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Jurisprudence : Marques

mercredi 13 juin 2007
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Centre d’arbitrage et de médiation de l’Ompi Décision de l’expert Le 7 mai 2007

Confédération Nationale du Crédit Mutuel / Arnaud B.

marques

Les parties

Le Requérant est La Confédération Nationale du Crédit Mutuel, Paris, France, représenté par la Cabinet Meyer & Partenaires, Strasbourg, France.

Le Défendeur est Arnaud B., France.

Nom de domaine et prestataire Internet

Le litige concerne le nom de domaine « creditmituel.fr » enregistré le 22 décembre 2006.

Le prestataire Internet est la société EuroDNS, Luxembourg.

Rappel de la procédure

Une demande déposée par le Requérant auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) a été reçue le 26 février 2007, par courrier électronique et le 28 février 2007, par courrier postal.

Le 27 février 2007, le Centre a adressé à l’Association Française pour le Nommage Internet en Coopération (ci-après l’“Afnic”) une demande aux fins de vérification des éléments du litige et de gel des opérations.

Le 28 février 2007, l’Afnic a confirmé l’ensemble des données du litige.

Le 2 mars 2007, le Centre a adressé au Requérant une notification d’irrégularité de la demande.

La plainte amendée a été reçue par le Centre le 5 mars 2007.

Le Centre a vérifié que la demande répond bien au Règlement sur la procédure alternative de résolution des litiges du “.fr” et du “.re” par décision technique (ci-après le ”Règlement”) en vigueur depuis le 11 mai 2004, et applicable à l’ensemble des noms de domaine du “.fr” et du “.re” conformément à la Charte de nommage de l’Afnic (ci-après la “Charte”).

Conformément à l’article 14(c) du Règlement, une notification de la demande, valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur le 13 mars 2007. Le défendeur n’ayant adressé aucune réponse dans le délai expirant au 2 avril 2007, le Centre a adressé le 11 avril 2007 aux parties une notification de défaut du défendeur.

Le 23 avril 2007, le Centre nommait Christian Le Stanc comme Expert dans le présent litige. L’Expert constate qu’il a été nommé conformément au Règlement. L’Expert a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément à l’article 4 du Règlement.

Les faits

Le Requérant a notamment une activité de banque de détail parfaitement connue du public en France sous le nom de “Crédit mutuel”. Le Requérant est titulaire de diverses marques, notamment :

Marque semi figurative française “Crédit mutuel” déposée le 8 juillet 1988 et enregistrée sous le numéro 1 475 940 pour des services des classes 35 et 36, marque renouvelée le 15 mai 1998.

Marque semi figurative française “Crédit mutuel” déposée le 20 mai 1990 et enregistrée sous le n° 1 646 012 pour des produits ou services des classes 16, 35, 36, 38 et 41, marque renouvelée le 20 novembre 2000.

Marques semi figuratives “Crédit mutuel la banque à qui parler”, déposées à titre de marque française ou communautaire.

Une filiale du requérant, la société Euro information, a enregistré les noms de domaines : « creditmutuel.fr » le 10 août 1995, renouvelé depuis,
« creditmutuel.com » le 28 octobre 1995, renouvelé depuis. Ces noms de domaine sont actifs et renvoient au portail internet du requérant, accessible à l’adresse “www.creditmutuel.fr”.
En outre, le requérant ou sa filiale ont enregistré entre le 3 octobre 1996 et le 26 septembre 2006 les noms de domaines : « creditmutuel.net », « creditmutuel.info », « creditmutuel.mobi », « creditmutuel.eu ».

Relevant l’enregistrement auprès de EuroDNS Luxembourg, le 22 décembre 2006, et l’existence d’un nom de domaine « creditmituel.fr », enregistrement effectué sous couvert d’anonymat en application de l’article 30.2 de la Charte de nommage du “.fr”, le requérant a engagé auprès du Centre une procédure administrative en vue du transfert à son profit du nom de domaine litigieux.

