Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI Décision de l’expert 28 novembre 2005
Le 118 000 / Monsieur Michel B.
marques - nom de domaine
Le requérant est Le 118 000, France, représenté par Cabinet Bersay & Associés, France.
Le défendeur est Monsieur Michel B., Paris, France.
Nom de domaine et unité d’enregistrement
Le litige concerne le nom de domaine « 118000.fr ».
L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est AFNIC.
Rappel de la procédure
Conformément au Règlement sur la procédure alternative de résolution de litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci après désigné “le Règlement”), le Requérant a déposé une plainte auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci après désigné le “Centre”) reçue par le Centre sous forme électronique le 5 octobre 2005 et par courrier postal le 6 octobre 2005.
Le Centre a accusé réception de la plainte le 5 octobre 2005, et a adressé le même jour une requête à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (“l’AFNIC”) aux fins de vérification des éléments du litige et le gel des opérations. L’AFNIC a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 6 octobre 2005.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci après le ”Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci après la “Charte”).
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, le Centre a adressé en date du 13 octobre 2005 une notification de la plainte au Défendeur, valant ouverture de la présente procédure administrative. Faute de recevoir une réponse du Défendeur dans les délais impartis par le Règlement, le Centre a adressé le 3 novembre 2005 aux parties une notification d’un défaut du Défendeur.
En date du 10 novembre 2005, le Centre a nommé Martine Dehaut comme expert unique dans le présent litige. L’expert constatant qu’il a été désigné conformément au Règlement, a adressé au Centre une déclaration d’acceptation, et une déclaration d’impartialité et d’indépendance conformément à l’article 4 du Règlement.
Les faits
Les faits exposés ci après ont dûment été établis par le Requérant.
L’accès aux services de renseignements téléphoniques en France vient de faire l’objet d’une profonde mutation. En effet le Conseil d’Etat, par décision du 25 juin 2004 (n° 249300/249722), a enjoint l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ci après ARCEP) de mettre en place un système de numérotation harmonisé indispensable à une concurrence égale sur ce marché, en mettant notamment un terme au “12”, numéro historique des renseignements de France Télécom.
Suite à cette décision, l’ARCEP a mis en place un système de numérotation à 6 chiffres, commençant par 118, par lequel doivent être fournis tous les services de renseignements téléphoniques.
31 sociétés ont été retenues pour participer au tirage au sort des ordres de passage pour le choix des trois derniers chiffres, propres à chaque opérateur, le 14 juin 2005. La date retenue pour le lancement des services d’annuaires téléphonique a été fixée au 2 novembre 2005.
Le Requérant, la société Le 118 000 anciennement dénommée SCOOT FRANCE, a participé à deux tours et a choisi les extensions 002 et 000 pour ses prestations de services de renseignements téléphoniques (les numéros complets étant 118002 et 118000).
Par ailleurs la société SURT, dont le gérant est Monsieur Michel B., Défendeur à la présente plainte, a participé à un tour et a choisi l’extension 400 (soit 118400).
Dans la perspective de ce tirage au sort, les sociétés impliquées ont, pour la plupart, procédé à la réservation anticipée de plusieurs noms de domaine associant le numéro 118 et trois chiffres, choisis selon leurs préférences. Ces sociétés souhaitaient en effet pouvoir disposer de noms de domaines identiques aux numéros dont elles allaient essayer d’obtenir l’attribution, afin d’étendre leurs services d’annuaires sur support électronique.
Suite au tirage au sort, les sociétés impliquées se sont mutuellement restituées les noms de domaine correspondant aux numéros qu’elles avaient pu choisir. Ces transferts ont été consentis à titre gratuit, ou en contrepartie d’une somme symbolique.
Le Défendeur Monsieur Michel B., gérant de la société SURT, a refusé de transférer gratuitement au Requérant la titularité du nom de domaine 118000. Au contraire, il a demandé au Requérant de lui verser la somme de 40 000 Euros.
Comme a pu le constater l’Expert, le nom de domaine « 118000.fr » renvoie l’internaute sur le site “www.numerotel.fr”, lequel propose un service payant d’annuaire téléphonique inversé.
