Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert Le 15 mai 2007
Studio Magazine / Synthétique
marques
Les parties
Le Requérant est la société Studio Magazine SA, Saint Ouen, France, représenté par Selarl Gilbey de Haas, Paris, France.
Le Défendeur est la société Synthétique SAS, Roncq, France, représenté par Cabinet Fidal, Eurallile, France.
Nom de domaine et prestataire Internet
Le litige concerne le nom de domaine « studio.fr » enregistré le 20 mai 2000.
Le prestataire Internet est la société Amen / Agence des Médias Numériques.
Rappel de la procédure
Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 27 février 2007, par courrier électronique et le 28 février 2007, par courrier postal.
Le 1er mars 2007, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
Le 2 mars 2007, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.
Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 13 mars 2007.
Le 30 mars 2007, le Défendeur a sollicité une prolongation du délai de réponse. Le même jour le Centre a prolongé le délai de réponse jusqu’au 6 avril 2007. La réponse a été reçue par le Centre le 6 avril 2007.
Le 24 avril 2007, le Centre nommait Stéphane Lemarchand comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.
Le 17 avril 2007, le Requérant a déposé une réponse additionnelle et, par conséquent, le Défendeur a sollicité de pouvoir y répliquer.
Par une ordonnance rendue le 2 mai 2007, l’Expert se considérant suffisamment informé au regard des éléments exposés au sein de la demande et de la réponse a écarté la réponse additionnelle formée par le Requérant et a par conséquent rejeté la demande du Défendeur visant à y répliquer, cette demande n’ayant plus d’objet.
Les faits
Le Requérant est la société Studio Magazine qui a pour activité l’édition de revues et de périodiques.
Le Requérant est titulaire de nombreux enregistrements de marques semi figuratives comprenant le terme “Studio”.
Le Requérant est également titulaire du nom de domaine « studiomag.com » enregistré le 14 décembre 1996.
Le Défendeur est la société Synthétique, studio d’animation ayant pour activité la conception, la production d’images de synthèse et d’effets spéciaux, d’images en trois dimensions utilisant notamment la technique de la “motion capture”.
La société Synthétique a enregistré le nom de domaine « studio.fr » le 20 mai 2000.
Les parties ont été en contact s’agissant du transfert de ce nom de domaine sans que toutefois un accord intervienne.
C’est dans ces conditions que le Centre a été saisi du présent litige.
Argumentation des parties
Requérant
Le Requérant édite depuis 1987, un magazine dénommé “Studio Magazine” consacré à l’actualité cinématographique.
Ce mensuel selon le Requérant couramment appelé “Studio”, est tiré à 1.600.000 exemplaires par an, et est particulièrement connu du public français.
Le Requérant a constaté que la société Synthétique, le Défendeur, n’exploitait pas le nom de domaine « studio.fr » enregistré par elle le 20 mai 2000, mais au contraire l’avait mis en vente sur la page d’accueil du site Internet “www.studio.fr”.
Dès lors, le Requérant s’est rapproché du Défendeur afin d’obtenir le transfert du nom de domaine « studio.fr » à son profit.
Le Défendeur lui a indiqué être disposé à céder le nom de domaine « studio.fr » en contrepartie du versement de la somme de 40.000 euros. Le Requérant a formé une contre offre à 10 000 €.
Cette contre offre a été refusée par le Défendeur, celui-ci considérant le prix trop bas au regard du potentiel du nom de domaine « studio.fr » et a indiqué que le prix de vente ferme et définitif du nom de domaine « studio.fr » était de 35.000 euros.
Dès lors, le Requérant considère que l’enregistrement et l’utilisation ainsi faits du nom de domaine « studio.fr » constituent une atteinte à ses droits.
S’agissant de l’enregistrement du nom de domaine « studio.fr », le Requérant considère que le nom de domaine litigieux constitue l’imitation de la dénomination sociale, du nom de domaine « studiomag.com » ainsi que des marques dont le Requérant est titulaire.
