Jurisprudence : E-commerce
Conseil d’État, 1ère et 4ème ch. réunies, décision du 4 avril 2018
M. X.
chiffrement - interdiction - promotion - référencement - vente de médicaments sur internet
Par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 janvier et 26 septembre 2017 et le 1er mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. X. demande au Conseil d’Etat :
1°) à titre principal, d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du ministre des affaires sociales et de la santé du 28 novembre 2016 relatif aux règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments prévues à l’article L. 5125-39 du code de la santé publique ou, à défaut, d’annuler celles de ses dispositions plus particulièrement critiquées ;
2°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 ;
– la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 ;
– la directive 2011/62/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011 ;
– le code de la santé publique ;
– l’ordonnance n° 2012-1427 du 19 décembre 2012 ;
– l’arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments dans les pharmacies d’officine, les pharmacies mutualistes et les pharmacies de secours minières, mentionnées à l’article L. 5121-5 du code de la santé publique ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
– le rapport de Mme Dorothée Pradines, auditeur,
– les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Les articles 34 et 35 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdisent les restrictions quantitatives à l’importation et à l’exportation entre les Etats membres ainsi que toutes mesures d’effet équivalent, sans faire obstacle, aux termes de l’article 36 de ce traité, » aux interdictions ou restrictions d’importation, d’exportation ou de transit, justifiées par des raisons (…) de protection de la santé et de la vie des personnes (…). Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres « . Aux termes du 1. de l’article 85 quater, inséré dans la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain par la directive 2011/62/UE du 8 juin 2011 : » Sans préjudice des législations nationales qui interdisent l’offre à la vente à distance au public de médicaments soumis à prescription, au moyen de services de la société de l’information, les États membres veillent à ce que les médicaments soient offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l’information (…) « . Aux termes du 2. du même article : » Les États membres peuvent imposer des conditions, justifiées par la protection de la santé publique, pour la délivrance au détail, sur leur territoire, de médicaments offerts à la vente à distance au public au moyen de services de la société de l’information « . La directive 2011/62/UE, dont les considérants 22 et 23 se réfèrent à l’arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 19 mai 2009 dans les affaires Apothekerkammer des Saarlandes et autres contre Saarland C-171/07 et C-172/07, a ainsi entendu prendre en considération le caractère très particulier des médicaments, dont les effets thérapeutiques les distinguent substantiellement de toute autre marchandise, et la responsabilité des États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique et la manière dont ce niveau doit être atteint. Toutefois, ainsi que le rappellent ses considérants 21 et 24, les Etats membres ne peuvent imposer des conditions pour assurer la protection de la santé publique lors de la délivrance au détail de médicaments offerts à la vente à distance au moyen de services de la société de l’information que dans le respect des stipulations du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
2. Aux termes de l’article L. 5125-33 du code de la santé publique, pris pour la transposition de la directive 2011/62/UE : » On entend par commerce électronique de médicaments l’activité économique par laquelle le pharmacien propose ou assure à distance et par voie électronique la vente au détail et la dispensation au public des médicaments à usage humain et, à cet effet, fournit des informations de santé en ligne. / L’activité de commerce électronique est réalisée à partir du site internet d’une officine de pharmacie. (…) « . L’article L. 5125-34 du même code dispose que : » Seuls peuvent faire l’objet de l’activité de commerce électronique les médicaments qui ne sont pas soumis à prescription obligatoire « . L’article L. 5121-39 de ce code prévoit que : » Un arrêté du ministre chargé de la santé définit les règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments relatives à la protection des données de santé, aux fonctionnalités des sites et aux modalités de présentation des médicaments « . M. X. demande l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 28 novembre 2016, pris sur le fondement de ces dispositions, par lequel le ministre des affaires sociales et de la santé a fixé les règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments.
Sur l’interdiction de toute forme de promotion des médicaments proposés à la vente par le site :
3. D’une part, les articles L. 5122-1 et suivants du code de la santé publique, pris pour la transposition des dispositions des articles 86 et suivants de la directive du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, encadrent la publicité pour ces médicaments, incluant toute forme d’incitation qui vise à en promouvoir la vente, par des dispositions également applicables au commerce électronique de médicaments en vertu de l’article L. 5122-6-1 de ce code. Il résulte de ces dispositions que la publicité auprès du public est en principe possible pour les médicaments qui ne sont pas soumis à prescription médicale et ne sont pas remboursables, sous réserve que leur autorisation de mise sur le marché ou leur enregistrement ne comporte pas d’interdiction ou de restriction en la matière, que soit obtenue une autorisation préalable de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et que soient respectées certaines conditions, liées à la nature particulière des médicaments et aux précautions qui doivent entourer leur prise, telles que les obligations de présenter le médicament ou produit de façon objective, de favoriser son bon usage, ou de prévoir un message de prudence et de renvoi à la consultation d’un médecin en cas de persistance des symptômes. D’autre part, les dispositions du code de déontologie des pharmaciens prévu à l’article L. 4235-1 du code de la santé publique, et plus particulièrement les articles R. 4235-22, R. 4235-30, R. 4235-64 et R. 4235-65 de ce code, imposent au pharmacien un comportement conforme à la dignité de la profession et lui font obligation de procéder avec tact et mesure lorsqu’il peut mettre en valeur certains produits et en fixer les prix, afin, notamment, de ne pas inciter ses patients, par quelque procédé ou moyen que ce soit, à une consommation abusive de médicaments.
