Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI Décision de l’expert 18 mai 2005
Passion For Life Healthcare Limited / Euromark France
marques - nom de domaine
Les parties
Le Requérant est la société Passion For Life Healthcare Limited, Surrey, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représentée par le Cabinet Bird & Bird, Paris, France.
Le Défendeur est la société Euromark France, Vaucresson, France.
Nom de domaine et prestataire internet
Le litige concerne le nom de domaine
Le prestataire internet auprès duquel le nom de domaine est enregistré est la société Digital Rural Informatique, France.
Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci après désigné le “Centre”). Elle a été reçue le 21 mars 2005 par courrier électronique et le 23 mars 2005, par courrier postal.
Le 22 mars 2005, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci après “ l’Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations. Le 31 mars 2005, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci après la “Charte”).
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, le 31 mars 2005, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. En application des dispositions de l’article 15(a) du Règlement, le délai de 20 jours pour faire parvenir une réponse expirait le 20 avril 2005. Le Défendeur n’ayant pas présenté de réponse dans les formes imposées, le Centre adressait le 21 avril 2005, une notification d’un défaut du Défendeur.
Le 4 mai 2005, le Centre nommait Nathalie Dreyfus comme expert dans le présent litige. L’expert, constatant qu’il avait été nommé conformément au Règlement, a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément aux dispositions de l’article 4 du Règlement.
Les faits
Le Requérant est la société anglaise Passion For Life Healthcare Limited, créée en 1996, avec pour activité la fabrication et la commercialisation de différents produits et traitements parapharmaceutiques, notamment en Europe.
Le Requérant dispose de plusieurs produits phares et notamment d’une solution contre le ronflement distribuée sous la marque “SNOREEZE” dans les pays anglophones. Ce produit ou un produit équivalent, solution nasale à base d’huiles essentielles qui agit sur l’origine nasale du ronflement, est commercialisé sous la marque “DOUCE NUIT” dans les pays francophones.
Le Requérant est titulaire de l’enregistrement de marque française “DOUCE NUIT” N° 3048410 du 25 août 2000, appliqué à des produits et services des classes 5 et 10 et précisément “préparations et substances pharmaceutiques, homéopathiques et naturopathiques; préparations médicamenteuses, homéopathiques et naturopathiques sous forme de capsules, crèmes, pommades (onguents), poudres, pulvérisations et comprimés. Appareils et instruments chirurgicaux, médicaux et dentaires; articles orthopédiques; matériels de suture; appareils et instruments pour réduire, empêcher ou prévenir le ronflement”. Par ailleurs, le Requérant a réservé le 6 octobre 2000, le nom de domaine « doucenuit.com ». Ce nom de domaine est actif et pointe vers son site principal.
Un produit concurrent est commercialisé en France par la société Euromark sous la marque “SOLURONE”, qui a réservé et exploite le nom de domaine « doucenuit.fr » pour présenter et commercialiser le spray anti ronflement “Solurone”.
Par lettre de mise en demeure adressée en recommandé avec accusé réception, par fax et par e-mail, le 12 janvier 2005, suivie d’un rappel le 7 février 2005, le Requérant a mis en demeure le Défendeur de cesser l’utilisation et de procéder au transfert amiable du nom de domaine litigieux. Ces différentes mises en demeure sont bien parvenues à leur destinataire. Le Défendeur n’a présenté aucune réponse, ni à la lettre de mise en demeure, ni à son rappel mais ont demandé à leur hébergeur de couper le site. Le nom de domaine contesté est à ce jour inactif. Le Défendeur a adressé le 4 avril 2005, soit juste après l’ouverture de la procédure, une communication précisant que les marques et les noms de domaine “Solurone” étaient à vendre mais n’a présenté aucun argument en réponse aux éléments développés dans la plainte.
Argumentation des parties
Requérant
Le Requérant justifie de droits de marque en France sur le signe “DOUCE NUIT”.
Le Requérant allègue que le Défendeur ne pouvait ignorer ses droits sur la marque “DOUCE NUIT” puisqu’il commercialise des produits proches et qu’il est en position de concurrence. En effet, le nom de domaine contesté pointait précisément vers un site présentant et faisant de la promotion d’un produit concurrent “Solurone” commercialisé par le Défendeur. En conséquence, le Défendeur en réservant et en utilisant le nom de domaine objet du présent litige a entendu tromper et détourner à son profit le consommateur qui pensait légitimement, en tapant ce nom de domaine correspondant à la marque exploitée par le Requérant obtenir des informations sur ses produits. Par ses agissements, le Défendeur a aussi voulu bénéficier des investissements du Requérant sur la marque “DOUCE NUIT” pour promouvoir leur propre produit “Solurone”. Par ailleurs, le Défendeur a pu laisser croire au consommateur qu’il existerait entre les sociétés en cause un lien commercial, voire que les produits seraient interchangeables. Le Requérant avance que de tels agissements constituent à la fois des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale. Par ailleurs, le Défendeur ne justifie d’aucun intérêt légitime sur le nom de domaine « doucenuit.fr », qui n’a été réservé qu’avec la seule intention de nuire au Requérant. Le Requérant estime en conséquence être fondé à requérir la transmission du nom de domaine litigieux à son profit.
