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Jurisprudence : Marques

jeudi 23 avril 2009
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Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert Le 6 avril 2009.

SplitGames / Ediciel

marques - nom de domaine

Les parties

Le Requérant est SplitGames de Boulogne Billancourt, France, représenté par Taylor Wessing, France.

Le Défendeur est Ediciel d’Etaules, France.

Nom de domaine et prestataire internet

Le litige concerne le nom de domaine « play.fr ».

Le prestataire Internet est la Ediciel.

Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 19 février 2009, par courrier électronique et le 23 février 2009, par courrier postal.

Le 20 février 2009, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 23 février 2009, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige, ainsi qu’aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n’est pendante.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic applicable (ci-après la “Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 2 mars 2009. Conformément à l’article 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 22 mars 2009. Le Défendeur a fait parvenir sa réponse le 20 mars 2009.

Le 2 avril 2009, le Centre nommait Christophe Caron comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

Les faits

La société SplitGames a pour activité d’éditer des sites web dédiés aux jeux vidéos. En janvier 2008, elle a fait l’acquisition du site “Playfrance” exploité à l’adresse « playfrance.com ». Afin de conforter ses droits sur cette dénomination, le Requérant a déposé, le 10 janvier 2008, la marque française Playfrance pour désigner notamment des produits et services de jeux en ligne. Elle s’est fait transférer, à l’amiable, le nom de domaine « playfrance.fr ». Puis, elle a déposé le 4 avril 2008 la marque Play afin de désigner notamment des produits de vaisselle et a réservé le nom de domaine « play.tm.fr » afin d’exploiter un site de vente à distance de différents produits, notamment de vaisselle.

Le 9 décembre 2008, le Requérant a tenté, sans succès, de se faire transférer à l’amiable et à titre onéreux le nom de domaine litigieux « play.fr » auprès de la société Ediciel qui l’a réservé le 2 novembre 2005 sans pour autant l’exploiter depuis.

Etant donné l’impossibilité de se faire transférer ce nom de domaine, le Requérant a saisi le Centre afin d’obtenir la transmission du nom de domaine « play.fr » à son profit.

Argumentation des parties

Requérant

Le Requérant considère qu’il a des droits sur le nom de domaine litigieux « play.fr » car il est titulaire de la marque française n° 083548270 Playfrance et de la marque française n° 083566990 Play. Il prouve aussi être titulaire des noms de domaine « playfrance.com », « playfrance.fr » et « play.tm.fr ».

Etant donné ses droits précités, le Requérant estime que le nom de domaine « play.fr » est identique à sa marque Play et que le Défendeur ne dispose d’aucun intérêt légitime à être titulaire du nom de domaine « play.fr », d’autant plus qu’il en paralyse l’utilisation sans pour autant exploiter de site. Le Requérant considère également que le nom de domaine « play.fr » contrefait par imitation sa marque Playfrance en créant un risque de confusion dans l’esprit du consommateur.

Pour ces différentes raisons, il sollicite la transmission à son profit du nom de domaine « play.fr ».

Défendeur

Le Défendeur souligne que le nom de domaine « play.fr » a été enregistré antérieurement aux marques du Requérant. En outre, il considère qu’il n’existe aucune confusion entre son nom de domaine et les signes distinctifs du Requérant.

Le Défendeur conclut au rejet de la Demande du Requérant.

Discussion

L’Expert rappelle que, en application de l’article 1 du Règlement, une atteinte aux droits des tiers est constituée lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d’une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi. En application du même article, une atteinte aux règles de la concurrence désigne notamment une violation du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire.

L’Expert souligne que, en application de l’article 20(c) du Règlement, il fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l’article 1 du présent règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable.

(i) Droits du requérant sur le nom de domaine

Le Requérant justifie avoir des droits sur l’expression Play puisqu’il a enregistré, le 4 avril 2008, la marque française n° 083566990 “play” pour désigner notamment des produits de vaisselle. Il a également enregistré le nom de domaine « play.tm.fr ».

