Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert 16 septembre 2008
Carrefour / Communication Marketing & Développement
marques - nom de domaine
Les parties
Le Requérant est Carrefour, Levallois Perret, France, représenté par J.-P. Karsenty & Associés, France.
Le Défendeur est Communication Marketing & Développement, Ambarès-et-Lagrave, France.
Nom de domaine et prestataire internet
Le litige concerne le nom de domaine « carrefourvoyages.fr » enregistré le 6 août 2004.
Le prestataire internet est la société Axinet Communication.
Rappel de la procédure
Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 22 juillet 2008, par courrier électronique et les 24 et 28 juillet 2008, par courrier postal.
Le 24 juillet 2008, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
Le 24 juillet 2008, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige, ainsi qu’aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n’est pendante.
Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic applicable (ci-après la ”Charte”).
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 4 août 2008. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 24 août 2008. Le Défendeur n’ayant pas fait parvenir de réponse, le Centre lui a fait parvenir, le 25 août 2008, une notification d’un défaut du Défendeur.
Le 2 septembre 2008, le Centre nommait Jean-Claude Combaldieu comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.
Les faits
Le Requérant est la société Carrefour, société anonyme de droit français. Ce groupe Carrefour est un leader mondial dans le domaine de la distribution et bénéficie d’une grande notoriété.
Le Requérant détient la marque Carrefour dans 74 pays parmi lesquelles figurent notamment en se limitant à celles qui sont antérieures à l’enregistrement du nom de domaine litigieux soit le 6 août 2004 :
– Marque française Carrefour déposée le 2 septembre 1988 dans les classes 35 à 42 et enregistrée sous le n° 1 487 274.
– Marque française Carrefour déposée le 8 décembre 1989 dans les classes 1 à 34 et enregistrée sous le n° 1 565 338.
– Marque internationale Carrefour déposée dans les classes 1 à 33 et enregistrée le 2 octobre 1988 sous le n° R351 147.
– Marque internationale Carrefour déposée dans les classes 35 à 42 et enregistrée le 28 février 1989 sous le n° R 353 849.
– Marque française semi figurative Vacances Carrefour déposée le 23 avril 1997 dans les classes 36, 39, 41 et 42 et enregistrée sous le n°97674943.
– Marque internationale semi figurative Vacances Carrefour sous priorité de la marque française ci-dessus et enregistrée le 15 octobre 1997 sous le n° 681 666.
Par ailleurs le Requérant a enregistré plus de 310 noms de domaine incluant le mot “Carrefour” parmi lesquels nous citerons (en se limitant à ceux qui sont antérieurs à l’enregistrement du nom de domaine litigieux soit le 6 août 2004) :
– « carrefour-voyages.com » du 28 novembre 2001
– « carrefourvoyages.com » du 28 avril 2004
– « voyagescarrefour.com » du 28 novembre 2001
– « voyages-carrefour.com » du 28 novembre 2001
– « voyagescarrefour.fr » du 27 avril 2004
Enfin le mot “Carrefour” est à la fois la dénomination sociale, le nom commercial et l’enseigne de la société Carrefour.
Argumentation des parties
Requérant
Le Requérant commence par traiter la question de savoir si l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence.
Après avoir mentionné que le Défendeur ne dispose d’aucun droit ni d’intérêt légitime sur la dénomination “carrefour voyages”, le Requérant expose qu’il détient des droits sur cette dénomination qui ont été abusivement violés par le défendeur.
Le Requérant fait valoir la grande notoriété de la marque Carrefour.
Carrefour est leader de la grande distribution en Europe et numéro deux dans le monde. Cette notoriété a notamment été reconnue, constate le Requérant, dans un litige Carrefour SA contre Eric L., Ompi n° D2007-0067.
De plus le Requérant invoque ses nombreuses marques dans 74 pays et, en particulier, celles visées ci-dessus au point 4 intitulé “Les faits”.