Défendeur
Le Défendeur a répondu par un bref message le 4 avril 2005, ne répondant toutefois pas aux allégations du Requérant.
Discussion
L’expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et une utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et demande la transmission à son profit.
Conformément à l’article 20(c) du Règlement, “l’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.
Il est également important de souligner que, conformément aux dispositions de l’article 1 du Règlement, on entend par “atteinte aux droits des tiers, au titre de la Charte, une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et au droit au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne”.
En conséquence, l’expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les parties, si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine litigieux portent atteinte aux droits de tiers et le Requérant, sollicitant la transmission de ce nom de domaine à son profit, s’il justifie de droits sur ce nom de domaine.
Préalablement, l’expert a envisagé la question de la recevabilité de la réponse du Défendeur parvenue au Centre le 4 avril 2005.
La réponse présentée par le Défendeur n’a pas été fournie dans les formes requises par l’article 15 du Règlement dans la mesure où elle ne comprend pas une prise de position relative aux déclarations et allégations figurant dans la demande, ni les moyens de défense. Bien que la réponse n’ait pas été soumise en conformité avec les Règles d’application, l’expert a examiné ce message et conclut qu’il fait partie du dossier.
Enregistrement du nom de domaine litigieux en violation des droits de tiers
L’expert retient que le nom de domaine contesté est la reproduction quasi-totale du signe DOUCE NUIT sur lequel le Requérant a justifié détenir un enregistrement de marque française. La suppression de l’espace entre les termes “douce” et “nuit”, ainsi que l’adjonction du suffixe « .fr » non appropriable en tant que tel, sont inopérants à faire disparaître l’imitation de marque au sens du droit français.
L’expert estime que le Requérant a démontré que la marque “DOUCE NUIT” et que le nom de domaine « doucenuit.com » ont été exploités par le Défendeur pour désigner et présenter précisément une solution anti-ronflement concurrente.
Il a été clairement établi que le Défendeur était informé des droits de propriété intellectuelle du Requérant, notamment suite à une lettre de mise en demeure adressée en recommandé avec accusé de réception. Cette mise en demeure est d’ailleurs restée sans réponse, malgré de nombreux rappels de la part du Requérant.
En conséquence, l’expert considère que l’enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur est intervenu tout à la fois en violation des droits du Requérant sur sa marque, ainsi qu’en violation des règles de concurrence et de comportement loyal en matière commerciale.
Utilisation du nom de domaine en violation des droits de tiers
L’expert retient que le nom de domaine objet du litige est utilisé pour présenter et désigner un produit concurrent de celui du Requérant.
Le Défendeur ne justifie en conséquence d’aucun usage de bonne foi, ni d’aucune légitimité pour utiliser ce nom de domaine.
En réservant et en utilisant le nom de domaine litigieux pour un produit directement concurrent, le Défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs d’Internet sur leur site Web, en créant une confusion avec la marque du Requérant tant en ce qui concerne la source, que l’affiliation. Après mise en demeure, le Défendeur a d’ailleurs procédé volontairement à la suspension du site Internet attaché au nom de domaine contesté, qui est à présent inactif. Toutefois, la simple détention du nom de domaine litigieux, compte tenu de ‘l’article 20(c) du Règlement, porte atteinte aux droits du Requérant.
En conséquence, l’expert considère que l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur est intervenue en violation des droits du Requérant, conformément au principe de loyauté dans les relations commerciales.
Droits du Requérant sur le nom de domaine litigieux
L’expert retient que le Requérant détient des droits en France sur l’enregistrement de la marque “DOUCE NUIT”.
L’expert considère ainsi que le Requérant justifie détenir des droits de propriété intellectuelle sur le signe “DOUCE NUIT” et, en conséquence, du bien fondé de sa demande de transmission du nom de domaine « doucenuit.fr ».
Décision
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine « doucenuit.fr ».
Expert Unique : Nathalie Dreyfus
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.