Le Requérant justifie également avoir des droits sur une expression englobant le terme “play” puisqu’il a enregistré le 10 janvier 2008 la marque française n° 083548270 Playfrance. Il est également titulaire des noms de domaine « playfrance.fr » et « playfrance.com ».

Il convient cependant de remarquer que les droits du Requérant sont très postérieurs à l’enregistrement, le 2 novembre 2005, du nom de domaine litigieux « play.fr » par le Défendeur. De plus, le Requérant ne prouve pas que les marques Play ou Playfrance soient notoires.

L’Expert considère que le Requérant a donc des droits sur le terme “play” qui constitue le nom de domaine litigieux, mais ils sont postérieurs à l’enregistrement de ce dernier.

(ii) Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence

L’enregistrement du nom de domaine « play.fr » par le Défendeur, le 2 novembre 2005, n’a pas porté atteinte aux droits de propriété intellectuelle du Requérant puisque, à cette date, ils n’existaient pas encore. De même, cet enregistrement ne constituait pas, le 2 novembre 2005, une violation du comportement loyal en matière commerciale qui aurait porté préjudice au Requérant puisque, à l’époque, ce dernier n’exploitait pas le terme “play”.

L’utilisation du nom de domaine « play.fr » par le Défendeur, du 2 novembre 2005 au début de l’année 2008, date de la naissance des droits du Requérant sur le terme “play”, ne portait pas atteinte aux prérogatives de ce dernier sur ce mot puisqu’il convient de rappeler qu’elles n’existaient pas encore. Il en résulte que, pendant cette période, le Défendeur était de bonne foi à l’égard du Requérant.

Quant à l’utilisation du nom de domaine « play.fr » par le Défendeur à partir du début de l’année 2008, il importe de constater que la marque Play du Requérant est effectivement identique au nom de domaine litigieux « play.fr ». Néanmoins, au regard du principe fondamental de la spécialité qui fonde le droit des marques, le propriétaire d’une marque, qui n’est pas notoire, ne peut pas prétendre interdire, de façon absolue et systématique, à toute personne d’utiliser un nom de domaine qui reprend sa marque en l’absence d’exploitation d’un site dédié à des produits et services identiques ou similaires à ceux qui sont désignés dans son enregistrement.

En outre, il apparaît que le Défendeur a utilisé le nom de domaine de bonne foi sans avoir la volonté de nuire au Requérant puisqu’il utilisait ce nom de domaine bien avant la naissance des droits du Requérant sur l’expression litigieuse. Etant donné qu’il n’est pas avéré que cette utilisation a porté atteinte aux droits des tiers, il avait donc un intérêt légitime à continuer à l’utiliser. En outre, le Défendeur peut arguer d’un droit sur le nom de domaine qui est antérieur aux droits du Requérant. Quant au fait non contesté que le nom de domaine « play.fr » ne désigne aucun site exploité, s’il est regrettable qu’un terme courant tel que le mot “play” fasse ainsi l’objet d’un enregistrement sans engendrer une exploitation réelle et sérieuse, il n’en demeure pas moins qu’il n’existe pas, pour les noms de domaine, une procédure de déchéance du droit pour défaut d’exploitation à l’instar de ce qui existe en droit des marques. Dès lors, sauf à prouver que cette inexploitation nuit volontairement aux intérêts du Requérant, ce qui constituerait une violation du comportement loyal en matière commerciale, elle n’apparaît pas, en tant que telle, répréhensible car une telle preuve n’est pas rapportée en l’espèce.

Pour ces différentes raisons, l’Expert considère que le Défendeur n’a pas enregistré, ni utilisé le nom de domaine litigieux en violation des droits du Requérant ou des règles de la concurrence.

Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert rejette la demande.

Expert : Christophe Caron

 
 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.