Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert 28 février 2008
Baccarat / Jacques T.
marques
Les parties
Le Requérant est Baccarat SA, Baccarat, France, représenté par Meyer & Partenaires, Strasbourg, France.
Le Défendeur est Jacques T., Paris, France.
Nom de domaine et prestataire internet
Le litige concerne le nom de domaine « baccaratchampagne.fr » enregistré le 2 juillet 2007.
Le prestataire internet est la société Euro DNS SA.
Rappel de la procédure
Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 4 janvier 2008.
Le 4 janvier 2008, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
Le 7 janvier 2008, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 15 janvier 2008. Le Défendeur n’ayant adressé aucune réponse, le Centre a notifié le défaut du Défendeur en date du 5 février 2008.
Le 14 février 2008, le Centre nommait M. William Lobelson comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.
Enfin, en date du 14 février 2008, le Requérant communiquait au Centre un projet de décision rendu par l’Institut National de la Propriété Industrielle en date du 1er février 2008 faisant droit à une opposition engagée par le Requérant contre le Défendeur et dirigée contre une demande d’enregistrement de marque N° 07 3 507 838 déposée par ce dernier, et portant sur la marque “Baccarat Champagne”. Cette décision, non définitive, ordonne le rejet de la demande du Défendeur au vu des droits antérieurs du Requérant sur sa marque Baccarat.
Les faits
La société française Baccarat, fabricant d’articles de cristallerie, exploite le nom Baccarat depuis près de deux siècles et détient des droits privatifs sur ce dernier à titre de raison sociale, de nom commercial, de marque et de nom de domaine (notamment « baccarat.fr » et « baccarat.com »).
Le nom de domaine contesté « baccaratchampagne.fr » a été enregistré le 2 juillet 2007. Il est dirigé vers une page web de liens subventionnés dont certains se rapportent à des activités directement concurrentes de celles du Requérant.
Estimant ses droits bafoués par l’enregistrement et l’usage du nom de domaine précité, le Requérant a notifié ses droits au Défendeur par mise en demeure en date du 31 août 2007, et l’a enjoint de radier le nom de domaine litigieux, mais sans succès. Il a donc été contraint d’engager la présente procédure.
Parallèlement le Requérant a formé opposition en France à la demande d’enregistrement de la marque “Baccarat Champagne” déposée par le Défendeur.
Selon les affirmations du Requérant, qui ne produit toutefois aucune pièce justificative, mais qui n’est pas non plus contredit par le Défendeur, ce dernier aurait présenté des observations en réponse à l’opposition précitée et affirmé connaître la société Baccarat, s’estimant toutefois libre d’utiliser la même marque en relation avec des vins de Champagne.
Selon un projet de décision de l’Inpi du 1er février 2008 produit aux débats, il est fait droit à l’opposition du Requérant : la demande de marque du Défendeur est rejetée de façon provisoire, la décision rendue n’étant pas définitive à ce jour.
Le Défendeur n’a en revanche présenté aucune observation dans le cadre de la présente procédure.
Il est encore rapporté et établi par le Requérant que concomitamment à la réservation du nom de domaine contesté et au dépôt de la marque “Baccarat Champagne”, le Défendeur a enregistré deux noms de domaine formées de l’expression “Hermès Champagne” et a procédé au dépôt d’une marque éponyme auprès de l’Inpi.
Argumentation des parties
Requérant
Le Requérant invoque ses droits de marque sur le nom Baccarat et produit à l’appui de sa demande des éléments propres à établir la notoriété de ladite marque.
Il affirme que le Défendeur n’a aucun droit ni intérêt légitime dans le nom de domaine contesté, que la marque “Baccarat Champagne” déposée par ce dernier en France ne constitue pas un droit de nature à légitimer la détention du nom de domaine, qu’une opposition a été engagée contre l’enregistrement de cette marque et que l’Inpi a statué en faveur du Requérant dans une décision récente et donc non encore définitive.
Le Requérant fait valoir que le Défendeur avait nécessairement à l’esprit la marque antérieure invoquée lors de l’enregistrement du nom de domaine, que le Défendeur a explicitement admis avoir connaissance du Requérant, la société Baccarat, et que le Défendeur a également enregistré deux autres noms de domaine formés des termes “hermeschampagne”, illustrant ainsi sa volonté de porter atteinte délibérément à des marques de renommée.
Le Requérant indique encore que le Défendeur porte aussi atteinte aux droits attachés à l’appellation d’origine contrôlée “Champagne”.
Le Requérant estime enfin que le Défendeur, en dirigeant le nom de domaine contesté vers une page web de liens subventionnés – dont certains pointent vers des entreprises concurrentes – se rend coupable d’un usage de mauvaise foi du nom de domaine de nature à porter atteinte à ses droits.
Défendeur
Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre.
Discussion
Conformément à l’article 20(c) du Règlement, “l’Expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.
L’article 1 du Règlement définit l’atteinte aux droits comme : “une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et au droit au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne”.
Dès lors, il appartient en premier lieu à l’Expert de déterminer si, au regard du droit français, l’enregistrement ou l’usage du nom de domaine « baccaratchampagne.fr » porte atteinte aux droits du Requérant.
