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Jurisprudence : Marques

vendredi 27 juillet 2007
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Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert 26 juin 2007

Télécommande Express / ABD Europe Sarl

marques - nom de domaine

Les parties

Le Requérant est la société Télécommande Express dont le siège est situé à Nancy, France.

Le Défendeur est la société ABD Europe dont le siège est situé à Vaulx en Velin, France.

Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine « telecommande express.fr » enregistré le 24 février 2006.

Le prestataire Internet est la société OVH.

Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 27 avril 2007, par courrier électronique et le 12 avril 2007, par courrier postal.

Le 12 avril 2007, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 12 avril 2007, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le ”Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 1er mai 2007. Conformément à l’article 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 21 mai 2007. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 21 mai 2007.

Le 7 juin 2007, le Centre nommait Stéphane Lemarchand comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

Les faits

Le Requérant, la société Télécommande Express, a pour activité la vente sur Internet de télécommandes de portes de garages et de portails. Le Requérant exerce son activité sous le nom commercial “Télécommande Express”.

Le Requérant est titulaire de la marque verbale française Télécommande Express déposée le 3 février 2006 et enregistrée sous le numéro 063408797 le 19 janvier 2007 pour désigner les services relevant de la classe 35.

En outre, le Requérant a enregistré, le 5 janvier 2006, le nom de domaine « telecommande-express.com » sous lequel il indique exploiter un site Internet depuis la fin de l’été 2006.

Le Défendeur, la société ABD Europe, est un concurrent direct de la société Télécommande Express, exerçant sur Internet une activité de gestion de catalogue de vente de télécommandes de portail sous le nom commercial “telecommande.fr”.

Le Défendeur est titulaire, par apport en nature, de la marque verbale française telecommande.com déposée le 18 mars 2002 et enregistrée sous le numéro 023154211 pour désigner des produits et services relevant des classes 7, 9 et 45.

En outre, le Défendeur a enregistré, le 11 mars 2002, le nom de domaine « telecommande.info » sous lequel il exploite son site Internet.

Le Défendeur a également enregistré, le 24 janvier 2003, le nom de domaine « telecommande.fr » qui pointe vers le site “telecommande.info”, tout comme une trentaine de noms de domaine dont il indique être titulaire.

Enfin, le 24 février 2006, le Défendeur a enregistré le nom de domaine « telecommande-express.fr », qu’il a immédiatement exploité en le faisant pointer vers le nom de domaine « telecommande.info ».

Argumentation des parties

Requérant

Le Requérant considère que le Défendeur, concurrent direct, avait parfaitement connaissance de l’existence de ses droits privatifs sur la dénomination “Telecommande Express” et a enregistré le nom de domaine « telecommande-express.fr » dans le seul but d’y porter atteinte.

A cet égard, le Requérant fait valoir que, suite au dépôt par le Requérant de la demande de marque verbale française Télécommande Express, le Défendeur y a formé opposition le 15 mai 2006, invoquant sa marque verbale française antérieure telecommande.com. Le Requérant indique que cette demande d’opposition a été rejetée le 16 novembre 2006 par le Directeur Général de l’Inpi, qui a considéré que la marque Télécommande Express ne constituait pas une imitation de la marque telecommande.com et ne créait aucun risque de confusion dans l’esprit du public, ces deux signes produisant une impression d’ensemble différente, tant visuellement que phonétiquement.

Le Requérant considère par conséquent qu’en réservant le nom de domaine « telecommande-express.fr », le Défendeur était pleinement consciente de l’existence des droits antérieurs du Requérant sur cette dénomination et de l’existence d’une clientèle attachée à cette marque. L’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux constitue donc, selon le Requérant, un détournement de clientèle par l’usage indu de la notoriété du Requérant, et crée, à dessein, un risque de confusion dans l’esprit du public.

Le Requérant rapporte également avoir adressé au Défendeur deux courriers de mise en demeure, en date des 21 avril et 9 mai 2006, lui demandant de cesser toute atteinte à ses droits. Il indique que ces deux courriers sont restés sans réponse.

Le Requérant soutient encore que le nom de domaine litigieux « telecommande-express.fr » est similaire au nom de domaine « telecommande-express.com », et considère que l’enregistrement et l’exploitation par le Défendeur du nom de domaine litigieux pour une activité concurrente constituent un détournement de l’image de marque du Requérant, engendrant un détournement de la clientèle de ce dernier. Le Requérant considère par ailleurs que le Défendeur a commis une atteinte aux droits qu’il détient ainsi qu’aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale.

Le Requérant déclare enfin avoir subi un important préjudice de ce fait en termes de perte de chiffre d’affaires et entend saisir les tribunaux compétents en vue d’obtenir la réparation du préjudice subi du fait de l’enregistrement et de l’exploitation par le Défendeur du nom de domaine litigieux, qu’il considère comme étant constitutifs d’actes de concurrence déloyale.

Le Requérant sollicite, par conséquent, le transfert du nom de domaine litigieux à son profit.

