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Jurisprudence : Marques

mercredi 09 août 2006
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Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI Décision de l’expert 25 janvier 2005

Artcurial / Kangaroo

marques - nom de domaine

Les parties

Le Requérant est la société française Artcurial, Paris, France, représentée par Meyer & Partenaires, conseils en propriété industrielle, Strasbourg, France.

Le Défendeur est la société française Kangaroo, Paris, France.

Nom de domaine et prestataire internet

Le nom de domaine contesté est « artcurial.fr »‘, enregistré le 20 mai 2004.

Le prestataire Internet auprès duquel le nom de domaine a été enregistré est Amen France.

Rappel de la procédure

La plainte du Requérant, régie par le Règlement sur la procédure alternative de résolution de litiges (PARL) du ‘.fr’ et du ‘.re’ par décision technique, ci-après Le Règlement, a été reçue par le Centre le 2 décembre 2004.

Elle a été notifiée par le Centre au Défendeur le 8 décembre 2004 par messagerie électronique, télécopie et par poste/messagerie.

L’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération, ci-après L’AFNIC, a confirmé l’ensemble des données relatives au nom de domaine litigieux le 7 décembre 2004.

Le Défendeur a adressé sa réponse le 27 décembre 2004, dans le délai qui lui était imparti. Le Défendeur a adressé une communication complémentaire au Centre, le 10 janvier 2005.

L’expert était désigné par le Centre le 11 janvier 2005. L’expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

Recevabilité des observations du Défendeur en date du 10 janvier 2005

De nouvelles observations du Défendeur sont parvenues au Centre le 10 janvier 2005, en dehors du délai de 20 jours civils prévu au Règlement.

Rien ne s’oppose cependant à la prise en compte de ces observations, dans la mesure où elles viennent exclusivement modifier un point spécifique des observations précédemment déposées le 27 décembre 2004, à savoir que le Défendeur s’engage à transférer le nom de domaine litigieux, en cas de décision défavorable à ses intérêts, dans un délai de 48 heures à compter de la décision de l’Expert, et non plus à date fixe.

Admettre la recevabilité de telles observations relève du pouvoir discrétionnaire de l’Expert, conformément aux dispositions de l’article 17 du Règlement, et ne nuit en aucun cas aux intérêts du Requérant.

Confidentialité des informations relatives au Défendeur

Dans ses observations initiales du 27 décembre 2004, le Défendeur demande que soit préservée la confidentialité de ses coordonnées. Concrètement, le Défendeur demande à l’Expert d’interdire toute communication, des coordonnées de sa société, à savoir sa dénomination sociale et l’identité de son gérant, toute référence à ces derniers ne devant être effectuée qu’au travers de leurs initiales. Le Défendeur estime en effet que la procédure PARL par décision technique doit rester confidentielle. Le Défendeur se réserve le droit de demander réparation de son préjudice, auprès des tribunaux compétents, en cas de non respect de cette “clause de confidentialité”. En droit, le Défendeur fonde sa demande sur les articles 30 (“Confidentialité”) et 32 (“Données personnelles”) de la Charte de nommage de l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (AFNIC), ci après la Charte.

La pratique dans les décisions .fr est de nommer le nom et la ville où sont établies les parties. Dans des circonstances spécifiques, l’expert a toutefois la possibilité de divulguer des coordonnées additionnelles.

Ces coordonnées, à savoir le nom du titulaire du nom de domaine, et son contact administratif, sont d’ores et déjà accessibles au public via la base de données Whois.

Le Défendeur ne saurait se prévaloir d’une prétendue “clause de confidentialité”, en vertu des articles 30 et 32 de la Charte, dont une lecture combinée confirme, au contraire, que les données fondamentales relatives notamment au titulaire du nom de domaine doivent être accessibles, et ce qui plus est dans l’hypothèse de la mise en œuvre d’une procédure PARL par décision technique.

En réservant le nom de domaine litigieux, le Défendeur est réputé avoir pris connaissance de la Charte, et en avoir accepté sans réserve l’ensemble des dispositions. Le Défendeur est en conséquence mal fondé à exiger, à ce stade, la confidentialité de ses coordonnées.