S’estimant dans l’incapacité d’offrir ses services d’annuaire électronique, et considérant que la réservation et l’exploitation du nom de domaine incriminé par le Défendeur pouvaient être qualifiés d’actes de concurrence déloyale et de détournement de clientèle, le Requérant a introduit la présente plainte.
Argumentation des parties
Requérant
Le Requérant fait valoir le préjudice qu’il subit en étant dans l’incapacité à étendre ses services, sur l’Internet, par le biais du nom de domaine « 118000.fr », sur lequel tenteront vraisemblablement d’accéder les internautes désireux de recourir à ses services électroniques. Ce préjudice serait conséquent compte tenu des investissements particulièrement importants consentis dans la perspective de l’ouverture de ses services, le 2 novembre 2005.
Le Requérant indique également que le montant demandé par le Défendeur pour la cession du nom de domaine litigieux 40.000 euros n’a pas été choisi par hasard. Cette somme correspond très exactement à la redevance annuelle que doivent verser les attributaires de numéros 118XYZ à l’ARCEP, dont la société SURT dont le Défendeur n’est autre que le gérant.
Le Requérant invoque une violation par le Défendeur des dispositions de l’article L.44 du Code des postes et des communications électroniques, lequel dispose notamment que “[l]’autorité veille à la bonne utilisation des préfixes, numéros, blocs de numéros et codes attribués. Ceux ci ne peuvent être protégés par un droit de propriété industrielle ou intellectuelle et ne peuvent faire l’objet d’un transfert qu’après accord de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes”.
Le Requérant invoque par ailleurs des actes flagrants de détournement de clientèle, susceptibles de porter atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale. En effet le site “www.118000.fr” redirige l’internaute vers un site directement concurrent et exploité par le Défendeur.
Pour justifier de ses droits sur l’élément objet de l’atteinte, le Requérant invoque l’existence de deux marques françaises 118000 n° 05 3 372 644 et Le 118000 n° 05 3 377 955, déposées au nom de la société Telegate, qui contrôle la société Le 118 000 à 100%. Ces marques ont été déposées les 27 juillet et 1 septembre 2005, soit postérieurement à la réservation du nom de domaine litigieux par le Défendeur.
Défendeur
Le Défendeur n’a pas présenté d’observations dans le cadre de la présente procédure.
Discussion et conclusions
Conformément aux dispositions de l’article 20 (c) du Règlement, “[l]’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.
En application de cette disposition, il appartient en premier lieu à l’expert de déterminer si, au regard du droit français, l’enregistrement ou l’usage du nom de domaine « 118000.fr » porte atteinte aux droits du Requérant. En second lieu, la mesure de réparation demandée étant le transfert du nom de domaine litigieux, l’expert doit s’assurer de l’existence des droits du Requérant sur l’élément objet de l’atteinte.
Atteinte aux droits du Requérant
Tant l’article 1 du Règlement que l’article 19 1) de la Charte définissent de manière non exhaustive l’atteinte aux “droits des tiers” comme une atteinte
– à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle);
– aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale;
– au droit au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne.
A titre liminaire, il convient de rappeler que l’Expert n’a pas à se prononcer, dans le cadre de la présente plainte, sur une éventuelle violation par le Défendeur de l’article L.44 du Code des postes et des communications électroniques lors de la réservation et de l’exploitation du nom de domaine litigieux. La procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique est spécifiquement réservée aux atteintes aux droits des tiers, et ne saurait dès lors s’étendre à une éventuelle violation des dispositions dudit code.
La réservation du nom de domaine « 118000.fr » par le Défendeur n’est, en soit, pas répréhensible, et ne constitue pas une atteinte aux règles de concurrence et au comportement loyal en matière commerciale. Comme l’a détaillé le Requérant dans la plainte, la plupart des intervenants au tirage au sort pour l’attribution des numéros ont réservé des noms de domaine correspondant aux chiffres qu’ils souhaitaient pouvoir choisir. De tels agissements avaient vraisemblablement pour objectif d’éviter tout piratage suite au tirage au sort, et le Défendeur est l’un des attributaires des numéros de renseignements téléphoniques.