Conformément au texte précité, une procédure alternative de résolution des litiges ayant été mise en œuvre, l’anonymat a été levé et le requérant a pu amender sa plainte en désignant le défendeur comme étant M. Arnaud B. domicilié à Levallois Perret, France.
Le Défendeur n’a pas mis à profit le délai qui lui était imparti, jusqu’au 2 avril 2007, pour formaliser une réponse à la plainte.

Cependant, après notification de la plainte au défendeur, un échange téléphonique est intervenu entre les parties ou leur représentants (14 mars 2007), suivi de courriels jusqu’au 18 avril 2007.

De ces correspondances, il résultait que le défendeur acceptait le transfert du nom en cause au requérant, mais n’acceptait pas de verser audit requérant la somme de 2000 euros, demandée par ce dernier en couverture des frais et diligences de ce dossier.

Dans ces conditions, la procédure administrative suivait son cours et l’expert fut nommé le 23 avril 2007.

Argumentation des parties

Requérant

Le requérant sollicite le transfert à son profit du nom de domaine « creditmituel.fr ».

Il indique qu’il a des droits sur la dénomination “Crédit Mutuel”, en faisant état des marques dont il dispose et des divers noms de domaine comportant les mots “crédit mutuel”, lui appartenant, par lui même ou par l’intermédiaire d’une filiale.
Le requérant ajoute qu’il jouit d’une notoriété, d’ailleurs reconnue à l’occasion de procédure UDRP (Litige Ompi n° D2006 0248).

Il soutient que l’enregistrement effectué par le défendeur du signe litigieux constitue l’imitation du nominal attractif et arbitraire de ses marques en ce que les signes sont identiques à la seule exception du “u” remplacé par un “i”, voyelles précisément situées côte à côte sur les claviers d’ordinateurs ; qu’un important risque de confusion s’en évince, à preuve selon lui, les occurrences sur le moteur de recherches “Google”.

Il ajoute que sa notoriété et sa renommée font que le défendeur, domicilié en France, ne pouvait sérieusement ignorer la banque Crédit Mutuel.

Le requérant évoque en outre, sur l’utilisation semble-t-il, le fait que le signe en débat renvoie à une page dite “de parking” ayant des liens commerciaux faisant la promotion d’opérateurs financiers concurrents (ING Direct etc.), détournant ce faisant (avec rémunération) le trafic des internautes qui commettraient un erreur de frappe en saisissant le nom « creditmituel.fr », ceci constituant une pratique de “typosquatting”.

De plus, il suggère que ledit nom de domaine « creditmituel.fr » pourrait être à tout instant activé pour des attaques frauduleuse de type “phishing” (hameçonnage), dont le requérant aurait d’ores et déjà été victime de la part de tiers.

Enfin, le requérant sollicite que la décision à intervenir puisse être mise en ligne sans occultation de l’identité du défendeur, pour des raisons d’équité et également pédagogiques aux fins de dissuader les auteurs de pareilles atteintes de les réitérer dans des cas similaires.

Défendeur

Le Défendeur n’a adressé aucune réponse au Centre dans le strict cadre de la procédure engagée.

Discussion

Il revient à l’expert de décider conformément à l’article 20 (c) du Règlement qui prévoit : “Il fait droit à la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits de tiers telle que définie à l’article 1 du présent Règlement et au sein de la Charte et, si la mesure de réparation demandée est la transmission du nom de domaine, lorsque le requérant a justifié de ses droits sur l’élément objet de l’atteinte et sous réserve de sa conformité avec la Charte”.

L’article 1 du Règlement contient la définition suivante : “Atteinte aux droits de tiers, au titre de la Charte : une atteinte aux droits des tiers protégés en France et en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle), aux règles de la concurrence et du comportement loyal et matière commerciale et au droit au nom, au prénom ou au pseudonyme d’une personne”.

