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Jurisprudence : Marques

mardi 21 octobre 2008
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Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert 7 octobre 2008

Association professionnelle de la Cosmétique Ecologique et Biologique (“Cosmebio”) / Netvalley Tv Biocosmeo Sas

marques - nom de domaine

Les parties

La Requérante est l’Association Professionnelle de la Cosmétique Ecologique et Biologique (“Cosmebio”), Valence, France, représentée par le Cabinet Plasseraud, France.

La Défenderesse est la société Netvalley Tv Biocosmeo Sas, Aigues Mortes, France.

Nom de domaine et prestataire internet

Le litige concerne le nom de domaine « cosmebio.fr » enregistré le 25 mars 2005.

Le prestataire internet est la société Indom, Paris, France.

Rappel de la procédure

Une demande déposée par la Requérante auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci‑après désigné le “Centre”) a été reçue le 31 juillet 2008, par courrier électronique et le 4 août 2008, par courrier postal.

Le 1er août 2008, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage internet en Coopération (ci‑après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 1er août 2008, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.

Le 5 août 2008, le Centre a adressé à la Requérante une notification d’irrégularité de sa demande.

La demande amendée déposée par la Requérante auprès du Centre a été reçue le 8 août 2008 par courrier électronique et le 13 août 2008 par courrier postal.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic applicable (ci‑après la “Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée à la Défenderesse le 18 août 2008. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 7 septembre 2008. La Défenderesse a fait parvenir sa réponse le 6 septembre 2008.

Le 23 septembre 2008, le Centre nommait Christiane Féral-Schuhl comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

Les faits

La Requérante, l’Association Professionnelle de la Cosmétique Ecologique et Biologique (“Cosmebio”), est une association “loi 1901” qui a pour objet de regrouper des professionnels engagés dans le développement d’une cosmétique basée sur une démarche écologique et l’utilisation d’ingrédients naturels issus le plus possible de l’agriculture biologique.

La Requérante justifie avoir réservé les noms de domaine « cosmebio.org » et « cosmebio.com » depuis le 4 avril 2002. Elle exploite les sites internet “www.cosmebio.org” et “www.cosmebio.com” pour présenter son activité aux professionnels et aux consommateurs ainsi que pour présenter des produits cosmétiques respectant les critères de sélection qu’elle a élaborés.

La Requérante justifie également être titulaire des marques suivantes :

– la marque française Eco Cosmetique Charte Cosmebio (semi-figurative) n° 3 152 638 déposée le 11 mars 2002 auprès de l’Inpi pour des produits de classes 3, 5 et 44 ;

– la marque française Cosmebio n° 3 152 639 déposée le 11 mars 2002 auprès de l’Inpi pour des produits de classes 3, 5 et 44 ;

– la marque française Bio Cosmetique Charte Cosmebio (semi-figurative) n° 3 152 640, déposée le 11 mars 2002 auprès de l’Inpi pour des produits de classes 3, 5 et 44.

La Défenderesse, la société Netvalley Tv Biocosmeo, exploite l’enseigne Biocosmeo pour la vente de produits cosmétiques, écologiques et biologiques.

La Défenderesse indique être titulaire des noms de domaine « biocosmeo.fr » et « biocosmeo.com » depuis le 24 mars 2005. Elle exploite les sites internet “www.biocosmeo.fr” et “www.biocosmeo.com” afin de présenter les produits cosmétiques biologiques et écologiques de marque Druide, dont la Défenderesse indique assurer la distribution exclusive auprès des professionnels, en France.

Le 25 mars 2005, la Défenderesse a également enregistré le nom de domaine « cosmebio.fr ».

Par courrier recommandé avec demande d’accusé de réception en date du 18 juin 2007, la Requérante a mis en demeure la Défenderesse, notamment, de lui transférer sans contrepartie la titularité du nom de domaine « cosmebio.fr ».

Par courrier recommandé avec demande d’accusé de réception en date du 21 juin 2007, la Défenderesse s’est expliquée sur l’enregistrement par ses soins du nom de domaine « cosmebio.fr » et n’a pas donné de suite favorable à la mise en demeure de la Requérante.

Le 23 juillet 2007, à la demande de la Requérante, Maître Dodet, Huissier de Justice, a dressé un procès-verbal de constat faisant état :

– du contenu du site internet accessible à l’adresse “www.biocosmeo.fr” au jour du constat ;

– du contenu du site internet accessible à l’adresse “www.cosmebio.fr” au jour du constat (page unique portant l’indication “site en construction”) ;

– de l’existence sur le site “www.archive.org” d’une page archivée du site internet “www.cosmebio.fr”, en date du 20 février 2007, présentant les mêmes contenus et la même présentation que le site internet “www.biocosmeo.fr.”

C’est dans ces conditions que le Centre a été saisi du présent litige.