En revanche, l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur porte clairement atteinte aux règles de concurrence ainsi qu’aux règles du comportement loyal en matière commerciale. En effet, la redirection des internautes accédant au site “www.118000.fr”, sur un site exploité par la société dont le Défendeur est le gérant, et fournissant des services identiques, constitue un détournement de clientèle. L’internaute accédant au site “www.118000.fr” peut légitimement s’attendre à se voir offrir les services de l’attributaire de ce numéro, qui n’est autre que le Requérant. De même, l’internaute ignore totalement que le site “www.numerotel.fr”, vers lequel il est dirigé, est exploité par une société autre que le Requérant.
Par ailleurs, l’attitude du Défendeur est déloyale dans la mesure où la somme de 40 000 euros exigée pour le transfert du nom de domaine « 118000.fr », dont il doit pertinemment savoir qu’il ne va pas pouvoir l’exploiter sans porter préjudice au requérant, et dont l’on sait qu’elle correspond à la redevance annuelle qui doit être versée à l’ARCEP par les attributaires de numéros de renseignement, est largement injustifiée et indue, Monsieur B. n’ayant aucun titre légitime pour prétendre au paiement de cette somme.
Contrairement aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine génériques, la reconnaissance du bien fondé d’une plainte introduite dans le cadre de la Procédure alternative de résolution de litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique n’implique pas l’existence d’une atteinte aux droits des tiers lors de la réservation et de l’exploitation du nom de domaine litigieux. En l’espèce, quand bien même le nom de domaine litigieux a été réservé sans porter atteinte aux droits du Requérant, son utilisation, en revanche, cause un préjudice important au Requérant, et justifie la reconnaissance du bien fondé de la plainte.
Droits du Requérant sur l’élément objet de l’atteinte
Le Requérant a prouvé l’existence de deux demandes de marques françaises portant sur les signes 118 000, et LE 118 000, déposées au nom de la société TELEGATE dont elle est la filiale à 100%. Ces marques ont été déposées après la réservation du nom de domaine litigieux, et ne sont pas encore enregistrées.
Le Règlement sur la PARL par décision technique n’impose nullement que les droits du Requérant sur l’élément objet de l’atteinte soient antérieurs à la réservation du nom de domaine litigieux, ou soient enregistrés avant l’introduction de la plainte. L’existence de droits du Requérant sur l’élément objet de l’atteinte est un critère purement objectif, qui ne s’inscrit pas dans une logique de comparaison chronologique avec les éventuels droits du Défendeur, ou avec la date de réservation du nom de domaine litigieux.
L’Expert note, en revanche, que les droits de marque invoqués n’ont pas été déposés par le Requérant, mais par la société TELEGATE, dont elle est la filiale. Peut on considérer, aux fins d’application de l’article 20 (c) du Règlement, que “le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de [l’]atteinte”? Il est permis d’en douter, puisqu’en dépit de leurs liens, ces sociétés sont des entités juridiques distinctes.
Cela étant, le Requérant a justifié avoir des droits sur le signe 118 000 à titre de dénomination sociale, comme le démontre l’extrait K Bis joint à la plainte. Peu importe, à cet égard, que cette dénomination sociale ait été expressément invoquée ou non par le Requérant pour justifier de ses droits sur l’élément objet de l’atteinte.
Partant, il y a lieu de considérer que le Requérant a bien des droits sur l’élément objet de l’atteinte.
Le Requérant est ainsi fondé à solliciter la transmission à son profit du nom de domaine litigieux, en conformité avec les dispositions de la Charte.
Décision
L’utilisation du nom de domaine « 118000.fr » constitue une atteinte aux règles de la concurrence et au comportement loyal dans le commerce. Le Requérant justifie par ailleurs être titulaire de droits à titre de dénomination sociale sur le signe “118000”.
Dans ces conditions, et en application de l’article 20 c) du Règlement, l’Expert ordonne le transfert du nom de domaine « 118000.fr » au profit de la société Le 118 000.
Expert Unique : Martine Dehaut
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.