Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert 13 mars 2008
Kimberly-Clark Worldwide Inc. & Kimberly-Clark Corp. / Eurorasric Limited ou Eurotastic Limited
marques - nom de domaine
Les parties
Les Requérants sont les sociétés Kimberly-Clark Worldwide Inc. & Kimberly-Clark Corp., Neenah, Etats-Unis d’Amérique, représentées par Clifford Chance Europe LLP, Paris, France.
Le Défendeur est Eurorasric Limited ou Eurotastic Limited, Neuilly-sur-Seine, France.
Nom de domaine et prestataire internet
Le litige concerne le nom de domaine « huggies.fr » enregistré le 1er juin 2005.
Le prestataire internet est la société Gandi, Paris.
Rappel de la procédure
Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 24 janvier 2008 par courrier électronique et, 29 janvier 2008, par courrier postal.
Le 24 janvier 2008, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
Le 30 janvier 2008, la réponse de l’Afnic ayant fait apparaître une distorsion entre les mentions de la demande et les informations contenues dans la base de l’Afnic, le Centre a adressé au Requérant une demande d’amendement de sa demande.
Le jour même, le Requérant a procédé à l’amendement sollicité par voie électronique. L’amendement sur support papier a été reçu le 31 janvier 2008.
Le Centre a vérifié que la demande répondait bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 1er février 2008. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 21 février 2008.
Le Défendeur n’a pas fait parvenir de réponse.
Le 22 février 2008, le Centre a notifié au Défendeur son défaut.
Le 28 février 2008, le Centre nommait Michel Vivant comme Expert dans le présent litige. L’Expert a constaté qu’il avait été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.
Les faits
Les Requérantes sont les sociétés Kimberly-Clark Worldwide Inc. & Kimberly-Clark Corp.
La société Kimberly-Clark Worldwide Inc. justifie de ses droits :
– sur la marque communautaire Huggies n° 224204 déposée le 4 avril 1996 dans les classes 3, 16 et 25 (pour des produits tels que serviettes et lingettes pour bébés et enfants, produits jetables pour bébés et enfants, vêtements pour bébés et enfants, etc.);
– sur un ensemble de marques communautaires déclinant le terme “Huggies”, telles que les marques Huggies Littles Swimmers déposée le 28 octobre 1998, Huggies Beginnings déposée le 18 septembre 2000, Huggies Freedom déposée le même jour, Huggies Adventurers le même jour encore et Huggies Supreme le 21 juin 2004.
La société Kimberly-Clark Corp. est, par ailleurs, titulaire de plusieurs noms de domaine “huggies + extension” dont « huggies.com » enregistré en 1996 et « huggies.org » enregistré en 2002. Ces noms de domaine redirigent l’internaute vers un site « huggiesclub.com » qui appartient à ladite société et propose des informations relatives à la maternité et aux produits “Huggies”.
Le Défendeur a enregistré le nom de domaine « huggies.fr » le 1er juin 2005. Le site exploité sous ce nom propose des produits analogues à ceux des requérantes. Il comporte des liens vers d’autres sites proposant des produits concurrents de ceux de la marque Huggies.
Argumentation des parties
Requérant
Atteinte aux droits des Requérants
Les Requérants font valoir que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine « huggies.fr » portent atteinte à leurs droits :
– au sens de la charte de nommage du “.fr”.
– comme étant constitutifs d’actes de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale selon le droit français
– qu’ils détiennent sur la marque Huggies
– de même que sur les marques déclinant le terme “huggies” et les noms de domaine construits sur le même terme.
Pour cela, les Requérants mettent en avant en premier lieu que le nom de domaine « huggies.fr » est la reproduction à l’identique de la marque Huggies n° 224204, les suffixes “.fr”, “.net”, “.com”,… n’ayant pas à être pris en considération. Elles estiment, l’identité des produits proposés sous la marque et auxquels il est possible d’accéder via le nom de domaine incriminé n’étant pas contestable, qu’il s’agit d’une reproduction sanctionnable au titre de l’article L. 713-2 du Code de la Propriété intellectuelle. Elles soutiennent qu’en tout état de cause la responsabilité du Défendeur devrait être au moins retenue sur le fondement de l’article L. 713-5 CPI au motif que la marque Huggies, disent-elles, est une marque renommée et que les agissements du Défendeur ont pour conséquence d’affaiblir le pouvoir distinctif et attractif de la marque, de leur causer un trouble commercial et de tromper le public.