4. Par ailleurs, il résulte des dispositions des articles R. 4235-55 et R. 5121-202 du code de la santé publique que le pharmacien d’officine peut rendre directement accessibles au public les médicaments de médication officinale, dont l’autorisation de mise sur le marché ne comporte pas d’interdiction ou de restriction en matière de publicité auprès du public en raison d’un risque possible pour la santé publique et dont la liste est fixée par le directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sur demande des titulaires des autorisations de mise sur le marché. En autorisant au public un tel accès direct à ces médicaments, le pouvoir réglementaire a permis que leur présentation puisse revêtir un aspect pour partie promotionnel, dans le respect des obligations déontologiques du pharmacien, qui lui interdisent notamment, ainsi qu’il a été dit au point 3, toute incitation à une consommation abusive de médicaments.
5. L’arrêté attaqué prévoit que : » Les médicaments sont classés par catégorie générale d’indication (douleurs, fièvre, nausées, toux…) puis de substances actives. À l’intérieur de ces catégories, le classement est établi par ordre alphabétique, sans artifice de mise en valeur, afin d’éviter toute forme de promotion (…) « . En interdisant ainsi sur un site internet autorisé de commerce électronique de médicaments d’une officine toute forme de promotion pour les médicaments proposés à la vente, y compris les médicaments de médication officinale, le ministre a adopté à l’égard de la vente en ligne de médicaments, sans justification, des dispositions plus restrictives que celles existant pour la vente au comptoir de l’officine. Par suite, le requérant est fondé à soutenir que ces dispositions sont illégales.
Sur l’interdiction du référencement payant des sites internet de commerce électronique de médicaments :
6. Par les dispositions mentionnées au point 3, la directive du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain encadre les conditions dans lesquelles les États membres peuvent autoriser ou interdire la publicité pour les médicaments. En revanche, aucune de ses dispositions n’encadre les conditions dans lesquelles ceux-ci peuvent autoriser ou interdire la publicité pour les officines de pharmacie, non plus que pour leur site internet de commerce électronique de médicaments. Les États membres peuvent, dès lors, apporter à cette publicité les restrictions qui leur apparaissent nécessaires pour assurer la protection de la santé publique, dans le respect des stipulations du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
7. Aux termes de l’article L. 5125-31 du code de la santé publique : » La publicité en faveur des officines de pharmacie ne peut être faite que dans les conditions prévues par voie réglementaire « . Aux termes de l’article R. 5125-26 du même code : » La publicité en faveur des officines de pharmacie n’est autorisée que dans les conditions et sous les réserves ci-après définies : / 1° La création, le transfert, le changement de titulaire d’une officine, ainsi que la création d’un site internet de l’officine peuvent donner lieu à un communiqué dans la presse écrite limité à l’indication du nom du pharmacien, de ses titres universitaires, hospitaliers et scientifiques (…), l’adresse du site internet de l’officine, le nom du prédécesseur, l’adresse de l’officine avec, le cas échéant, la mention d’activités liées au commerce des marchandises figurant sur la liste mentionnée au premier alinéa de l’article L. 5125-24. / (…) / 2° Outre les moyens d’information sur l’officine mentionnés à l’article R. 4235-57, les pharmaciens peuvent faire paraître dans la presse écrite des annonces en faveur des activités mentionnées au 1° ci-dessus d’une dimension maximale de 100 centimètres carrés, comportant leur nom et adresse ainsi que les numéros de téléphone et de télécopie et les heures d’ouverture des officines « .
8. Le référencement commercial d’un site de commerce électronique de médicaments sur un moteur de recherche sur internet a pour finalité d’attirer plus particulièrement vers lui, contre rémunération, des patients qui effectuent des recherches sur internet et revêt ainsi un caractère publicitaire. D’une part, en mentionnant dans l’arrêté attaqué que : » La recherche de référencement dans des moteurs de recherche ou des comparateurs de prix contre rémunération est interdite « , le ministre des affaires sociales et de la santé s’est borné à rappeler, ainsi qu’il avait compétence pour le faire, les conséquences à tirer des dispositions de l’article R. 5125-26 du code de la santé publique qui restreignent la publicité en faveur des officines de pharmacie et de leur site internet de commerce électronique de médicaments. D’autre part, une telle restriction ne peut être regardée comme soumettant le commerce électronique de médicaments à des contraintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi de protection de la santé publique.