L’article 19 de la Charte précise en outre que le demandeur du nom de domaine est seul responsable des termes qu’il choisit à titre de nom de domaine. A cet égard l’Expert note que le Défendeur ne saurait, le cas échéant, pallier les effets négatifs d’une décision défavorable à ses intérêts en tentant d’occulter ses coordonnées. La connaissance de décisions impliquant le défendeur ou de noms de domaine enregistrés à son nom peut en effet constituer des données pertinentes et importantes pour les titulaires de droits.

L’article 21 alinéa b du Règlement stipule certes que “toutes les décisions prises selon le présent règlement sont publiées intégralement sur le site Web du Centre, sauf si l’expert exclut exceptionnellement de la publication des passages de sa décision”. L’Expert dispose, en vertu de cette disposition, de la faculté d’exclure à titre exceptionnel la publication de certains passages de la décision. L’expert décide ici de simplement suivre la pratique instituée.

Confidentialité de certains éléments de faits

Le Requérant évoque dans sa plainte les liens présumés existant entre l’enseigne “Cash Express” et le Défendeur, ou à tout le moins son contact administratif Monsieur GS.

Dans ses observations, le Défendeur expose qu’il n’a aucun lien avec l’enseigne Cash Express, et exige dès lors que le nom de cette enseigne ne soit pas mentionné dans la décision, ou soit à tout le moins remplacé par la mention “X”.

Néanmoins, dans la mesure où toute référence à l’enseigne “Cash Express” est objectivement nécessaire à la description des faits, sans qu’il ne soit justifié d’en préserver la confidentialité, la requête du Défendeur sur ce point doit également être rejetée. L’Expert note au surplus que le Défendeur apparaît être titulaire du nom de domaine « cashexpress.fr ».

Description des faits

Le Requérant, Artcurial, intervient essentiellement dans le domaine de la promotion et de la commercialisation d’œuvres d’art contemporain, et ce depuis les années 70. Concrètement, les activités de cette société, et des sociétés qui lui sont liées, sont scindées en librairie d’art, bibliothèque d’art, vente aux enchères d’œuvres d’art, organisation d’exposition d’œuvres d’art, notamment par le biais du site Internet “www.artcurial.com”.

Le vocable Artcurial constitue la dénomination sociale, le nom commercial et l’enseigne du Requérant. Ce dernier dispose en outre de nombreux enregistrements de marque portant sur la dénomination Artcurial, tant en France qu’à l’étranger.

En particulier, le Requérant justifie être titulaire des marques françaises suivantes, dûment renouvelées :

– Artcurial nº 8911302 du 21 décembre 1973 et nº 175031 du 14 juin 1974, renouvelées conjointement sous le numéro 1 261 066 pour la dernière fois le 21 décembre 2003;

– Artcurial nº 00 3 010 712 du 24 février 2000.

Le Requérant justifie également être titulaire des noms de domaine “www.artcurial.com” et “www.artcurial.net”, enregistrés les 21 octobre 1996 et 16 octobre 2002, respectivement.

Le Défendeur, SARL Kangaroo a pour objet social l’exploitation d’un fonds de commerce d’achat et vente de tous objets d’occasion. Aux dires du Défendeur, son activité est essentiellement tournée vers les produits électroniques de grande consommation.

Le Défendeur a réservé le nom de domaine litigieux le 20 mai 2004. Ce site est demeuré inactif jusqu’au 25 juillet 2004.

Le Défendeur a adressé à trois associés de la société de vente aux enchères Artcurial, le 1 juillet 2004, une proposition de cession du nom de domaine “www.artcurial.fr”, pour un montant de 350 euros. Cette proposition est demeurée sans réponse.

Le Requérant, ayant constaté que le nom de domaine « artcurial.fr »‘ renvoyait vers une page de parking du courtier en ligne Sedo, dans lequel il était mis en vente pour un montant minimum de 110 euros a, par courrier en date du 8 septembre 2004, informé le Défendeur de l’existence de ses droits sur le signe Artcurial, et mis en demeure ce dernier de le lui transférer à titre gratuit.