Il rappelle qu’il est de jurisprudence constante que l’ajout d’un terme non distinctif (“voyages”) à une marque afin de constituer un nom de domaine n’a pas pour effet de supprimer le risque de confusion résultant de la similarité entre la marque et le nom de domaine, la marque demeurant l’élément principal du nom de domaine (Heineken Brouwerijen B contre Mark L., Litige Ompi No. D2000-1487).
Par ailleurs plusieurs experts de l’Ompi dans des litiges régis par les Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine ou du Règlement ont considéré que des noms de domaine composés de la marque Carrefour du Requérant et de mots génériques, notamment le mot “voyages” sont semblables au point de prêter à confusion aux marques renommées du Requérant. Ce dernier cite dans sa demande, à l’appui de sa démonstration, plusieurs litiges significatifs et en particulier Société Carrefour contre Olivier D., Litige Ompi No. DFR2007-0058 qui concernait le nom de domaine « carrefour-voyages.fr » qui est quasi identique au nom de domaine litigieux du présent litige. Dans cette affaire l’expert avait conclu sans ambiguïté à la confusion.
Le Requérant évoque aussi son activité dans le domaine des voyages et des vacances par l’intermédiaire de sa filiale Carrefour Vacances immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés le 24 octobre 1990. Cette immatriculation mentionne l’enseigne “Vacances Carrefour” et “Voyages Carrefour”. Cette activité, à travers 94 agences, représente un chiffre d’affaire de 219 810 000 euros.
Le Requérant met en avant ses marques françaises Voyages Carrefour et Carrefour Voyages (non mentionnées plus haut car elles sont postérieures au nom de domaine litigieux) mais également des documents publicitaires remontant à l’année 2003 attestant de cette activité de voyagiste pour laquelle le Groupe Carrefour est aussi très connu.
Dans sa démonstration le Requérant évoque aussi ses très nombreux noms de domaine parmi lesquels figurent la combinaison des mots “Carrefour” et “Voyage” avec ou sans tiret entre ces deux mots.
Le Requérant affirme donc que le Défendeur s’est livré à une activité de typosquatteur mais que, de façon plus générale, ledit Défendeur ne pouvait ignorer les nombreux noms de domaine similaires préexistants et qu’il violait sciemment les droits du Requérant en enregistrant le nom de domaine litigieux.
Selon le Requérant, l’enregistrement du nom de domaine litigieux porte atteinte à ses droits. Il en serait de même de l’utilisation.
Le Défendeur n’exploite pas le site « carrefourvoyages.fr » qu’il a réservé. Or il est de jurisprudence constante tant dans les procédures régies par les Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine que dans les procédures régis par le Règlement que l’acte de rétention passive injustifié d’un nom de domaine porte atteinte aux droits du requérant et aux règles de comportement loyal en matière commerciale.
De surcroît, la direction juridique du groupe Carrefour a adressé au Défendeur le 5 mars 2008 une lettre recommandée avec accusé de réception le mettant notamment en demeure de transférer sans délai le nom de domaine litigieux à la société Carrefour. Cette lettre est restée sans réponse.
Selon le Requérant, ceci caractérise la volonté délibérée du Défendeur de porter atteinte aux droits du Requérant et d’adopter un comportement totalement contraire aux règles élémentaires de la loyauté commerciale.
En conclusion générale le Requérant demande à ce que le nom de domaine objet du présent litige lui soit transmis.
Défendeur
Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre.
Discussion
L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux en violation de ses droits et sollicite, en conséquence la transmission du nom de domaine à son profit.
L’Expert rappelle que conformément à l’article 20(c) du Règlement : “il fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l’article 1 du présent règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable”.
L’Expert rappelle également que l’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux droits des tiers”, au titre de la Charte, “une atteinte aux droits des tiers, en particulier, lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d’une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi.”.
De même l’Expert rappelle que l’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux règles de la concurrence”; “une atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire”.
En conséquence l’Expert s’est attaché à vérifier les droits du Requérant sur le nom de domaine puis à examiner si l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine litigieux est en violation des droits des tiers, en particulier de ceux du Requérant, ou des règles de la concurrence.