Sur l’exigence d’une information relative au régime de prix applicable au médicament :
9. L’arrêté attaqué impose que le prix du médicament vendu par le site internet de commerce électronique de l’officine soit assorti d’une information » rappelant le régime de prix « , » affichée de manière visible et lisible « . Par ces dispositions, qui se réfèrent à la distinction entre les médicaments remboursables par l’assurance maladie, dont le prix est fixé par convention entre l’entreprise exploitant le médicament et le Comité économique des produits de santé ou, à défaut, par décision du comité, en vertu de l’article L. 162-16-4 du code de la sécurité sociale, et les médicaments non remboursables, le ministre des affaires sociales et de la santé s’est borné à imposer que la présentation de chaque médicament soit assortie de la précision selon laquelle le prix de vente au public est ou non librement fixé. Une telle précision, qui permet d’informer le patient quant à la possibilité de trouver la même spécialité ailleurs à un prix différent, ne peut être regardée, contrairement à ce que soutient le requérant, comme faisant peser une contrainte excessive sur le commerce électronique de médicaments, de nature à y faire obstacle ou même à en freiner le développement.
Sur l’exigence d’agrément de l’hébergeur des données de santé :
10. Aux termes de l’article L. 1111-8 du code de la santé publique : » Toute personne qui héberge des données de santé à caractère personnel recueillies à l’occasion d’activités de prévention, de diagnostic, de soins ou de suivi social et médico-social, pour le compte de personnes physiques ou morales à l’origine de la production ou du recueil desdites données ou pour le compte du patient lui-même, doit être agréée à cet effet (…) « . L’arrêté attaqué rappelle qu’en vertu de ces dispositions et de celles des articles R. 1111-9 et suivants du code de la santé publique, les données de santé à caractère personnel recueillies à l’occasion du commerce électronique de médicaments ne peuvent être hébergées par un tiers que si celui-ci a été agréé par le ministre chargé de la santé. Une telle exigence, justifiée par la nécessité de garantir la protection des données de santé des patients, n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi de protection de la santé publique.
Sur l’exigence de chiffrement des correspondances :
11. Par l’arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments dans les pharmacies d’officine, les pharmacies mutualistes et les pharmacies de secours minières, mentionnées à l’article L. 5121-5 du code de la santé publique, le ministre des affaires sociales et de la santé a prévu, au point 7.1. de son annexe, qu’ : » Un dialogue individualisé entre le pharmacien de l’officine concernée et le patient est impérativement mis en place, par des moyens sécurisés propres à préserver la confidentialité des échanges entre le pharmacien et le patient. Ce dialogue repose sur l’utilisation de techniques de communication favorisant un échange simultané, tels que le courriel et la boîte de dialogue en ligne « . M. X. soutient que l’arrêté attaqué, en imposant le chiffrement des correspondances entre le pharmacien et le patient, y compris par courrier électronique, fixe une exigence qui ne pourrait être respectée. Toutefois, d’une part, cette exigence est justifiée par la nécessité de garantir que l’ensemble des sites internet de commerce électronique de médicaments permettent aux pharmaciens d’exercer leur devoir de conseil tout en assurant la protection des données de santé des patients. D’autre part, il résulte des dispositions de l’arrêté relatif aux bonnes pratiques de dispensation des médicaments que le pharmacien a le choix de la technique de communication favorisant un échange simultané qu’il juge la plus appropriée et n’est pas tenu de permettre au patient l’usage du courriel s’il estime que le chiffrement, dans ce cas, est techniquement trop complexe à mettre en oeuvre. Par suite, le requérant n’est pas fondé à soutenir que l’arrêté attaqué imposerait une contrainte excessive, de nature à faire obstacle au commerce électronique de médicaments.
12. Il suit de là que M. X. n’est pas fondé à soutenir que les dispositions qu’il critique de l’arrêté attaqué, relatives au référencement des sites, à la mention du régime de prix, à l’hébergement des données de santé et au chiffrement des correspondances, imposeraient au commerce électronique de médicaments des exigences disproportionnées au regard de l’objectif de protection de la santé publique poursuivi, en méconnaissance des articles 34 à 36 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de l’article 85 quater de la directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001. Les moyens tirés de la violation de la liberté d’entreprendre et de la liberté du commerce et de l’industrie et de la méconnaissance des dispositions du code de la santé publique prises pour la transposition de l’article 85 quater de la directive 2001/83/CE ne peuvent, pour les mêmes motifs, qu’être également écartés.
13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle, que M. X. n’est pas fondé à demander l’annulation que de l’avant-dernier alinéa du point 2 de l’annexe de l’arrêté attaqué, qui est divisible des autres dispositions de cet arrêté.
DÉCISION
Article 1er : L’avant-dernier alinéa du point 2 de l’annexe de l’arrêté du 28 novembre 2016 relatif aux règles techniques applicables aux sites internet de commerce électronique de médicaments prévues à l’article L. 5125-39 du code de la santé publique est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X. est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. X. et à la ministre des solidarités et de la santé.
Le Conseil : Dorothée Pradines (rapporteur), Rémi Decout-Paolini (rapporteur public)
Source : legifrance.gouv.fr
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