Le Requérant fait par ailleurs remarquer que le Défendeur ne bénéficie d’aucun droit de propriété intellectuelle sur cette dénomination et qu’en tant que société spécialisée dans la réalisation d’images de synthèse et d’effets spéciaux, elle ne pouvait raisonnablement ignorer l’utilisation par le Requérant du nom “Studio”, en particulier pour désigner un magazine consacré aux productions audiovisuelles.
Selon le Requérant, l’enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur crée le risque que les internautes voient un lien entre le Défendeur et le Requérant.
Par ailleurs, il prive le Requérant de son droit légitime d’exploiter dans la zone “.fr” le nom “Studio” pour développer sur Internet le magazine éponyme, particulièrement connu du public français.
S’agissant de l’utilisation du nom de domaine « studio.fr », le Requérant considère que l’utilisation du nom de domaine litigieux porte atteinte aux règles de concurrence et au comportement loyal en matière commerciale.
Le Requérant considère ainsi que le Défendeur entend faire une exploitation purement lucrative du nom de domaine litigieux ; que le prix de vente de 40.000 euros, puis de 35.000 euros dépasse très largement les simples frais d’enregistrement du nom de domaine « studio.fr ».
Le Requérant sollicite, par conséquent, le transfert du nom de domaine litigieux à son profit.
Défendeur
Le Défendeur est un studio d’animation qui a pour activité la conception, la production d’images de synthèse et d’effets spéciaux, d’images en trois dimensions utilisant notamment la technique de la “motion capture”.
Il travaille en relation directe avec des réalisateurs et producteurs intéressés par les effets spéciaux.
A cet égard, selon le Défendeur, les entreprises d’effets spéciaux sont couramment appelées “studios”. On parle ainsi des “studios Disney”, des “studios Pixar”.
Le Défendeur prétend avoir régulièrement enregistré le nom de domaine « studio.fr » le 20 mai 2000, ce nom de domaine correspondant à un nom commun de la langue française particulièrement utilisé dans de très nombreux domaines d’activité, en ce compris pour désigner son activité de studio d’animation.
Selon le Défendeur, le nom de domaine « studio.fr » a été utilisé pour diriger l’internaute sur son site Internet accessible également par le nom de domaine « synthetique.fr ». Par ailleurs, le Défendeur a également une activité de création de sites Internet.
Le Défendeur a décidé, le 20 avril 2006, de mettre en vente le nom de domaine « studio.fr ».
En l’espèce, le Défendeur considère qu’aucune faute ne peut lui être reprochée s’agissant de l’enregistrement à titre de nom de domaine d’un terme du langage courant, et ce d’autant plus que le terme “Studio” est très couramment employé dans plusieurs domaines d’activité tels que l’immobilier, la publicité, la photographie, le cinéma et l’animation.
En outre, selon le Défendeur, le Requérant ne caractériserait ni l’imitation ni le risque de confusion.
A cet égard, le Défendeur considère qu’il n’a absolument pas la même activité et ne s’adresse pas à la même clientèle que le Requérant de sorte qu’aucune confusion ne peut avoir lieu dans l’esprit du public.
Par ailleurs, le Défendeur fait valoir, en réplique à la revendication par le Requérant d’un droit de propriété intellectuelle sur le titre de la revue qu’il édite, que si les titres peuvent être protégés par le droit d’auteur – ce que conteste le Défendeur en l’espèce -, cela ne confère pas à l’auteur ou ses ayant droits, la possibilité d’interdire toute forme d’usage.
En l’espèce, le nom de domaine n’est pas le titre d’un magazine et ne peut donc porter atteinte aux droits allégués.
S’agissant de la prétendue atteinte aux marques invoquées, le Défendeur relève que sur les trois marques invoquées, seule une a été enregistrée à titre de nom de domaine et que, par ailleurs, deux des trois marques invoquées sont postérieures à l’enregistrement du nom de domaine « studio.fr » et ne peuvent donc être opposées au Défendeur dans le cadre de la présente procédure.
