Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert Le 1er octobre 2009
Pierre Fabre Dermo-Cosmetique / Sylvie M.
marques
Les parties
Le Requérant est Pierre Fabre Dermo-Cosmetique, Boulogne, France, représenté par Deprez Guignot & Associés, Paris, France.
Le Défendeur est Sylvie M., Entraigues-Sur-La-Sorgue, France.
Nom de domaine et prestataire internet
Le litige concerne le nom de domaine « Argane.fr » enregistré le 17 juin 2004.
Le prestataire internet est la société OVH.
Rappel de la procédure
Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 12 août 2009, par courrier électronique et le 17 août 2009, par courrier postal.
Le 13 août 2009, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
Le même jour, soit le 13 août 2009, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige, ainsi qu’aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n’était pendante.
Le 19 août 2009, le Centre a transmis au Requérant une Notification d’irrégularité de la demande. Le 20 août 2009, le Requérant a transmis au Centre une demande amendée.
Le Centre a vérifié que la demande amendée répondait bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic applicable (ci-après la “Charte”).
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 26 août 2009. Conformément à l’article 15 du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 15 septembre 2009. Le Défendeur n’a pas fait parvenir de réponse.
Le 21 septembre 2009, le Centre nommait Nathalie Dreyfus comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.
Les faits
Le Requérant est la société Pierre Fabre Dermo-Cosmetique, localisée à Boulogne.
Cette société est titulaire des droits de marque française suivants :
– marque verbale Argane n°1234523 déposée le 22 avril 1983, dûment enregistrée et renouvelée pour désigner des produits en classes 3 et 5 et notamment des produits cosmétiques pour l’hygiène et les soins de la peau, à l’exception du cuir chevelu.
Le Requérant invoque également des droits sur la marque Argane à l’étranger.
Le Requérant a eu connaissance du nom de domaine « Argane.fr » réservé le 17 juin 2004 au nom de Madame Sylvie M. Ce nom de domaine renvoie vers un site internet proposant des services d’“esthétique et de coiffure à domicile dans les alentours d’Avignon”.
Argumentation des parties
Requérant
Le Requérant indique d’une part qu’il dispose de droits de marque antérieurs et que le nom de domaine « Argane.fr » est strictement identique à la marque antérieure invoquée.
Il considère d’autre part que le Défendeur ne dispose d’aucun droit lui permettant de détenir légitiment le nom de domaine « Argane.fr » ni à titre de marque, dénomination sociale ou nom commercial. Le Requérant relève également que le Défendeur ne peut se prévaloir d’un intérêt légitime sur le nom de domaine « Argane.fr » dans la mesure où il ne bénéficie pas de licence, ni d’autorisation d’exploitation de la marque “Argane” enregistrée au nom du Requérant.
Le Requérant considère en outre que le nom de domaine litigieux a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi par le Défendeur aux motifs suivants :
– le nom de domaine est destiné à créer un risque de confusion avec la marque Argane enregistrée au nom du Requérant du fait de la similitude par complémentarité entre les produits visés par la marque et les services proposés sur le site internet auquel renvoie le nom de domaine litigieux ;
– le nom de domaine propose des liens vers des sites internet de concurrents du Requérant ;
– le Requérant avait mis en garde le Défendeur par une lettre de mise en demeure.
Défendeur
Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre dans le délai imparti et est en conséquence défaillant.
Discussion
L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement de marque ainsi qu’un enregistrement ou une utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite le transfert du nom de domaine à son profit.
Conformément à l’article 20(c) du Règlement, “l’expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l’article 1 du présent règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable”.
Il convient en outre de souligner que, conformément aux dispositions de l’article 1 du Règlement, on entend par “Atteinte aux droits des tiers une atteinte aux droits des tiers, en particulier, lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d’une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi”.
En conséquence, l’Expert s’est attaché à vérifier, au vu des arguments et pièces soumis par le Requérant, si l’enregistrement et/ou l’utilisation du nom de domaine litigieux portent atteinte aux droits de tiers ou aux règles de la concurrence. Par ailleurs, l’Expert a aussi vérifié si le Requérant, sollicitant le transfert de ce nom de domaine à son profit, a justifié de droits sur ce nom de domaine.
(i) Droits du requérant sur le nom de domaine
L’Expert constate que le Requérant est titulaire d’une marque française Argane n°1234523 déposée le 22 avril 1983, dûment enregistrée et renouvelée en classes 3 et 5 pour désigner notamment des produits cosmétiques pour l’hygiène et les soins de la peau, à l’exception du cuir chevelu.
Le Requérant apporte la preuve de l’enregistrement et du renouvellement de cette marque. Il démontre également l’exploitation de la marque Argane notamment sur l’internet pour désigner des produits cosmétiques.
Cette marque française a été enregistrée antérieurement à la réservation du nom de domaine « Argane.fr » le 17 juin 2004.
Le Requérant justifie donc d’un droit de marque en France sur le vocable “Argane” qui constitue l’élément principal et unique du nom de domaine litigieux « Argane.fr ».
(ii) Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence
Le nom de domaine « Argane.fr » est strictement identique à la marque antérieure française Argane du Requérant.
Le nom de domaine litigieux « Argane.fr » renvoie vers un site internet proposant des services d’esthétique et de coiffure à domicile.
La marque Argane vise des produits cosmétiques de soins pour la peau qui sont par nature complémentaires aux services d’esthétique dont la fonction première est le soin et l’entretien de la peau.
Le contenu du site internet auquel revoie le nom de domaine litigieux est ainsi fortement similaire aux produits visés par la marque antérieure française Argane enregistrée au nom du Requérant.
Il existe donc un risque de confusion entre la marque antérieure “Argane” et le nom de domaine strictement identique « Argane.fr ». L’internaute pourrait être amené à croire qu’il existe un lien entre le Requérant et le Défendeur. L’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux interviennent donc en violation des droits antérieurs du Requérant.
En outre, tel que démontré par le Requérant, le nom de domaine « Argane.fr » renvoie vers les sites internet “http://lorealparis.com/” et “http://www.cosmer.fr”. Ces deux sites internet proposent des produits cosmétiques concurrents de ceux développés par le Requérant. Le nom de domaine « Argane.fr » fait ainsi la promotion de produits développés par des concurrents directs du Requérant. Le Défendeur a ainsi cherché à détourner les internautes des produits du Requérant dont il ne pouvait ignorer l’existence au vu de l’exploitation de la marque Argane sur l’internet et compte tenu du fait que le Défendeur exerce dans le même secteur d’activité que celui du Requérant. Ce comportement est manifestement déloyal et contraire aux règles de la concurrence (Telecom Italia S.P.A. contre M. Cédric F., Litige Ompi No. DFR2009-0013 .
Au vu des différents éléments du dossier et en l’absence de preuve par le Défendeur d’un droit ou d’un intérêt légitime sur le nom de domaine « Argane.fr » et de sa bonne foi, l’Expert en conclut que la réservation et l’utilisation du nom de domaine « Argane.fr » violent les droits de marque antérieurs Argane du Requérant et les règles de la concurrence.
Décision
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine « Argane.fr ».
Expert : Nathalie Dreyfus
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.