Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert 4 août 2008
La Française des Jeux / André D.
marques
Les parties
Le Requérant est La Française des Jeux, Boulogne-Billancourt, France, représenté par Inlex IP Expertise, Paris, France.
Le Défendeur est André D., Aix-en-Provence, France.
Nom de domaine et prestataire internet
Le litige concerne les noms de domaine « loto-mobile.fr » enregistré le 2 octobre 2007, « lotomobile.fr » enregistré le 4 octobre 2007, « lotobut.fr », « lotolove.fr », « lotomaison.fr », « lotosport.fr », « lototal.fr », « lototem.fr », enregistrés le 31 octobre 2007, « lotobeaute.fr », « lotochien.fr », « lotocine.fr », « lotofamille.fr », « lotofood.fr », « lotoforme.fr », « lotogenik.fr », « lotoloisirs.fr », « lotometeo.fr », « lotomode.fr », « lotonus.fr », « lotopaze.fr », « lotoroscope.fr », « lotostress.fr », « lototoit.fr », « lotovacances.fr », « lotozen.fr », « lotochat.fr », enregistrés le 7 novembre 2007 et « lotonic.fr », enregistré le 13 novembre 2007.
Le prestataire internet est la société Nameshield, Angers, France.
Rappel de la procédure
Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 10 avril 2008, par courrier électronique et le 14 avril 2008, par courrier postal.
Le 11 avril 2008, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
Le 14 avril 2008, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 17 avril 2008. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application et après avoir autorisé une extension de temps, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 6 juillet 2008. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 4 juillet 2008, par courrier électronique et le 11 juillet 2008, par courrier postal.
Le 22 juillet 2008, le Centre nommait Christophe Caron comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.
Le 29 juillet 2008, le Requérant a fait parvenir au Centre et directement à l’Expert un document additionnel. Le 31 juillet 2008, le Défendeur a indiqué au Centre que ce document additionnel ne respectait pas le principe du contradictoire.
L’Expert, qui n’a pas sollicité ce document additionnel, comme le lui permettait pourtant l’article 17(c) du Règlement, observe qu’il doit, en application de l’article 17(a) du Règlement, veiller à ce que les parties soient traitées de manière égale. Or, le Défendeur n’a pas pu répondre au document additionnel non sollicité présenté par le Requérant. C’est pourquoi l’Expert décide de ne pas prendre en considération ce document additionnel.
Les faits
Le Requérant est La Française des Jeux, société anonyme d’économie mixte de droit français, qui a comme activité l’organisation de jeux de hasard et d’argent, et qui s’occupe plus particulièrement de la loterie payante très connue sous l’abréviation de ‘loto’. Il bénéficie d’un monopole d’exploitation conféré par l’Etat.
Le Requérant prouve qu’il est titulaire de nombreuses marques verbales et figuratives qui reprennent le terme ‘loto’ seul ou en le combinant à un autre terme.
Parmi ces signes figurent les marques suivantes :
– Loto n° 1435425 déposée le 23 avril 1983 en classe 1 à 42
– Lotophone n° 1394262 déposée le 8 janvier 1987 en classes 35, 36, 38, 39 et 41
– Loto n° 99782889 déposée le 25 mars 1999 en classe 1 à 42
– Loto n° 99782890 déposée le 25 mars 1999 en classe 1 à 42
– Loto Surprizz n° 02 3178019 déposée le 2 août 2002 en classes 9, 16, 28 et 41
– Super Loto n° 95603714 déposée le 29 décembre 1995 en classes 16, 28 et 41
– Loto n° 02 3158601 déposée le 10 avril 2002 en classes 9, 16, 35, 38 et 41
– Loto n° 03 3233275 déposée le 26 juin 2003 en classes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 16, 18, 19, 20, 21, 22, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 44 et 45
Le Requérant prouve également que les marques Loto sont notoires car connues d’une très large fraction du public français comme l’atteste notamment un sondage. Il considère également que ses marques sont distinctives, et non génériques, pour désigner des produits et services, dans le domaine du jeu, qui visent des jeux de hasard autre que celui de la loterie traditionnelle.
Le Requérant est aussi titulaire de très nombreux noms de domaine qui sont composés du seul terme ‘loto’ (« loto.eu », « loto.fr », etc.) ou du terme ‘loto’ associé à un autre mot.
Le Requérant a constaté que les noms de domaine « loto-mobile.fr », « lotomobile.fr », « lotobut.fr », « lotolove.fr », « lotomaison.fr », « lotosport.fr », « lototal.fr », « lototem.fr », « lotobeaute.fr », « lotochien.fr », « lotocine.fr », « lotofamille.fr », « lotofood.fr », « lotoforme.fr », « lotogenik.fr », « lotoloisirs.fr », « lotometeo.fr », « lotomode.fr », « lotonus.fr », « lotopaze.fr », « lotoroscope.fr », « lotostress.fr », « lototoit.fr », « lotovacances.fr », « lotozen.fr », « lotochat.fr » et « lotonic.fr », qui reproduisent tous le terme ‘loto’, dirigeaient les internautes vers une page d’attente du bureau d’enregistrement Nameshield, ce qui a été constaté par constat d’huissier en date du 14 novembre 2007.