L’exploitation de la marque est injustifiée comme faite sans droit et tendant à tromper le public et bénéficier indûment de la renommée de la marque.
Les Requérants mettent en avant en second lieu que le nom de domaine « huggies.fr » reproduit les noms de domaine antérieurs « huggies.com » et « huggies.org » et imite les marques déclinant le terme “Huggies”, ces reproductions ou imitations créant un risque de confusion. Ces agissements constituent pour les premiers des actes de concurrence déloyale, des actes de “contrefaçon par imitation” au sens de l’article L. 713-3 CPI pour les seconds.
Absence de droits ou d’intérêt légitime du Défendeur
Les Requérants observent que l’usage du nom n’est lié à aucune offre de bonne foi mais qu’en revanche l’usage est fait sans que le Défendeur soit titulaire de dénominations similaires, sans qu’il ait obtenu de leur part d’autorisation d’usage et alors qu’après consultation sur Internet il ne semble apparaître que pour des activités de télécommunication.
Enregistrement et utilisation de mauvaise foi
Les Requérants, observant le caractère notoire du “signe” “Huggies” mais aussi son caractère totalement arbitraire, soutiennent que l’enregistrement du nom de domaine « huggies.fr » n’a pu résulter d’une simple coïncidence mais procède d’une volonté de “s’approprier indûment le signe”.
Ils relèvent l’existence en ligne d’une offre de vente du nom de domaine, même si, par prudence, son libellé nie cette qualification.
Ils soulignent que le Défendeur est coutumier du fait, ayant été par trois fois condamné à transférer des noms de domaine indûment enregistrés (Carrefour et Carrefour Hypermarchés contre Eurostastic Limited, Litige Ompi No. DFR2005-0011; Compagnie Générale des Établissements Michelin – Michelin et Cie contre Eurostastic Ltd., Litige Ompi No. DFR2005-0013 ; Anil c. Eurostastic ou Eurostasric Ltd et Lantec Corporation, Litige Ompi No. DFR2005-0015).
Défendeur
Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre.
Discussion
Conformément aux dispositions de l’article 20(c) du Règlement, “l’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.
A la différence des litiges relevant du “.com”, il n’y a pas lieu de reprendre linéairement les trois points figurant pour ceux-ci à l’article 4(a) des Principes UDRP.
Le Requérant doit certes justifier des droits qu’il allègue (conformément à l’article 20(c) in fine du Règlement du “.fr” – ce qui est le cas en l’espèce – mais, cela fait, il convient seulement d’établir si l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers tel que définie à l’article 1er du Règlement (atteinte à la propriété intellectuelle, “aux règles de la concurrence et du comportement loyal”, etc.).
(i) Enregistrement du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers
En l’occurrence, le Défendeur a enregistré un nom de domaine qui est la reproduction très exacte de la marque Huggies appartenant à la société Kimberly-Clark Worldwide Inc. comme celle des noms de domaine appartenant à la société Kimberly-Clark Corp. Ce nom de domaine est par ailleurs très proche des marques détenues par la société Kimberly-Clark Wprldwide Inc., qui déclinent la première marque Huggies.
Comme l’observent les Requérantes, l’extension n’a pas être prise en considération dans la comparaison des termes. Cela est admis aussi bien par les experts en charge des modes alternatifs de résolution des litiges, comme le notent les Requérants qui visent entre autres illustrations possibles la décision Dipa contre Lantec Corporation, Litige Ompi No. DFR2005-0010, que par les tribunaux français (ainsi TGI Paris, 27 juin 2003, « legalis.net », jugeant que “seul le radical doit être pris en considération pour apprécier la contrefaçon”) qui ont, qui plus est, déjà jugé sanctionnable la reprise d’un nom enregistré sous une extension différente (ainsi TGI Strasbourg, 29 mai 2001, JCP E 2002, n° 36, § 10, obs. Vivant).