Par courrier du 17 septembre 2004, le Défendeur a rejeté toute cession à titre gratuit du nom de domaine litigieux, et a annoncé son intention de résoudre ce désaccord par le biais d’une procédure PARL par recommandation en ligne (CMAP).

Le 21 septembre 2004, le Requérant a constaté une modification du contenu du site “www.artcurial.fr”, ce dernier ayant été activé avec deux pages en construction, dont une mentionnait que le nom de domaine « artcurial.fr »‘ était à vendre sur le site du courtier en ligne “www.sedo.fr”.

Le Requérant a refusé de se soumettre à une procédure PARL par recommandation en ligne, et a préféré opter pour la présente procédure contraignante de type PARL par décision technique.

Arguments des parties

L’essentiel des arguments des parties est résumé ci-après.

Le Requérant

Le Requérant rappelle l’existence de ses droits anciens sur le vocable Artcurial, notamment à titre de marque et de dénomination sociale. Le Requérant fait valoir que sa marque jouit d’une importante notoriété, comme le confirme une interrogation du moteur de recherche Google France, qui relève de très nombreuses références au terme Artcurial, dont la quasi-totalité concernent les activités de celui-ci.

Le Requérant estime que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine « artcurial.fr »‘ par le demandeur constituent une atteinte aux droits susvisés, et ont été effectués de mauvaise foi.

Enregistrement du nom de domaine litigieux :

Le Requérant note que le nom de domaine litigieux est une copie servile de ses marques, et que le Défendeur n’a aucun droit sur ce vocable.

Le Requérant indique que le Défendeur, également titulaire du nom de domaine « martineaubry.com », n’ignore nullement la problématique liée à l’enregistrement comme nom de domaine d’une marque connue. En effet des échanges d’informations ont eu lieu sur un forum du prestataire de service Amen, en juillet 2004, concernant les conséquences de la libéralisation du “.fr” sur la réservation, par des tiers, de marques connues du grand public, et n’ayant rien à voir avec leur nom commercial ou objet social. Monsieur GS., auteur de plusieurs messages sur ce forum de discussion, a notamment envisagé le risque lié à d’éventuelles réclamations et procès de la part des titulaires des droits. Monsieur GS. a également effectué quelques réflexions sur le montant que les titulaires légitimes seraient prêts à débourser pour le rachat des noms de domaine réservés par les tiers, en renonçant à tout contentieux.

Le Requérant indique que le Défendeur est également titulaire du nom de domaine « cashexpress.fr », et que la société Kangaroo appartient au réseau de franchise du même nom, dont l’activité s’étend notamment à la vente d’objets de décoration, d’antiquités, ou d’objets de collection. A ce titre le Défendeur ne pouvait ignorer l’existence des activités d’Artcurial, au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

L’absence d’enregistrement du nom de domaine « artcurial.fr »‘, préalablement à la libéralisation des noms de domaine en “.fr”, le 11 mai 2004, ne saurait être assimilée à une renonciation tacite de ses droits par le Requérant. Il appartenait au Défendeur de s’assurer de l’absence de droits de tiers sur la dénomination Artcurial, au moment de l’enregistrement du nom de domaine litigieux, conformément à l’article 19 de la Charte

Utilisation du nom de domaine litigieux

Dans ses écritures, le Requérant fait valoir que l’utilisation du nom de domaine litigieux est réalisée en violation de ses droits, et ce pour les deux motifs suivants :

D’une part, le nom de domaine est mis en vente à un prix “excédent considérablement les frais engendrés par son enregistrement”.

D’autre part, le nom de domaine incriminé a contenu, pendant au moins plusieurs semaines, des liens hypertextes dirigeants les internautes vers les sites de concurrents de la société Artcurial.

Le Requérant demande en conséquence le transfert du nom de domaine “www.artcurial.fr” à son profit.

Le Défendeur

Dans sa réponse très détaillée en date du 27 décembre 2004, le Défendeur a contesté l’exactitude de certains des faits décrits par le Requérant, et le bien fondé, en droit, de la plainte. Ces observations ont été complétées par un courrier en date du 10 janvier 2005, qui est pris en compte comme rappelé ci-dessus.