Argumentation des parties

Requérante

En premier lieu, la Requérante fait valoir que l’enregistrement du nom de domaine « cosmebio.fr » par la Défenderesse constitue une atteinte à ses droits de propriété industrielle dans la mesure où elle justifie être titulaire de droits antérieurs sur le signe Cosmebio, que ce soit :

– à titre de marque (enregistrement des marques françaises Cosmebio, Bio Cosmetique Charte Cosmebio et Eco Cosmetique Charte Cosmebio déposées auprès de l’Inpi le 11 mars 2002) ;

– à titre de dénomination sociale (le terme “cosmebio” serait contenu dans sa dénomination sociale) ;

– à titre de noms de domaine (enregistrement des noms de domaine « cosmebio.org » et « cosmebio.com » depuis le 14 mars 2002).

La Requérante soutient que l’enregistrement du nom de domaine « cosmebio.fr » porte nécessairement atteinte à ses droits antérieurs ainsi établis, dès lors que le nom de domaine litigieux reprend strictement à l’identique le signe Cosmebio.

En second lieu, la Requérante fait valoir que l’utilisation du nom de domaine litigieux porte également atteinte à ses droits ainsi qu’au principe de loyauté en matière commerciale.

Ainsi, la Requérante indique que si le nom de domaine « cosmebio.fr » redirige aujourd’hui vers un site internet ne contenant qu’une seule page portant la mention “site en construction”, il ressort du constat d’huissier établi le 23 juillet 2007 à sa demande, qu’à la date du 20 février 2007, le nom de domaine « cosmebio.fr » dirigeait vers un site internet reproduisant à l’identique la présentation et les contenus de la page d’accueil du site “www.biocosmeo.fr”, exploité par la Défenderesse.

La Requérante indique également qu’une recherche de l’expression “cosmebio.fr” sur le moteur de recherche Google, fait apparaître, parmi les premiers résultats, un article publié sur un site internet accessible à l’adresse “www.biotymag.com” et proposant un lien hypertexte intitulé “Cosmebio.fr” renvoyant au site internet “www.biocosmeo.fr” exploité par la Défenderesse.

La Requérante conclut de ces différents éléments qu’il est démontré que la Défenderesse n’entend pas exploiter le nom de domaine litigieux pour une activité propre mais uniquement pour tirer indûment profit de la notoriété de ses marques, dénomination et noms de domaine, agissements constitutifs d’une violation du principe de loyauté en matière commerciale.

En conséquence, la Requérante sollicite le transfert du nom de domaine « cosmebio.fr » au titre des droits légitimes qu’elle détient sur le signe Cosmebio.

Défenderesse

La Défenderesse indique qu’elle a enregistré le nom de domaine « cosmebio.fr » le 25 mars 2005, concomitamment à l’enregistrement des noms de domaines « biocosmeo.fr » et « biocosmeo.com », et qu’elle est titulaire de la marque Biocosmeo qui aurait été déposée auprès de l’Inpi en 2005.

Elle fait valoir que l’enregistrement du nom de domaine litigieux a été motivé par la volonté d’éviter le risque de perte d’internautes du fait de la confusion que ceux-ci pourraient faire entre les dénominations Cosmebio et Biocosmeo.

La Défenderesse expose ensuite la teneur des différents échanges intervenus avec la Requérante entre le 9 mai 2007 et le 21 juin 2008.

Elle indique avoir fait preuve de bonne foi dans le cadre de ces échanges, en proposant la suppression de la redirection du nom de domaine litigieux vers le site internet “www.biocosmeo.fr” et en indiquant être ouverte à toute discussion relative au transfert du nom de domaine. La Défenderesse précise, en substance, que seuls le ton et la forme de ses échanges avec la Requérante ont rendu impossible la poursuite de la recherche d’une solution amiable au litige.

La Défenderesse fait valoir qu’elle n’a jamais eu l’intention d’utiliser le nom de domaine litigieux à des fins de cybersquatting. Elle considère d’ailleurs que ce nom de domaine ne présente pas d’intérêt commercial dès lors que la dénomination Cosmebio ne correspond à aucune certification officielle en matière de produits “bio”.

La Défenderesse soutient également que son activité commerciale de vente de produits cosmétiques à des professionnels ne peut en aucun cas être confondue avec l’activité associative de la Requérante.

Enfin, la Défenderesse déclare être tout à fait disposée à céder le nom de domaine « cosmebio.fr » à la Requérante “dans le cadre d’échanges courtois”.

Discussion

L’Expert constate que la Requérante invoque un enregistrement et une utilisation du nom de domaine « cosmebio.fr » par la Défenderesse en violation de ses droits et sollicite en conséquence sa transmission son profit.

L’Expert rappelle que conformément à l’article 20(c) du Règlement: “il fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l’article 1 du présent règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable”.

