Jurisprudence : Vie privée
Cour d’appel de Paris 21ème chambre C Arrêt du 10 novembre 2005
Serge M. / Maryvonne R.
faute - licenciement - site internet - vie privée
FAITS ET PRETENTIONS
Il est constant que Maryvonne R. a été embauchée en qualité d’assistante commerciale, statut cadre, par Serge M., exerçant sous l’enseigne « Cyana » une activité de « club de rencontres » dans la région parisienne, et ce par contrat de travail à durée déterminée le 18 mai 1998, dont le terme était fixé au 17 mai 1999. Son dernier salaire mensuel brut s’élevait à 11 700 francs, soit 1783,65 €.
Maryvonne R. a été convoquée le 28 septembre 1998 à un premier entretien préalable fixé au 2 octobre suivant en vue d’un licenciement sans autre précision. Alors que la salariée avait contesté auprès de l’employeur par lettre du 20 octobre 1998 ses conditions de travail qu’elle estimait « se détériorer », elle était convoquée le 13 novembre 1998 à un nouvel entretien préalable « en vue d’un licenciement pour faute », fixé au 24 novembre suivant et mise à pied à compter du 13 novembre 1998 à titre conservatoire.
Son contrat de travail à durée déterminée a été rompu pour faute grave par lettre recommandée et accusé de réception du 27 novembre 1998, et ce, dans les termes suivants :
« …Nous avons appris que M. P., client de l’agence, avait été contacté par vous au motif que l’agence Cyana cessait son activité matrimoniale et qu’il devait passer récupérer les chèques en attente d’encaissement.
M. P. a donc été reçu par vous le 9 novembre 1998 pour récupérer 4 chèques (trois chèques de 2000 francs et un chèque de 1900 francs).
De plus, M. P. nous a précisé qu’il n’avait obtenu qu’un seul rendez-vous de présentation, alors que sur le dossier vous avez mentionné 5 rencontres.
Compte tenu de la gravité de ces faits, votre maintien dans l’entreprise s’avère impossible.
En effet, vous avez pris l’initiative d’informer ce client que l’entreprise allait cesser son activité, ce qui est entièrement faux, et constitue de votre part un comportement déloyal, et vous avez porté sur son dossier des informations inexactes.
De plus, vous lui avez restitué les chèques de règlement sans accord de la direction de l’entreprise ; le contrat s’est trouvé résilié, de votre propre initiative, sans aucun motif valable.
Enfin, vous avez remis à ce client une lettre datée du 9 novembre 1998 mentionnant mon nom sans aucun accord de ma part.
Par ailleurs, votre volonté de ne plus remplir pleinement votre mission est établie par vos propres déclarations.
Je fais référence à votre lettre du 5 novembre 1998 dans laquelle vous refusez de distribuer des prospectus, ce que vous faisiez auparavant, et de vous occuper du site internet, ce qui était une de vos principales fonctions. Je ne vous ai jamais retiré la gestion du site internet puisque, comme vous l’écrivez, vous en aviez toujours l’accès. Les seuls intervenants extérieurs sont le technicien informatique spécialisé chargé de la programmation, ce qui n’entre pas dans vos compétences.
D’autre part, j’ai eu connaissance que vous exerciez une activité concurrente à celle de l’entreprise pour votre propre compte, ce qui va à l’encontre de l’obligation générale de fidélité d’un salarié envers son employeur… » ;
Contestant la rupture de son contrat de travail, Maryvonne R. a saisi le 15 décembre 1998 le conseil de prud’hommes qui a rendu le jugement déféré de demandes tendant à la condamnation de Serge M. à lui verser diverses sommes aux titres de la rupture anticipée abusive de son contrat de travail à durée déterminée, d’indemnité de fin de contrat ainsi que d’heures supplémentaires et d’indemnité au titre de l’article 700 du ncpc.
Le conseil de prud’hommes a débouté Maryvonne R. de sa demande en paiement d’heures supplémentaires et congés payés incidents, mais a jugé que la preuve de la faute grave alléguée n’était pas rapportée par l’employeur et a condamné ce dernier à verser à la salariée les sommes suivantes, ainsi qu’au paiement des entiers dépens :
– 66 872,43 francs à titres de dommages-intérêts en application des dispositions de l’article L 122-3-8 du code du travail,
– 8424 francs à titre de prime de précarité de fin de contrat,
– 1500 francs au titre de l’article 700 du ncpc.
