Jurisprudence : Vie privée
Cour d’appel d’Aix en Provence 17ème chambre 17 décembre 2002
Vincent F. / Française des Ascenseurs Kone
licenciement - vie privée
FAITS ET PROCEDURE
Vincent F. a été engagé le 22 février 1985 par la société Française des Ascenseurs Kone (ci-après SFA Kone) en qualité d’assistant trésorier position II au sein de la direction financière. Il a par suite été promu chef de service Business Planning Cadre position II, puis chef de service Finance Cadre position III B. Il a été licencié pour faute lourde le 3 février 2000.
Suivant jugement du 20 décembre 2001, le conseil de prud’hommes de Nice, estimant que la faute lourde était caractérisée, a débouté Vincent F. de toutes ses demandes.
Vincent F. a régulièrement relevé appel de cette décision dont il poursuit l’infirmation.
Il fait plaider en premier lieu que les faits reprochés (consultation abusive des services internet notamment à caractère pornographique ou pédophile) ne sont pas prouvés en l’absence d’élément matériel irréfutable.
Il soutient en second lieu que les moyens de preuve, à les supposer établis, ont été recueillis par des procédés secrets mis en place à l’insu des salariés en violation des obligations de loyauté et de respect de la vie privée pesant sur l’employeur.
Il allègue en troisième lieu qu’en toute hypothèse les faits incriminés ne peuvent constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement car il n’a jamais été informé des contraintes liées à l’usage d’internet, et la consultation de sites à caractère pornographique ou pédophile ne constitue pas une violation d’une obligation du contrat de travail. A tout le moins ne peut-il s’agir d’une faute lourde en l’absence d’intention de nuire de sa part.
Il conclut à l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement et à la condamnation de la SFA Kone à lui payer les sommes de :
– 57 002,60 € à titre d’indemnité de licenciement,
– 13 857,62 à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 1385,75 € au titre des congés payés afférents,
– 2197,66 € à titre de rappel de salaire pendant la période de mise à pied,
– 549,92 € à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,
– 111 094,02 E à titre de dommages-intérêts pour licenciement injustifié lesdites sommes avec intérêts légaux à compter de la demande en justice,
– 2000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc
La SFA Kone réplique que, dès sa nomination à Nice Vincent F. a harcelé sa hiérarchie afin de disposer d’une connexion internet ; que trois jour plus tard, soit le 17 janvier 2000, il s’est connecté sur des sites pornographiques ou pédophiles ; qu’il a ainsi violé le règlement intérieur en date du 31 mai 1995 entériné par le comité d’entreprise alors avait été averti de l’usage strictement professionnel du matériel informatique mis à sa disposition ; que l’intervention spontanée d’un technicien, à l’origine de la découverte des faits, n’entrait pas dans le cadre d’un contrôle qui aurait nécessité l’aval du comité d’entreprise ;
Qu’elle conclut à la confirmation du jugement entrepris, au débouté de toutes les demandes de Vincent F. et à sa condamnation reconventionnelle à lui payer une indemnité de 2000 € au titre des dispositions de l’article 700 du ncpc.
LA DISCUSSION
Attendu que la lettre de licenciement du 3 février 2000 est ainsi libellée :
« Le service informatique a installé l’accès à internet sur votre poste de travail informatique le vendredi 14 janvier 2000 pour vous permettre de consulter certains sites, dans le strict cadre de votre activité professionnelle.
Dès le lundi 17 janvier 2000, vous vous êtes connectés sur des sites n’ayant pas le moindre rapport avec votre activité professionnelle. Vous vous êtes connecté respectivement :
– lundi 17 janvier 2000 de 8h19 à 9h09, de 11h00 à 11h20, de 12h58 à 13h41 et de 16h48 à 17h29, soit au total 2h34 minutes dans la journée,
– mardi 18 janvier 2000 : de 14h04 à 15h23 et de 16h06 à 16h40, soit 1h53 minutes dans la journée,
– mercredi 19 janvier 2000 : de 10h03 à 10h45 et de 14h31 à 17h03, soit 3h14 minutes dans la journée,
– jeudi 20 janvier 2000 : de 8h23 à 10h04, soit 1h41 minutes dans la journée.
Au total, vous avez passé plus d’une journée complète (9h22 minutes) sur trois jours et demi de présence à consulter ces sites dont les noms (Sexhound, Sextracker, Gaysex, Gayworld, etc…) ne laissent malheureusement aucun doute quant à leur caractère pornographique et pédophile.
