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Jurisprudence : Marques

jeudi 06 mai 2010
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Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert Le 15 février 2010

Lego Juris A/S / Mickael D.

marques

Les parties

Le Requérant est Lego Juris A/S, Danemark, représenté par Melbourne IT Digital Brand Services, Suède.

Le Défendeur est Mickael D., France.

Nom de domaine et prestataire internet

Le litige concerne le nom de domaine « legoworld.fr » enregistré le 21 février 2009.

Le prestataire internet est la société Proxad.

Rappel de la procédure

Une demande déposée par Lego Juris A/S auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 21 décembre 2009 par courrier électronique et le 18 décembre 2009 par courrier postal.

Le 21 décembre 2009, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 23 décembre 2009, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige, ainsi qu’aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n’est pendante.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic applicable (ci-après la “Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 7 janvier 2010. Conformément à l’article 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 27 janvier 2010. Le Défendeur n’ayant pas soumis de réponse, le Centre notifiait le défaut de réponse aux parties le 28 janvier 2010.

Le 2 février 2010, le Centre nommait Alexandre Nappey comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

Les faits

Le Requérant est la société Lego Juris A/S, une société à responsabilité limitée immatriculée au Danemark. Elle conçoit depuis les années 1930 des jeux de construction qu’elle commercialise dans plus de 130 pays à travers le monde. Le Requérant a réalisé un chiffre d’affaires de US$ 1,8 milliard en 2008.

Le Requérant a identifié l’enregistrement du nom de domaine « legoworld.fr », réalisé sous couvert d’anonymat en date du 21 février 2009.

Le Requérant a tenté de contacter le Défendeur dès le 13 mars 2009 pour lui rappeler l’existence de ses droits sur la marque Lego et l’intimer de cesser l’usage et de lui rétrocéder le nom de domaine litigieux, ceci par l’intermédiaire du formulaire web prévu à cet effet par l’Afnic.

Cette lettre étant restée sans réponse, le Requérant a adressé plusieurs rappels dans les mêmes conditions les 28 avril 2009 et 14 mai 2009, en vain.

Par conséquent, le Requérant a décidé d’engager la présente procédure. Conformément aux dispositions de l’article 14(a) du Règlement, le Centre a demandé à l’Afnic de divulguer les données relatives au Défendeur, et a sollicité l’amendement de la demande du Requérant pour tenir compte de ces informations.

Argumentation des parties

Requérant

Le Requérant soutient que la marque Lego possède un caractère distinctif propre. Il déclare que la marque Lego est mondialement connue pour les jeux de construction.

Il estime que tous les noms de domaine contenant la marque Lego ont vocation être détenus par lui exclusivement.

C’est pourquoi le nom de domaine litigieux est de nature à prêter à confusion avec la marque du Requérant, dans la mesure où la simple adjonction du terme descriptif “world” n’atténue pas l’impression générale d’association avec le Requérant.

Le Requérant soutient que le Défendeur ne possède aucune marque ou autre signe distinctif correspondant à l’expression reprise dans le nom de domaine litigieux. De plus, il n’a été porté à la connaissance du Requérant aucun usage de nature à légitimer la détention du nom de domaine par le Défendeur. Alors même par ailleurs que le Requérant n’a consenti aucune licence ou autorisation au Défendeur d’utiliser sa marque Lego.

Il appartenait au Défendeur de s’assurer que le nom de domaine choisi ne portait pas atteinte aux droits des tiers et en particulier à ceux du Requérant.

De surcroît, le Défendeur a utilisé le nom de domaine litigieux pour activer un site Internet de vente en ligne de produits couverts par la marque du Requérant. Le choix du nom de domaine était délibéré pour faire croire aux internautes que le site en question était exploité avec l’accord du Requérant. Le Requérant soutient que le nom de domaine a été utilisé par le Défendeur à des fins commerciales non légitimes.

Le Requérant sollicite le transfert du nom de domaine à son profit.

Défendeur

Le Défendeur n’a soumis aucun argument en réponse à la demande.

Discussion

L’Expert rappelle que, en application de l’article 1 du Règlement, une atteinte aux droits des tiers est constituée “lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d’une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi”. En application du même article, une atteinte aux règles de la concurrence désigne notamment “une violation du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire”.

L’Expert souligne que, en application de l’article 20(c) du Règlement, il fait droit à la demande “lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l’article 1 du présent Règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable”.

(i) Droits du requérant sur le nom de domaine

L’Expert constate que le Requérant détient des droits de propriété intellectuelle sur la marque Lego, à la fois en France et dans de nombreux pays à travers le monde.

