Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert 2 mai 2007
La Française des Jeux / Elliott S.
marques - nom de domaine - site internet
Les parties
Le Requérant est La Française Des Jeux, Boulogne-Billancourt, France, représenté par INLEX IP Expertise, Paris, France.
Le Défendeur est Elliott S., Paris, France.
Nom de domaine et prestataire Internet
Le litige concerne le nom de domaine « lotofrance.fr » enregistré le 26 juin 2006.
Le prestataire Internet est la société Tucows.Com, Toronto, Canada.
Rappel de la procédure
Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 8 mars 2007.
Le 14 mars 2007, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations. Le 15 mars 2007, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.
Le 16 mars 2007, le Requérant a transmis au Centre un amendement à sa plainte par courrier électronique.
Le Centre a vérifié que la demande et l’amendement répondent bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 21 mars 2007. Conformément au paragraphe 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir sa réponse était le 10 avril 2007. Le Défendeur a adressé sa réponse le 4 avril 2007.
Le 18 avril 2007, le Centre nommait Christiane Féral-Schuhl comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.
En date du 20 avril 2007, le Requérant a fait parvenir par courrier électronique des observations additionnelles. Le Défendeur a adressé sa réponse à ces observations additionnelles le 23 avril 2007.
Le 24 avril 2007, l’Expert a refusé de prendre en considération ces nouveaux éléments en raison du dépassement par les parties des délais qui leur étaient impartis.
Les faits
Le Requérant est la société La Française des Jeux, notoirement connue en France pour avoir créé en 1976 un jeu dénommé “Loto”, qu’elle exploite toujours avec succès aujourd’hui.
Le Requérant est titulaire d’un certain nombre de marques comprenant le terme “Loto” :
– Marque française LOTO n° 1435425, déposée le 23 avril 1983 ;
– Marque française LOTOPHONE n° 1394262, déposée le 8 janvier 1987 ;
– Marque française SUPER LOTO n° 95603714, déposée le 29 décembre 1995 ;
– Marque française LOTO n° 99782889, déposée le 25 mars 1999 ;
– Marque française LOTO, n° 023158601, déposée le 10 avril 2002 ;
– Marque française LOTO SURPRIZZ n° 023178019, déposée le 2 août 2002 ;
– Marque communautaire France LOTO n° 002178788, déposée le 20 juin 2003.
Le Requérant est également titulaire d’un grand nombre de noms de domaine comprenant le terme “Loto” et en particulier, des noms de domaine « lotofrance.com », « loto-france.com », « loto-france.tv » et « loto-france.net » enregistrés respectivement le 22 septembre 2004, le 21 avril 1997, le 27 février 2004 et le 25 février 2004.
Le Défendeur est Elliott S., homme d’affaires exerçant plusieurs types d’activité, notamment dans l’édition.
Le Défendeur a enregistré le nom de domaine « lotofrance.fr » le 26 juin 2006.
Ce nom de domaine renvoyait au site internet accessible à l’adresse “www.S.fr” faisant la promotion d’un ouvrage écrit par le Défendeur et originellement intitulé “Loto, c’est enfin votre tour” puis renommé “Loto, la maîtrise du hasard”. Le site internet mentionné indique qu’il s’agit du “livre qui garantit un GAIN à chaque tirage du LOTO et de l’Euro Millions et que la Française des Jeux veut faire interdire”.
Le 21 juillet 2006, le Requérant a contacté le Défendeur par courrier électronique afin de l’enjoindre à fermer le site et à s’engager à ne plus utiliser les marques du Requérant.
Le 11 septembre 2006, le site accessible à l’adresse “www.lotofrance.fr” redirigeant vers l’adresse “www.S.fr” apparaissait comme temporairement désactivé par le Défendeur.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 19 septembre 2006, le Requérant a mis en demeure le Défendeur de cesser la diffusion et l’utilisation de l’ouvrage en cause et de transférer au Requérant le nom de domaine « lotofrance.fr ».
Toutefois, le 12 janvier 2007, le site internet en cause était de nouveau accessible via le nom de domaine « S.fr » et via la redirection mise en place à partir du nom de domaine « lotofrance.fr ». A cette date, le site internet faisait encore référence à l’ouvrage du Défendeur dans les termes exposés ci-dessus, comme en atteste le procès verbal de constat dressé par un clerc d’huissier et soumis par le Requérant.
C’est dans ce contexte que le Requérant a engagé la présente procédure aux fins de se voir transférer le nom de domaine « lotofrance.fr ».
Argumentation des parties
Requérant
Conformément au Paragraphe 12 (b) (vi) du Règlement, les éléments de droit et de faits sur lesquels se fonde le Requérant sont les suivants :
Le Requérant indique en premier lieu que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine « lotofrance.fr » constituent une atteinte à ses droits pour les raisons suivantes.