Vous aviez bien entendu toutes connaissances que ces agissements étaient formellement interdits, des consignes très claires ayant été données quant aux conditions d’utilisation d’internet au sein de la société, utilisation réservée à des motifs strictement professionnels.
C’est le jeudi 20 janvier 2000 dans l’après midi, à l’occasion d’une opération courante de maintenance effectuée par un technicien du service informatique qui en a immédiatement averti son supérieur hiérarchique, que nous avons découvert ces agissements scandaleux.
La gravité très particulière de ces faits que vous avez reconnu au cours de l’entretien préalable et votre comportement inadmissible venant d’un cadre de votre niveau, ne nous permettent pas d’envisager plus longtemps votre collaboration au sein de notre société même pendant le temps de préavis (…).
Nous vous rappelons que le licenciement pour faute lourde est privatif d’indemnités de licenciement et de préavis (…) ».
Attendu que cette lettre relate très fidèlement les faits tels qu’ils résultent des pièces versées aux débats par l’employeur, lesquelles démentent les allégations du salarié ;
Qu’en effet il ressort de l’attestation de M. S., responsable du service production informatique, que dès son arrivée Vincent F. a « insisté lourdement » pour accéder à internet en demandant une « mise en œuvre rapide » ;
Que le même témoin atteste avoir avisé chaque utilisateur de l’usage strictement professionnel de l’accès à internet, conformément au règlement intérieur du 31 mai 1995 homologué par le comité d’entreprise, ce qui est confirmé par MM. D, V., M., R. et J. ;
Que ce n’est pas à l’aide de moyens de preuve clandestins ou illicites, mais à l’occasion d’une vérification de routine, que la société a eu connaissance des agissements de Vincent F. ;
Qu’en effet M. M., informaticien, atteste :
« Ayant de plus en plus de mal à effectuer les téléchargements de fichier et de logiciel dans les temps corrects et étant « administrateur systèmes », j’ai consulté de ma propre initiative les journaux de transactions du serveur d’accès d’internet pour vérifier si des abus (téléchargements de fichiers MP3, vidéo, etc…) n’étaient pas à la source des problèmes rencontrés.
C’est en consultant le fichier de transactions que je me suis aperçu que des téléchargements d’images au nom évocateur avaient lieu à partir de l’ordinateur de Vincent F.
J’ai consulté ensuite les fichiers présents sur le serveur d’accès internet pour ne pas avoir de doutes et j’ai averti mon supérieur hiérarchique que Vincent F. avait (…) utilisé le réseau internet au cours des journées des 17, 18, 19 et 20 janvier 2000 pour consulter des sites à caractère pédophile.
Je tiens à signaler que j’ai deux enfants en bas âge et que ce que j’ai vu m’a profondément choqué et dégoûté ».
Que l’intervention de M. M. n’entrant pas dans le cadre d’une surveillance, ne nécessitait pas l’aval du comité d’entreprise ;
Attendu que les faits sont donc avérés et que leur gravité est indiscutable, la société ne pouvant conserver à son service, même pendant la durée limitée du préavis, un salarié qui passe une part importante de son temps de travail à consulter des sites à caractère pédophile, l’exposant ainsi éventuellement à des poursuites judiciaires ;
Que la faute grave est donc caractérisée mais non la faute lourde en l’absence d’intention de nuire du salarié.
Qu’il s’ensuit que celui-ci a droit à un rappel de congés payés (non afférents au préavis) d’un montant de 549,92 € ;
Attendu que l’équité commande d’allouer à la société intimée une indemnité de 1000 € au titre des frais irrépétibles qu’elle a exposés ;
Que Vincent F. sera débouté de sa demande sur le fondement de l’article 700 du ncpc et condamné aux dépens ;
LA DECISION
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en matière prud’homale,
. Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a retenu la faute lourde (et non la faute grave) du salarié et débouté celui-ci de sa demande d’indemnité compensatrice de congés payés,
. Réforme de ce chef et, statuant à nouveau,
. Dit que le licenciement est justifié par une faute grave et condamné la SFA Kone à lui payer la somme de 549,92 € au titre des congés payés,
Y ajoutant,
. Condamne Vincent F. à verser à la SFA Kone une indemnité de 1000 € sur le fondement de l’article 700 du ncpc,
. Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, fins et conclusions,
. Condamne Vincent F. aux dépens.
La cour : M. Michel Zavaro (président), Mme Ferrando et M. Grand (conseillers)
Avocats : Me Xavier Lorrain, Me Jean Pierre Lefol
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