Défendeur

Le Défendeur déclare exercer son activité depuis juillet 2003 sous le nom de domaine « telecommande.fr », tandis que le Requérant n’exerce sa propre activité que depuis la fin de l’été 2006 sous le nom de domaine « telecommande-express.com ». Craignant un risque de confusion, le Défendeur indique avoir toutefois cessé d’exploiter le nom de domaine « telecommande-express.fr » en décembre 2006.

Le Défendeur fait valoir que l’enregistrement par le Requérant du nom de domaine « telecommande express.com » à la date du 5 janvier 2006 est postérieur, tant au dépôt de la marque verbale française telecommande.com dont il est titulaire, intervenu le 18 mars 2002, qu’à l’enregistrement du nom de domaine « telecommande.fr » réalisé par le Défendeur le 21 juillet 2003.

Le Défendeur soutient donc qu’il est titulaire de droits antérieurs à ceux du Requérant et que ce dernier ne peut revendiquer aucun droit sur le nom de domaine litigieux.

Le Défendeur considère que le Requérant n’a de cesse d’entretenir la confusion entre son propre site Internet et celui du Défendeur dans le but de tromper les clients. Il produit à cet effet une copie des pages d’accueil des sites Internet respectifs des parties.

Le Défendeur déclare par conséquent que le Requérant, en cherchant à exercer une activité similaire à celle exercée de plus longue date par le Défendeur dans le seul but de tromper les clients de ce dernier, serait l’auteur d’actes de parasitisme.

Discussion

L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite, en conséquence, la transmission à son profit.

L’Expert rappelle que, conformément à l’article 20(c) du Règlement : “Il fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers tels que définis à l’article 1 du présent Règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément, objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

L’Expert rappelle également que l’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux droits des tiers”, au titre de la Charte, “une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et aux droits au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne”.

En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les parties, si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine litigieux portait atteinte aux droits du Requérant et, le Requérant sollicitant la transmission de ce nom de domaine à son profit, s’il justifiait de droits sur ce nom de domaine.

(i) Enregistrement du nom de domaine litigieux

L’Expert constate que le nom de domaine « telecommande-express.fr » enregistré le 24 février 2006 par le Défendeur est la reproduction quasi identique de la marque verbale déposée le 6 février 2006 par le Requérant et du nom commercial du Requérant, la seule différence inopérante consistant en l’ajout du symbole “ ” (tiret) entre les deux éléments du signe. Le nom de domaine litigieux est par ailleurs identique au nom de domaine « telecommande-express.com » enregistré par le Requérant le 5 janvier 2006.

A cet égard, la seule différence consistant en l’ajout de l’extension “.fr” n’altère en rien le risque de confusion engendré à raison de l’imitation de la marque antérieure et de l’usurpation des noms de domaine antérieurs. En effet, l’adjonction d’une extension pour le moins commune dans le domaine des services rendus sur l’Internet ne confère à l’ensemble aucun caractère distinctif permettant d’écarter tout risque de confusion.

L’Expert constate encore que le nom de domaine litigieux reproduit à l’identique le nom de domaine « telecommande-express.com » dont est titulaire le Requérant, l’extension “.com” encore une fois ne revêtant aucun caractère distinctif.

S’agissant plus particulièrement de l’opposabilité des droits antérieurs invoqués par les parties, l’Expert constate que le dépôt par le Requérant de la marque verbale française Télécommande Express en date du 3 février 2006 a fait l’objet d’une opposition par Défendeur le 15 mai 2006, sur la base de ses droits antérieurs sur la marque telecommande.com déposée le 18 mars 2002. Le Défendeur faisait valoir d’une part que la demande d’enregistrement de la marque du Requérant désignait des produits et services similaires à ceux désignés par sa propre marque et d’autre part, que la demande d’enregistrement de la marque du Requérant constituait l’imitation de la marque du Défendeur, en raison de fortes similitudes visuelles, phonétiques et intellectuelles. Le Défendeur, invoquant la notoriété de sa marque, considérait donc que le consommateur pouvait être amené à penser que le signe contesté était une déclinaison de sa propre marque antérieure.

L’Expert constate cependant que le Directeur Général de l’Inpi a rejeté l’opposition, considérant que le terme “télécommande” était descriptif, et que les termes “express” ou “.com” étaient eux mêmes faiblement distinctifs. Le Directeur Général de l’Inpi a dès lors estimé que les signes telecommande.com et Télécommande Express produisaient une impression d’ensemble différente tant visuellement que phonétiquement et décider que le second n’imitait pas le premier, pour constater l’absence de risque de confusion entre ces deux signes.

L’Expert constate que la décision du Directeur de l’Inpi, qui fait clairement apparaître qu’ “en raison de l’absence d’imitation de la marque antérieure par le signe contesté, il n’existe pas globalement de risque de confusion sur l’origine de ces marques dans l’esprit du public concerné, et ce nonobstant la similarité des produits et services en cause” n’a pas été contestée par le Défendeur devant la Cour d’appel compétente. Celui-ci n’a par ailleurs pas jugé utile d’engager par la suite une action en contrefaçon devant les tribunaux à l’encontre du Requérant.

