Jurisprudence : Vie privée
Cour d’appel de Bordeaux, Chambre sociale, section A, Arrêt du 10 juin 2002
Régine D. / Port autonome de Bordeaux
disquettes - secret des correspondances - vie privée
Les faits et procédure
Vu le jugement du conseil de Prud’hommes de Bordeaux du 20 avril 2000, auquel la cour se réfère expressément pour l’exposé des faits, de la procédure et des prétentions initiales des parties, ayant dit que le licenciement de Régine D., par le port autonome de Bordeaux n’était pas justifié par une faute grave mais reposait sur une cause réelle et sérieuse tout en condamnant ce dernier à lui payer la somme de 22 326 F à titre d’indemnité compensatrice de préavis, celle de 2 232,60 F à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis et celle de 26 784 F à titre d’indemnité légale de licenciement outre la somme de 3000 F au titre de l’article 700 du ncpc et tous les dépens,
Vu les appels interjetés le 2 juin 2000 par Régine D. et le 9 juin par le port autonome de Bordeaux de ce jugement,
Vu les conclusions déposées au greffe le 21 novembre 2001 par Régine D. et soutenues oralement à l’audience demandant à la cour :
– de réformer le jugement entrepris en ce qu’il a dit que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse qui ne saurait résulter de l’accomplissement pendant son temps de travail, mais de façon ponctuelle et brève, qu’elle a reconnu, de menues tâches pour le compte de l’entreprise dont elle était la gérante non salariée, alors qu’elle a travaillé pendant plus de 20 années sans recevoir le moindre avertissement,
– de condamner en conséquence le port autonome de Bordeaux à lui payer la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,
– de confirmer pour le surplus que le jugement ayant condamné l’employeur à lui payer les indemnités légales de licenciement après avoir écarté la faute grave,
– de condamner le port autonome de Bordeaux à lui payer la somme de 15 000 F au titre de l’article 700 du ncpc, outre tous les dépens,
Vu les conclusions déposées au greffe le 28 mars 2002 et soutenues oralement à l’audience par le port autonome de Bordeaux demandant à la cour :
– de réformer le jugement déféré alors que le fait pour Régine D. de se livrer à des activités personnelles pour le compte d’une société dont elle était la gérante, cotisant par ailleurs au régime d’assurance maladie des artisans, pendant son temps de travail au port autonome de Bordeaux et avec les outils (micro ordinateur, téléphone) mis à sa disposition par ce dernier était bien constitutif d’une faute grave,
– de débouter en conséquence Régine D. de toutes ses demandes,
– de la condamner à lui rembourser la somme de 7118,65 euros perçue au titre de l’exécution provisoire et à lui payer celle de 1000 euros au titre de l’article 700 du ncpc, outre les dépens ;
La discussion
Attendu qu’engagée en qualité de sténo-dactylographe par le port autonome de Bordeaux à compter du 24 février 1975, Régine D. se voyait, après réunion de la commission de discipline le 8 janvier 1999, notifier son licenciement pour faute grave par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 janvier 1999 dans les termes suivants :
» Je vous ai rappelé le motif principal de la sanction envisagée à votre encontre : vous exercez des activités personnelles étrangères à votre emploi au port autonome de Bordeaux pendant le temps de travail, en utilisant les outils du port autonome : micro ordinateur, téléphone, etc … Vous avez reconnu les faits et vos explications se sont limitées à en minimiser l’importance.
Vous avez indiqué que ces tâches personnelles ne vous prenaient que cinq minutes au plus par jour et que vous les accomplissiez pendant les heures de pauses.
Or, il n’y a aucune pause aménagée dans le temps de travail à l’exception de la coupure pour prise de repas.
En outre, les heures d’enregistrement de nombreux fichiers informatiques que j’ai pu examiner sur les disquettes montrent que vos activités personnelles ont été fréquentes et que vous vous y livriez à toute heure pendant le temps de travail… » ;
Attendu que Régine D. ne saurait soutenir que son employeur rapporte la preuve de son activité personnelle au mépris du respect de l’intimité de sa vie privée alors d’une part que le premier élément de preuve est une correspondance en date du 13 octobre 1998 visant l’envoi d’un récapitulatif de la gestion et des factures afférents à la rénovation de la salle de réunion et de la remise en peinture du couloir dans l’enceinte du port autonome de Bordeaux qu’elle a signé en qualité de gérante de la Sarl Air Déco et adressé au port autonome de Bordeaux dont ce dernier a pu s’apercevoir qu’elle avait été réalisée par l’outil informatique de Régine D. au sein du port et d’autre part que les documents appréhendés dans le cadre du constat d’huissier du 11 décembre 1998 par suite de la réception du courrier précité concernent non des correspondances émises ou reçues par la salariée à partir d’une messagerie personnelle sur son ordinateur mais un ensemble de six disquettes contenant la gestion de la Sarl Air Déco ;
Attendu alors que Régine D. a reconnu les faits, le port autonome de Bordeaux fait justement grief au jugement déféré d’avoir retenu la thèse de la salariée selon laquelle elle consacrait au plus cinq minutes par jour à son activité parallèle alors que les documents en cause concernant 233 fichiers créés à toute heure de travail de l’intéressée et concernant des devis, factures, procès-verbal de chantiers, pièces de comptabilité et courriers de la Sarl Air Déco montrent que Régine D. assurait l’administration de la société dont elle était gérante pendant ses heures de travail au port autonome, ce qui fait que ce dernier était fondé à rompre immédiatement la relation de travail, les agissements de Régine D. rendant impossible le maintien du contrat de travail même pendant la durée du préavis ;
Attendu qu’il convient dès lors de réformer le jugement déféré en disant le licenciement de Régine D. justifié par sa faute grave et de débouter cette dernière de toutes ses demandes tout en la condamnant à rembourser au port autonome de Bordeaux la somme de 7118,65 euros qu’il a été amené à lui verser dans le cadre de l’exécution provisoire ;
Attendu que succombant Régine D. supportera les dépens et ne saurait être reçue en sa demande sur le fondement de l’article 700 du ncpc, l’équité commandant qu’il soit fait application de ce texte au profit du port autonome en lui allouant la somme de 600 euros ;
La décision
La cour,
. Reçoit Régine D. en son appel régulier en la forme mais le dit non fondé et l’en déboute,
. Reçoit le port autonome de Bordeaux en son appel et le dit bien fondé,
Réformant le jugement déféré et statuant à nouveau :
. Dit le licenciement de Régine D. justifié par sa faute grave,
. Condamne Régine D. à rembourser au port autonome de Bordeaux la somme de 7118,65 euros qu’il a été amené à lui verser dans le cadre de l’exécution provisoire,
. Condamne Régine D. à payer au port autonome de Bordeaux la somme de 600 euros au titre de l’article 700 du ncpc.
Le tribunal : M. Costant (président), M. Nègre et Mme Duval-Arnould (conseillers)
Avocats : Me Bernard Condat, Me Christophe Biais
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