Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI Décision de l’expert 9 juin 2005
Application Des Gaz / KLTE Limited
marques - nom de domaine
Les parties
Le Requérant est la société française Application Des Gaz, Saint-Genis-Laval, France, représentée par Emilie Scheffer, Cabinet Germain et Maureau, conseils en propriété industrielle, Lyon, France.
Le Défendeur est la société KLTE Limited, ayant un établissement à Paris, France, représenté par Matt Morane, New York, Etats-Unis d’Amérique.
Nom de domaine et prestataire internet
Le nom de domaine contesté est « campingaz.fr », enregistré le 1er avril 2005.
Le prestataire Internet auprès duquel le nom de domaine a été enregistré est Domain Registry, Vienne, Autriche.
Rappel de la procédure
La plainte du Requérant, régie par le Règlement sur la procédure alternative de résolution de litiges (PARL) du ‘.fr’ et du ‘.re’ par décision technique, ci-après Le Règlement, a été reçue par le Centre les 18 et 21 avril 2005.
Elle a été notifiée par le Centre au Défendeur le 22 avril 2005, par messagerie électronique, télécopie et par poste/messagerie.
L’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération, ci-après L’AFNIC, a confirmé l’ensemble des données relatives au nom de domaine litigieux le 19 avril 2005.
Le Défendeur a adressé sa réponse tardivement le 16 mai 2005, qui aurait du parvenir le 12 mai 2005. L’expert en tiendra compte néanmoins.
L’expert a été désigné par le Centre le 26 mai 2005. L’expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.
Description des faits
Le Requérant, Société Application Des Gaz, a une activité de fabrication et de distribution de produits et d’appareils destinés à la pratique du camping et des loisirs de plein air.
Les termes Camping Gaz et Campingaz sont utilisés à titre de nom commercial depuis longtemps par le Requérant. Ce dernier dispose en outre de nombreux enregistrements de marque portant sur la dénomination Campingaz, tant en France qu’à l’étranger.
En particulier, le Requérant justifie par les pièces versées au dossier être titulaire des marques françaises, communautaire et internationales notamment suivantes :
– CAMPINGAZ n° 97 702 596, 97 702 595, 695 964, 695 922, 689 174, 689 208.
Le Requérant justifie également être titulaire des noms de domaine « campingaz.tm.fr » et « campingaz.com », enregistrés les 2 février 1998 et 12 mai 2000, respectivement.
Le Défendeur, KLTE Limited soutient avoir pour but de vendre des produits de camping de A à Z.
Le Défendeur a réservé le nom de domaine litigieux le 1er avril 2005.
Le Requérant, ayant constaté que le nom de domaine « campingaz.fr » renvoyait vers un site de vente d’articles de camping ou vers des sites de jeux de casino, a enjoint, par courrier en date du 12 avril 2005, au Défendeur de cesser l’usage du terme « campingaz.fr » et de lui rétrocéder le nom de domaine, et ce aux frais dudit défendeur.
Le Défendeur ne s’est pas manifesté et ce n’est que le 16 mai 2005, dans sa Réponse dans la présente procédure alternative de résolution des litiges par décision technique, qu’il a proposé de rétrocéder au Requérant le nom litigieux pour la somme de 1350 US Dollars.
Arguments des parties
L’essentiel des arguments des parties est résumé ci-après.
Le Requérant
Le Requérant rappelle l’existence de ses droits anciens sur le vocable Campingaz, notamment à titre de marque et de nom commercial. Le Requérant fait valoir que sa marque jouit d’une importante notoriété.
Le Requérant soutient que l’enregistrement et l’usage par le Défendeur du nom de domaine « campingaz.fr » portent atteinte aux droits que le Requérant détient sur son nom commercial, ses marques et noms de domaine antérieurs, aux règles de la concurrence et aux règles du comportement loyal en matière commerciale.
Le Requérant fait spécialement valoir que l’enregistrement et l’usage du nom de domaine en cause par le Défendeur constitue une atteinte aux droits de tiers en ce que, selon procès-verbal d’huissier en date du 11 avril 2005, il a été constaté que le nom de domaine « campingaz.fr » fait l’objet d’une double redirection.
En premier lieu, l’adresse “http://www.campingaz.fr” accède à un portail de liens sponsorisés de sites consacrés au camping et offrant à la vente par des concurrents du Requérant des équipements de plein air tels que réchauds à gaz, tentes etc.
Il soutient que ces faits constituent des actes de contrefaçon de marque au sens des articles L. 713-1 s. et 716-9 s. du Code de la propriété intellectuelle, en même temps que des actes de concurrence déloyale par détournement du nom commercial et des noms de domaines du Requérant.
En second lieu, l’adresse “http://campingaz.fr” permet l’accès à un portail de liens sponsorisés de sites de jeux de casino, par connexions rémunérées, profitant de la renommée du Requérant au sens de l’article L. 713-5 du Code précité ou de l’article 1382 du Code civil.
Le Requérant ajoute que ce comportement du Défendeur n’est pas loyal ; qu’il ne pouvait ignorer la notoriété du terme Campingaz, que l’enregistrement effectué a été fait dans un but spéculatif puisque sur la page d’accueil du site en cause figure la formule “ pour faire une offre de rachat de ce nom de domaine, cliquez ici”, et que la domiciliation du Défendeur, société étrangère, auprès d’une entreprise de domiciliation à Paris, n’a été effectuée que pour contourner les règles de la Charte de nommage de l’AFNIC. Le Requérant soutient, enfin, qu’en n’obtempérant pas à la mise en demeure de rétrocession amiable du nom, le Défendeur a fait dudit nom un usage passif de mauvaise foi.