Enfin et au regard du principe de spécialité régissant le droit des marques, le Défendeur précise qu’il convient de justifier d’un usage pour des produits et services identiques ou similaires à ceux visés dans l’enregistrement.
Or, selon le Défendeur, le nom de domaine « studio.fr » a été utilisé pour désigner le site Internet du Défendeur qui exerce une activité non visée par les marques du Requérant.
Cette exploitation n’a d’ailleurs jamais donné lieu à une quelconque réaction de la part du Requérant.
Le Défendeur ajoute qu’à ce jour, le nom de domaine n’est plus actif et, à cet égard, le simple enregistrement d’un nom de domaine comme son utilisation passée ne constitue pas un acte de contrefaçon au regard du principe de spécialité régissant le droit des marques.
Le Défendeur fait également valoir qu’aucun acte de concurrence déloyale ne peut lui être reproché et que, par ailleurs, il n’est pas démontré qu’il ait enregistré et utilisé le nom de domaine litigieux à des fins de “cybersquatting” ou de mauvaise foi.
Ainsi, en vertu de la liberté du commerce et de l’industrie, le Défendeur peut offrir à la vente des noms de domaine qu’il a ou non préalablement exploités.
L’activité de vente de noms de domaine n’a rien d’illicite en soi et ne constitue pas un acte contraire aux règles de concurrence et du comportement loyal en matière commerciale.
S’agissant plus particulièrement de la cession éventuelle du nom de domaine au Requérant, le Défendeur a la libre disposition de ses droits et des actifs qu’il a pu constituer légitimement.
Le Défendeur considère que le Requérant qui a engagé des discussions pour négocier la cession du nom de domaine, laquelle n’a pas abouti, tente aujourd’hui d’instrumentaliser la procédure de PARL pour obtenir, de manière forcée, en dehors de tout débat judiciaire, ce nom de domaine.
Discussion
L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite, en conséquence, la transmission à son profit.
L’Expert rappelle que, conformément à l’article 20(c) du Règlement : “Il fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers tels que définis à l’article 1 du présent Règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément, objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.
L’Expert rappelle également que l’article 1 du Règlement dispose que l’on entend par “atteinte aux droits des tiers”, au titre de la Charte, “une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale et aux droits au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne”.
En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par les parties, si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine litigieux portait atteinte aux droits du Requérant et, le Requérant sollicitant la transmission de ce nom de domaine à son profit, s’il justifiait de droits sur ce nom de domaine.
(i) Enregistrement du nom de domaine litigieux
En l’espèce, l’Expert constate que le Requérant est titulaire de droits antérieurs opposables sur la dénomination “Studio Magazine”, à titre de marque semi figurative et de dénomination sociale ainsi que d’un droit antérieur sur le nom de domaine « studiomag.com ».
L’Expert constate également que le magazine revendiqué ayant pour titre originel “Studio Magazine” est couramment dénommé “Studio”.
A cet égard, les magazines parus récemment ne comportent d’ailleurs plus que le nom “Studio”.
Pour autant, il ne saurait être contesté que le terme “Studio” est un terme générique pouvant servir à désigner tout à la fois, sans que cette énumération soit exhaustive, un studio d’enregistrement, un studio photo, une petite surface habitable.
Cette considération n’a nullement pour objet de contester le caractère distinctif des marques invoquées, et ce d’autant plus qu’il n’appartient pas à l’Expert de se livrer à une telle appréciation.
Toujours est-il que la protection conférée à des droits privatifs portant sur un terme générique ne peut avoir une portée absolue, sauf à priver tout concurrent de l’utilisation d’un terme appartenant au langage courant.
A cet égard, l’activité du Défendeur a trait à l’animation 3D et à la réalisation d’effets spéciaux, domaine d’activité où il est courant d’utiliser le terme “Studio” pour désigner, comme l’indique le Défendeur, à titre d’exemple, un studio d’animation.