Le Défendeur qui a l’obligation de vérifier que l’enregistrement auquel il procède ne porte pas atteinte aux droits des tiers, qui a enregistré un nom dont les Requérants soulignent avec raison le caractère arbitraire et qui n’a obtenu aucune autorisation d’utiliser le terme “Huggies” aussi bien sous une forme brute que déclinée, a donc, ce faisant, manifestement porté atteinte aux droits que la société Kimberly-Clark Corp. détient sur ses marques et ses noms de domaine « huggies.com » et « huggies.org ». Ces enregistrements constituent, en effet, des actes de concurrence déloyale par imitation servile, de longue date sanctionnés par la jurisprudence française.
Cela seul suffit à caractériser l’atteinte que vise l’article 20(c) du Règlement.
Il sera néanmoins observé que la marque Huggies comme les marques qui en sont la déclinaison l’ont été, comme il a déjà été relevé, pour des produits tels que serviettes et lingettes pour bébés et enfants, produits jetables pour bébés et enfants, vêtements pour bébés et enfants, etc. et que le site exploité par le Défendeur comporte des liens vers d’autres sites proposant des produits tels que couches-culottes ou produits jetables pour bébés. Il s’agit donc manifestement de produits identiques et concurrents à ceux couverts par les marques en cause. En conséquence de quoi l’adoption d’un nom de domaine reproduisant à l’identique (art. L. 713-2 CPI) ou imitant (art. L. 713-3 CPI) une marque antérieure doit recevoir la qualification d’acte de contrefaçon stricto sensu au premier cas (V. en ce sens TGI Nanterre, 18 janv. 1999, PIBD 1999, 673, III, 147, Rev. Lamy dr. aff. 1999, n° 16, p. 24) et lato sensu au second cas.
Ainsi, à ce titre encore, l’atteinte que vise l’article 20(c) du Règlement est bel et bien caractérisée.
(ii) Utilisation du nom de domaine en violation des droits des tiers
S’il suffit d’établir que l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers, dès l’instant où il est établi que l’enregistrement a été fait en violation des droits des tiers, l’examen d’une éventuelle utilisation en violation de ces droits est, au regard du Règlement, superfétatoire.
Il sera toutefois observé que le fait d’utiliser le nom de domaine « huggies.fr » pour proposer des produits concurrents de ceux des Requérants constitue manifestement une utilisation « mala fide » du nom de domaine tendant à détourner illégitimement la clientèle des marques Huggies, des marques déclinées à partir de celle-ci et des noms de domaine également construits sur ce mot.
Plus encore, il doit être observé que, si le Défendeur n’a pas cherché à monnayer le nom de domaine indûment pris selon une pratique des cybersquatters bien connue, il a fait apparaître sur son site une page permettant de proposer un prix pour l’achat de ce nom de domaine. Certes, il est mentionné dans cette page que le formulaire présenté en ligne ne constitue pas une offre de vente. Mais on ne saurait y voir qu’une manœuvre assez grossière. Comme le soutiennent les Requérants, on voit mal comment la présence de ce formulaire pourrait être interprétée autrement que comme une offre de vente “dès lors qu’elle établit que le titulaire du nom de domaine est disposé à le céder à toute personne lui faisant une offre qu’il estimerait acceptable”.
Le fait que le Défendeur soit coutumier de ces pratiques s’ajoute enfin aux données établies comme un indice supplémentaire d’un comportement étranger à la loyauté requise dans la vie des affaires.
Ainsi l’atteinte aux droits des tiers que vise l’article 20(c) du Règlement, cette fois-ci dans l’utilisation du nom de domaine incriminé, est également caractérisée.
Décision
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission du nom de domaine « huggies.fr » au profit de la société Kimberly-Clark Corparation.
Expert : Michel Vivant
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.