Le Requérant sollicite donc la transmission du nom de domaine « campingaz.fr » à son profit.
Le Défendeur
Dans sa réponse tardive, le Défendeur, sans argumenter véritablement, se borne à indiquer qu’il a pour but de vendre des produits de camping de “A à Z” ; que le Requérant n’a rien fait pour se rendre propriétaire des noms “campingaz” dans différents pays (“.fr, .be, .es, .uk etc.”) ; qu’un domaine est comme un terrain que l’on peut acquérir pour agrandir son fonds en payant le prix de marché et propose simplement de vendre au Requérant le nom litigieux pour la somme de $1350.
Discussion
Conformément aux dispositions de l’article 20 (c) du Règlement, “L’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.
En application de cette disposition, il appartient en premier lieu à l’expert de déterminer si, au regard du droit français, l’enregistrement ou l’usage du nom de domaine « campingaz.fr » porte atteinte aux droits du Requérant. En second lieu, la mesure de réparation demandée étant la transmission du nom de domaine litigieux, l’expert doit s’assurer de l’existence des droits du Requérant sur l’élément objet de la plainte, en l’espèce le vocable Campingaz.
Atteinte aux droits du Requérant
Tant l’article 1 du Règlement que l’article 19.1) de la Charte définissent de manière non exhaustive l’atteinte aux “droits des tiers” comme une atteinte
– A la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle);
– Aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale;
– Au droit au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne.
En l’espèce, le Requérant invoque une atteinte à un droit de propriété industrielle, ainsi qu’une atteinte aux règles de la concurrence et au comportement loyal en matière commerciale.
Atteinte aux droits de propriété industrielle du Requérant
Le Défendeur ne conteste pas l’existence de droits du Requérant sur le signe “campingaz” notamment à titre de marque.
Le nom de domaine enregistré est identique aux marques « campingaz » du Requérant.
En vertu des dispositions des articles L 713-2 et L 713-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, une éventuelle contrefaçon des droits de marque du Requérant suppose, outre la reproduction ou l’imitation de la marque antérieure, son utilisation en liaison avec des produits ou des services identiques ou similaires.
L’adresse “http://www.campingaz.fr”, au vu des documents fournis, permet l’accès à des sites offrant à la vente des produits identiques ou similaires à ceux réservés par les marques du Requérant.
Le nom de domaine déposé par le Défendeur porte donc atteinte aux marques du Requérant et l’enregistrement et l’usage de ce signe constitueraient au sens du droit français des actes de contrefaçon.
Et l’argument à peine ébauché par le Défendeur qu’il s’agirait de promouvoir des articles de camping de “A à Z” n’a pas de sens en l’état d’un nom de domaine « campingaz.fr ».
De la même manière, l’adresse “http://campingaz.fr”, au vu des documents fournis, permet l’accès à des sites de jeux d’argent , en même temps, qu’est offert l’achat du nom « campingaz.fr », ce qui est d’ailleurs en contradiction avec l’affirmation du Défendeur de ne se préoccuper que de la vente d’articles de camping. Quoi qu’il en soit, dans cette activité, il paraît à l’expert que l’usage du mot campingaz est un emploi injustifié de la marque renommée du Requérant, au sens de l’article L. 713-5 du Code français de la propriété intellectuelle.
Atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale
Non seulement il paraît à l’expert que le Défendeur, en enregistrant et utilisant comme il l’a fait le nom de domaine « campingaz.fr », a porté atteinte aux droits de marque du Requérant, mais, en outre, doit être relevé le fait que ledit nom de domaine, de la manière dont il est utilisé, porte pareillement atteinte en outre au nom commercial et aux noms de domaines antérieurs du Requérant.
Les pièces versées au dossier établissent la notoriété du mot “campingaz” au profit du Requérant traduit, par ailleurs, aux yeux de l’expert la volonté de détourner sciemment des internautes, éventuels clients du Requérant, vers des concurrents ou des sites de casino pour tenter de contraindre le Requérant à monnayer substantiellement le rachat du nom « campingaz.fr » pour un prix dépassant fortement les simples frais d’enregistrement.
Il est enfin important de relever que, dans sa réponse, le Défendeur ne conclut pas au rejet de la demande du Requérant mais propose simplement – ce dont il affichait le principe sur la page d’accueil de son site – de vendre au Requérant le nom en cause pour $1350.
Ceci surabondamment ne constitue pas un comportement correct.
En conclusion, l’Expert note que l’enregistrement du nom de domaine litigieux ne peut avoir été effectué que de façon déloyale, afin de tirer indûment profit de la renommée associée à la marque et au nom commercial Campingaz du Requérant. L’utilisation effectuée par le Défendeur du nom de domaine litigieux, ne fait que renforcer l’Expert dans ses convictions selon lesquelles le Défendeur a agi en fraude des droits du Requérant.
Droits du Requérant sur l’élément objet de la plainte
Le Requérant justifie être titulaire de droits sur le signe Campingaz en France, et dans divers pays à titre de marque et de nom commercial, comme il l’a été précisé au cours des développements précédents.
Le Requérant est ainsi fondé à solliciter la transmission à son profit du nom de domaine litigieux, en conformité avec les dispositions de la Charte.
Décision
L’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine « campingaz.fr » portent atteinte aux droits de marque du Requérant, et constituent en outre une atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale. Le Requérant justifie par ailleurs être titulaire de droits sur la dénomination “campingaz”.
Dans ces conditions, et en application de l’article 20 c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission du nom de domaine « campingaz.fr » au profit du Requérant.
Expert : Christian Le Stanc
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.