Jurisprudence : Marques
Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert Le 23 décembre 2009
Burt's Bees, Inc. / Freddy R.
marques - nom de domaine
Les parties
Le Requérant est Burt’s Bees, Inc., Durham, Caroline du Nord, États-Unis d’Amérique, représenté par le Cabinet Lavoix, France.
Le Défendeur est Monsieur Freddy R., Dunkerque, France.
Nom de domaine et prestataire internet
Le litige concerne le nom de domaine « burtsbees.fr » enregistré le 19 décembre 2008.
Le prestataire internet est la société ELB Multimedia Netissime.
Rappel de la procédure
Une demande déposée par Burt’s Bees, Inc. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 6 novembre 2009, par courrier électronique et le 10 novembre 2009, par courrier postal.
Le 9 novembre 2009, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.
Le 9 novembre 2009, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige, et qu’aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n’est pendante.
Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic applicable (ci-après la “Charte”).
Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 11 novembre 2009. Conformément à l’article 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 1er décembre 2009. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 30 novembre 2009.
Le 9 décembre 2009, le Centre nommait Christiane Féral-Schuhl comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.
Le 14 décembre 2009, le Requérant adressait une nouvelle communication à l’attention de l’Expert. Le 15 décembre 2009, le Défendeur adressait à son tour une nouvelle communication.
Faisant exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, l’Expert décide de ne pas admettre dans la présente affaire ces différentes communications complémentaires intervenues trop tardivement et se considère suffisamment informé au regard des éléments exposés par les parties dans la plainte du Requérant et la réponse du Défendeur.
Les faits
Le Requérant, la société Burt’s Bees, Inc a pour activité la fabrication et la commercialisation de produits cosmétiques.
Le Requérant revendique un droit antérieur sur la dénomination Burt’s Bees à plusieurs titres :
– le Requérant est titulaire de la marque internationale Burt’s Bees nº 862315 enregistrée le 10 août 2005 pour des produits de la classe 3 et couvrant la Communauté Européenne ;
– le Requérant a procédé à l’enregistrement de la marque Burt’s Bees dans de nombreux pays et notamment au Canada, en Suisse, au Japon, aux États-Unis, au Mexique, en Nouvelle-Zélande ;
– le Requérant est titulaire depuis le 3 août 1997 des noms de domaine « burtsbees.com » et « globalburtsbees.com » et les exploite au travers d’un site internet de présentation du Requérant et des produits qu’il propose et de la localisation des différents points de vente des produits.
Le 19 décembre 2008, Monsieur R. a déposé le nom de domaine « burtsbees.fr ». Ce nom de domaine pointe aujourd’hui vers une page parking présentant les prestations du prestataire internet Netissime et sur laquelle figure des icônes renvoyant vers différents sites commerciaux.
C’est dans ces conditions que le Centre a été saisi du présent litige.
Argumentation des parties
Requérant
Le Requérant fait valoir que le nom de domaine litigieux est une copie servile de la marque Burt’s Bees dont il est titulaire.
Le Requérant déduit du souhait du Défendeur de ne pas laisser apparaître ses coordonnées de façon publique lors de l’enregistrement du nom de domaine litigieux une volonté manifeste de ce dernier de tirer indûment profit de la notoriété du Requérant.
Le Requérant fait également valoir que la dénomination “burtsbees” n’a pas de signification particulière en langue française et en déduit une volonté manifeste du Défendeur de profiter indûment du nom et de l’activité de la société Burt’s Bees.
Le Requérant estime que le Défendeur ne pouvait ignorer qu’en enregistrant le nom de domaine litigieux, il porterait atteinte aux droits antérieurs du Requérant. Le Requérant ajoute qu’en application de l’article 14(4) de la Charte de Nommage du “.fr” de l’Afnic, il appartient au défendeur de vérifier avant d’enregistrer un nom de domaine que cet enregistrement ne porte pas atteinte aux droits de tiers.
Le Requérant a soumis à l’Expert des copies d’écran faisant apparaître que le nom de domaine litigieux pointe sur le site “www.burtsbees.fr” qui est un site parking qui n’est pas exploité par le Défendeur et qui contient plusieurs icônes qui constituent des liens vers différents sites dont l’un propose à la vente des produits concurrents de ceux du Requérant.
Enfin, le Requérant fait valoir qu’il est en l’état privé de la possibilité d’enregistrer le nom de domaine « burtsbees.fr » comme il estime pouvoir légitimement le faire.
Le Requérant sollicite, par conséquent, le transfert du nom de domaine litigieux à son profit.
Défendeur
Le Défendeur indique qu’il ressort de l’analyse du site du Requérant qu’aucun point de vente des produits du Requérant n’est situé dans un pays de la Communauté Européenne et qu’il est impossible, à partir du site du Requérant, de procéder à l’achat en ligne des produits de la société Burt’s Bees.
Le Défendeur fait également valoir que le Requérant n’a enregistré au niveau communautaire la marque Burt’s Bees que pour les produits de la classe 3 (à savoir parfum, savon, cosmétiques, etc.) et qu’il n’est par conséquent titulaire d’aucun droit pour les produits des autres classes.
Le Défendeur en déduit qu’il n’y a pas de lien entre la marque Burt’s Bees sous laquelle sont commercialisés des produits cosmétiques et le nom de domaine litigieux que le Défendeur envisage d’exploiter pour son activité commerciale qui ne serait pas la vente de produits cosmétiques.