Le Requérant justifie dans le cadre de la présente procédure des droits qu’il détient sur le nom “ Baccarat” au titre d’une part de son nom commercial et de ses noms de domaine (notamment « baccarat.fr » et « baccarat.com ») et d’autre part des enregistrements de marques – antérieurs au nom de domaine du Défendeur – dont il est propriétaire, notamment en France (N° 99 787 695) et dans l’Union Européenne (N° 1 816 859).
Le nom de domaine contesté est « baccaratchampagne.fr ».
Force est de constater que la marque Baccarat du Requérant est intégralement reproduite dans le nom de domaine incriminé.
Lui sont adjoints d’une part le nom “Champagne” et d’autre part le radical suffixe “.fr”.
L’Expert estime malgré cela que le nom de domaine « bacarratchampagne.com » est de nature à prêter à confusion avec le nom “Baccarat” sur lequel le Requérant a des droits, dans la mesure où la seule adjonction du nom géographique “Champagne” à celui “Baccarat” n’a pas pour effet de faire perdre à ce dernier son individualité ni son pouvoir attractif propre.
Le terme “Champagne” est seulement juxtaposé au nom “Baccarat” et ne forme pas avec lui une expression nouvelle dotée d’une signification propre : de fait, le nom “Baccarat” demeure isolément perceptible au sein du nom de domaine.
Au contraire, l’adjonction du toponyme “Champagne”, lequel sert aussi à désigner un vin d’Appellation d’Origine Contrôlée de renommée internationale, est de nature à laisser penser au public que le nom de domaine contesté est une déclinaison de la marque du Requérant, adoptée par ce dernier en référence au vin de Champagne.
Les décisions antérieures citées par le Requérant dans sa plainte sont parfaitement transposables au cas d’espèce : Groupe Auchan v. Jack V. Z., Litige Ompi N° DFR2007-0040 ; Air France v. Mansour E., DomainsNext.com, Litige Ompi N° D2005-0944.
La marque Baccarat du Requérant est notoirement exploitée dans le domaine de la cristallerie de luxe, et le public peut donc être amené à croire que le Requérant propose sous le nom “Baccarat Champagne” une cuvée vinicole spécialement destinée à sa clientèle ou bien encore un service de coupes ou flutes à Champagne.
L’internaute confronté au nom de domaine « baccaratchampagne.fr » a ainsi toutes raisons de penser que ce dernier renvoie au vin de Champagne du Requérant, la société Baccarat, ou bien à une gamme particulière de ses produits de cristallerie.
L’extension “.fr” étant tout aussi inopérante en ce qu’elle ne permet pas non plus de conjurer ce risque de confusion ou de rapprochement entre le nom de domaine contesté et la marque du Requérant (Photo Service SA contre Numatec, Litige Ompi N° DFR2006-0004), l’Expert conclut qu’il existe bien un risque de confusion ou d’association entre le nom de domaine contesté et la marque du Requérant.
Le Requérant affirme que le Défendeur n’a ni droit ni intérêt légitime dans le nom de domaine contesté et garantit qu’il n’a jamais autorisé le Défendeur, avec lequel il indique n’entretenir aucune relation, à enregistrer ledit nom de domaine. En l’absence de réponse du Défendeur à ces allégations, l’Expert est en droit de considérer que les affirmations du Requérant sont fondées.
Le Requérant fait encore valoir dans ses écritures que la demande d’enregistrement effectuée en France auprès de l’Inpi par le Défendeur et portant sur la marque “Baccarat Champagne” ne justifie pas d’un droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine incriminé, et ce d’autant que le bureau des oppositions de l’Inpi se propose de rejeter cette demande, à la suite de l’opposition introduite par le Défendeur sur la base de ses droits de marque antérieurs.
Mais l’Expert observe que le Défendeur n’a lui-même présenté aucune observation ni argument dans le cadre de la présente procédure Parl dans le but de légitimer son droit éventuel dans le nom de domaine incriminé.
L’Expert n’a pas vocation à se substituer au Défendeur pour apprécier si le dépôt de marque effectué par ses soins en France est de nature à constituer un droit ou intérêt légitime dans le nom de domaine incriminé.
L’Expert estime encore que le litige qui oppose les parties devant l’Inpi est étranger à la présente procédure en ce qu’il ne porte pas sur le nom de domaine incriminé ; elle n’est donc pas liée par la décision rendue le 1er février par l’Inpi, et ce d’autant plus que ladite décision n’est pas définitive.
Le Requérant fait valoir qu’en raison de la notoriété de sa marque Baccarat, le Défendeur avait nécessairement à l’esprit cette dernière lorsqu’il a enregistré le nom de domaine contesté, dans le but de détourner et tirer un profit indu de la réputation attachée à la marque.
L’Expert estime que le Requérant a fait la démonstration de la renommée de sa marque Baccarat, par les pièces produites aux débats ainsi que par les décisions antérieures d’autres Commissions administratives (Baccarat S.A. v. Travis H., Litige Ompi N° D2006-1657 ; Baccarat SA v. Web Domain Names, Litige Ompi N° D2006-0038 ; Baccarat SA v. MSL International, Inc, Litige Ompi N° D2005-0048 ; Baccarat SA v. SeriousNet, Litige Ompi N° D2003-0428).
