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Jurisprudence : Marques

mercredi 09 août 2006
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Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI Décision de l’expert 29 mars 2006

La Française des Jeux / Réponses.fr

marques - nom de domaine

Les parties

Le Requérant est La Française des Jeux, Boulogne Billancourt, France, représentée par INLEX Conseil, Paris, France.

Le Défendeur est Réponses.fr, Saint Gaudens, France.

Noms de domaine et l’unité d’enregistrement

Le litige concerne les noms de domaine « loto-sms.fr », « lotosms.fr », « loto-gratuit.fr », et « lotogratuit.fr », enregistrés le 21 mars 2005.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle les noms de domaine sont enregistrés est l’Afnic.

Rappel de la procédure

Une plainte déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci après désigné le “Centre”) a été reçue le 29 décembre 2005, par courrier électronique et le 3 janvier 2006, par courrier postal.

Le 3 janvier 2006, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le même jour, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci après la “Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la plainte, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 5 janvier 2006. Avec l’accord préalable du Requérant, le délai pour répondre, initialement fixé au 25 janvier 2006, a été reporté au 24 février 2005. Le 27 février 2006, le Centre recevait, par voie électronique, la Réponse du Défendeur.

Le 14 mars 2006, le Centre nommait Isabelle Leroux comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

Les faits

Le Requérant, la société Française des Jeux, a créé en 1976, un jeu intitulé LOTO.

Le Requérant justifie être titulaire des marques enregistrées françaises suivantes :

– Marque LOTO n° 3 233275 déposée le 26 juin 2003, pour désigner des produits et services, relevant des classes 1 à 45, en ce compris “l’organisation de concours, de tombolas, de tirage au sort à buts de divertissements, à buts éducatifs ou culturels, organisation de loteries n’étant pas en relation avec le loto traditionnel, de paris, de pronostics” ;

– Marque LOTO n° 3 158601 déposée le 10 avril 2002 pour désigner des produits et services relevant des classes 9, 16, 35, 38 et 41 Marque semi-figurative LOTO FOOT n° 97/691913 déposée le 18 août 1997, pour désigner des produits et services relevant des classes 9, 16, 18, 25, 28 et 41 ;

– Marque semi-figurative LOTO SPORTIF n° 1.302.052 déposée le 12 mars 1985, pour désigner des produits et services relevant des classes 9, 16, 28, 38 et 41

– Marque LOTO SPORTIF n° 1.735.225 du 12 mars 1985, pour désigner des produits et services relevant des classes 9, 16, 28, 38 et 41 ;

– Marque LOTO n° 1.435.425 du 22 avril 1983, pour désigner des produits et services relevant des classes 1 à 45.

Le Requérant est également titulaire des noms de domaine suivants :

– loto.fr
– loto.tm.fr
– loto.tv
– lotophone.fr
– lotophone.tv
– loto-foot.fr
– loto-france.com
– loto-france.net
– loto-france.tv
– loto-sportif.tm.fr
– loto-surprizz.com
– loto-surprizz.fr
– lotosportif.fr
– lotosurprizz.com
– lotosurprizz.fr
– lotoeuropeen.fr
– lotonational.fr

Le Défendeur est la société Réponse.fr.

Le Défendeur a enregistré les noms de domaine « loto-sms.fr », « lotosms.fr », « loto- gratuit.fr » et « lotogratuit.fr » le 21 mars 2005.

L’un de ces noms de domaine, « loto-sms.fr », renvoyait dans un premier temps vers un site internet contenant des liens hypertextes ayant pour objet de promouvoir des jeux de hasard.

Par courrier recommandé du 14 juin 2005, le Requérant a mis en demeure le Défendeur de cesser l’utilisation des noms de domaine et de procéder à l’abandon immédiat ou la rétrocession de ceux ci à son profit. Le Défendeur n’ayant pas répondu à ce courrier, le Requérant a adressé une seconde lettre de mise en demeure, le 1er juillet 2005.

Par courrier en date du 11 juillet 2005, le Défendeur répondait au Requérant que les enregistrements ne constituaient ni des actes de contrefaçon, ni des actes de parasitisme. Le Défendeur faisait notamment valoir que les jeux proposés à partir des sites www.lotosms.fr et www.loto-sms.fr étaient sans rapport avec ceux proposés par le Requérant, ces jeux étant gratuits, sans obligation d’achat, basés sur une technologie de SMS et un tirage informatique aléatoire. Dans ce même courrier, le Défendeur indiquait, compte tenu du différend, qu’il décidait “d’arrêter temporairement la production des sites”.

Le 4 août 2005, le Requérant adressait un nouveau courrier au Défendeur, courrier aux termes duquel il réitérait ses demandes, à savoir l’abandon ou la rétrocession des noms de domaine litigieux dans un délai imparti.

