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Jurisprudence : Marques

mercredi 18 novembre 2009
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Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert Le 27 octobre 2009

Uniphy Elektromedizin GmbH & Co. KG. / Sarl Fitforme France

marques

Les parties

Le Requérant est Uniphy Elektromedizin GmbH & Co. KG, représenté par le cabinet Adlex Solicitors, Belgique.

Le Défendeur est Sarl Fitforme France, Paris, France.

Nom de domaine et prestataire internet

Le litige concerne le nom de domaine « fitvibe.fr ».

Le prestataire internet est la société OVH.

Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le ”Centre”) a été reçue le 14 septembre 2009 par courrier électronique.

Le 14 septembre 2009, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 14 septembre 2009, l’Afnic a confirmé l’identité du titulaire du nom de domaine et a confirmé qu’aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n’était pendante.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic applicable (ci-après la ”Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 18 septembre 2009. Conformément à l’article 15 du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 8 octobre 2009. Le Centre a notifié le défaut du Défendeur le 9 octobre 2009.

Le 20 octobre 2009, le Centre nommait William Lobelson comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

Les faits

Le Requérant fabrique et commercialise des appareils de remise en forme sous la marque Fitvibe, et est propriétaire de la marque communautaire enregistrée Fitvibe No. 2 973 758 déposée en date du 12 décembre 2002.

Le Requérant, par l’entremise de la société GymnaUniphy NV qui lui est affiliée, a conclu un accord de distribution exclusive de ses produits Fitvibe pour la France avec la société Fitforme France (le Défendeur) en date du 1er juin 2005, et explique avoir autorisé cette dernière à enregistrer le nom de domaine « fitvibe.fr ».

La société Fitforme France a enregistré le nom de domaine « fitvibe.fr » en date du 10 avril 2006 et exploite ce dernier au travers d’un site web dans lequel elle fait la promotion des appareils de remise en forme Fitvibe.

Par lettre en date du 6 février 2009, ledit contrat a été résilié à l’initiative de la société GymnaUniphy NV.

Le Requérant fait grief au Défendeur de demeurer titulaire du nom de domaine et d’en poursuivre l’exploitation, nonobstant la rupture du contrat de distribution précité.

La présente procédure a été engagée en date du 14 septembre 2009 par le Requérant.

Argumentation des parties

Requérant

Le Requérant fait grief au Défendeur de n’avoir aucun droit ni intérêt légitime dans le nom de domaine, et d’utiliser ce dernier de façon déloyale en relation avec des produits identiques aux siens, dans le but de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion, et pour perturber ses opérations commerciales.

Défendeur

Bien que régulièrement notifié de la demande, le Défendeur n’a présenté aucune observation en réponse aux allégations du Requérant.

Discussion

Conformément à l’article 20(c) du Règlement, “l’Expert fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers telle que définie à l’article 1 du présent règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le Requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

L’article 1 du Règlement définit l’atteinte aux droits comme :

– une atteinte aux droits des tiers, en particulier, lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d’une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi.

– une atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire.

Dès lors, il appartient en premier lieu à l’Expert de déterminer si, au regard du droit français, l’enregistrement ou l’usage du nom de domaine « fitvibe.fr » porte atteinte aux droits du Requérant.

En second lieu, la mesure de réparation demandée étant la transmission du nom de domaine litigieux, l’Expert doit s’assurer de l’existence des droits du Requérant sur l’élément objet de la demande, en l’espèce la dénomination “fitvibe”.

(i) Droits du requérant sur le nom de domaine

La présente procédure a été initiée par la société Uniphy ElektroMedizin GmbH & Co., dont il est établi par les pièces produites, notamment l’extrait de la base CTM Online, qu’elle est propriétaire de la marque communautaire No. 2 973 758 Fitvibe, laquelle produit ses effets en France, et a été déposée en date du 12 décembre 2002, soit antérieurement à la date du 10 avril 2006, à laquelle le nom de domaine incriminé a été enregistré.