(i) Droits du requérant sur le nom de domaine
La société Carrefour bénéficie, tout particulièrement dans le domaine de la grande distribution, d’une très forte notoriété pratiquement dans le monde entier. Une grande majorité de personne connaît les magasins et hypermarchés Carrefour. Les études produites montrent le leadership de cette marque en Europe.
Le Requérant démontre qu’il détient de nombreuses marques contenant le mot “Carrefour” seul ou associé à un mot générique comme par exemple “Vacances”. Les marques les plus pertinentes sont énumérées au point 4 “Les faits”.
A l’incontestable notoriété des marques du Requérant s’ajoute le fait que les marques françaises et internationales Vacances Carrefour précitées revendiquent toutes les activités d’agences de voyage. Il est de fait, qu’au moins depuis la création de la filiale “Carrefour vacances” en 1990, le groupe Carrefour exerce cette activité d’agence de voyage qui représente près de 120 millions d’euros de chiffre d’affaires.
L’Expert constate aussi que le Requérant a enregistré plusieurs noms de domaine composés de la marque Carrefour accolée au mot générique “Voyage”. On y trouve notamment le nom de domaine « voyagescarrefour.fr » enregistré le 27 avril 2004.
Enfin nous avons vu que le mot “Carrefour” est à la fois la dénomination sociale, le nom commercial et l’enseigne de la société Carrefour.
Dans ces conditions les droits du Requérant sur l’expression “carrefourvoyages” sont évidents. Le mot “Carrefour” protégé par les droits de propriété industrielle sus évoqués bénéficie d’une grande notoriété et est fortement distinctif. Lui accoler un mot générique comme “voyages” ne permet sûrement pas d’échapper au risque de confusion entre la marque Carrefour et le nom de domaine « carrefourvoyages.fr ». L’internaute, même s’il est peu attentionné, va immédiatement penser que ce dernier site provient de la société Carrefour qui propose des voyages en ligne.
(ii) Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence
L’enregistrement du nom de domaine « carrefourvoyages.fr » le 6 août 2004 ne peut être le fait du hasard. A peine est-il besoin, en l’espèce, de mentionner l’article 12 de la Charte qui fait obligation au demandeur du nom de domaine de s’assurer qu’il ne porte pas atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence, tant la marque Carrefour est connue. En tant que de besoin une recherche d’antériorité de marque auprès des bases de données de l’Inpi aurait confirmé l’indisponibilité du nom de domaine litigieux.
L’enregistrement du nom de domaine litigieux relève, selon notre appréciation, soit de la mauvaise foi soit d’une méconnaissance des règles élémentaires régissant le dépôt des noms de domaine et les règles de la concurrence.
On observera également que le Défendeur ne fait valoir aucun droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.
En tout état de cause la lettre recommandée du 5 mars 2008 adressée par le Requérant au Défendeur aurait dû suffire pour que ce dernier se rende compte du caractère illégal de l’enregistrement du nom de domaine concerné. Or cette lettre n’a pas connu de réponse.
Enfin le site internet litigieux n’est pas exploité. Or une jurisprudence constante estime que la détention passive et injustifiée d’un nom de domaine porte atteinte aux droits du Requérant (s’il a justifié de ses droits) et aux règles de comportement loyal en matière commerciale. Voir par exemple Craiglist, Inc. contre D.M.I.S., Litige Ompi No. DFR2008-0028, Euro-Information contre Skiwebcenter, Litige Ompi No. DFR2004-0001 et Amitel S.A. et LTV Gelbe Seiten AG contre Ediciel Sarl, Litige Ompi No. DFR2006-0018. Au regard notamment de la notoriété de la marque du Requérant, la détention passive du nom de domaine par le Défendeur qualifie le caractère injustifié de la rétention.
Décision
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine « carrefourvoyages.fr ».
Expert : Jean-Claude Combaldieu
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.