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Jurisprudence : Marques

mercredi 25 novembre 2009
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Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert Le 6 novembre 2009

Bayard Presse / Christophe P.

marques

Les parties

Le Requérant est Bayard Presse, Montrouge, France, représenté par le Cabinet Plasseraud, France.

Le Défendeur est Christophe P., Paris, France.

Nom de domaine et prestataire internet

Le litige concerne le nom de domaine « notre-temps.fr ».

Le prestataire internet est la société OVH.

Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 18 septembre 2009 par courrier électronique.

Le 18 septembre 2009, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 21 septembre 2009, l’Afnic a confirmé l’identité du titulaire du nom de domaine et a confirmé qu’aucune procédure administrative applicable au nom de domaine objet du litige n’était pendante.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le “Règlement”) en vigueur depuis le 22 juillet 2008, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic applicable (ci-après la “Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur le 24 septembre 2009. Conformément à l’article 15(a) du Règlement, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 14 octobre 2009. Le Centre a notifié le défaut du Défendeur le 15 octobre 2009.

Le 26 octobre 2009, le Centre nommait Alexandre Nappey comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

Les faits

Le Requérant est la société Bayard Presse, société anonyme de droit français, immatriculée au Registre du Commerce et des sociétés de Nanterre, exerçant ses activités dans le domaine de l’édition.

Bayard Presse édite notamment le mensuel Notre Temps qui s’adresse aux seniors, et qui revendique plus de 4 millions de lecteurs. Le magazine Notre Temps dispose également d’un site internet accessible à l’adresse “www.notretemps.com”.

Le Requérant a identifié l’enregistrement du nom de domaine « notre-temps.fr », réalisé sous couvert d’anonymat en date du 9 août 2006.

Il a sollicité la divulgation des données personnelles du déposant, conformément aux dispositions de l’article 23.2 de la Charte de nommage édictée par l’Afnic. Le registre a fait droit à cette demande par courrier électronique du 13 novembre 2008.

Le titulaire du nom de domaine litigieux, tel qu’identifié par le registre, est M. Christophe P.

Le Requérant a dès lors adressé un courrier recommandé de mise en demeure au titulaire du nom de domaine litigieux, le 18 février 2009, afin de l’informer de l’existence de ses droits sur la dénomination Notre Temps et de l’enjoindre de procéder au transfert du nom de domaine « notre-temps.fr ».

Ce courrier, resté sans réponse, a fait l’objet d’un rappel le 3 avril 2009 dans lequel le Requérant proposait d’acquérir le nom de domaine litigieux pour une somme de 150 €.

Le titulaire du nom de domaine a fait parvenir sa réponse par courrier le 6 mai 2009, réfutant toute tentative d’atteinte à la marque du Requérant et proposant de céder le nom de domaine « notre-temps.fr » contre la somme de 1500 €.

Le Requérant a maintenu ses griefs tout en portant son offre de rachat à 500 €, par un ultime courrier du 15 mai 2009 auquel le titulaire du nom de domaine n’a jamais donné suite.

Par conséquent, le Requérant a engagé la présente procédure.

Argumentation des parties

Requérant

Le Requérant soutient qu’il détient des droits sur la dénomination Notre Temps à titre de marque en France depuis 1984. Il souligne qu’il exploite cette marque de manière soutenue et ininterrompue depuis de nombreuses années, notamment pour désigner son magazine à destination des seniors.

Il précise qu’il a également procédé à l’enregistrement de plusieurs noms de domaine construits sur la marque Notre Temps, et qu’il exploite pour activer un site internet éditorial en complément du magazine.

Il cite à l’appui de ses allégations les noms de domaine suivants :

« notretemps.com » déposé depuis 1998,

« notre-tremps.com » déposé depuis 2004,

« notretemps.fr » déposé depuis 2003,

« notretemps.eu » déposé depuis 2006,

« notre-temps.eu » également déposé depuis 2006.

Selon le Requérant, l’enregistrement du nom de domaine litigieux par le Défendeur porte atteinte à ses droits sur la dénomination Notre Temps.

Toujours selon le Requérant, le nom de domaine litigieux reproduit intégralement la marque et les noms de domaine Notre Temps, alors même que le Défendeur ne dispose d’aucun droit ou intérêt légitime susceptible de justifier cet enregistrement.

Le Requérant fonde ses allégations sur le résultat des recherches qu’il a effectuées dans les bases de données officielles et qui ne révèlent aucun droit au profit du Défendeur sur la dénomination Notre Temps.

De plus, le Requérant souligne que le Défendeur n’exploite pas le nom de domaine litigieux ce qui confirme son absence d’intérêt légitime sur le nom, ainsi que l’atteinte portée aux droits du Requérant.

Enfin, le Requérant rappelle qu’il a tenté, en vain, de résoudre le différend à l’amiable en allant jusqu’à proposer de racheter le nom de domaine litigieux au Défendeur, qui poursuit sa détention passive de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.

Le Requérant sollicite par conséquent le transfert à son profit du nom de domaine objet de la présente procédure.

Défendeur

Le Défendeur n’a pas formellement pris part à la procédure, en ne présentant aucune argumentation en réponse à la plainte dans le délai qui lui était imparti.

