Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert 10 juin 2008
Société S.A.S / Daniel F.
marques - nom de domaine
Les parties
Le Requérant est la société Société S.A.S, Paris, France, représentée en interne.
Le Défendeur est Daniel F., Linden, Allemagne.
Nom de domaine et prestataire Internet
Le litige concerne les noms de domaine « bilan.fr » et « kbis.fr », tous deux enregistrés le 5 novembre 2007.
Le prestataire internet est la société Ediciel, Saint-Leu-la-Forêt, France.
Rappel de la procédure
Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 11 avril 2008, par courrier électronique et le 16 avril 2008, par courrier postal.
Le 15 avril 2008, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
Le 15 avril 2008, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).
Par courrier électronique en date du 18 avril 2008, le Centre a demandé au Requérant de lui indiquer si d’éventuelles procédures judiciaires relatives aux noms de domaine litigieux, étaient actuellement en cours.
Le Requérant a confirmé le 23 avril 2008, par courrier électronique de retour, l’absence de procédures judiciaires à l’encontre du Défendeur.
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 29 avril 2008. Conformément à l’article 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 19 mai 2008. Le Défendeur n’a pas fait parvenir de réponse.
Une notification de défaut de réponse a été adressée par le Centre au Défendeur ainsi qu’au Requérant par courrier électronique le 20 mai 2008.
Le 27 mai 2008, le Centre nommait Christiane Féral-Schuhl comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.
Les faits
Le Requérant est la société Société S.A.S, qui propose principalement sur le territoire français, la communication d’informations liées aux entreprises. Le Requérant exerce cette activité via son site internet “www.societe.com”.
Les termes “kbis.fr”, “bilan” et “bilans”, sont mentionnés à titre d’enseigne dans l’extrait K-bis du Requérant, et ce depuis son immatriculation au Registre du Commerce et des Sociétés en 1999, selon le Requérant.
Le Requérant était également titulaire des noms de domaine « bilan.fr » et « kbis.fr », respectivement depuis le 14 septembre 2000 et le 25 septembre 2000 et ce jusque fin 2007. Ces noms de domaine redirigeaient les internautes vers le site internet officiel du Requérant, “www.societe.com”.
Le Défendeur, Daniel F., a procédé à l’enregistrement des noms de domaine « bilan.fr » et « kbis.fr » lors de la période de renouvellement, le 5 novembre 2007. Les pièces versées au dossier par le Requérant montrent que selon les périodes, ces noms de domaines sont soit inactifs, soit renvoient vers des “pages de parking” listant des liens commerciaux divers et variés.
Le Requérant, intervenant par l’intermédiaire de son Directeur général, a tenté par règlement amiable d’obtenir le transfert des noms de domaine, objets de la présente procédure, directement auprès de Monsieur Daniel F., par courrier recommandé avec accusé de réception du 8 février 2008.
Le Requérant a également transmis copie de ce courrier au prestataire internet, la société Ediciel, par courrier recommandé avec accusé de réception le 22 février 2008, ainsi qu’à la société European internet Agency.
En l’absence de réponse du Défendeur et des sociétés tierces précitées, le Requérant a engagé la présente procédure aux fins de se voir transférer les noms de domaine « bilan.fr » et « kbis.fr ».
Argumentation des parties
Requérant
Le Requérant soutient qu’il détient des droits antérieurs sur les noms de domaine « kbis.fr » et « bilan.fr » et que le Défendeur porte donc atteinte à ses droits pour les raisons suivantes.
Le Requérant indique avoir inscrit à titre d’enseigne les termes « kbis.fr », “bilans” et “bilan” lors de son immatriculation au registre du Commerce et des Sociétés le 26 novembre 1999 et soutient les utiliser depuis à titre d’enseigne et de nom commercial.
Le Requérant fait valoir en effet, qu’il a réservé les noms de domaine « kbis.fr » et « bilan.fr » dès les 14 et 20 septembre 2000, ce qu’atteste par courrier en date du 7 février 2008, le président de la société Online.net qui a procédé à la réservation, Monsieur Cyril P.
Le Requérant précise que ces deux noms de domaine étaient utilisés pour rediriger vers le site internet officiel du Requérant, “www.societe.com”. Le Requérant produit à l’appui de cette assertion un constat d’huissier qui précise que l’adresse IP des noms de domaine « kbis.fr » et « bilan.fr » serait identique à celle du site internet du Requérant, soit “www.societe.com”.
Le Requérant affirme également être titulaire d’un droit privatif sur les termes “kbis” et “bilan” à titre de nom commercial, conformément à l’article 8 de la Convention de Paris du 20 mars 1883, qui stipule qu’il n’est pas nécessaire de procéder à un quelconque dépôt ou enregistrement.