En substance, le Défendeur tire l’essentiel de son argumentation des moyens suivants :

A compter du 11 mai 2004, l’AFNIC a libéralisé les enregistrements de noms de domaine en “.fr”, ce qui implique une “abrogation du droit au nom”, au profit du principe de “premier arrivé, premier servi”. Ainsi, les personnes identifiables peuvent enregistrer le nom de domaine de leur choix.

S’il est certain que le Requérant dispose de “certains” droits sur le vocable “Artcurial”, ces droits ne s’étendent pas à l’ensemble des produits et services de la classification internationale. Ainsi, toujours selon le Défendeur, le terme Artcurial serait “totalement libre de droits dans 29 classes”. De même, tout au plus, l’éventuelle notoriété de la marque Artcurial est circonscrite au domaine d’activité du Requérant.

Le Requérant a montré n’avoir aucun intérêt sur le nom de domaine litigieux, ayant renoncé à l’enregistrer avant la libéralisation du “.fr”.

Le Requérant ne peut légitiment pas prétendre détenir des droits sur le nom de domaine litigieux, tout en refusant de se soumettre à une procédure PARL par recommandation en ligne .

L’utilisation effectuée du site “www.artcurial.fr” n’a en aucun cas impliqué d’activité concurrente de celle de la société Artcurial.

Le Défendeur nie être l’auteur des messages écrits sur des forums d’Internet et cités par le Requérant, son ou ses auteurs pouvant être des homonymes.

En l’espèce il n’y a pas contrefaçon des marques Artcurial du Requérant, au sens des articles L 713-2 et L 713-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, dès lors que le nom de domaine litigieux est enregistré abstraction faite de toute désignation de produits ou services.

Le Défendeur invoque également à son profit l’article L 713-6 du Code de la Propriété Intellectuelle, au terme duquel l’enregistrement d’une marque ne ferait pas obstacle à l’utilisation du même signe, lorsque cette utilisation est antérieur audit enregistrement.

Enfin, le Défendeur invoque la déchéance des droits du Requérant sur le nom de domaine litigieux en vertu de l’article L 714-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, puisqu’il n’a pas jugé utile de le réserver, comme il aurait pu le faire et ce depuis plus de cinq ans.

Pour l’ensemble des ces motifs, le Défendeur demande le rejet de la plainte.

Discussion

A titre liminaire, il convient de rappeler que le recours à une procédure de type PARL par recommandation en ligne nécessite l’accord des deux parties, tant pour initier la procédure que pour mettre en œuvre les recommandations du tiers aviseur. Le Requérant n’est aucunement tenu de justifier de son refus de recourir, en l’espèce, à une procédure PARL par recommandation en ligne.

Conformément aux dispositions de l’article 20 (c) du Règlement, “L’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

En application de cette disposition, Il appartient en premier lieu à l’expert de déterminer si, au regard du droit français, l’enregistrement ou l’usage du nom de domaine “www.artcurial.fr” porte atteinte aux droits du Requérant. En second lieu, la mesure de réparation demandée étant le transfert du nom de domaine litigieux, l’expert doit s’assurer de l’existence des droits du Requérant sur l’élément objet de la plainte, en l’espèce le vocable Artcurial.

Atteinte aux droits du Requérant

Tant l’article 1 du Règlement que l’article 19.1) de la Charte définissent de manière non exhaustive l’atteinte aux “droits des tiers” comme une atteinte

– A la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle);
– Aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale;
– Au droit au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne.

En l’espèce, le Requérant invoque une atteinte à un droit de propriété industrielle, ainsi qu’une atteinte aux règles de la concurrence et au comportement loyal en matière commerciale (comportement auquel il se réfère par ses références à la prétendue mauvaise foi du Défendeur).

Atteinte aux droits de propriété industrielle du Requérant

Le Défendeur ne conteste pas l’existence de droits du Requérant sur le vocable Artcurial, à notamment à titre de marque.

Le nom de domaine enregistré est identique aux marques Artcurial du Requérant.