L’Expert rappelle également que l’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux droits des tiers”, au titre de la Charte, “une atteinte aux droits des tiers, en particulier, lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d’une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi.”

De même l’Expert rappelle que l’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux règles de la concurrence”, “une atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire”.

En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les Parties, si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits de tiers et si la Requérante, sollicitant la transmission de ce nom de domaine à son profit, justifie de droits sur ce nom de domaine.

Enregistrement et/ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers

(i) Enregistrement du nom de domaine litigieux

L’Expert constate que le nom de domaine litigieux a été enregistré par la Défenderesse le 25 mars 2005 et qu’il constitue la reproduction à l’identique :

– de la marque française Cosmebio n° 3 152 639 déposée le 11 mars 2002 par la Requérante auprès de l’Inpi pour des produits de classes 3, 5 et 44 ;

– des noms de domaine « cosmebio.org » et « cosmebio.com » enregistrés par la Requérante depuis le 4 avril 2002 pour l’exploitation de sites internet présentant son activité aux professionnels et aux consommateurs ainsi et présentant des produits cosmétiques respectant les critères de sélection qu’elle a élaborés.

Conformément à la Charte dans sa version applicable à l’époque de l’enregistrement du nom de domaine litigieux, il appartenait à la Défenderesse de vérifier, préalablement à l’enregistrement, que celui-ci ne portait pas atteinte aux droits des tiers.

En l’occurrence, une recherche de marque sur le terme “cosmebio” aurait révélé à la Défenderesse l’existence des marques de la Requérante, déposées pour des produits similaires à ceux dont elle fait elle-même une exploitation commerciale.

De même, lors de l’enregistrement du nom de domaine « cosmebio.fr », la Défenderesse aurait aisément pu constater l’existence d’enregistrements antérieurs identiques dans les domaines “.org” et “.com” et redirigeant vers les sites internet de la Requérante dont l’activité de promotion d’une cosmétique biologique et écologique peut raisonnablement, aux yeux d’un internaute d’attention moyenne, être confondue avec l’activité de commercialisation de tels produits auprès de professionnels, telle qu’exercée par la Défenderesse.

Par conséquent, l’Expert considère que l’enregistrement du nom de domaine litigieux par la Défenderesse est intervenu en violation des droits antérieurs de la Requérante.

(ii) Utilisation du nom de domaine en violation des droits des tiers

L’Expert constate que la Défenderesse a utilisé le nom de domaine litigieux pour successivement (i) rediriger vers une page identique à celle de la page d’accueil du site internet sur lequel elle présente déjà son catalogue de produits (“www.biocosmeo.fr”) puis (ii) pour rediriger vers une page internet portant la mention “site en construction”.

L’Expert considère que la Défenderesse échoue dans sa démonstration du caractère légitime de l’utilisation par ses soins du nom de domaine litigieux.

Ainsi, la Défenderesse ne soutient pas avoir fait du nom de domaine litigieux une utilisation motivée par la nécessité d’individualiser certains de ses produits ou une branche particulière de son activité.

Au contraire, la Défenderesse indique expressément avoir enregistré le nom de domaine litigieux afin de rediriger les internautes utilisant la dénomination Cosmebio vers ses propres services, craignant que les internautes ne confondent les dénominations Cosmebio et Biocosmeo. Indépendamment de la question de la validité des marques en cause, dont il n’appartient pas à l’Expert de connaître dans le cadre du présent litige, il apparaît à l’Expert que la Défenderesse a indubitablement cherché à utiliser la marque antérieure d’un tiers pour son propre bénéfice, sans démontrer détenir lui-même de droits légitimes sur la dénomination en cause.

L’utilisation du nom de domaine litigieux n’apparaît donc avoir eu pour conséquence que de priver la Requérante de la possibilité d’utiliser ce nom de domaine pour assurer sa propre visibilité sur internet.

L’Expert retient donc qu’en ne pouvant démontrer aucune utilisation légitime du nom de domaine litigieux et en ne conservant celui-ci que de manière à priver la Requérante de la possibilité de l’utiliser elle-même, la Défenderesse a porté atteinte au principe de loyauté dans les relations commerciales.

Il en résulte que la Défenderesse n’a pas réussi à faire valoir ni qu’elle a un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine, ni qu’elle a agit de bonne foi.

Droits de la Requérante sur le nom de domaine litigieux

Au vu des éléments produits conjointement avec la demande, l’Expert estime que la Requérante a démontré être titulaire de droits privatifs et plus particulièrement, de droits de marque sur le signe Cosmebio, lesquels font l’objet d’une protection notamment sur le territoire français.

Par conséquent, l’Expert déclare que la Requérante est fondée à solliciter la transmission à son bénéfice du nom de domaine litigieux.

Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit de la Requérante du nom de domaine « cosmebio.fr ».

Expert : Christiane Féral-Schuhl

 
 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.