Le Requérant considère donc que Daniel F. a porté atteinte à ses droits antérieurs en procédant à l’enregistrement des noms de domaine « kbis.fr » et « bilan.fr ».
De plus, le Requérant considère qu’il appartenait, conformément à l’article 12 de la Charte de l’Afnic, au Défendeur de s’assurer que les noms de domaine nouvellement réservés ne portaient pas atteinte aux droits antérieurs de tiers.
En l’espèce, le Requérant fait valoir que la réservation des noms de domaine par le Défendeur est frauduleuse, considérant que ce dernier ne pouvait ignorer l’existence d’une exploitation antérieure et régulière des noms de domaine correspondants aux noms commerciaux du Requérant, puisque Daniel F., les a utilisés pour rediriger vers des activités concurrentes de la société Société.
Le Requérant estime en conséquence, que cette nouvelle exploitation fait naître un risque de confusion dans l’esprit des internautes, lesquels pensent accéder à son site internet officiel.
Par ailleurs, le Requérant relève que Daniel F., a fourni à l’Afnic, la marque communautaire “Sex”, comme identifiant, sans qu’un lien puisse être établi avec les noms de domaine réservés.
En conséquence, le Requérant sollicite le transfert des noms de domaine, « kbis.fr » et « bilan.fr » à son profit.
Défendeur
Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre.
Discussion
L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement ou une utilisation de noms de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite en conséquence la transmission de ces noms de domaine à son bénéfice.
Conformément au paragraphe 20 (c), l’Expert “fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.
L’atteinte aux droits des tiers définis à l’article 1 du présent règlement, s’entend, au titre de la Charte, comme “une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et au droit au nom, au prénom, ou au pseudonyme d’une personne”.
Il appartient ainsi à l’Expert de vérifier si l’enregistrement ou l’utilisation des noms de domaine « kbis.fr » et « bilan.fr » portent atteinte aux droits du Requérant, et si celui-ci justifie de droits lui permettant de solliciter la transmission de ces noms de domaine à son profit.
Toutefois, en raison de l’absence de marque déposée par le Requérant, et au regard du caractère générique des termes en cause, l’Expert estime opportun dans ce litige de se prononcer en premier lieu sur les droits du Requérant.
Droits du Requérant sur les noms de domaine
Le Requérant invoque des droits à titre de nom de commercial et d’enseigne, sur les termes “kbis.fr” et “bilan”, correspondants aux noms de domaine, objets de la présente procédure.
Le Requérant affirme avoir exploité les termes “kbis.fr” et “bilan” à titre de noms de domaine, lorsqu’il était titulaire des noms de domaine « kbis.fr » et « bilan.fr », la dite exploitation consistant en la mise en place d’une redirection vers son site internet officiel “www.societe.com”.
1°) L’existence de droits du Requérant à titre de nom commercial
L’Expert constate que le Requérant justifie exclusivement avoir mentionné à titre d’enseigne les termes “kbis.fr”, “bilan” et “bilans” lors de son immatriculation au Registre du Commerce et des Sociétés le 26 novembre 1999, comme en atteste l’extrait k-bis versé au dossier du Requérant.
L’affirmation de détention de droits sur le nom commercial n’est quant à elle, étayée par aucun élément justificatif.
Or même si le nom commercial ne nécessite aucun dépôt ni enregistrement, encore faut-il justifier de l’exercice effectif des termes en tant que nom commercial, ce qui n’est pas établi par le Requérant.
L’Expert considère en conséquence que le Requérant n’a pas démontré l’existence de droits sur les noms de domaine en cause à titre de nom commercial.
2°) L’existence de droits du Requérant à titre d’enseigne
La doctrine considère que la déclaration de termes à titre d’enseigne, y inclus au Registre du Commerce et des Sociétés, ne suffit pas à constituer l’existence d’un droit. Celui-ci s’acquiert par l’usage public.
La doctrine s’accorde ainsi pour considérer que les noms de domaine peuvent être assimilés à des enseignes sur internet, dès lors qu’ils ont pour finalité d’informer et d’attirer une clientèle.
Au vu de l’activité internet du Requérant et en l’absence d’information contraire dans le dossier, l’Expert estime que les enseignes désignées dans le k-bis ne sont pas utilisées en association avec un local physique. C’est donc leur exploitation en tant que nom de domaine qui doit être prise en compte.
En l’espèce, le Requérant justifie avoir été titulaire et avoir utilisé pendant près de sept ans les noms de domaine litigieux. Néanmoins, cette utilisation semblait consister avant tout, aux termes mêmes du Requérant, en un moyen de redirection des internautes vers le site du Requérant “www.societe.com”. Or, l’Expert doute qu’une telle utilisation suffise à caractériser la volonté de ce dernier de faire un usage réellement public de ces noms de domaine, ainsi que d’informer et d’attirer une clientèle sous ces noms de domaines en tant qu’enseignes.