Après avoir identifié le Défendeur, le Requérant a demandé la radiation des noms de domaine en arguant qu’ils contrefaisaient ses droits de marque antérieurs et portaient atteinte à sa notoriété. Suite à différents échanges infructueux entre le Défendeur et le Requérant, le Défendeur a refusé de transmettre les noms de domaine litigieux car il estime être “dans son bon droit”, tout en indiquant ne pas avoir l’intention de développer une activité concurrente de celle du Requérant.
Le Requérant a alors décidé de saisir le Centre afin d’obtenir le transfert à son profit de tous les noms de domaine litigieux.
Argumentation des parties
Requérant
Le Requérant souligne que le Défendeur ne détient aucun droit de marque sur la dénomination ‘loto’ et qu’il ne bénéficie pas davantage d’un droit au nom, de dénomination sociale, de nom commercial ou d’enseigne sur cette expression. Il souligne également qu’il n’a jamais autorisé le Défendeur à utiliser la dénomination ‘loto’, y compris en l’associant à d’autres mots.
Le Requérant considère que l’adjonction de différents termes génériques au mot ‘loto’ (beauté, but, chat, chien, ciné, famille, food, forme, genik, loisirs, love, maison, météo, mode, sport, stress, toit, vacances, zen, mobile) ou d’un suffixe qui permet de former avec la dénomination ‘loto’ un terme générique (to-nic, to-nus, to-paze, o-roscope, to-tal, to-tem) ne peut que susciter un risque de confusion chez les internautes. En effet, le Requérant estime que les internautes y verront des déclinaisons de sa marque Loto.
Le Requérant souligne également que le Défendeur est de mauvaise foi car il ne pouvait pas ignorer la notoriété de la marque Loto en France, d’autant plus que des transactions étaient déjà intervenues entre les parties dans le passé.
Le Requérant indique enfin que les noms de domaine ne sont pas exploités, ce qui prouve l’absence d’intérêt légitime du Défendeur.
C’est pourquoi le Requérant sollicite la transmission à son profit de l’ensemble des noms de domaine litigieux.
Défendeur
Le Défendeur indique avoir procédé à l’enregistrement de l’ensemble des noms de domaine litigieux après avoir vérifié leur disponibilité auprès de plusieurs sources. Il souligne que ces enregistrements ont été motivés par sa longue expérience dans le secteur du marketing et de la communication et qu’ils sont sécurisés par la loi et la jurisprudence.
Le Défendeur souhaite utiliser éventuellement ces noms de domaine comme des outils de promotion des ventes en organisant des loteries promotionnelles sans pour autant se placer dans le sillage des activités de la Française des Jeux.
Le Défendeur développe également des arguments pour souligner le caractère descriptif de la marque Loto. Il considère aussi qu’il n’existe pas de risque de confusion entre ses noms de domaine et les marques du Requérant puisque les sites internet ne sont pas exploités.
Enfin, il indique que l’enregistrement des noms de domaine litigieux n’a pas été réalisé de mauvaise foi.
C’est pourquoi le Défendeur demande que les noms de domaine litigieux ne soient pas transférés au Requérant.
Discussion
L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et l’utilisation des noms de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite, en conséquence, la transmission des noms de domaine à son profit.
L’Expert rappelle que, conformément à l’article 20(c) du Règlement : “Il fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers tels que définis à l’article 1 du présent Règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément, objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte.”
L’Expert rappelle également que l’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux droits des tiers”, au titre de la Charte, “une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et aux droits au nom, au prénom et au pseudonyme d’une personne”.
En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les parties, si l’enregistrement et l’utilisation des noms de domaine litigieux portaient atteinte aux droits du Requérant et, le Requérant sollicitant la transmission des noms de domaine à son profit, s’il justifiait de droits sur ces noms de domaine.
(i) Enregistrement du nom de domaine litigieux
Le Requérant justifie de l’existence de ses nombreux droits de marque sur le terme ‘loto’ seul ou associé à d’autres mots afin de désigner des jeux de hasard. Si la validité de certaines de ses marques a pu être discutée devant les juridictions nationales françaises, il n’appartient pas à l’Expert de porter une appréciation sur la distinctivité de ces signes. En revanche, l’Expert ne peut que constater que, au jour où il statue, le Requérant est propriétaire de plusieurs marques notoires qui sont valables, faute d’avoir été préalablement annulées, et donc opposables à tous, y compris au Défendeur.
