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Jurisprudence : Vie privée

lundi 22 septembre 2003
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Conseil de prud’hommes d’Evry, Section Industrie, Jugement du 22 septembre 2003

Laurent E., Edouard R., Syndicat CGT Altis / Société Altis Semiconductor

courrier électronique - vie privée

Les faits

Edouard R. est délégué syndical CGT et responsable syndical au comité d’entreprise de la société Altis Semiconductor.

Il est employé en qualité d’agent de fabrication.

La CGT Altis est un syndicat dont les statuts ont été déposés en mairie.

Le 12 octobre 2001 à 11h39, Edouard R. envoie un courrier par le biais de sa messagerie Lotus Notes à plusieurs membres de la CGT Altis dont Laurent E.

Ce courrier électronique avait pour motif l’ordre du jour de la prochaine réunion hebdomadaire du syndicat.

Ce courrier était strictement personnel et ne concernait pas la direction.

Edouard R. reçoit un accusé de réception de son message à 14h45 de la part du manager d’Altis, M. K., à qui aucun message n’avait été envoyé.

Au cours des 10 jours suivants, Edouard R. a envoyé d’autres messages électroniques à Laurent E. ; tous ces messages recevront le même accusé de réception émanant du manager de Laurent E., M. K.

La procédure

En demande :

Les demandeurs considèrent que ces faits reconnus et caractérisés, pénalement répréhensibles et violant les dépositions des articles L 412-1 et L 120-2 du code du travail ne pouvaient rester sans conséquence. Les demandeurs ont initialement engagé une procédure devant le conseil de prud’hommes d’Evry dès le 02 novembre 2001.

Les demandeurs considèrent qu’il y a eu atteinte au droit syndical ainsi qu’une atteinte des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du code civil qui disposent que le secret de la correspondance fait partie de l’intimité de la vie privée.

Les demandeurs font constater que concernant le système informatique Lotus Notes utilisé au sein de la société Altis Semiconductor n’avait pas fait l’objet à la date des faits d’une déclaration préalable auprès de la Cnil.

En défense :

Il est dit qu’en octobre 2001, Edouard R. a alerté la direction en se plaignant que plusieurs messages qu’il avait adressés à des membres de la CGT Altis dont Laurent E. aient été ouverts par M. K.

Deux e-mails étaient des tracts destinés à être diffusés à l’ensemble du personnel, deux autres étaient adressés à la direction d’Altis, le dernier était une simple convocation à une réunion.

La direction d’Altis a ouvert une enquête interne ; lorsque M. K. a été entendu sur les plaintes faites par Edouard R. concernant la lecture des e-mails non destinés à ce dernier et lus par lui, M. K. a reconnu les faits.

La direction d’Altis a alors convoqué M. K. ; celui-ci a fait l’objet d’un avertissement remis le 10 décembre 2001 et a été muté au sein d’un autre service afin de mettre un terme à tout lien hiérarchique entre Laurent E. et lui.

Autres actions de la direction d’Altis, un e-mail du 20 décembre 2001 a été adressé à l’ensemble du personnel signé par le directeur (M. D.), celui-ci rappelait le principe d’utilisation de la messagerie électronique en insistant sur le fait qu’un message personnel est une correspondance privée et que par conséquent personne ne doit l’ouvrir ni en prendre connaissance sans le consentement du titulaire du compte.

Pour la direction d’Altis, cet incident semblait clos, et à sa connaissance, ne s’est jamais reproduit.

Concernant la déclaration à la Cnil, la direction d’Altis rappelle qu’à la date du 01 avril 2000 l’ensemble des contrats de travail ont été transférés de la compagnie IBM France à Altis, et ce, en application de l’article L 122-12 du code du travail et les activités développées au sein de l’usine de Corbeil-Essonnes ont été reprises.

La société Altis Semiconductor a dès lors continué d’utiliser la messagerie existante au sein d’IBM.

C’est la raison pour laquelle elle n’a pas jugé utile de faire une déclaration à la Cnil, une telle déclaration ne pouvant avoir un caractère « préalable » s’agissant d’une messagerie existante, reprise dans le cadre d’une continuation d’activité.

Ce n’est donc qu’en 2002, à titre tout à fait facultatif et dans le souci de clarifier la situation vis à vis de la Cnil, qu’il est apparu souhaitable à Altis de faire une déclaration en son nom ; la Cnil a enregistré sans problème ni remarque cette déclaration le 03 mai 2002 sous le n°796623.

La discussion

Après en avoir délibéré, conformément à la loi, a rendu le jugement suivant :

Attendu qu’il convient, pour une bonne administration de la justice, de joindre les dossiers enrôles sous les n°03/00333 et 02/01172.

Sur les dommages-intérêts

Selon l’article L 120-2 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

Selon l’article L 412-1 du code du travail, l’exercice du droit syndical est reconnu dans toutes les entreprises dans le respect des droits et libertés garanties par la constitution de la République, en particulier de la liberté individuelle du travail.

En l’espèce, sur le droit des personnes, il s’avère que la lecture des e-mails a été faite sous la responsabilité d’une seule personne ; en l’occurrence d’une hiérarchie qui a sans doute fait un excès de zèle.

D’autre part, à l’époque, le système par lui-même ne donnait aucune garantie d’une totale assurance de confidentialité puisque le mot de passe nécessaire à l’ouverture de Lotus était commun à plusieurs utilisateurs.

Toutes personnes connaissant le mot de passe commun pouvaient prendre connaissance des messages envoyés par ces collègues qui ne lui étaient pas destinés sans que l’utilisateur principal du poste puisse s’apercevoir de cette lecture.

D’autre part, les demandeurs n’ont pas démontré à la barre que les messages syndicaux des 15 octobre 2001, 22 octobre 2001 et 23 octobre 2001 sont de nature confidentielle et que le fait que M. K. ait pris connaissance des messages pouvait porter atteinte aux personnes et à l’organisation CGT Altis en divulguant leurs contenus.

D’autre part, les personnes qui ont transmis ces messages ne pouvaient ignorer la faiblesse du système de la messagerie électronique ; le conseil a demandé la confirmation par les parties sur le fait que le mot de passe était commun à plusieurs personnes ; le conseil a eu confirmation de cet état de fait.

En conséquence, le conseil n’ayant pas suffisamment de moyens de preuves sur les préjudices pouvant être engendrés par cette situation et en application de l’article 9 du ncpc, condamne la société Altis Semiconductor à payer aux demandeurs la somme de 1 € au titre des dommages-intérêts pour violation des dispositions des articles L 120-2, L 412-1 et suivants du code du travail.

Sur l’article 700 du ncpc

Attendu que le conseil estime qu’il serait inéquitable de laisser à la charge des demandeurs les frais de la procédure, il condamne la société Altis Semiconductor à leur verser la somme de 1500 € chacun au titre de l’article 700 du ncpc.

La décision

Le conseil, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort,

. Ordonne la jonction des dossiers enrôlés sous les n°03/0333 et 02/01172,

. Condamne la société Altis Semiconductor, prise en la personne de son représentant légal, à payer individuellement à Edouard R., Laurent E. et au syndicat CGT Altis les sommes suivantes :

– 1 € au titre des dommages-intérêts,

– 1500 € au titre de l’article 700 du ncpc,

avec intérêts au taux légal sur ces sommes à compter du prononcé du présent jugement,

. Met les dépens à la charge de la partie défenderesse y compris les éventuels frais d’exécution par huissier de justice.

Le conseil : M. Delia (président), MM. Cavalle, Latger, Goncalves (assesseurs conseillers)

Avocats : Me Isabelle Wasselin, Me Joel Grange

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