Il s’agit donc de vérifier et de décider si, au vu des éléments du dossier, le défendeur a effectué l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine « creditmituel.fr » de manière à constituer une atteinte aux droits du requérant et si ledit requérant justifie de droits sur le nom objet de l’atteinte.

Enregistrement du nom de domaine litigieux

L’expert constate au vu du dossier que le requérant justifie de droits de propriété intellectuelle sur les signes suivants :

Marque semi figurative française “Crédit mutuel” déposée le 8 juillet 1988 et enregistrée sous le numéro 1 475 940 pour des services des classes 35 et 36, marque renouvelée le 15 mai 1998.

Marque semi figurative française “Crédit mutuel” déposée le 20 mai 1990 et enregistrée sous le n° 1 646 012 pour des produits ou services des classes 16, 35, 36, 38 et 41, marque renouvelée le 20 novembre 2000.

Marques semi figuratives « Crédit mutuel la banque à qui parler”, déposées à titre de marque française ou communautaire

Une filiale du requérant, la société Euro information, a enregistré les noms de domaines : « creditmutuel.fr » le 10 août 1995, renouvelé depuis,
« creditmutuel.com » le 28 octobre 1995, renouvelé depuis.

Ces noms de domaine sont actifs et renvoient au portail internet du requérant, accessible à l’adresse “ www.creditmutuel.fr”.

En outre, le requérant ou sa filiale ont enregistré entre le 3 octobre 1996 et le 26 septembre 2006 les noms de domaines : « creditmutuel.net », « creditmutuel.info », « creditmutuel.mobi », « creditmutuel.eu ».

L’expert estime que le nom de domaine « creditmituel.fr » constitue l’imitation du signe “Crédit Mutuel”, assurément distinctif, peu important, pour l’atteinte aux marques, la présence du suffixe “.fr” dans le nom de domaine litigieux et la substitution de la voyelle “u” par la voyelle “i”, le public d’attention moyenne ne pouvant que confondre les deux signes, particulièrement proches.

Par ailleurs, le requérant justifie de sa notoriété, ou de sa renommée, en France, à preuve notamment les références du moteur de recherche “Google”, en sorte que la protection du signe “Crédit Mutuel” doit s’en trouver élargie, si l’on devait référer à l’article L. 613 5 du Code français de la propriété intellectuelle. Le défendeur de surcroît ne pourrait sérieusement soutenir – ce qu’il ne fait pas en demeurant taisant dans la procédure – qu’il ignorait l’existence de l’établissement financier “Crédit Mutuel” lorsqu’il a enregistré le nom « creditmituel.fr ».

Il sera ajouté qu’aux yeux de l’expert et par identité de motifs, le signe litigieux porte également atteinte aux noms de domaine antérieurs dont dispose le requérant directement ou par l’intermédiaire d’une de ses filiales, ainsi qu’à sa dénomination sociale et son nom commercial.

De toutes manières, dans divers courriels et notamment dans un courriel du 18 avril 2007, expédié de l’adresse e mail du défendeur, celui ci, ou une personne en son nom, a, de la manière la plus claire, écrit : “Je réaffirme à l’Ompi mon souhait de transférer le nom de domaine creditmituel à la Confédération nationale du crédit mutuel”.

B. Utilisation du nom de domaine en violation des droits des tiers

Il apparaît également à l’expert que le défendeur a fait du nom « creditmituel.fr » une utilisation portant atteinte aux droits du requérant.

Les éléments régulièrement versés au débat montrent que le signe litigieux a été utilisé par le défendeur pour diriger les internautes vers une page dite “de parking” disposant de liens commerciaux hypertextes pointant vers des sites concurrents du requérant, comme la banque INGDirect, les sites “www.123credit.com”, ou “www.gemoneybank.com”.

Ceci constitue, à tout le moins, un comportement incorrect et déloyal, permettant de plus sans doute de retirer un profit de cette redirection vers des sites concurrents qui probablement rémunéraient le défendeur à proportion de ces redirections.