En vertu des dispositions des articles L 713-2 et L 713-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, une éventuelle contrefaçon des droits de marque du Requérant suppose, outre la reproduction ou l’imitation de la marque antérieure, son utilisation en liaison avec des produits ou des services identiques ou similaires.

Tel qu’il a été rappelé dans la Décision OMPI No. DFR2004-0001, Euroinformation contre Skiwebcenter, et conformément à la jurisprudence française actuelle, la seule réservation d’un nom de domaine est neutre et ne constitue pas un acte de contrefaçon.

En l’espèce, le Défendeur n’ayant effectué aucune utilisation active particulière de ce nom sauf à le proposer à la vente, jusqu’au dépôt de la plainte, du nom de domaine « artcurial.fr »‘, l’utilisation de ce dernier ne constitue pas non plus une contrefaçon des marques Artcurial du Requérant.

Puisque les liens – supposés ou avérés – du Défendeur avec l’enseigne cash Express, dont l’activité s’étend notamment à la commercialisation d’antiquités, n’a pas d’incidence sur l’appréciation effectuée, et en vue des conclusions ci-dessous, l’expert ne se penchera sur cette question dans le cadre de cette affaire.

Atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale

Les documents versés par le Requérant montrent que la dénomination sociale et les marques Artcurial, exploitées depuis le début des années 70 dans le domaine de la diffusion de l’art, jouissent indéniablement d’une renommée. Le nombre de résultats obtenus suite à une interrogation du moteur de recherche Google, sur le terme Artcurial, est à cet égard éloquent.

Cette renommée n’est vraisemblablement pas étrangère à l’adoption d’un nom de domaine identique par le Défendeur, dont l’Expert note qu’il n’a pas été en mesure de fournir d’explication plausible quant au choix de ce vocable. Le Défendeur n’invoque en effet aucun droit légitime, de quelque nature que ce soit, sur le nom Artcurial, de manière à justifier la réservation de celui-ci à titre de nom de domaine.

Il va de soi que les arguments exposés par le Défendeur, pour justifier de l’adoption du nom de domaine « artcurial.fr »‘ relèvent, à tout le moins, d’une interprétation erronée des dispositions de la Charte et du Code de la Propriété Intellectuelle.

En effet, la libéralisation des noms de domaine en “.fr” à compter du 11 mai 2004 n’a aucunement eu pour effet de permettre à quiconque de porter impunément atteinte aux droits des tiers, ou de sanctionner les titulaires de droit n’ayant pas encore, à cette date, enregistré comme nom de domaine les marques et autres signes sur lesquels ils détiennent des droits. Les titulaires de droits n’ont en aucun cas une quelconque obligation d’effectuer des enregistrements de nom de domaine sous l’extension “.fr”.

En d’autres termes, l’absence d’enregistrement en “.fr” d’un signe, quelle que soit sa nature, ne peut être assimilée à une renonciation, même tacite, de son titulaire à ses droits.

De même, le Défendeur ne saurait tirer profit de la circonstance selon laquelle les marques Artcurial ne sont pas enregistrées pour l’ensemble des classes de la Classification de Nice, cet élément étant absolument inopérant dans l’appréciation d’un éventuel abus de droit.

Par ailleurs, le Défendeur ne saurait invoquer les dispositions de l’article L 713-6 a) du Code de la Propriété Intellectuelle, au terme duquel “l’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme : dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, lorsque cette utilisation est soit antérieure à l’enregistrement, soit le fait d’un tiers de bonne foi employant son nom patronymique”. Même en considérant que cette disposition est transposable à l’utilisation d’une marque à titre de nom de domaine, force est de constater que le nom de domaine litigieux a été enregistré après le dépôt des marques Artcurial, et qu’il ne correspond pas au patronyme du Défendeur.

Enfin, le Défendeur invoque inutilement les dispositions de L 714-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, lesquelles concernent strictement la déchéance des droits des titulaires de marques.

En revanche, le Requérant est bien fondé à invoquer la réservation et utilisation abusive, à titre de nom de domaine, de sa marque et dénomination sociale Artcurial, à laquelle une indéniable renommée est attachée.