En premier lieu, la reprise de la marque LOTO dans le nom de domaine « lotofrance.fr » et au sein du site accessible par son biais constitue selon le Requérant, la reproduction contrefaisante des marques LOTO et France LOTO. Le Requérant souligne ainsi que le Défendeur ne détient aucun droit sur le terme “Loto”, ni à titre de marque ou de quelconques droits, ni en application d’une autorisation ou d’une licence de la part du Requérant. Le Requérant ajoute également que l’adjonction du nom d’un pays à sa marque n’est pas de nature à déconsidérer l’atteinte faite à ses droits.
Le Requérant expose d’autre part que la réservation et l’exploitation du nom de domaine « lotofrance.fr » sont frauduleuses en raison du fait que le Défendeur a cherché à tromper le public sur l’origine et la qualité des activités développées sur son site internet. En outre, le Requérant estime que le contenu du site est répréhensible non seulement au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme, mais également au titre du délit de publicité trompeuse.
Le Requérant fait enfin valoir qu’il détient des droits sur le terme “Loto” :
– Le Requérant expose avoir le monopole exclusif d’utilisation du terme “Loto” pour désigner des jeux d’argent ne correspondant pas à des jeux de loterie traditionnelle.
– Le Requérant fait également état de la notoriété des marques “Loto” qu’il détient depuis de nombreuses années et des multiples noms de domaine qu’il a enregistrés. Le Requérant estime que le nom de domaine « lotofrance.fr » ne peut qu’amener les internautes à penser que le site est exploité par la Française des Jeux.
Défendeur
Le Défendeur a répondu aux éléments de droit et de faits soulevés par le Requérant en se fondant toutefois, à tort, sur les Principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine et notamment en “com” ou “.net ”.
Ainsi, selon le Défendeur, le mot “loto” est un nom commun dont l’utilisation ne peut être réservée au Requérant. Ayant publié des ouvrages ayant pour objet le loto dans plusieurs pays, le Défendeur estime qu’il est légitime pour l’auteur d’un ouvrage sur le loto d’utiliser la dénomination “Loto”.
Ensuite, le Défendeur expose qu’il détient des droits sur le nom de domaine « lotofrance.fr » en raison de la publication de son livre intitulé “Loto, la maîtrise du hasard” et portant sur le Loto en France. Il ajoute que de nombreux noms de domaine par le monde incluent le mot “loto”.
Enfin, le Défendeur allègue qu’il n’a ni enregistré ni exploité le nom de domaine en cause de mauvaise foi.
Discussion
L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et une utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite en conséquence la transmission de ce nom de domaine à son bénéfice.
Conformément au paragraphe 20 (c), l’Expert “fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.
L’atteinte aux droits des tiers s’entend, au titre de la Charte, comme “une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et au droit au nom, au prénom, ou au pseudonyme d’une personne”.
Par conséquent, l’Expert s’est attaché à vérifier si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine « lotofrance.fr » portent atteinte aux droits de tiers, et si le Requérant justifie de droits lui permettant de solliciter la transmission de ce nom de domaine.
Enregistrement et/ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers
a. Le nom de domaine enregistré par le Défendeur imite les marques et noms de domaine du Requérant
L’Expert constate que le nom de domaine « lotofrance.fr » a été enregistré le 26 juin 2006 par le Défendeur et qu’il constitue la reproduction quasi-identique de marques dont le Requérant est titulaire.
Le nom de domaine « lotofrance.fr » reproduit en effet les marques antérieures LOTO et France LOTO du Requérant, la seule différence entre le nom de domaine litigieux et ces marques consistant ainsi dans le premier cas en l’adjonction d’une référence à la France et dans le deuxième cas, d’une inversion des termes constituant la marque du Requérant.
Les Experts considèrent communément que l’adjonction, au sein d’un nom de domaine, d’une dénomination géographique ou d’une référence à un pays à la suite d’un terme protégé à titre de marque ne permet pas de considérer que le nom de domaine en cause ne reproduit pas cette marque (décisions Koninklijke Philips Electronics NV c. Gopan P.K., Litige OMPI n°D2001-0171, Dell Computer Corporation c. MTO C.A. and Diabetes Education Long Life, Litige OMPI n°D2002-0363,).
Par ailleurs, l’inversion des termes “France” et “Loto” n’est pas de nature à ôter toute confusion dans l’esprit du public, au regard de la notoriété du Requérant en France sur ce jeu d’argent.
