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Jurisprudence : Marques

jeudi 28 janvier 2010
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Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert Le 13 janvier 2010

Cool S.r.l. / Jean Louis H.

marques

Les parties

Le Requérant est Cool S.r.l. de Milan, Italie, représenté par Studio Rapisardi S.A., Italie.

Le Défendeur est Jean Louis H. de Paris, France.

Nom de domaine et prestataire internet

Le litige concerne les noms de domaine « toywatch.fr » et « toy-watch.fr ».

Le prestataire internet est la société Amen – Agence des Médias Numériques.

Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le ”Centre”) a été reçue le 9 novembre 2009, par courrier électronique et le 12 novembre 2009, par courrier postal.

Le 10 novembre 2009, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 10 novembre 2009, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige, ainsi qu’aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n’est pendante.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le ”Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic applicable (ci-après la ”Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 17 novembre 2009. Conformément à l’article 15 du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 7 décembre 2009. Le défendeur n’a pas fait parvenir de réponse. Le Centre a donc transmis au défendeur une notification d’un défaut du défendeur le 9 décembre 2009.

Le 15 décembre 2009, le Centre nommait Nathalie Dreyfus comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

Les faits

Le Requérant est la société Cool S.r.l, société de droit italien spécialisée dans la conception, la commercialisation et la promotion de montres vendues sous la marque Toywatch.

Cette société est titulaire du dépôt de marque communautaire suivant :

– marque figurative Toywatch n°8600157 déposée le 7 octobre 2009 couvrant les produits et services des classes 9, 14 et 35 et non enregistrée à ce jour.

Cette société est également cessionnaire des marques internationales suivantes :

– marque Toywatch n°887.013A enregistrée le 16 février 2006 et couvrant les produits et services en classe 14 ;

– marque Toywatch n°933889 enregistrée le 1er juin 2007 et couvrant les produits et services en classe 14. Cette marque ne désigne pas la France.

Le Requérant a eu connaissance des noms de domaine réservés le 1er mai 2008 lors de la réception d’un email anonyme du 6 octobre 2009 dans lequel les noms de domaine « toywatch.fr » et « toy-watch.fr » lui étaient proposés à la vente. Ces noms de domaine redirigent vers un site affichant des critiques sur les produits Toywatch.

Suite à une demande de divulgation d’informations personnelles réalisée auprès de Amen, le Requérant a obtenu l’identité du réservataire des noms de domaine objets de la présente décision. Il s’agit de Monsieur Jean-Louis H. domicilié à Paris.

Le Requérant a adressé une lettre de mise en demeure au réservataire de ces noms de domaine par email, puis par recommandé avec accusé de réception le 9 octobre 2009 afin de lui notifier ses droits de marque et solliciter le transfert desdits noms.

Le Défendeur n’a pas donné suite à cette mise en demeure. Par ailleurs, le Requérant a constaté, peu de temps après l’envoi de cette lettre, que le réservataire avait reproduit des modèles de montres Toywatch sur le site internet vers lequel redirigent les noms de domaine en cause.

Suite à cela, le Requérant a adressé un email suivi d’une lettre recommandée à l’unité d’enregistrement de ces noms de domaine, la société Amen Agence des Médias Numériques l’informant de la situation et lui demandant de mettre fin à l’accès des services fournis au réservataire.

Quelques temps après, le Requérant a constaté que la redirection des noms de domaine litigieux avait été supprimée et a concomitamment reçu un email d’insultes provenant du réservataire des noms de domaine et lui proposant d’acheter les noms pour un montant de 7 000 000 €.

Argumentation des parties

Requérant

Le Requérant indique d’une part qu’il dispose de droits de marque dans le monde entier via l’enregistrement de marques communautaires et internationales Toywatch. Par ailleurs, le Requérant déclare être cessionnaire de marques internationales enregistrées au nom de Firstcove Technology Ltd. A cet égard, le Requérant précise que l’acte de cession est en cours d’enregistrement auprès de l’Ompi.

Le Requérant estime que la notoriété et la diffusion des marques Toywatch est prouvée grâce aux nombreux articles et publicités apparaissant dans les principaux magazines et périodiques de mode, y compris en France.

Le Requérant soutient également que les montres Toywatch sont appréciées des célébrités telles que Naomi Campbell, Michelle Obama ou encore Michael Jordan.

Au vu de ces éléments, le Requérant estime que les marques dont il est titulaire sont connues dans le monde entier.

Le Requérant affirme également être titulaire de plusieurs noms de domaine dont notamment: « toy-watch.it », « toy-watch.eu » et « toy-watch.us » enregistrés antérieurement aux noms de domaine litigieux. Ces noms redirigent vers son site marchand accessible en plusieurs langues, y compris le français.