Rien dans les éléments produits par le Requérant à l’appui de sa plainte ne permet en effet à l’Expert de conclure qu’il est établi que le Requérant se soit fait connaître auprès du public sous les enseignes “kbis.fr” et “bilan”. En réalité, le mode d’utilisation des noms de domaine mis en place par le Requérant, à savoir une redirection vers un seul et même site, semble plutôt s’apparenter à une utilisation de termes génériques comme mots clés de recherche, permettant d’augmenter la fréquentation de son site officiel par un moyen de captation des internautes.
L’Expert doute ainsi que l’utilisation de « kbis.fr » et « bilan.fr » caractérise une utilisation publique au sens de la doctrine, permettant d’assimiler les deux noms de domaine en cause à une enseigne et donc, l’existence même d’un droit.
En toute hypothèse, même si des droits devaient être reconnus au Requérant, ce dernier n’a pas établi, pour les raisons détaillées ci-après que l’enregistrement ou l’utilisation des noms de domaine litigieux par le Défendeur porterait atteinte à ses droits.
Enregistrement et utilisation de noms de domaine en violation des droits des tiers, en l’occurrence du Requérant
Le Requérant invoque une utilisation des noms de domaine par le Défendeur, en violation de ses droits.
En premier lieu, l’Expert rappelle que, depuis une réforme de la Charte en date du 11 mai 2004, toutes les personnes identifiables en ligne sur des bases de données publiques et nationales (entreprises, artisans, associations immatriculées à l’Insee, détenteurs de marques…), peuvent obtenir le nom de domaine qu’elles souhaitent sans que ce dernier figure sur quelque document que ce soit.
Ainsi, bien que la marque communautaire “Sex” du Défendeur n’ait effectivement aucun lien avec les noms de domaine en cause déposés par ce dernier comme le relève le Requérant dans sa plainte, pour autant, il était loisible au Défendeur de déposer ces deux noms de domaine, la seule condition étant qu’un tel enregistrement ou utilisation ne porte pas atteinte aux droits de tiers, en l’occurrence les droits dont se prévaut le Requérant sur les enseignes “kbis.fr”, “bilan” et “bilans”.
L’Expert rappelle que conformément à l’article 711-4 du Code la propriété intellectuelle, la violation du droit antérieur revendiqué par le Requérant, nécessite la réunion de deux conditions, à savoir une enseigne connue sur l’ensemble du territoire et l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public.
En l’espèce, relativement à la première condition, le Requérant soutient que les noms de domaine « bilan.fr » et « kbis.fr » renvoyaient vers son site officiel “www.societe.com”.
L’Expert relève que le Requérant n’apporte pas d’autres informations, et en particulier de documents marketing ou publicitaires ou autres éléments qui démontreraient que le Requérant a communiqué auprès du public français sur son activité, non seulement sous son site “www.societe.com” mais également sous ces enseignes « bilan » et « kbis.fr ».
Par ailleurs, comme évoqué précédemment, l’usage des noms de domaine litigieux consistait aux dires du Requérant, à rediriger vers son site officiel, ce qui renforce la conviction de l’Expert que ce dernier est avant tout connu sous son nom de domaine principal « societe.com ».
Concernant la seconde condition, l’Expert constate que le Requérant n’a pas établi que les termes “kbis.fr” et “bilan” étaient directement associés dans l’esprit du public français aux services proposés par le Requérant.
En effet, le terme “kbis” n’apparaît à aucun moment sur le site internet du Requérant, lequel ne fournit d’ailleurs pas ce type de document. En effet, ces derniers relèvent uniquement de la compétence des greffes des juridictions.
Le Requérant fournit en effet des fiches d’identité comportant des informations issues d’extrait k-bis, mais ne fournit pas en soit de k-bis.
Concernant, le terme “bilan”, bien qu’il soit utilisé pour proposer des bilans de sociétés disponibles sur le site du Requérant, il ne s’agit que de bilans déjà déposés auprès des greffes des juridictions. Au demeurant, le terme “bilan” est un terme générique utilisé par tout un chacun dans la vie des affaires.
En conséquence et bien que l’Expert considère qu’il soit manifeste que le Défendeur a profité d’une défaillance du Requérant dans le renouvellement des noms de domaine litigieux et que le Défendeur est apparemment coutumier de ce type de comportement, pour autant, l’Expert conclut pour le présent litige, qu’il ne peut relever aucune violation des droits du Requérant, à supposer que ce dernier en aient, qui justifierait le transfert des noms de domaine sollicité.
Décision
. Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert rejette la demande du Requérant.
Expert : Christiane Féral-Schuhl
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.