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Jurisprudence : Contenus illicites

vendredi 16 juillet 1999
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Conseil des Prud’hommes de Nanterre section encadrement Jugement du 16 juillet 1999

Francis R. / SA Compagnie IBM France, IBM Eurocoordination

contenus illicites - courrier électronique - licenciement pour faute - site pornographique

Les Faits

Francis R. a été engagé à compter du 2 septembre 1974 par la SA Compagnie IBM France – IBM Eurocoordination. Lors de son licenciement, le 14 janvier 1998, il exerçait une fonction de cadre au sein du département « Business fullfilment ».
Par courrier du 6 janvier 1998 remis en main propre, Francis R. a été convoqué à un entretien préalable en vue de son licenciement et a fait l’objet d’une mise à pied à titre conservatoire. A la suite de l’entretien qui s’est tenu le 9 janvier 1998 en présence d’un délégué du personnel, IBM Eurocoordination lui a notifié son licenciement pour faute grave par courrier du 14 janvier 1998, pour les motifs suivants :

« Vous avez, pendant votre temps de travail, utilisé de manière fréquente et continue nos moyens de communication informatique (mis à votre disposition par IBM pour un usage exclusivement professionnel) à des fins inacceptables (connexion et téléchargement de fichiers, textes, images sur des sites internet couvrant toute la gamme des pratiques pornographiques ».

Il est à noter que Francis R. a perçu une indemnité de licenciement.

Les moyens

Francis R. soutient qu’il a été fortement incité à se mettre à jour au niveau de l’utilisation d’internet d’autant que, compte tenu de son âge, la société semblait ne plus donner de tâches précises ;

qu’il n’avait plus d’affectation depuis deux ans dès lors que la société IBM avait décidé de procéder au licenciement de cadres de haut niveau possédant une certaine ancienneté et ayant un âge supérieur à la cinquantaine ; que les faits qui lui sont reprochés ne sont nullement prouvés par les documents produits.

De son côté, la société IBM Eurocoordination soutient que Francis R. était astreint au respect des principes les plus élémentaires du droit du travail interdisant l’utilisation de biens de l’employeur à des fins personnelles sans autorisation ;

que les principes essentiels sont rappelés dans un document intitulé « Règles de conduite dans les affaires » ;

que ces règles sont indiquées lors de chaque démarrage de l’ordinateur ;

que c’est le directeur de Francis R. qui s’est aperçu des pratiques de Francis R. à la suite d’un bourrage de papier à l’imprimante ;

que l’enquête effectuée a démontré que Francis R. se livrait depuis plusieurs mois à des connexions sur des sites internet à caractère pornographique en sélectionnant et copiant sur son ordinateur d’importants volumes de ces données pornographiques ;

que les arguments de défense de Francis R. sont fallacieux dès lors que seuls 3 cadres ont été licenciés en 3 ans sur un effectif de plus de 600 cadres ;

que Francis R. s’était lui-même fixé des objectifs sur lesquels il était apprécié chaque année.

La procédure

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 14 avril 1998 avec copie par lettre simple du même jour, le greffe du conseil de prud’hommes, à la requête du demandeur, a convoqué le défendeur à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil siégeant le 23 juin 1998 pour la tentative de conciliation prévue par la loi, l’informant en outre que des décisions exécutoires par provision pourront, même en son absence, être prises contre lui par ledit bureau.

Le bureau de conciliation a renvoyé l’affaire devant le bureau de jugement du 18 mai 1999.

Le 18 mai 1999, les parties ont comparu et ont été entendues.

Le demandeur développe à la barre les derniers chefs de la demande :

– 105 000,00 F à titre de préavis,

– 10 500,00 F à titre de congés payés afférents

– avec intérêts légaux et capitalisation des intérêts par année entière, comme il est dit à l’article 1154 du code civil, à compter de l’introduction de la demande,

– 30 000,00 F au titre de l’article 700 du NCPC,

– 840 000,00 F à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

Le bureau de jugement met l’affaire en délibéré et fixe le prononcé de la décision au 29 juin 1999. A cette date, le délibéré a été prorogé à la date du 16 juillet 1999.

La discussion

Sur l’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement
Vu les articles L. 122-14-3 et L. 122-14-4 du code du travail ;

Vu l’extrait du document non daté intitulé « Règles de conduite dans les affaires » ;

Attendu, en l’espèce, que Francis R. a été licencié par courrier du 14 janvier 1998 pour avoir utilisé l’ordinateur mis à sa disposition par IBM pour des raisons professionnelles, à des fins personnelles, en se connectant sur des sites internet à caractère pornographique ;

Attendu que la société IBM ne produit aucun document justifiant les motifs reprochés à Francis R. ;

Que, cependant, IBM produit, à la barre, un disque dur comme étant celui sur lequel travaillait Francis R. ainsi que des documents photographiques non datés ou datés du 5 décembre 1999 (soit à une date très postérieure à ceux des faits) ou encore des documents en anglais non traduits en français ;

Que le contenu du disque, notamment, n’a pas été communiqué à la partie adverse ;

Attendu qu’il est pour le moins surprenant qu’une société comme IBM, spécialisée en informatique, reconnue sur le plan international, n’ait pas mis tout en œuvre pour justifier les motifs du licenciement de Francis R. ;

Qu’il lui était aisé de faire placer le disque dur sous scellés alors que celui-ci pouvait être manipulé sans difficulté entre la date des faits et celle des débats ;

Que certains des documents produits ne peuvent être retenus dès lors qu’il sont en anglais ;

Attendu que la société IBM, pour démontrer les faits, produit des photos soit non datées, soit portant une date postérieure de 23 mois à celle des faits ;

Attendu que les faits ont été découverts à l’occasion d’un bourrage de papier sur l’imprimante du service auquel appartenait Francis R., par Monsieur S., manager de Francis R., mais que la société IBM ne produit aucune attestation démontrant cette situation ;

Qu’enfin, le document intitulé « Règles de conduite dans les affaires » n’est qu’un extrait non daté portant l’utilisation des biens appartenant à IBM dans un but de profit personnel, ce qui en l’espèce n’est pas le cas ;

Attendu que la société IBM soutient, à la barre, que sa politique interne, très stricte, est basée sur le principe du respect de la personne, interdisant tous les agissements attentatoires aux bonnes mœurs et à la dignité humaine ;

Que si cette affirmation est louable, elle n’est nullement prouvée par un quelconque document ;

Attendu, en conséquence, que les motifs du licenciement de Francis R. ne constituent pas une cause réelle et sérieuse ;

Attendu que le conseil accorde à Francis R. une indemnité supérieure à six mois prévue par les dispositions de l’article L. 122-14-4 du code du travail en raison de l’âge auquel il a été licencié et du caractère non établi des faits ;

Sur l’article 700 du NCPC

Attendu qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de Francis R. les frais irrépétibles qu’il a engagés dans la présente instance d’une part en raison du caractère non établi des faits mais aussi parce que la société IBM sera condamnée aux dépens.

La décision

Le conseil, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort :

. condamne la société IBM Eurocoordination à verser à Francis R. :

– 105 000 F à titre d’indemnité de préavis,

– 10 500 F à titre de congés payés afférents,

– 400 000 F à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 3 000 F au titre de l’article 700 du NCPC

Le Conseil : M. Michel André (président conseiller), M. Claude Mamou-Mani, Mme Nadège Pruvost-Magloire et M. Alain Dumerin (assesseurs conseillers).

Avocats : Me Catherine Vesselovsky, et M. Masot (juriste de la SA Compagnie IBM France-IBM Eurocoordination).

Notre présentation de la décision

 
 

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* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.