D’autre part, le Requérant considère que les noms de domaine « toywatch.fr » et « toy-watch.fr » constituent une atteinte à ses droits dans la mesure où ces noms sont identiques aux marques sur lesquelles il dispose de droits de propriété intellectuelle communautaires et internationaux couvrant le territoire français.

Selon le Requérant la simple adjonction du tiret entre les termes “toy” et “watch” n’écarte pas le risque de confusion dans l’esprit du public entre le nom de domaine en cause et les marques renommées qu’il détient.

La simple adjonction de l’extension “.fr” est inhérente au fonctionnement des noms de domaine et ne permet pas d’écarter tout risque de confusion.

Par ailleurs, le Requérant estime que l’utilisation des noms de domaine litigieux constitue une atteinte à ses droits dans la mesure où ils redirigent vers un site internet français affichant des reproductions de modèles de montres Toywatch et la marque Toywatch ainsi que des propos erronés concernant les produits du Requérant destinés aux consommateurs.

Enfin, le fait que le réservataire offre ces noms de domaine à la vente constitue une preuve de la mauvaise foi de ce dernier.

Défendeur

Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre dans le délai imparti et est en conséquence défaillant.

Discussion

L’Expert constate que le Requérant invoque des enregistrements et une utilisation des noms de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite le transfert des noms de domaine à son profit.

Conformément à l’article 20(c) du Règlement, “l’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l’article 1 du présent règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable”.

Il convient en outre de souligner que, conformément aux dispositions de l’article 1 du Règlement, on entend par “Atteinte aux droits des tiers, au titre de la Charte, une atteinte aux droits des tiers, en particulier, lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d’une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi”.

En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par le Requérant, si l’enregistrement et/ou l’utilisation des noms de domaine litigieux portent atteinte aux droits de tiers ou aux règles de la concurrence. Par ailleurs, l’Expert a aussi vérifié si le Requérant, sollicitant le transfert de ces noms de domaine à son profit, a justifié de droits sur ces noms de domaine.

(i) Droits du requérant sur les noms de domaine

L’Expert constate que le Requérant est titulaire du dépôt de la marque communautaire n°8600157 du 7 octobre 2009 et couvrant les produits et services des classes 9, 14 et 35. Ce dépôt de marque est donc postérieur à la réservation des noms de domaine « toywatch.fr » et « toy-watch.fr ». Par ailleurs, cette marque communautaire n’est pas enregistrée et ne peut être retenue comme un droit opposable.

L’Expert constate également qu’un acte de cession a été passé le 18 décembre 2008 entre la société Firstcove Technology Ltd. et le Requérant, concernant notamment les marques internationales suivantes :

– Toywatch n°887.013A enregistrée le 16 février 2006 et couvrant les produits et services en classe 14 ;

– Toywatch n°933889 enregistrée le 1er juin 2007 et couvrant les produits et services en classe 14.

L’Expert retient que les noms de domaine contestés ont été réservés le 1er mai 2008, soit avant même que l’acte de cession ait été passé entre le Requérant et la société Firstcove Technology Ltd. Par ailleurs, l’Expert constate que le Requérant ne rapporte pas la preuve d’une inscription dudit acte de cession auprès du Registre international des marques. En matière de cession l’Expert constate, à l’instar de l’article L714-7 alinéa 1 du Code de la propriété intellectuelle en matière de marque française, que la Cour de cassation estime que la formalité d’inscription d’un acte de cession au Registre des marques s’applique également aux marques internationales. Ainsi, le cessionnaire d’une marque ne peut opposer ses droits de marque aux tiers tant que l’acte de cession n’est pas inscrit au Registre international des marques (Cass. Com. 7 avril 1992, Société Chocolaterie Cantalou c. société de droit espagnol Las Comas Cemoi, http://www.legifrance.gouv.fr). Une simple demande d’inscription au Registre des marques est insuffisante.

La marque internationale Toywatch n°933889 ne désigne pas la France. Or, selon les termes de la Charte de nommage de l’Afnic, il convient d’être titulaire d’une marque nationale française ou d’une marque communautaire ou internationale visant expressément le territoire français pour pouvoir justifier d’un droit sur un nom de domaine en « .fr ». Ainsi, alors même que la marque internationale Toywatch n°933889 a fait l’objet d’une inscription au Registre international des marques, le Requérant ne dispose pas de droits sur les noms de domaine « toywatch.fr » et « toy-watch.fr » sur le fondement de cette marque.

Aucune pièce n’a été fournie montrant l’inscription effective au Registre des marques du transfert de propriété effective du Requérant. Seule une demande d’inscription a été fournie.

