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Jurisprudence : Marques

vendredi 20 juillet 2007
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Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert Le 15 juin 2007

Nestlé / Jérémie G.

marques - nom de domaine

Les parties

Le Requérant est la société des produits Nestlé SA, Vevey, Suisse, représentée par Luca B., de Studio Barbero, Turin, Italie.

Le Défendeur est Jérémie G., Paris, France.

Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine « friskies.fr » enregistré le 12 décembre 2006.

Le prestataire Internet est la société Euro DNS SA.

Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 20 avril 2007, par courrier électronique et le 24 avril 2007, par courrier postal.

Le 23 avril 2007, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 24 avril 2007, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le ”Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 3 mai 2007. Le Défendeur n’ayant adressé aucune réponse, le Centre lui a adressé en date du 24 mai 2007 une notification de défaut du Défendeur.

Le 1er juin 2007, le Centre nommait Christophe Caron comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

Les faits

Le Requérant est la Société des produits Nestlé SA qui est une société suisse fondée en 1866. Présente dans de nombreux pays, le Requérant est l’une des plus grandes entreprises mondiales de l’industrie agroalimentaire.

Le Requérant a notamment développé une activité dans le domaine des produits alimentaires pour animaux de compagnie. A ce titre, il est titulaire de plusieurs marques Friskies qui désignent notamment un produit de croquettes pour chat.

Parmi ces marques, il est possible de citer les marques suivantes :

Marque nominative française Friskies n° 1472284 du 9 août 1963, constamment renouvelée dans la classe 31.
Marque nominative internationale Friskies n° 638766, enregistrée le 28 juin 1995 dans les classes 35, 39, 41 et 42.
Marque nominative communautaire Friskies n° 2328169, enregistrée le 3 août 2001 dans les classes 6, 8, 11, 16, 18, 19, 20, 21, 22, 28, 31, 35, 38, 42.

Afin de pouvoir utiliser aisément ces marques sur internet, le Requérant est propriétaire d’une cinquantaine de noms de domaine tels que « friskies.com », « friskies.biz », « friskies.eu » ou « friskies.ch », etc.

Jusqu’en décembre 2006, le Requérant a exploité le nom de domaine « friskies.fr ». Puis, à la suite d’une erreur, il a été indisponible, ce qui a permis au Défendeur, Monsieur Jérémie G., de l’enregistrer dès le 12 décembre 2006.

Le site accessible au nom de domaine « friskies.fr » proposait alors aux internautes des liens hypertextes qui permettaient d’atteindre des sites proposant des produits alimentaires félins directement concurrents de ceux exploités par la Société des produits Nestlé SA.

La Société des produits Nestlé SA a alors tenté d’obtenir, de la part du défendeur, le transfert du nom de domaine litigieux. Après de multiples échanges par courrier électronique, il n’a pas été possible d’obtenir ce transfert.

C’est alors que le Requérant a décidé de déposer une requête auprès du Centre.

Argumentation des parties

Requérant

Le Requérant, la société des produits Nestlé SA, expose d’abord les faits de l’espèce relatés ci-dessous.

Le Requérant prouve qu’il est propriétaire de plusieurs marques qui reproduisent la dénomination “Friskies” et qu’il a également enregistré de nombreux noms de domaine comprenant la même expression. Par ailleurs, le Requérant souligne sa notoriété dans le secteur agroalimentaire de l’alimentation pour animaux de compagnies et son exploitation continue de ses signes distinctifs dans ce domaine, notamment sur le réseau internet.

Ensuite, le Requérant considère que l’enregistrement et l’utilisation, par le Défendeur, du nom de domaine « friskies.fr » porte atteinte à ses droits de propriété intellectuelle (et notamment à ses marques qui sont notoires), tout en portant atteinte aux règles de la concurrence et au comportement loyal en matière commerciale.

Enfin, le Requérant constate que le nom de domaine litigieux pointait sur un site internet contenant des liens commerciaux vers des sites spécialisés dans les produits canins et félins concurrents des siens.

Le Requérant réclame donc, à titre de mesure de réparation, que le nom de domaine lui soit transmis.

