de nom de domaine.
La Commission administrative note que le Défendeur n’est pas connu sous le nom de domaine en question. Par ailleurs, il ne fournit pas de services sous ce nom. Il n’a pas non plus de relations commerciales avec le Requérant.
La Commission administrative peut par conséquent constater que l’enregistrement dudit nom a pour but de tirer profit d’une confusion pouvant naître dans l’esprit des internautes. Notamment, la Commission administrative constate qu’il relève du dossier que des bandes publicitaires apparaissaient sur le site en question avant le dépôt de la plainte.
Contrairement au Requérant, qui détient des droits sur le terme TGV, le Défendeur ne détient aucun droit sur cette marque même si elle est accompagnée du terme “est”. Le Défendeur fait valoir qu’il “a publié des articles de presse, des informations, un calendrier des travaux, ainsi que des photographies de cette entreprise humaine” et qu'[il] n’a de ce fait tiré aucun profit de l’utilisation de ce site qu’il a mis à jour depuis des années dans un unique but d’information”. La Commission administrative a déjà constaté la présence de bandes publicitaires sur le site du Défendeur, ainsi la Commission administrative considère que le Défendeur a utilisé le site dans un but au moins partiellement commercial.
Par ailleurs, même si le site ne contenait que des informations sur le Requérant, la Commission administrative trouve que le Défendeur n’a pas de droit de se présenter comme le Requérant, à cet effet la Commission administrative constate que le site du Défendeur contient les plaquettes commerciales du Requérant et que le site ne se différencie pas clairement de celui du Requérant. Voir à ce sens, Synthèse des avis des commissions administratives de l’Ompi sur certaines questions relatives aux principes UDRP, section 2.5, et, par exemple, David Gilmour, David Gilmour Music Limited and David Gilmour Music Overseas Limited v. Ermanno Cenicolla, Litige Ompi No. D2000-1459 et Galatasaray Spor Kulubu Dernegi, Galatasaray Pazarlama A.S. and Galatasaray Sportif Sinai Ve Ticari Yatirimlar A.S. v. Maksimum Iletisim A.S., Litige Ompi No. D2002-0726.
Il est donc établi que le Défendeur n’a pas de droit ou intérêt légitime à utiliser le nom de domaine contesté et ce en application du paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs.
Enregistrement et usage de mauvaise foi
Le paragraphe 4(b) des Principes directeurs prévoit que “Aux fins du paragraphe 4(a)(iii), la preuve de ce que le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi peut être constituée, en particulier, pour autant que leur réalité soit constatée par la commission administrative, par les circonstances ci-après :
(i) les faits montrent que vous avez enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais que vous pouvez prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine,
(ii) vous avez enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et vous êtes coutumier d’une telle pratique,
(iii) vous avez enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent ou,
(iv) en utilisant ce nom de domaine, vous avez sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un site Web ou autre espace en ligne vous appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de votre site ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.”
La Commission administrative examine si l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine contesté ont été effectués de mauvaise foi.
Enregistrement de mauvaise foi
La Commission administrative note que, au vu de la notoriété des marques du Requérant, le Défendeur n’a pu qu’enregistrer de mauvaise foi le nom de domaine litigieux ; d’autant plus que le Défendeur réside en France, lieu d’activité principale du Requérant.
En outre, le Requérant exploite depuis de nombreuses années le nom de domaine « tgv.com » (10 août 1988) alors que le nom « tgv-est.com » a été enregistré le 19 mai 2004.
Le Défendeur, en réservant un nom de domaine correspondant à une marque enregistrée, n’a pas satisfait aux exigences du paragraphe 2(b) des Principes directeurs qui dispose “En demandant l’enregistrement d’un nom de domaine, ou le maintien en vigueur ou le renouvellement d’un enregistrement de nom de domaine, vous affirmez et nous garantissez que a) ce que vous avez déclaré dans votre contrat d’enregistrement est complet et exact, b) à votre connaissance, l’enregistrement du nom de domaine ne portera en aucune manière atteinte aux droits d’une quelconque tierce partie, c) vous n’enregistrez pas le nom de domaine à des fins illicites et d) vous n’utiliserez pas sciemment le nom de domaine en violation des lois ou règlements pertinents. Il vous incombe de déterminer si votre enregistrement de nom de domaine porte en quelque manière que ce soit atteinte aux droits d’autrui.”
La Commission administrative retient que le terme TGV bénéficie d’une importante notoriété. Cette marque est particulièrement connue en France, lieu principal d’activité du Requérant et lieu de résidence du Défendeur.
Le Défendeur ne pouvait ainsi pas ignorer cette marque lors de l’enregistrement du nom de domaine.
Le Défendeur a par conséquent réservé le nom de domaine « tgv-est.com » de mauvaise foi.
Utilisation de mauvaise foi
Le logo TGV Esteuropeen est repris intégralement sur le site en question. Il en va de même des plaquettes commerciales du Requérant, informations relatives aux liaisons de TGV dans l’Est de la France et informations sur les différentes gares.
En outre, la phrase d’accueil “Bienvenue sur le site du TGV Est Europeen” apparaît sur le site.
Ainsi, le Défendeur tente de créer une confusion dans l’esprit de l’internaute croyant se trouver sur un site appartenant au Requérant. Ce comportement dilue l’activité du Requérant. En utilisant ce nom de domaine, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer les internautes, souhaitant visiter le site du Requérant, en créant une confusion avec les droits de marques appartenant au Requérant.
Le Défendeur a utilisé le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.
En conséquence, en application du paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs et au vu de ce qui précède, le Défendeur a réservé et utilisé le nom de domaine de mauvaise foi.
Décision
Au vu de ce qui précède et en application des paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la Commission administrative ordonne le transfert du nom de domaine « tgv-est.com » au Requérant.
Expert Unique : Nathalie Dreyfus
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.