Quoiqu’il en soit, il ne saurait être contesté que le terme “télécommande” est descriptif et ne peut dès lors faire l’objet que d’une protection limitée. L’expert dans, Jeuxonline contre Kaalys, litige Ompi DFR2006 0010 estimant qu’ “il ne saurait être contesté que les termes “Jeuxonline” adoptés en tant que nom de domaine pour promouvoir un site Internet proposant des jeux en ligne revêtent un caractère générique. Leur protection ne peut donc qu’être limitée”.

En effet, il ne peut être interdit à un concurrent ou à tout intervenant dans un secteur économique donné d’utiliser notamment à titre de nom de domaine, des termes appartenant au langage courant. La Cour d’Appel de Paris s’est ainsi prononcée en ce sens le 25 mai 2005 s’agissant des noms domaine « servicesfuneraires.fr » et « services-funeraires.fr », en rappelant que “seul est protégeable un nom de domaine distinctif” et en jugeant que “les deux mots “services” et “funéraires” sont purement descriptifs des services rendus – ce que reconnaît la SEM en qualifiant lesdits mots de “mots clefs” et ne permettent pas l’identification d’une entreprise particulière”.

C’est d’ailleurs déjà en ce sens que s’était prononcée la Cour d’Appel de Douai, par une décision du 9 septembre 2002 relative aux noms de domaines « boistropicaux.com » et « bois-tropicaux.com », estimant que “la protection d’un terme descriptif, générique et nécessaire, priverait, ce qui s’avère difficilement contestable, les tiers de son usage au moins sur Internet”.

Si en l’espèce, il n’appartient pas à l’Expert de juger de la validité d’une marque, il ressort toutefois de l’analyse des droits en présence que la marque du Défendeur porte sur un terme courant devant rester à la libre disposition des concurrents intervenant dans le même secteur d’activité. Dès lors, les droits opposés ne peuvent faire l’objet que d’une protection limitée à une seule reproduction à l’identique. En l’espèce, Télécommande Express ne reproduit pas à l’identique “Telecommande.com”.

Dès lors, le Défendeur ne peut prétendre que le nom de domaine « telecommande-express.com » enregistré par le Requérant porte atteinte à sa propre marque telecommande.com.

Enfin, l’Expert constate que le Défendeur, de par l’opposition formée, avait eu parfaitement connaissance de la marque verbale “Télécommande Express” du Requérant. C’est donc avec une particulière mauvaise foi qu’il a procédé à l’enregistrement du nom de domaine « telecommande-express.fr ».

Le seul fait que le nom de domaine soit composé d’un terme générique, à savoir “télécommande” ne l’autorisait pas à reproduire à l’identique la marque d’un tiers.

En conséquence, l’Expert considère que l’enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur est intervenu en violation des droits du Requérant sur les droits antérieurs dont il est titulaire et en violation du principe de loyauté dans les relations commerciales.

(ii) Utilisation du nom de domaine en violation des droits des tiers

L’Expert constate que le Défendeur et le Requérant sont en concurrence directe sur le marché de la vente en ligne de télécommandes pour portes de garages et portails.

L’Expert considère que les copies d’écran produites par le Défendeur reproduisant la page d’accueil du site Internet de chacune des parties ne présente pas de similitudes qui seraient de nature à prouver que le Requérant entretien la confusion entre les deux sites Internet dans le but de tromper la clientèle du Défendeur.

En outre, l’Expert constate que le Défendeur, qui a commencé à exploiter le nom de domaine litigieux le 24 février 2006, indique avoir délibérément décidé en décembre 2006 de cesser cette exploitation “afin de ne pas entretenir de confusion”. L’Expert en déduit donc que le Défendeur était tout à fait conscient du risque de confusion créé dans l’esprit du public par l’exploitation qu’il faisait du nom de domaine « telecommande-express.fr » pour assurer le commerce de ses produits, vis à vis de la société Télécommande Express qui exploite quant à elle ses propres produits sous la marque Télécommande Express et sur son propre site « telecommande-express.com ».

L’Expert considère par conséquent que l’utilisation par le Défendeur du nom de domaine « telecommande-express.fr » a pour effet de tromper les internautes quand à l’identité du prestataire de service sur le site duquel ils accèdent, ce qui constitue un réel risque de confusion dans l’esprit du public. Ainsi, le nom de domaine litigieux n’est utilisé par le Défendeur que dans le seul but non seulement de détourner la clientèle du Requérant, mais encore de l’empêcher de la développer.

En conséquence de ce qui précède, l’Expert considère que l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur est intervenue en violation des droits du Requérant sur les droits antérieurs dont il est titulaire et en violation du principe de loyauté dans les relations commerciales.

Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine « telecommande-express.fr ».

Expert : Stéphane Lemarchand

 
 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.