Cette usurpation est susceptible d’être sanctionnée sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile délictuelle prévue aux articles 1382 et 1383 du Code civil, s’agissant de la dénomination sociale Artcurial, et sur le fondement de l’action spécifique en responsabilité civile prévue à l’article L 713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, s’agissant de la marque Artcurial.

En l’espèce, l’Expert considère que l’adoption du nom de domaine « artcurial.fr »‘ est effectivement de nature à créer un trouble manifeste, tant il est probable que l’internaute, en parvenant sur le site “www.artcurial.fr” s’attendra à y trouver des informations émanant de la société Artcurial, cette dernière jouissant au surplus d’une renommée à tout le moins dans le domaine de l’art, comme l’a démontré le Requérant.

Par ailleurs, le Défendeur admet lui même s’être rapproché initialement de certains dirigeants de l’activité “ventes aux enchères” d’Artcurial en vue de leur proposer le transfert du nom de domaine « artcurial.fr »‘ pour la somme de 350 euros, en prétextant s’être rendu compte de l’existence de la société Artcurial postérieurement à l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

L’expert estime au contraire que le nom de domaine litigieux a essentiellement été enregistré en vue de le céder au Requérant, pour en tirer ainsi un profit indu de la réservation effectuée. Ceci est d’autant plus vraisemblable que le Défendeur ne fournit à aucun moment, dans ses longues observations en réponse à la plainte, de motif crédible justifiant du choix du nom de domaine « artcurial.fr »‘.

L’Expert note également que la page de parking sur laquelle le site “www.artcurial.fr” renvoyait, en juillet 2004, contenait des liens vers plusieurs sites Internet, dont certains avaient pour objet la distribution d’œuvres d’art.

L’existence d’un enregistrement du nom de domaine martineaubry.fr, nom d’une personnalité politique de premier plan, au nom du Défendeur, ne peut que contribuer à renforcer l’Expert dans ses convictions. Les explications du Défendeur relatives à l’existence de plus de cinquante homonymes de Martine Aubry, dans les Pages Jaunes, ne sont guère convaincantes.

De même, l’Expert ne porte que peu de crédits aux affirmations du contact administratif du Défendeur, selon lesquelles un homonyme serait l’auteur des messages laissés sur un forum du prestataire Internet Amen France, concernant les conséquences de l’enregistrement de marques connues à titre de nom de domaine, étant rappelé que le nom de domaine litigieux a précisément été enregistré par l’intermédiaire d’Amen France, que les messages mentionnés ont été rédigés en juillet 2004 (lorsque le Défendeur s’est adressé au Requérant pour lui proposer la cession du nom de domaine litigieux), et qu’au moins un de ceux-ci mentionne la possibilité de vendre le nom de domaine « artcurial.fr »‘. Sur le site Internet “www.sedo.fr” (où le nom de domaine litigieux a justement été mis en vente).

En conclusion, l’Expert note que l’enregistrement du nom de domaine litigieux ne peut avoir été effectué que de façon déloyale, afin de tirer indûment profit de la renommée associée à la marque Artcurial et à la dénomination sociale du Requérant. L’utilisation effectuée par le Défendeur du nom de domaine litigieux, ne fait que renforcer l’Expert dans ses convictions selon lesquelles ce dernier a agi en fraude des droits du Requérant.

Droits du Requérant sur l’élément objet de la plainte

Le Requérant justifie être titulaire de droits sur le signe Artcurial en France, tout le moins à titre de marque et de dénomination sociale, comme il a été précisé au cours des développements précédents.

Le Requérant est ainsi fondé à solliciter la transmission à son profit du nom de domaine litigieux, en conformité avec les dispositions de la Charte.

Décision

L’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine « artcurial.fr »‘ portent atteinte aux droits du Requérant, et constituent en particulier une atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale. Le Requérant justifie par ailleurs être titulaire de droits sur la dénomination Artcurial.

Dans ces conditions, et en application de l’article 20 c) du Règlement, l’Expert ordonne le transfert du nom de domaine « artcurial.fr »‘ au profit de la société Artcurial.

Expert : Martine Dehaut

 
 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.