Le Requérant rapporte encore que le Défendeur a explicitement admis avoir connaissance de la société Baccarat dans les observations écrites qu’il a présenté dans le cadre de la procédure d’opposition en cours devant l’Inpi et évoquée ci-avant.
Ces écritures n’ont pas été produites aux débats et l’Expert n’a donc pu en prendre connaissance.
Dans la mesure toutefois où l’existence et la véracité de ces écritures n’ont pas été contestées par le Défendeur dans le cadre de la présente procédure, l’Expert doit considérer l’affirmation fondée, mais estime qu’elle ne constitue qu’un élément parmi d’autres de nature à étayer la thèse selon laquelle l’enregistrement du nom de domaine a été effectué de mauvaise foi.
L’Expert retient encore des faits qui lui sont exposés que le Requérant a également déposé, en plus du nom de domaine incriminé, les noms de domaine « hermeschampagne.com » et « hermeschampagne.fr ».
L’Expert voit dans ce comportement une volonté manifeste pour le Défendeur de s’arroger des noms de domaine formés de marques françaises de bonne renommée du secteur des produits de luxe.
Il est difficilement imaginable que le Défendeur, ressortissant français, ait pu ignorer l’existence des droits privatifs attachés à une marque aussi connue que celle “Baccarat”.
L’enregistrement par ses soins de noms de domaine formés d’une autre marque notoire, “Hermès”, ne peut raisonnablement procéder d’une coïncidence et permet d’écarter le bénéfice du doute quant aux motivations du Défendeur : Masai S.A. v. Peter C., Litige Ompi N° D2007-0509.
L’Expert a donc la conviction que le Défendeur avait bien à l’esprit la marque du Requérant et était donc animé de mauvaise foi lors de l’enregistrement du nom de domaine contesté.
Austrian Airlines Österreichische Luftverkehrs AG c./ L. Nunenthal, Litige Ompi N° DFR2004-0003 : “au vu du caractère notoire du nom et de la marque “Austrian Airlines”, l’Expert estime difficilement concevable que le Défendeur ait pu ignorer, au jour de l’enregistrement du nom de domaine « austrianairlines.fr », que des tiers détenaient des droits sur le nom et/ou la marque “Austrian Airlines”.
Il est ainsi porté atteinte aux règles du comportement loyal en matière commerciale.
Les développements du Requérant sur l’atteinte portée par le Défendeur à l’Appellation d’Origine Contrôlée “Champagne” seront jugés inopérants par l’Expert, qui observe que le Requérant ne justifie d’aucun droit sur le nom “Champagne”. Or il n’appartient pas au Requérant d’invoquer les droits de tiers ou de se substituer à eux dans le cadre de la présente procédure.
Le Requérant produit enfin aux débats la preuve selon laquelle le nom de domaine contesté permet l’accès à un portail de liens subventionnés de sites consacrés à la promotion et à la vente de produits de cristallerie, au premier rang desquels celui de la société Swarovski, concurrent direct du Requérant.
La marque Baccarat du Requérant est notoirement utilisée et enregistrée notamment pour désigner de tels articles de cristallerie. La reprise et l’imitation de la marque enregistrée Baccarat du Requérant et son utilisation pour permettre au public d’être mis en relation avec des fabricants ou distributeurs de produits identiques ou similaires aux siens est un acte de contrefaçon de marque au sens des articles L.713-1 à L.713-3 et L.716-9 à L.716-11 du Code de la Propriété Intellectuelle.
Est ainsi réalisée une atteinte aux droits de propriété industrielle du Requérant protégés en France.
Selon le même raisonnement, l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine contesté dans les conditions décrites ci-dessus constituent des actes de concurrence déloyale du chef de détournement de nom commercial du Requérant et de recherche de confusion avec ses noms de domaine « baccarat.com » et « baccarat.fr » (exploités par le Requérant pour permettre l’accès par internet à son catalogue électronique de produits de cristallerie), sous le visa de l’article 1382 du Code Civil.
Crédit Industriel et Commercial (CIC) c./ Pneuboat Sud, Litige Ompi N° DFR2004-0005 : “le fait que le nom de domaine litigieux […] renvoie vers une page de parking sur laquelle figuraient de nombreux liens hypertexte, renvoyant eux-mêmes vers des sites internet de sociétés directement concurrentes ainsi que vers des sites de répertoires de sites de banque en ligne et de comparateurs de prix et de services, démontre la volonté du Défendeur d’induire en erreur l’internaute, qui peut penser, légitimement, accéder au site internet officiel du Requérant. Le fait de rediriger le nom de domaine vers une page de parking démontre également la volonté purement spéculative du Défendeur qui entendait tirer ainsi profit de la notoriété des marques du Requérant par le trafic ainsi généré.”
Est ainsi réalisée une atteinte aux règles de la concurrence.
Décision
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la radiation du nom de domaine « baccaratchampagne.fr ».
Expert : William Lobelson
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.