En conséquence, au jour du dépôt de la plainte, le Requérant ne peut valablement opposer de droits aux tiers sur les marques internationales Toywatch, objets de l’acte de cession. Ces enregistrements de marques ne peuvent donc être retenus comme constituant un droit antérieur du Requérant sur les noms de domaine. Il n’y a donc pas contrefaçon de marque en droit français. Toutefois, la situation aurait été différente si l’inscription effective au Registre des marques de la cession de la marque internationale Toywatch n°887013A, ou de la partie française de cette marque internationale, avait été produite au jour du dépôt de la plainte.

Par ailleurs, concernant d’éventuels droits sur les noms de domaine, l’Expert estime que le Requérant n’a pas démontré que les noms de domaine « toy-watch.it », « toy-watch.eu » et « toy-watch.us » étaient exploités pour présenter et proposer ses produits. En effet, aucune pièce n’a été apportée pour justifier leur usage, ni leur antériorité sur les noms de domaine contestés. A défaut de preuve probante et au regard de la jurisprudence applicable en la matière, la simple réservation d’un nom de domaine ne peut suffire à faire reconnaître une atteinte à un droit de marque (v. Cass.Com. 13 décembre 2005, Société Soficar c. Société Le Tourisme moderne compagnie parisienne du tourisme SA, 0410.143, http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambre_commerciale_financiere_economique_574/arret_no_824.html). Il n’appartient pas à l’Expert de faire des recherches complémentaires pour tenter de prouver les allégations du Requérant.

Au vu de tous ces éléments, l’Expert considère que l’enregistrement des noms de domaine litigieux par le Défendeur n’est pas intervenu en violation des droits du Requérant sur sa marque.

(ii) Enregistrement ou utilisation des noms de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence

Les noms de domaine « toywatch.fr » et « toy-watch.fr » imitent la marque Toywatch du Requérant.

Les noms de domaine litigieux renvoyaient vers un site internet affichant des critiques à l’égard du Requérant et des reproductions des produits du Requérant ainsi que de ses marques.

L’Expert écarte de son analyse la marque communautaire Toywatch n°8600157 déposée le 7 octobre 2009, celle-ci étant postérieure à la date de réservation des noms de domaine litigieux. L’Expert écarte également de son analyse l’acte de cession passé entre le Requérant et la société Firstcove Technology Ltd. dans la mesure où le Requérant ne rapporte pas la preuve que cet acte a fait l’objet d’une inscription auprès du Registre international des marques et qu’ainsi le Requérant ne peut se prévaloir des marques visées par ledit acte.

L’Expert constate que le Défendeur fait bien un usage non commercial détaché de toutes fins lucratives des noms de domaine litigieux et qu’il s’agit d’informer les consommateurs sur la provenance et la fabrication des montres Toywatch. Au titre du principe à valeur constitutionnel de la liberté d’expression, les juridictions françaises ont pu, à plusieurs reprises, estimer que des sites internet pouvaient être destinés à dénoncer des pratiques sociales de sociétés dans le respect des droits d’autrui (v. notamment CA de Paris, 4e Chambre, Section A, 30 avril 2003, http://www.foruminternet.org/telechargement/documents/ca-par20030430.pdf).

Dans la mesure où le Requérant ne fournit pas la preuve qu’il dispose de droits antérieurs sur les noms de domaine litigieux et que le Défendeur fait un usage non commercial de ces derniers et ne fait qu’user d’un droit à valeur constitutionnel qui lui est reconnu, l’Expert considère que les noms de domaine n’ont pas été enregistrés en violation de droits du Requérant.

L’Expert constate que des modèles de montre ont effectivement été affichés sur le site internet vers lequel redirigeaient les noms de domaine « toywatch.fr » et « toy-watch.fr ». Le Requérant ne rapporte pas la preuve que les modèles de montres reproduits sur les sites internet litigieux sont des modèles sur lesquels il détient des droits. Le Requérant ne rapporte pas non plus la preuve d’un quelconque droit sur ces modèles. En conséquence, l’Expert estime que la reproduction de modèles de montre sur le site internet vers lequel redirigent les noms de domaine « toywatch.fr » et « toy-watch.fr » ne constitue pas une violation aux droits du Requérant.

Au vu des différents éléments du dossier et en l’absence de preuve par le Requérant d’un droit sur les noms de domaine « toywatch.fr » et « toy-watch.fr », l’Expert en conclut que la réservation et l’utilisation des noms de domaine « toywatch.fr » et « toy-watch.fr » ne violent pas les droits de marque Toywatch du Requérant et les règles de la concurrence.

En conséquence, l’Expert considère que l’utilisation des noms de domaine litigieux par la Défendeur n’est pas intervenue en violation des droits dont le Requérant est titulaire.

Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert rejette la demande de transmission au profit du Requérant des noms de domaine « toywatch.fr » et « toy-watch.fr ».

Expert : Nathalie Dreyfus

 
 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.