Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert 10 juillet 2007
Place des Editeurs / Larry T.
marques - nom de domaine
Les parties
Le Requérant est Place des Editeurs, Paris, France, représenté par Cabinet Legi-Mark, Paris, France.
Le Défendeur est Larry T., Pau, France.
Nom de domaine et prestataire Internet
Le litige concerne le nom de domaine « solar.fr » enregistré le 19 décembre 2006.
Le prestataire Internet est la société Eurodns SA.
Rappel de la procédure
Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 10 mai 2007, par courrier électronique et le 15 mai 2007, par courrier postal. Cette demande a été dirigée par le Requérant contre une personne anonyme, l’identité du titulaire du nom de domaine n’étant pas dévoilée dans le registre Whois.
Le 11 mai 2007, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations, et aux fins de levée de l’anonymat du titulaire du nom de domaine. Le 14 mai 2007, l’Afnic a communiqué au Centre l’identité du titulaire du nom de domaine « solar.fr » et a confirmé l’ensemble des données du litige.
Le 15 mai 2007, le Centre a confirmé au Requérant l’identité du titulaire du nom de domaine et lui a demandé d’amender en conséquence sa demande avant le 20 mai 2007. Cet amendement a été reçu par le Centre le 16 mai 2007 par courrier électronique et, le 23 mai 2007 par courrier postal.
Le Centre a vérifié que la demande, y inclus son amendement, répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le ”Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 24 mai 2007. Le Défendeur avait jusqu’au 13 juin 2007 pour faire parvenir une réponse. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse par courrier électronique et télécopie le 12 juin 2007. Cette réponse a été reçue par courrier postal par le Centre le 13 juin 2007.
Le 26 juin 2007, le Centre nommait Christiane Féral-Schuhl comme Expert Unique dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.
Les faits
Le Requérant a pour activité l’édition, l’achat et la vente de tous ouvrages neufs ou d’occasion, ainsi que la diffusion en gros ou au détail en France et à l’étranger. Le Requérant exerce son activité notamment sous le nom commercial “Solar” et via son site internet “www.solar.tm.fr”.
Le Requérant est également titulaire des deux marques suivantes, toutes deux déposées auprès de l’INPI et faisant ainsi l’objet d’une protection sur le territoire français :
– marque semi-figurative Solar n° 1 516 075, déposée initialement le 1er mars 1979 sous le n° 1 116 612, et renouvelée depuis, pour les classes 16, 38 et 41;
– marque Solar n° 99 774 418 déposée le 9 février 1999, pour les classes 35, 38 et 42.
Le Requérant justifie par les pièces produites à l’appui de sa demande, faire usage tant de son nom commercial que de sa marque, dans le cadre de l’exploitation de son activité de maison d’édition.
Le Défendeur ne donne aucune présentation de son activité. Le Défendeur a enregistré le nom de domaine « solar.fr » le 19 décembre 2006. Le Défendeur ne justifie d’aucune utilisation particulière à ce jour de ce nom de domaine, celui-ci étant d’ailleurs offert à la vente sur le site internet “www.sedo.fr”.
Argumentation des parties
Requérant
Le Requérant soutient que l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine « solar.fr » par le Défendeur constitue une atteinte à ses droits, et en particulier à ses droits de propriété intellectuelle.
Le Requérant invoque à l’appui de cette prétention ses droits de marque sur le terme Solar en suite de deux dépôts auprès de l’Inpi en 1979 (dûment renouvelé depuis) et 1999. Le Requérant estime ainsi que le nom de domaine litigieux enregistré par le Défendeur reproduit à l’identique ses marques et constitue de ce fait une contrefaçon.
Le Requérant indique être également titulaire du nom commercial “Solar”.
Le Requérant précise faire une exploitation intensive tant du nom commercial que de la marque Solar sur le territoire français dans le cadre de son activité d’édition. Il produit à cet effet notamment deux catalogues présentant des livres édités sous la marque Solar, lesquels témoignent ainsi d’une partie de la production du Requérant sous cette marque. Le Requérant estime ainsi être connu d’une large part du public français dans le cadre de ses activités.
Le Requérant considère ainsi qu’en enregistrant le nom de domaine litigieux, le Défendeur a entendu détourner la clientèle du Requérant et tirer ainsi un profit indu des efforts réalisés par ce dernier.
Le Requérant estime ainsi qu’outre la contrefaçon, l’enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur constitue une atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale, d’autant que le nom de domaine litigieux est offert à la vente et ne fait donc l’objet d’aucune exploitation par le Défendeur. Le Requérant souligne à cet égard que le nom de domaine avait initialement été enregistré par Monsieur Laurent N., représentant en France de la société Eurodns, qui s’était engagé, à la suite d’un litige l’opposant à l’Afnic en 2004, à restituer tous noms de domaine suspectés de cybersquatting ou typosquatting à leurs titulaires légitimes.
Le Requérant sollicite pour l’ensemble de ces raisons le transfert du nom de domaine « solar.fr » à son profit.
Défendeur
Le Défendeur conteste la mesure de transfert demandée par le Requérant.
Le Défendeur soutient en premier lieu que le nom de domaine litigieux correspond à un nom commun de la langue anglaise très utilisé dans de nombreux domaines d’activités (tels que l’énergie solaire) et constitue un terme générique, descriptif et banal au regard du nombre de marques déposées en France comportant le terme “solar”.