Les droits du Requérant sur la marque Fitvibe sont ainsi établis.

Force est encore de constater que le nom de domaine contesté « fitvibe.fr » est identique à la marque antérieure du Requérant, le suffixe technique “.fr” étant inopérant.

(ii) Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence

Le Requérant rappelle lui-même qu’il a autorisé le Défendeur à enregistrer le nom de domaine litigieux, par l’entremise de la société GymnaUniphy NV, après que le Défendeur est devenu, contractuellement, distributeur exclusif de la marque Fitvibe en France.

Dans ce contexte, il ne fait aucun doute que l’enregistrement du nom de domaine « fitvibe.fr » par le Défendeur n’est pas entaché de fraude ni ne porte atteinte aux droits du Requérant.

Le Requérant soutient que l’actuelle utilisation du nom de domaine par le Défendeur constitue une atteinte à la marque enregistrée Fitvibe, depuis la rupture du contrat de distribution signé avec ce dernier.

Selon le Requérant, le Défendeur n’aurait plus à présent d’intérêt légitime dans le nom de domaine, qu’il exploiterait de façon nuisible en relation avec des produits identiques à ceux du Requérant, créant ainsi une confusion dans le but de détourner à des fins lucratives les consommateurs.

L’Expert, après s’être reporté aux pièces produites par le Requérant, et notamment aux pages écrans du site web du Défendeur, observe que le nom de domaine litigieux était utilisé, à la date à laquelle les pages écrans ont été imprimées, soit au 10 septembre 2009, en relation non pas avec des produits identiques à ceux du Requérant, mais plus exactement avec les produits authentiques Fitvibe du Requérant.

Le Requérant n’affirme nullement en effet et a fortiori ne démontre pas :

– que les produits offerts à la vente par le Défendeur sous le nom de domaine contesté ne sont pas les produits authentiques du Requérant ;

– que le Défendeur n’est pas en mesure de livrer les produits authentiques du Requérant dont il fait la promotion sous le nom de domaine contesté.

Le Défendeur apparaît donc exploiter le nom de domaine contesté, formé de la marque du Requérant, pour proposer à la vente en France les produits authentiques du Requérant.

Dans ce contexte, l’Expert considère que l’exploitation du nom de domaine « fitvibe.fr » ne réalise pas la contrefaçon de la marque Fitvibe du Requérant, ni n’a pour effet de semer de confusion dans l’esprit du public ni ne procède d’une volonté de détourner la clientèle du Requérant.

L’Expert observe que l’argumentation du Requérant est toute entière axée sur l’atteinte à sa marque, mais qu’à plusieurs reprises dans ses développements, le Requérant évoque le fait que le Défendeur n’aurait plus d’intérêt légitime à détenir le nom de domaine litigieux du fait de la rupture du contrat de distribution qui les liait.

Le Requérant sous-entend donc que du fait de la terminaison du contrat, le Défendeur détiendrait et utiliserait encore le nom de domaine au mépris d’une obligation contractuelle ou de loyauté.

L’Expert, à l’examen des pièces produites à l’appui de la présente procédure et en particulier le contrat de distribution du 1er juin 2005 et la lettre de résiliation adressée au Défendeur en date du 6 février 2009, observe d’une part que le contrat ne contient aucune disposition relative à l’enregistrement et/ou à l’utilisation du nom de domaine litigieux ou de la marque du Requérant après résiliation et, d’autre part, que le contrat est résilié au détriment du Défendeur sous le visa de l’article 12.2 dudit contrat, lequel stipule que la résiliation peut être anticipée et immédiate en cas de manquement de l’une des parties à l’une de ses obligations substantielles, auquel il ne serait pas remédié dans les 60 jours suivant notification par l’autre partie. Or, la seule lettre de résiliation du 6 février 2009 sur laquelle se fonde le Requérant ne permet pas de vérifier si les conditions de rupture énoncées à l’article 12.2 sont réunies.