Ainsi notamment, le Requérant produit un certificat d’enregistrement de la marque verbale Lego au plan communautaire, sous le n°000039800 du 1er avril 1996, marque revendiquant des produits et services des classes 3, 9, 14, 16, 20, 24, 25, 28, 38, 41 et 42.

Le Requérant démontre également l’exploitation de la marque Lego notamment sur Internet pour désigner des jeux de construction. En conséquence, l’Expert considère que le Requérant bénéficie de droits de propriété intellectuelle communautaires sur la marque Lego qui compose le nom de domaine litigieux.

Le nom de domaine est constitué de la combinaison de la marque du Requérant avec le mot anglais “world” qui signifie “monde”.

Il ressort de nombreuses décisions que l’adjonction d’un terme descriptif ou générique à une marque, a fortiori, lorsque cette marque bénéficie d’une grande notoriété, ce qui est le cas de la marque Lego, n’est pas de nature à limiter le risque de confusion qui existe entre un nom de domaine et la marque qu’il incorpore.

Sur ce point, les décisions antérieures rendues par les experts sous l’égide de la Procédure Alternative de Règlement des Litiges (PARL) permettent de préciser dans quelle mesure un nom de domaine combinant une marque à un terme descriptif ou générique peut être considéré comme une atteinte au sens de l’article 1er du Règlement.

Ainsi par exemple, il a été jugé que l’adjonction du terme “France” à la marque Alice “ne confère aucune autonomie réelle au nom de domaine par rapport à la marque”, voir Telecom Italia S.P.A. contre M. Cédric F., Litige Ompi No. DFR2009-0013.

Les décisions rendues dans le cadre de la procédure UDRP constituent également des références intéressantes sur ce point. Voir notamment la position des commissions administratives dans des affaires très récentes concernant des noms de domaine composés d’une marque et du terme descriptif “world” :

– Harrods Limited v. Lawrence C., Wipo Case No. D2008-1836 “The domain name incorporates a non-distinctive word and is confusingly similar to the Complainant’s trade marks.”

– Tiffany (NJ) LLC, Tiffany and Company v. Thomas S., Wipo Case No. D2009-0143 “The addition of the generic words “my” and “world” do not avoid a finding of confusing similarity.”

Il résulte de ce qui précède que le Requérant a justifié de ses droits sur la marque Lego reprise dans le nom de domaine litigieux. L’Expert considère en outre que le nom de domaine « legoworld.fr » est susceptible d’être confondu avec la marque précitée.

(ii) Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence

L’Expert constate que le nom de domaine litigieux a été enregistré par le Défendeur le 21 février 2009, soit postérieurement au dépôt de la marque communautaire Lego invoqué par le Requérant à l’appui de sa demande.

En outre, l’Expert constate que le Défendeur ne justifie d’aucun droit sur le nom de domaine: le Requérant a soutenu qu’il n’avait consenti aucun contrat, licence ou autorisation permettant au Défendeur d’utiliser la marque Lego, en particulier pour déposer et exploiter un nom de domaine reprenant sa marque. Or, le Défendeur n’ayant pas pris part à la procédure, il n’a pas contredit les arguments du Requérant.

Lors de l’engagement de la présente procédure, le nom de domaine renvoyait vers un site de commerce électronique dédié à la vente des produits revêtus de la marque du Requérant. Cette activité commerciale a donc été démarrée sans l’autorisation du Requérant.

A défaut d’une telle autorisation, l’usage de la marque Lego par le Défendeur, a fortiori dans un cadre commercial, et dans un but lucratif, constitue une atteinte aux droits du Requérant.

Le site incriminé par le Requérant était suspendu au jour de la nomination de l’Expert, ce qui n’est toutefois pas de nature à infléchir le raisonnement tenu précédemment.

L’Expert constate que le Défendeur ne peut faire valoir aucun intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Au contraire, compte tenu de la similitude entre le nom de domaine et la marque du Requérant, l’Expert estime que le Défendeur a agi de mauvaise foi et a cherché à tirer profit de la notoriété du Requérant pour attirer sur son site des internautes fondés à penser que le Défendeur était un partenaire ou un distributeur du Requérant.

Sur ce point, l’Expert fait siennes les conclusions prises dans une affaire récente aux circonstances similaires: Paris Saint Germain Football contre Christophe B., Litige Ompi No. DFR2009-0022.

En conséquence, l’Expert considère que l’utilisation du nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits du Requérant.

Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine « legoworld.fr ».

Expert : Alexandre Nappey

 
 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.