Les noms de domaine litigieux « loto-mobile.fr », « lotomobile.fr », « lotobut.fr », « lotolove.fr », « lotomaison.fr », « lotosport.fr », « lototal.fr », « lototem.fr », « lotobeaute.fr », « lotochien.fr », « lotocine.fr », « lotofamille.fr », « lotofood.fr », « lotoforme.fr », « lotogenik.fr », « lotoloisirs.fr », « lotometeo.fr », « lotomode.fr », « lotonus.fr », « lotopaze.fr », « lotoroscope.fr », « lotostress.fr », « lototoit.fr », « lotovacances.fr », « lotozen.fr », « lotochat.fr » et « lotonic.fr » commencent tous par le terme ‘loto’ auquel est associé un autre mot ou un suffixe. Il en résulte que le terme ‘loto’, sur lequel le Requérant a des droits de propriété intellectuelle, est fortement mis en valeur. Et il est constant que le Requérant associe également lui-même le terme ‘loto’ à un autre mot. Il en résulte que les internautes ne peuvent que subir un risque de confusion entre les noms de domaine litigieux et les activités du Requérant, ce qui cause un préjudice à ce dernier. Par ailleurs, ce risque de confusion est accentué par la notoriété du terme ‘loto’ dans l’esprit du public qui ne pourra que considérer qu’un nom de domaine mettant en exergue ce mot est lié aux produits et services visés par les nombreuses marques du Requérant.
De surcroît, il appartient à toute personne qui enregistre des noms de domaine d’adopter un comportement loyal en matière commerciale qui postule de ne pas porter atteinte aux droits des tiers, ni de profiter de leur notoriété. Or, il apparaît que, en enregistrant les noms de domaine litigieux, le Défendeur s’est sciemment placé dans le sillage du Requérant afin de pouvoir, le cas échéant, bénéficier de sa notoriété.
Enfin, le Défendeur ne prouve pas avoir des droits ou un intérêt légitime qui pourrait justifier l’enregistrement des noms de domaine litigieux. Il lui appartenait donc de choisir d’enregistrer des noms de domaine, pour développer ses activités, qui ne portaient pas atteinte aux droits d’autrui, ni ne méconnaissait le comportement loyal en matière commerciale qui s’impose à tout acteur économique, y compris sur le réseau internet.
Il résulte de ce qui précède que l’Expert considère que l’enregistrement des noms de domaine « loto-mobile.fr », « lotomobile.fr », « lotobut.fr », « lotolove.fr », « lotomaison.fr », « lotosport.fr », « lototal.fr », « lototem.fr », « lotobeaute.fr », « lotochien.fr », « lotocine.fr », « lotofamille.fr », « lotofood.fr », « lotoforme.fr », « lotogenik.fr », « lotoloisirs.fr », « lotometeo.fr », « lotomode.fr », « lotonus.fr », « lotopaze.fr », « lotoroscope.fr », « lotostress.fr », « lototoit.fr », « lotovacances.fr », « lotozen.fr », « lotochat.fr » et « lotonic.fr » porte atteinte aux droits du Requérant.
(ii) Utilisation du nom de domaine en violation des droits des tiers
Si les noms de domaine litigieux ne font pas l’objet d’une exploitation causant un préjudice important au Requérant puisqu’ils renvoient à une page d’attente du bureau d’enregistrement, il n’en demeure pas moins que cela contribue à prouver l’absence d’intérêt légitime du Défendeur à utiliser ces noms de domaine. De plus, étant donné que les droits sur les marques relèvent du droit de propriété, toute atteinte, même non suivie d’une exploitation significative, suffit à violer les droits réels du Requérant sur ses signes.
Il en résulte que l’utilisation de noms de domaine imitant les expressions sur lesquels le Requérant a des droits de propriété intellectuelle, de façon à engendrer un risque de confusion dans l’esprit des internautes, suffit à violer ses droits, y compris si les noms de domaine litigieux renvoient vers des pages d’attente.
Il résulte de ce qui précède que l’Expert considère que l’utilisation des noms de domaine « loto-mobile.fr », « lotomobile.fr », « lotobut.fr », « lotolove.fr », « lotomaison.fr », « lotosport.fr », « lototal.fr », « lototem.fr », « lotobeaute.fr », « lotochien.fr », « lotocine.fr », « lotofamille.fr », « lotofood.fr », « lotoforme.fr », « lotogenik.fr », « lotoloisirs.fr », « lotometeo.fr », « lotomode.fr », « lotonus.fr », « lotopaze.fr », « lotoroscope.fr », « lotostress.fr », « lototoit.fr », « lotovacances.fr », « lotozen.fr », « lotochat.fr » et « lotonic.fr » porte atteinte aux droits du Requérant.
Décision
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant des noms de domaine « loto-mobile.fr », « lotomobile.fr », « lotobut.fr », « lotolove.fr », « lotomaison.fr », « lotosport.fr », « lototal.fr », « lototem.fr », « lotobeaute.fr », « lotochien.fr », « lotocine.fr », « lotofamille.fr », « lotofood.fr », « lotoforme.fr », « lotogenik.fr », « lotoloisirs.fr », « lotometeo.fr », « lotomode.fr », « lotonus.fr », « lotopaze.fr », « lotoroscope.fr », « lotostress.fr », « lototoit.fr », « lotovacances.fr », « lotozen.fr », « lotochat.fr » et « lotonic.fr ».
Expert : Christophe Caron
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.