Dans une affaire similaire à la présente espèce (décision La Française des Jeux c. Jean-Claude Moretti, Litige OMPI n° 2006-0330), l’Expert a considéré que
“l’adjonction de la désinence “FR”, indication descriptive comprise par tout internaute comme une référence au domaine “.fr” correspondant au code pays désignant la France ou, comme le précise le Défendeur, comme une indication du fait que le site actif sous le nom de domaine « lotofr.com » a pour objet le Loto français, n’est pas de nature à remettre en cause la proximité existant entre les marques “LOTO” du Requérant et le nom de domaine « lotofr.com »”.
b. Le Défendeur ne démontre pas être titulaire de droits antérieurs lui permettant d’enregistrer le nom de domaine en cause
Aux allégations émises par le Requérant sur son absence de droits sur le terme “loto”, le Défendeur se borne à répondre qu’il a “un intérêt légitime à l’utilisation du site “lotofrance.fr” aux fins de promouvoir [son] livre loto, “la maîtrise du hasard” afin de confirmer que [son] livre se réfère explicitement au jeu de loto tel qu’il est pratiqué en France”.
L’Expert constate cependant que le Défendeur ne justifie d’aucun droit sur le terme “loto” ou l’expression “Loto France”, que ce soit à titre de droits de marque ou de droits d’auteur, puisque son livre s’intitule “Loto, la maîtrise du hasard” et que, quand bien même son livre se serait intitulé “Loto France” ou “le Loto en France”, ces titres n’auraient pas présenté une originalité de nature à leur conférer une quelconque protection au titre du droit d’auteur.
L’Expert considère en conséquence que le Défendeur ne justifie d’aucun droit antérieur sur les dénominations “loto”, “loto France” ou “lotofrance” lui permettant d’enregistrer le nom de domaine « lotofrance.fr ».
c. Le Défendeur ne pouvait ignorer l’existence de la marque LOTO lors de l’enregistrement du nom de domaine
La notoriété auprès du public français de la marque “Loto” a été reconnue à plusieurs reprises par les juridictions françaises, tout comme l’a été la notoriété du Requérant dans la décision La Française des Jeux c. Réponses.fr, Litige OMPI n° DFR2005-0023.
L’Expert considère de surcroît que le Défendeur ne pouvait d’autant moins ignorer contrevenir aux droits de marque du Requérant lors du dépôt du nom de domaine « lotofrance.fr », dès lors que le Défendeur a rédigé un ouvrage consacré au loto en France.
d. L’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue aussi une violation de droits de tiers
Comme évoqué, le Défendeur a parfaitement conscience de la renommée du Requérant et de ses marques. Le Défendeur, pour avoir écrit un ouvrage sur le loto en France, devait peut-être aussi avoir connaissance du fait que le Requérant était déjà titulaire des noms de domaine « lotofrance.com », « loto-france.com », « loto france.tv » et « loto-france.net ».
En toute hypothèse, l’Expert constate que l’utilisation par le Défendeur du nom de domaine « lotofrance.fr » consiste essentiellement en un moyen de redirection vers un site internet correspondant à son patronyme, à savoir le site “www.S.fr”.
Il ressort ainsi de l’ensemble de ces considérations que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine en cause par le Défendeur ne semblent avoir comme unique but que d’attirer les internautes intéressés par les activités proposées par le Requérant, vers le site du Défendeur, et d’entretenir la confusion ainsi engendrée par le Défendeur quant à l’origine et la qualité des activités développées sur le site internet du Défendeur.
En effet, le contenu du site du Défendeur accessible via la redirection fait entièrement référence, tant dans sa rédaction textuelle que dans son aspect graphique, au jeu “Loto” exploité par le Requérant en France. Cette constante référence au Requérant et à ses activités conduit inévitablement les internautes à penser qu’il existe une étroite corrélation entre le Requérant et l’ouvrage dont la promotion est assurée sur le site du Défendeur.
L’Expert estime ainsi que le Défendeur a entendu profiter de la renommée et de la notoriété du Requérant en enregistrant un nom de domaine reprenant la marque notoire du Requérant pour attirer un grand nombre d’internautes à visiter son autre site internet “www.S.fr”, qui faisait la promotion de son ouvrage “Loto, la maîtrise du hasard”.
Par conséquent, l’Expert déclare que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine « lotofrance.fr » par le Défendeur constituent une violation des droits du Requérant sur les marques et noms de domaine dont il est titulaire, ainsi qu’une violation du principe de loyauté dans les relations commerciales.
Droits du Requérant sur le nom de domaine litigieux
L’Expert considère que les éléments rapportés par le Requérant dans sa plainte permettent de constater qu’il est titulaire d’un certain nombre de marques LOTO en France ainsi que d’une marque communautaire France LOTO. Ces marques ont toutes été déposées antérieurement à l’enregistrement par le Défendeur du nom de domaine en cause.
En outre, le Requérant a également justifié être titulaire d’un grand nombre de noms de domaine reprenant sa marque LOTO, dont notamment « lotofrance.com » enregistré le 22 septembre 2004, « loto-france.com » enregistré le 21 avril 1997, « loto-france.tv » enregistré le 27 février 2004 et « loto-france.net » enregistré le 25 février 2004.
L’Expert considère en conséquence que le Requérant est fondé à solliciter la transmission à son profit du nom de domaine litigieux.
Décision
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine « lotofrance.fr ».
Expert : Christiane Féral-Schuhl
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.