Par courrier en date du 17 août 2005, le Défendeur confirmait que ses activités étaient sans rapport avec celles du Requérant.

C’est dans ces conditions que le Centre a été saisi du présent litige.

Argumentation des parties

Requérant

Le Requérant indique en premier lieu être titulaire de droits de marque sur la dénomination LOTO.

Par ailleurs, le Requérant précise que les tribunaux français ont, à plusieurs reprises, reconnu la notoriété de la marque LOTO.

L’enregistrement ou l’utilisation des noms de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits du Requérant, pour les raisons suivantes :

– Les noms de domaine sont identiques ou à tout le moins similaires à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits, au point de prêter à confusion. Et l’adjonction de termes génériques à la marque du Défendeur, tels que “gratuit” ou “sms”, n’est pas de nature à écarter la confusion entre les noms de domaine et la marque.

– Les noms de domaine litigieux sont similaires aux noms de domaine sur lesquels le Requérant a des droits au point de prêter confusion.

– Le Défendeur ne bénéficie d’aucun droit sur ces dénominations et ne saurait raisonnablement ignorer l’existence du Requérant qui jouit d’une renommée sur l’ensemble du territoire français.

– Les internautes peuvent croire qu’il s’agit de noms de domaine redirigeant vers le site du Requérant, à tout le moins vers un site sur le LOTO. Dès lors, il existe un risque certain que les internautes voient un lien entre les noms de domaine du Défendeur et le Requérant.

Par ailleurs, le Requérant invoque le fait que les noms de domaine ont été enregistrés et utilisés de mauvaise foi.

Cela résulte tout d’abord de l’absence de droits du Défendeur sur le terme LOTO, et du fait que ce dernier ne pouvait ignorer l’existence de la marque LOTO, en raison de sa notoriété. Le Défendeur a ainsi entendu profiter de la notoriété de la marque LOTO pour développer son activité commerciale et générer du trafic sur son site internet au détriment de la Française des Jeux.

Selon le Requérant, la mauvaise foi résulte également du fait que le Défendeur a sciemment tenté d’attirer à des fins lucratives, sur un site web dont le contenu est interdit en France, les utilisateurs de l’Internet désireux de se renseigner sur le jeu commercialisé sous la marque LOTO de la Française des Jeux.

Sur ces fondements, le Requérant demande la transmission des noms de domaine.

Défendeur

Par courrier en date du 14 juin 2005 et du 17 août 2005, le Défendeur fait valoir que l’enregistrement des noms de domaine litigieux n’est pas constitutif d’actes de contrefaçon ou de parasitisme. En effet, selon le Défendeur, les jeux, loteries et tombolas proposés à partir de ses sites sont sans obligation d’achat, et n’ont aucun rapport avec le loto national, jeu à 49 boules.

Toutefois, compte tenu du différend l’opposant au Requérant, le Défendeur a pris l’initiative de cesser toute exploitation des noms de domaine litigieux, et ce à compter du 11 juillet 2005.

Selon le Défendeur, la marque du Requérant n’est pas distinctive et, par conséquent, est entachée de nullité absolue. En effet, selon ce dernier, le loto est un nom commun, qui appartient au domaine public et ne peut pas être approprié pour utiliser des activités de loteries. Le Défendeur indique que cette position est celle adoptée par les tribunaux français (Cour d’appel Versailles, 22 mars 2001).

Selon le Défendeur, la dénomination LOTO étant un nom commun appartenant au domaine public, le Requérant ne peut donc invoquer un intérêt légitime quant à la détention de ces noms de domaine.

Le Défendeur précise également que ces noms de domaine ne sont pas une reprise servile de la marque LOTO, celui-ci ayant ajouté les termes “SMS” et “Gratuit”. En effet, les noms de domaine litigieux forment un tout indivisible, de sorte qu’il faut retenir l’impression d’ensemble, et ne pas se contenter de relever la reproduction d’un terme. Dès lors, il ne peut en résulter aucun risque de confusion.

Enfin, le Défendeur ne tente pas de détourner la clientèle du Requérant, les services offerts étant différents. En effet, l’activité du Requérant concerne une loterie nationale payante, basée sur un tirage au sort de 7 boules parmi 49, alors que l’activité du Défendeur est de présenter à travers ses sites des loteries, jeux, tombolas, divertissements gratuits, basés sur une technologie SMS.

Dans ces conditions, le Défendeur sollicite donc le rejet de la demande de transfert des noms de domaine, celle-ci n’étant pas fondée la dénomination “LOTO”, étant un nom commun, appartenant au domaine public.

Discussion

L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et une utilisation des noms de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite en conséquence leur transmission à son profit.

L’Expert rappelle que, conformément à l’article 20(c) du Règlement, “il fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

L’Expert rappelle également que l’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux droits des tiers, au titre de la Charte, une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et au droit au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne”.