Il sera noté à cet égard que non seulement les signes “Crédit Mutuel” et “creditmituel” sont visuellement et phonétiquement fort proches mais que « creditmituel.fr » désignait alors des services financiers identiques ou similaires à ceux réservés par le requérant.

L’expert notera, en revanche, que les craintes du requérant sur la possibilité pour le défendeur ou d’autres tiers de mettre en œuvre à l’encontre du requérant, à partir du nom litigieux, des pratiques de “phishing” sont de l’ordre de la conjecture.

Néanmoins, comme vu ci dessus, le défendeur, qui n’a pas répondu à la plainte, n’en a pas contesté le bien fondé puisqu’il a affirmé dans ses courriels du mois d’avril 2007 adressés au requérant et au Centre, qu’il acceptait que le nom « creditmituel.fr » soit transféré sans délai au Crédit Mutuel, en refusant cependant de verser l’indemnité demandée par le requérant, à hauteur de 2000 euros en couverture des frais occasionnés par la procédure.
Outre la demande de transfert à son profit du nom « creditmituel.fr », le requérant sollicite la publication des coordonnées personnelles, dans la décision à intervenir, du titulaire du nom de domaine litigieux, sans doute à l’occasion de la mise en ligne de ladite décision.

Sans entrer dans un débat sociétal sortant largement du cadre de la présente espèce, l’expert prend acte de ce qu’aux termes de l’article 30. 2 de la Charte, les données personnelles des personnes physiques ayant enregistré un nom de domaine peuvent n’être pas divulguées dans la base “Whois”. C’est d’ailleurs ce qui a conduit le requérant à déposer sa plainte, dans un premier temps sans connaître l’identité du défendeur, puis, l’anonymat levé, à déposer ensuite une plainte amendée.

La présente procédure administrative s’est ensuite menée naturellement entre deux colitigants identifiés, lesquels, et l’un et l’autre, en connaîtront officiellement l’issue.

Il demeure que l’expert ne voit pas pourquoi l’identification, au moins sommaire, du défendeur ne figurerait pas dans la décision à intervenir, bien évidemment, ni ultérieurement dans la base des décisions déjà intervenues et publiées en ligne.

En effet, même si la Commission Nationale Informatique et Libertés, en France, a émis par délibération 01-057 du 29 novembre 2001 une recommandation sur la diffusion des données personnelles sur internet par les banques de données de jurisprudence, aux fins d’empêcher l’identification des parties lors de la publication des décisions de justice, aucun texte de droit positif français n’interdit pour l’heure cette pratique.

La Cour de cassation française, pour sa part, se bornait dans son Rapport d’activité de l’année 2000 à suggérer que la publication sur divers supports des décisions de justice ne mentionne pas l’adresse des plaideurs.

L’expert note, en premier lieu, que les décisions rendues dans le cadre des procédures alternatives de résolution des litiges n’ont pas le caractère de décisions judiciaires ;

qu’en second lieu, les commissions administratives ont un pouvoir limité ; celui de ne pas faire droit à une demande, ou bien d’ordonner la radiation ou le transfert d’un nom de domaine au requérant ; il ne s’agit pas de condamnations pénales ou touchant à la vie privée;

qu’en troisième lieu, il ne semble pas anormal que l’on puisse savoir, à partir d’une base de décisions, d’accès restreint aux personnes intéressées aux questions de noms de domaine, que telle personne physique se sera déjà vu dans le passé imposer un transfert de nom de domaine ;

Qu’enfin, en quatrième lieu, si le prénom et le nom du défendeur figure en tête de la décision, son adresse n’est nullement mentionnée.

Décision

Conformément aux articles 20(b) et (c) du Règlement, l’expert ordonne la transmission au profit du Requérant du nom de domaine « creditmituel.fr ».

Expert : Christian Le Stanc

 
 

* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.