Enfin, le Défendeur prétend avoir obtenu une confirmation du personnel de l’Inpi qu’il pouvait exploiter le nom de marque Burtsbees, mais uniquement pour d’autres produits que ceux de la classe visée par le dépôt du Requérant.
Le Défendeur conteste, en conséquence, avoir porté atteinte aux droits du Requérant et s’oppose au transfert du nom de domaine litigieux.
Discussion
L’Expert constate que le Requérant invoque un enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur en violation de ses droits et sollicite, en conséquence, la transmission à son profit du nom de domaine.
L’Expert rappelle que, en application de l’article 1 du Règlement, une atteinte aux droits des tiers est constituée “lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d’une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi”.
L’Expert souligne que, en application de l’article 20(c) du Règlement, il fait droit à la demande “lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l’article 1 du présent Règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable”. En application de l’article 1 du Règlement, une atteinte aux règles de la concurrence désigne notamment “une violation du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire”.
(i) Droits du requérant sur le nom de domaine
L’Expert constate que le Requérant justifie de ses droits sur la marque Burt’s Bees dans différents États.
Le Requérant est ainsi titulaire de la marque internationale Burt’s Bees nº 862315 enregistrée le 10 août 2005 pour des produits de la classe 3 et couvrant la Communauté Européenne. Le Requérant est également titulaire de cette marque au Canada (Registration nº TMA678447), en Suisse (Registration nº 580717), à Hong Kong (Registration nº 300479412), au Japon (Registration nº 0005042431), au Mexique (Registration nº 895796), en Nouvelle-Zélande (Application nº 742042) et aux États-Unis (Registration n° 2171302).
Le Requérant démontre également l’exploitation de la marque Burt’s Bees notamment sur internet pour désigner des produits cosmétiques. En conséquence, l’Expert considère que le Requérant bénéficie de droits de propriété intellectuelle communautaires sur les termes composant le nom de domaine litigieux.
(ii) Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence
L’Expert constate tout d’abord que le nom de domaine litigieux constitue la reproduction de la marque communautaire enregistrée et exploitée antérieurement par le Requérant.
Or, en application de l’article 14(4) de la Charte de Nommage du “.fr” de l’Afnic, il appartenait au Défendeur de vérifier avant d’enregistrer un nom de domaine que cet enregistrement ne porte pas atteinte aux droits de tiers.
Le Défendeur ne pouvait donc ignorer que, en enregistrant ce nom de domaine, il portait nécessairement atteinte aux droits du Requérant, tout en l’empêchant de bénéficier d’un nom de domaine pour développer son activité sur le territoire français.
L’Expert considère en outre que le Défendeur ne démontre pas avoir de droit ou intérêt légitime à enregistrer le nom de domaine litigieux.
En effet, l’Expert relève que le Défendeur ne s’explique nullement sur le choix des termes composant le nom de domaine litigieux, alors même que ceux-ci n’ont aucune signification en français et en anglais signifient “les abeilles de Burt”. Le Défendeur ne s’explique pas non plus, un an après l’enregistrement du nom de domaine litigieux, sur le type de produits qu’il prétend vouloir commercialiser sur ce site. Or, le choix de la dénomination “burtsbees” comme nom de domaine ne peut, compte tenu de son caractère distinctif et fantaisiste, être le fruit du hasard et incite l’Expert à penser que le Défendeur avait connaissance des droits du Requérant lorsqu’il a procédé à l’enregistrement du nom de domaine « burtsbees.fr ».
L’Expert considère en outre qu’il n’est pas vraisemblable que le Défendeur ait réellement eu pour intention d’exploiter le nom de domaine litigieux pour y vendre des produits non concurrents du Requérant. En effet, à ce jour, un an après l’enregistrement du nom de domaine litigieux, celui-ci pointe toujours vers une page parking.
Le Défendeur explique cette situation par le fait que le site sur lequel il soutient vouloir commercialiser des produits non concurrents n’est pas encore développé. Toutefois, cette affirmation du Défendeur n’est étayée que par la production d’un devis en date du 9 mars 2009, soit près de neuf mois avant la plainte du Requérant. Or, ce devis ne vise pas expressément le nom de domaine litigieux et pourrait tout à fait concerner un autre site. L’Expert constate que le Défendeur ne justifie ainsi d’aucun acte préparatoire à la mise en ligne d’un son site marchand tel que par exemple, l’enregistrement d’une société ou d’une marque pour des produits (autres que de la classe 3), la confection d’un logo ou encore la commande d’une analyse de marché pour les produits qu’il prétend vouloir commercialiser.
À ce jour, un an après sa réservation, le nom de domaine litigieux pointe vers une page parking qui ne contient aucune information sur un éventuel site en construction du Défendeur mais contient des informations commerciales sur les prestations de l’hébergeur du site et rien ne permet d’être certain que cette page parking n’a pas vocation à être maintenue. L’Expert est également amené à s’interroger sur un éventuel intérêt financier du Défendeur à maintenir la page parking sur lequel pointe actuellement le nom de domaine litigieux puisqu’elle peut être assimilée à une page de publicité en faveur de l’hébergeur sur laquelle figure également d’autres liens commerciaux.
L’ensemble des éléments exposés ci-dessus du présent dossier permet de douter de la volonté réelle et sérieuse du Défendeur d’enregistrer et d’utiliser de bonne foi le nom de domaine litigieux.
En conséquence, l’Expert considère que l’enregistrement et l’utilisation du nom de domaine litigieux ont été effectués en violation des droits des tiers et des règles de la concurrence.
Décision
Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine « burtsbees.fr ».
Expert : Christiane Féral-Schuhl
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.