Ainsi et selon le Défendeur, au regard du principe de spécialité régissant le droit des marques, il est nécessaire de justifier d’un usage pour des produits et services identiques ou similaires à ceux visés dans l’enregistrement. Or, selon le Défendeur, “solar energy” est très différent.
Le Défendeur allègue par ailleurs ne pas avoir enregistré et ne pas utiliser le nom de domaine de mauvaise foi. Il indique à cet effet que le nom de domaine « solar.fr » a été enregistré à l’ouverture du “.fr” aux particuliers en 2004, par Monsieur Laurent N. En raison de la procédure engagée à l’encontre de ce dernier, tous les noms de domaine déposés par ce dernier avaient été bloqués pendant trois mois afin de permettre à leurs titulaires légitimes de faire valoir leurs droits. Cette période a aujourd’hui expiré.
Discussion
L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite en conséquence la transmission de ce nom de domaine à son bénéfice.
Conformément à l’article 20 (c), l’Expert “fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.
Par conséquent, l’Expert s’est attaché à rechercher si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine « solar.fr » portent atteinte aux droits de tiers, et si le Requérant justifie de droits lui permettant de solliciter la transmission de ce nom de domaine.
A. Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers
a) Le nom de domaine enregistré par le Défendeur constitue une reproduction à l’identique des marques du Requérant
L’Expert constate que le nom de domaine « solar.fr » enregistré par le Défendeur le 19 décembre 2006 constitue la reproduction à l’identique de la marque semi-figurative Solar et de la marque Solar dont est titulaire le Requérant respectivement depuis 1979 et 1999.
Comme jugé de manière constante par les experts, l’extension “.fr” inhérente au fonctionnement des noms de domaines, n’est pas de nature à faire disparaître cette identité entre la marque et le nom de domaine (décisions Sarl Abcyne contre Jeremie G., Litige Ompi n° DFR 2007 0001, Compagnie Générale des Établissements Michelin – Michelin et Cie contre Eurostatic Ltd, Litige Ompi n° DFR2005-0013).
b) Le Défendeur ne justifie d’aucun droit sur le terme Solar l’autorisant à enregistrer et utiliser le nom de domaine litigieux
Le Défendeur soutient avoir le droit d’enregistrer et d’utiliser le terme Solar au motif que le terme “solar” serait purement générique, descriptif et usuel.
Il s’avère cependant, comme le fait remarquer le Défendeur, que ce terme est usuel en langue anglaise et non en langue française, et que son utilisation par le Requérant à titre de marque ne saurait être considérée comme descriptive au regard des produits et services désignés, à savoir les activités d’édition, d’achat et de vente de livres, bien qu’il n’appartienne pas à l’Expert dans le cadre de la présente procédure de se prononcer sur le caractère générique ou non des marques du Requérant.
En outre, si le Défendeur évoque l’utilisation usuelle de ce terme dans le cadre de diverses activités, telles que les activités liées à l’énergie solaire (“solar energy”), pour autant le Défendeur ne justifie nullement être lui-même exploitant d’une telle activité et a fortiori, faire une utilisation de ce terme dans le cadre d’une telle activité.
D’ailleurs, comme indiqué par le Requérant, le Défendeur ne fait aucune utilisation à quelque titre que ce soit du nom de domaine litigieux puisqu’il l’offre en vente sur le site internet “www.sedo.fr”.
Ainsi, rien dans les éléments d’information communiqués par le Défendeur dans le cadre de sa réponse ne laisse à penser que la motivation première du Défendeur a été de procéder à l’enregistrement d’un mot du langage courant, en vue d’une large utilisation dans le cadre de son activité.
Enfin, le fait que le Requérant, en tant que titulaire de la marque Solar, ne se soit pas manifesté dans le délai de 3 mois qui avait été donné aux titulaires de marques pour se faire connaître auprès de Laurent N., dans le cadre de la procédure initiée par l’Afnic en 2004, ne signifie pas pour autant que le Requérant a entendu renoncer à ses droits sur la marque Solar et à son exploitation au travers du nom de domaine lui correspondant.
c) L’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur porte atteinte aux droits de tiers
Au vu de l’ensemble des considérations présentées ci-avant, l’Expert considère que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur portent atteinte aux droits de tiers, et en particulier aux droits de marque du Requérant sur le terme “solar”, en ce qu’ils constituent une contrefaçon de ladite marque.
Les éléments de fait du présent dossier permettent également de douter de la volonté réelle et sérieuse du Défendeur d’enregistrer et d’utiliser de bonne foi le nom de domaine litigieux, dès lors que le Défendeur l’offre en vente sur le site internet “www.sedo.fr” et qu’il ne peut prétendre ignorer l’existence des droits de marque du Requérant sur le terme “solar”.
En effet, l’Expert rappelle qu’il appartenait au Défendeur, en application de l’article 12 de la Charte, de s’assurer que le terme qu’il souhaitait utiliser à titre de nom de domaine ne portait pas atteinte aux droits des tiers.
B. Droits du Requérant sur le nom de domaine litigieux
Le Requérant ayant justifié être titulaire des marques françaises Solar, l’Expert considère que celui-ci est fondé à solliciter la transmission à son profit du nom de domaine litigieux.
Comme évoqué précédemment, le fait que le Requérant ne se soit pas manifesté à la suite du litige ayant opposé l’Afnic et Laurent N. pendant le délai de 3 mois offert, ne saurait être interprété comme une renonciation pour l’avenir du Requérant à ses droits.
Décision
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine « solar.fr ».
Expert : Christiane Féral-Schuhl
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.