Toutefois, à plusieurs reprises, le Défendeur a contacté le Centre pour lui indiquer qu’il n’était plus titulaire du nom de domaine litigieux, dont il avait demandé la radiation.

Discussion

A titre liminaire, il appartient à l’Expert de se prononcer sur les observations que le Défendeur a adressé au Centre de manière informelle, et aux termes desquelles il précise qu’il n’est plus titulaire du nom de domaine litigieux.

Sur ce point, l’Expert rappelle qu’en vertu des dispositions du Règlement, applicable au cas d’espèce, le Défendeur est “le titulaire du nom de domaine objet du litige ou des noms de domaine objets du litige, contre lequel une procédure alternative de résolution de litiges a été engagée.” (Article 1 du Règlement).

Or, d’après les informations communiquées au Centre par l’Afnic lors du dépôt de la plainte par le Requérant, il apparaît que le titulaire du nom de domaine litigieux est bien M. Christophe P.

Suite à une réitération du Défendeur, le Centre a pris soin d’interroger à nouveau l’Afnic qui a confirmé par un courrier électronique émanant de sa direction juridique et daté du 20 octobre 2009 que le Défendeur était bien le titulaire du nom de domaine litigieux dans sa base de données officielle.

Le Défendeur n’ayant fourni aucune preuve tangible de nature à démontrer qu’il n’est effectivement plus titulaire du nom de domaine objet de la présente procédure, l’Expert s’en tient aux déclarations confirmées de l’Afnic et décide que le Défendeur est bien titulaire du nom de domaine « notre-temps.fr ».

Sur le fond, l’Expert rappelle que, en application de l’article 1 du Règlement, “une atteinte aux droits des tiers est constituée, en particulier, lorsque le nom de domaine est identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle français ou communautaire (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), ou est identique au nom patronymique d’une personne, sauf si le défendeur fait valoir un droit ou un intérêt légitime sur le nom de domaine et agit de bonne foi.”

En application du même article, une atteinte aux règles de la concurrence désigne notamment une violation “aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciale en droit français ou communautaire”.

L’Expert souligne que, en application de l’article 20(c) du Règlement, il fait droit à la demande “lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers ou aux règles de la concurrence telles que définies à l’article 1 du présent règlement et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de ladite atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte applicable. ”

(i) Droits du requérant sur le nom de domaine

Le Requérant démontre qu’il dispose sur la dénomination Notre Temps de droits de propriété intellectuelle.

Outre le fait que Notre Temps est un magazine dont le titre est susceptible d’être protégé par les dispositions de l’article L112-4 du Code de la Propriété Intellectuelle (voir sur ce point l’affaire Les Echos contre KLTE Ltd, Litige Ompi No. DFR2005-0012), il ressort de la plainte et de ses annexes que le Requérant bénéficie sur la dénomination Notre Temps des droits de marque en France.

De plus, le Requérant exploite un site internet en complément du magazine qu’il édite. Or ce site est accessible à partir de noms de domaine exclusivement constitués de la marque Notre Temps.

Dès lors, l’Expert considère que le Requérant bénéficie de droits privatifs sur la dénomination Notre Temps, à titre de marque et de nom de domaine.

Dans la mesure où il est constant que l’extension “.fr” est sans incidence sur l’identité ou la similitude des signes en présence, l’Expert estime enfin que le nom de domaine litigieux est identique aux marques et noms de domaine sur lesquels le Requérant a des droits.

(ii) Enregistrement ou utilisation du nom de domaine litigieux en violation des droits des tiers ou des règles de la concurrence

L’Expert estime que l’enregistrement mais aussi l’utilisation du nom de domaine « notre-temps.fr » ont été effectués en violation des droits du Requérant.

Tout d’abord, il ressort des éléments produits par le Requérant au soutien de ses écritures que le Défendeur ne bénéficie d’aucun droit sur le signe Notre Temps sous lequel il n’est pas connu.

Or, comme le stipule la Charte édictée par l’Afnic, il est de la responsabilité du Défendeur de s’assurer que le nom de domaine qu’il envisage d’enregistrer ne porte pas atteinte aux droits des tiers (article 14.1.4 de la Charte de nommage).

Compte tenu de l’exploitation soutenue que le Requérant fait de la marque Notre Temps et de la large diffusion du magazine, le Défendeur ne pouvait ignorer les droits de celui-ci.

De surcroît, bien que le nom de domaine « notre-temps.fr » ne soit pas actif, il est susceptible de créer dans l’esprit des internautes un risque de confusion et causer un préjudice au Requérant qui risque de voir une partie de sa clientèle détournée. Voir sur ce point affaire Confédération Nationale du Crédit Mutuel contre Fernand G., Litige Ompi No. DFR2009-0002.

Les vaines tentatives de radiation du nom de domaine par le Défendeur confirment qu’il n’avait aucun intérêt propre dans le nom de domaine litigieux, hormis l’objectif de le revendre au titulaire pour une somme excédant manifestement les frais d’enregistrement qu’il avait exposés, ce qu’il n’a pas manqué de faire en proposant la vente pour un montant de 1500 €.

En conséquence, l’Expert estime que le Défendeur a failli aux obligations de loyauté que lui imposaient les règles en matière commerciale.

Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’Expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine « notre-temps.fr ».

Expert : Alexandre Nappey

 
 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.