Dès lors, il n’est pas déraisonnable de considérer que l’enregistrement du nom de domaine « studio.fr » le 20 mai 2000 ne l’a pas été par le Défendeur dans l’intention de nuire au Requérant et/ou de profiter indûment des investissements déjà engagés et développés par le Requérant sur ce terme, s’agissant de l’exploitation de la revue “Studio Magazine”.
Au contraire, tout laisse à penser que la motivation première du Défendeur a été de procéder à l’enregistrement d’un mot du langage courant, par ailleurs largement utilisé dans le cadre de son activité.
Ce seul acte n’est pas répréhensible.
D’ailleurs, aucune des pièces communiquées ne permet de conclure à une volonté délibérée du Défendeur de nuire aux intérêts du Requérant ou, à tout le moins, de bénéficier indirectement des investissements du Requérant, et ce notamment par un détournement des internautes à son profit.
En conséquence, l’Expert considère que l’enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur n’est pas intervenu en violation des droits du Requérant.
(ii) Utilisation du nom de domaine en violation des droits des tiers
Le nom de domaine « studio.fr » est aujourd’hui proposé à la vente par le Défendeur sur le site Internet accessible à cette adresse.
Le fait de proposer à la vente un nom de domaine constitué d’un terme générique n’est pas en soi fautif, sauf à démontrer la volonté du titulaire du nom de domaine de porter manifestement atteinte aux droits d’un tiers ou aux règles de loyauté en matière commerciale.
Cette atteinte peut notamment résulter d’une volonté patente d’entraver le développement sur Internet d’un intervenant économique ou encore de détourner une partie considérable de sa clientèle Internet, voire de proposer à la vente le nom de domaine à un concurrent direct.
Or, en l’espèce, aucun des éléments communiqués à l’Expert ne permet de conclure à une intention malveillante du Défendeur au stade de l’utilisation du nom de domaine.
En effet et comme cela vient d’être rappelé, le seul fait d’offrir à la vente un nom de domaine constitué d’un terme du langage courant n’est pas constitutif, en soi, d’une atteinte aux droits des tiers ou aux principes de loyauté commerciale.
Et à cet égard, il ne semble pas que le Requérant, ait lui même considéré, dans un premier temps, que cette offre à la vente portait atteinte à ses droits privatifs ou au principe de loyauté commerciale, puisqu’il a fait le choix de proposer la somme de 10.000 euros, somme non négligeable, en contrepartie du transfert, à son profit, du nom de domaine « studio.fr ».
Le Requérant, par son offre, a accepté, au départ, les termes d’une négociation.
Cette proposition a été rejetée par le Défendeur, ce dernier considérant que l’achat du nom de domaine ne pouvait se faire en dessous de 35.000 euros.
Si l’activité spéculative à laquelle s’est livré le Défendeur peut être contestable en ce qu’elle est nécessairement fonction de la considération de l’intérêt que peut susciter pour le Requérant l’acquisition d’un nom de domaine correspondant au titre de la revue qu’il exploite, ce seul élément inhérent au principe du jeu de l’offre et de la demande n’est pas, notamment au regard de la somme proposée par le Requérant, suffisant pour caractériser un comportement fautif ou à tout le moins abusif.
Et cet exercice spéculatif est d’autant moins répréhensible qu’il porte sur un terme du langage courant ne faisant pas immédiatement référence au Requérant.
Quoi qu’il en soit, il n’appartient à l’Expert ni de fixer le juste prix d’un nom de domaine constitué d’un terme générique pouvant susciter l’intérêt de nombreux acteurs économiques, ni par le biais d’une décision ordonnant le transfert, d’accorder au Requérant ce qu’il n’a pu obtenir à titre amiable, et ce dans la mesure où aucune faute du Défendeur n’est caractérisée.
En conséquence, l’Expert considère que l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur n’est pas intervenue en violation des droits du Requérant sur les droits antérieurs dont il est titulaire et en violation du principe de loyauté dans les relations commerciales.
Décision
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert rejette la demande de transmission du Requérant, à son profit, du nom de domaine « studio.fr ».
Expert : Stéphane Lermarchand
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.