Il existe donc au cas particulier un doute sérieux quant à la validité de la résiliation du contrat invoquée par le Requérant et quant aux effets de cette dernière sur le sort du nom de domaine contesté.

L’Expert relève encore à la lecture du contrat son article 9, qui fait obligation au fabricant d’honorer les commandes passées par le distributeur avant la terminaison du contrat, et ce jusqu’à trois mois après la date de résiliation.

Or force est de constater que dans sa lettre de résiliation, le Requérant fixe la terminaison du contrat au 31 mai 2009. Selon les termes mêmes du contrat, des livraisons de produits pouvaient donc se poursuivre jusqu’au 31 août 2009, à charge, en toute logique, pour le Défendeur de pouvoir ensuite écouler ses stocks, c’est à dire poursuivre la distribution des produits du Requérant.

Il n’est pas déraisonnable de considérer qu’à la date à laquelle la présente procédure a été introduite par le Requérant, soit le 14 septembre 2009, ainsi qu’à la date à laquelle les pages écrans du site web accessible par le nom de domaine contesté ont été imprimées, soit le 10 septembre 2009, le Défendeur n’avait pas nécessairement épuisé son stock de produits livrés par le Requérant.

Dans ce cas, même à considérer que la résiliation du contrat à date du 31 mai 2009 soit effective et opposable au Défendeur, celui-ci bien qu’ayant perdu la qualité de distributeur exclusif, pouvait encore proposer à la vente en France les produits authentiques du Requérant, livrés par ce dernier, au même titre qu’un distributeur non exclusif.

L’Expert souligne que dans un tel cas, le Défendeur pourrait être considéré comme ayant un intérêt légitime dans le nom de domaine, en application des principes dégagés dans l’affaire “Ittbarton” (ITT Manufacturing Enterprises, Inc., ITT Corporation v. Douglas N., Differential Pressure Instruments, Inc, Litige Ompi No. D2008-0936).

Mais le Requérant n’apporte aucune information dans sa demande sur la question de savoir si le Défendeur a accepté ou contesté la résiliation du contrat, si des commandes qu’il avait passées avant la résiliation ont dû être honorées et, par voie de conséquence, si même après la résiliation, le Défendeur était en droit de proposer à la vente un résidu de stock de produits du Requérant.

Il ne justifie pas non plus avoir, préalablement à l’introduction de la présente procédure, avoir mis en demeure le Défendeur de cesser tout usage de la marque Fitvibe et du nom de domaine « fitvibe.fr » et de lui rétrocéder ce dernier.

Au vu des seules pièces produites à l’appui de la présente procédure, et en l’absence d’observations du Défendeur en réponse aux allégations du Requérant, l’Expert n’est pas en mesure de déterminer si l’utilisation du nom de domaine contesté à la date d’introduction de la demande est effectuée de mauvaise foi ou non, ou en violation d’une obligation contractuelle ou de loyauté.

Le contentieux qui oppose les parties dépasse de toute évidence le cadre strict de la présente procédure et la seule question de la titularité et de l’utilisation du nom de domaine contesté.

L’Expert estime ne pas avoir à interférer dans le litige commercial qui oppose les parties en prenant une décision sur un seul des aspects du contentieux, à savoir le transfert du nom de domaine.

L’Expert juge qu’il y a d’abord lieu de vérifier la régularité de la résiliation du contrat de distribution qui lie les parties, et de qualifier la nature de leur relation économique et juridique postérieure au contrat selon que le Défendeur poursuit la distribution de produits authentiques du Requérant ou non.

Ces questions à l’évidence ne relèvent pas de la compétence de l’Expert, qui invite les parties à mieux se pourvoir pour régler leur différend.

Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert prononce le rejet de la demande du Requérant et n’ordonne pas le transfert du nom de domaine « fitvibe.fr ».

Expert : William Lobelson

 
 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.