Défendeur

Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre.

Discussion

L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite, en conséquence, la transmission des noms de domaine à son profit.

L’Expert rappelle que, conformément à l’article 20(c) du Règlement : “L’Expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers tels que définis à l’article 1 du présent Règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément, objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

L’Expert rappelle également que l’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux droits des tiers”, au titre de la Charte, “une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et aux droits au nom, au prénom et au pseudonyme d’une personne”.

En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les parties, si l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine litigieux portait atteinte aux droits du Requérant et, le Requérant sollicitant la transmission des noms de domaine à son profit, s’il justifiait de droits sur ce nom de domaine.

Enregistrement du nom de domaine litigieux

L’Expert constate que le Requérant prouve être propriétaire de marques en France et avoir enregistré des noms de domaine comportant l’expression “Friskies”. L’Expert constate également que le signe “Friskies” jouit d’une notoriété importante en France comme l’atteste un sondage Ipsos produit par le Requérant.

Ces signes antérieurs (marques et noms de domaine) revendiquent donc le terme “Friskies” en tant qu’élément fortement distinctif.

Or, l’Expert constate que le Défendeur a enregistré un nom de domaine qui reproduit à l’identique le terme “Friskies”, alors même que ce dernier est l’objet de plusieurs droits de propriété intellectuelle appartenant à la Société des produits Nestlé SA.

L’article 19(1) de la Charte de Nommage de l’Afnic demande au déposant d’un nom de domaine de s’assurer avant l’enregistrement que ce dernier ne porte pas atteinte aux droits des tiers. Force est de constater qu’il apparaît évident à l’Expert que le Défendeur, lorsqu’il a enregistré le nom de domaine « friskies.fr », ne pouvait raisonnablement ignorer la renommée et les droits antérieurs attachés au nom “Friskies”. Il a donc agi en fraude des droits de propriété intellectuelle du Requérant avec la volonté de détourner indûment à son profit une partie de la clientèle des produits désignés sous le terme “Friskies”.

L’enregistrement du nom de domaine litigieux porte donc atteinte aux droits des tiers et viole les règles élémentaires qui exigent d’adopter un comportement loyal dans la vie des affaires lorsque l’on choisit un signe distinctif.

Utilisation du nom de domaine en violation des droits des tiers

L’Expert considère que l’utilisation du nom de domaine litigieux porte atteinte aux droits des tiers sur le signe “friskies” qui est reproduit à l’identique afin d’encourager un risque de confusion dans l’esprit des internautes désirant se connecter au site « friskies.fr ». En effet, ce site proposait des liens hypertextes qui dirigeaient les internautes vers des sites dédiés à des produits concurrents destinés à l’alimentation des animaux de compagnie.

L’Expert note également que le Défendeur n’a strictement aucun droit ou intérêt légitime à choisir le nom de domaine « friskies.fr ». Au contraire, l’intention du Défendeur n’a jamais été d’enregistrer ce nom de domaine pour exploiter licitement un site internet dans le respect des droits des tiers. Il résulte, en effet, des faits de l’espèce que le Défendeur a souhaité tirer profit indûment et de façon malhonnête de la notoriété du signe “Friskies” en tentant, tel un parasite, de capter à son profit les internautes qui s’intéressent aux produits alimentaires félins pour leur proposer des liens hypertextes qui pointent vers des sites concurrents.

Il s’agit, pour le Défendeur, d’espérer obtenir une éventuelle rémunération, fondée sur le chiffre d’affaires réalisé par des annonceurs publicitaires, à partir des liens hypertextes placés sur son site. Il existe donc une volonté purement mercantile de détourner une partie de la clientèle du produit “Friskies” en utilisant des pratiques contraires à la loyauté commerciale la plus élémentaire.

L’utilisation du nom de domaine litigieux « friskies.fr » porte donc incontestablement atteinte aux droits de la société des Produits Nestlé SA, tout en constituant une violation des bonnes pratiques commerciales.

Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine « friskies.fr ».

Expert : Christophe Caron

 
 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.