En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les parties, si l’enregistrement et/ou l’utilisation des noms de domaine litigieux portent atteinte aux droits de tiers, le Requérant pouvant solliciter la transmission de ces noms de domaine à son profit s’il justifie de droits sur ces noms de domaine.

Enregistrement des noms de domaine litigieux

L’Expert constate que les noms de domaine litigieux constituent l’imitation des marques et noms de domaine dont le Requérant est titulaire et/ou dont il fait un usage public. En effet, la seule adjonction des termes “SMS” ou “Gratuit”, au sein des noms de domaine litigieux n’est pas de nature à écarter tout risque de confusion avec les marques et noms de domaine exploités par le Requérant.

L’Expert constate que le Défendeur ne justifie pas détenir de droits antérieurs l’autorisant à enregistrer les noms de domaine litigieux.

Par ailleurs, la notoriété du Requérant a été reconnue, à plusieurs reprises, par les Tribunaux français, la dernière décision communiquée par le Requérant étant datée du 14 novembre 1997. Par conséquent, le Défendeur, domicilié en France, ne pouvait sérieusement ignorer l’existence tant du jeu “LOTO” que du Requérant.

Toutefois, l’Expert constate que les pièces versées aux débats par le Défendeur démontrent que la validité de ces marques est sérieusement contestable (CA Versailles, 22 mars 2001).

Au surplus, l’Expert constate que le Requérant a sciemment omis de faire état de décisions récentes ayant invalidé la validité de certaines marques “LOTO” pourtant revendiquées dans le cadre de la présente procédure. Ainsi, les recherches de l’Expert ont révélé l’existence d’un arrêt de la Cour de cassation, en date du 28 avril 2004, qui a confirmé la nullité des marques “LOTO” n° 1 435 425 et “LOTO SPORTIF” n° 1 735 225, pour désigner des “jeux et jouets” et des “loteries”, ces dernières n’ayant pas acquis par l’usage le caractère distinctif requis au sens de l’article L. 711-2 du Code de la Propriété Intellectuelle.

Néanmoins, si la nullité de ces deux marques a été prononcée par la Cour de cassation pour les services désignés, l’Expert n’a pas le pouvoir d’étendre les effets de cette décision à l’ensemble des marques détenues par le Requérant et versées aux débats dans la procédure.

Faute pour le Défendeur de rapporter la preuve de la nullité de toutes les marques invoquées par le Requérant, l’Expert se voit contraint de considérer les titres encore valables comme tel, seul un Tribunal pouvant en prononcer la nullité.

Il ressort par ailleurs de l’ensemble des pièces versées au dossier et notamment des extraits de sites Internet, accessibles à partir du nom de domaine « loto-sms.fr », que les enregistrements des noms de domaine litigieux n’ont été effectués que dans le seul but de tirer profit, indûment, de la notoriété du Requérant, le Défendeur espérant ainsi pouvoir bénéficier du trafic engendré par les connexions aux noms de domaine litigieux. En effet, les noms de domaine litigieux, étaient initialement dirigés vers des sites ayant pour objet la promotion de jeux de hasard.

En conséquence, l’Expert considère que l’enregistrement des noms de domaine litigieux par le Défendeur est intervenu tout à la fois en violation des droits du Requérant sur les marques dont il est titulaire et en violation du principe de loyauté dans les relations commerciales.

Utilisation des noms de domaine en violation des droits des tiers

Le fait pour le Défendeur de diriger au moins un nom de domaine, à savoir, « loto sms.fr » vers un site Internet ayant pour objet de promouvoir des jeux de hasard démontre que le Défendeur a entendu faire une exploitation lucrative des noms de domaine enregistrés.

Par ailleurs, le fait que le nom de domaine « loto-sms.fr », avant que le Défendeur ne soit pour la première fois mis en demeure par le Requérant de cesser tout usage et de le transférer, renvoie vers une page faisant principalement la promotion de jeux de hasard et de casinos, démontre la volonté du Défendeur d’induire en erreur l’Internaute, qui peut penser, légitimement, accéder au site Internet officiel du Requérant.

En effet, ce dernier pourrait être amené à croire que la Française des Jeux communique les résultats de son jeu LOTO par voie de SMS.

Le Défendeur a donc ainsi entendu tirer profit de la notoriété des marques du Requérant, ainsi que du jeu exploité par ce dernier.

En conséquence, l’Expert considère que l’utilisation des noms de domaine litigieux par le Défendeur est intervenue tout à la fois en violation des droits du Requérant sur les marques dont il est titulaire, et en violation du principe de loyauté dans les relations commerciales.

Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant des noms de domaine « loto-sms.fr », « lotosms.fr », « loto gratuit.fr » et « lotogratuit.fr ».

Expert unique : Isabelle LEROUX

 
 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.