La cour d’appel de Paris, autrement composée, a infirmé cette décision, et jugé que le comportement de Maryvonne R., à savoir la résiliation du contrat de l’unique client de l’agence, M. P., sans preuve d’une instruction verbale de la part de l’employeur, caractérisait la faute grave, justifiant la rupture de son contrat de travail à durée déterminée de façon anticipée.
Sur pourvoi formé par Maryvonne R., la Cour de cassation a, par arrêt du 6 octobre 2004, cassé et annulé l’arrêt précité, rendu le 30 novembre 2001 par la cour d’appel de Paris, mais seulement en ce que celle-ci avait débouté Maryvonne R. de sa demande de dommages-intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail à durée déterminée, et ce, au visa de l’article L 122-3-8 du code du travail, motifs pris de ce que la cour d’appel avait violé le texte susvisé en ne caractérisant pas la faute grave, seule de nature à justifier la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée de la salariée ; alors que les faits retenus par la cour, à savoir l’initiative prise par Maryvonne R. de résilier le contrat de l’unique client de l’agence et de lui restituer les chèques versés, ne constituaient pas une faute grave, de nature à rendre impossible le maintien de l’intéressée dans l’entreprise ;
Serge M. demande à cour d’infirmer le jugement déféré, de déclarer irrecevable la demande présentée par Maryvonne R. au titre de l’indemnité de précarité, de la débouter de l’ensemble de ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 800 € au titre de l’article 700 du ncpc ainsi qu’au paiement des entiers dépens.
Maryvonne R. demande à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, et de condamner en conséquence Serge M. à lui verser les sommes suivantes, outre les entiers dépens, comprenant les frais éventuels d’exécution, et ce avec intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 1998, date de son licenciement injustifié, et, à titre subsidiaire, à compter du 15 décembre 1998, date de réception de la demande devant le conseil de prud’hommes :
– 10 194,64 € à titre d’indemnité, correspondant aux salaires qui lui étaient dus jusqu’au terme de son contrat de travail à durée déterminée, soit le 17 mai 1999, en application des dispositions de l’article L 122-3-8 du code du travail,
– 1284,23 € au titre de la prime de fin de contrat, dite prime de précarité,
– 4000 € au titre de l’article 700 du ncpc.
MOYEN
Considérant qu’à l’appui de son appel, Serge M. fait valoir que les agissements de Maryvonne R. caractérisaient la faute grave et justifiaient la rupture anticipée de son contrat de travail à durée déterminée, en application des dispositions de l’article L 122-3-8 du code du travail ; qu’il sollicite en conséquence l’infirmation du jugement déféré sur ce point ;
Que la salariée avait en effet commis plusieurs fautes, dont seule la principale a été examinée par la Cour de cassation, à savoir l’initiative prise par l’intéressée de résilier le contrat de l’unique client de l’agence, M. P. et de lui rendre les chèques qu’il avait versés à l’agence, et ce, sans avoir eu d’instructions ; que Serge M. conteste avoir donné une telle instruction verbale, en soulignant qu’il avait donné des instructions écrites contraires par écrit le 9 novembre 1998 ; qu’il n’avait pas l’intention de fermer cette entreprise ; que ce faisant, Maryvonne R. avait outrepassé ses pouvoirs contractuels, remettant ainsi en cause le pouvoir de direction de l’employeur ; que ce seul grief caractérisait la faute grave de la part de Maryvonne R. ;
Que cependant, les autres griefs adressés à l’intéressée, justifiaient également son licenciement pour faute grave ;
Qu’ainsi, il lui avait été reproché d’avoir porté des renseignements inexacts sur le dossier de ce même client, en trompant ainsi son employeur sur la réalité de son activité ; qu’elle avait en effet indiqué 5 rendez-vous de présentation en ce qui concerne M. P. alors que ce dernier a attesté le 12 novembre 1998 qu’il n’avait eu qu’un seul rendez-vous ; que s’il a délivré une autre attestation à Maryvonne R., il s’est cependant borné à reconnaître avoir eu deux rendez-vous au plus, organisés par la salariée ;
Que Serge M. fait en outre valoir que Maryvonne R. avait refusé de s’occuper du site internet de l’agence, ainsi que de distribuer des prospectus, et ce par écrit, alors que ces tâches relevaient de ses fonctions commerciales ; qu’elle avait ainsi remis en cause le pouvoir de direction de l’employeur, ce qui s’opposait à la poursuite des relations contractuelles et justifiait également la rupture de son contrat de travail pour faute grave ;
Qu’enfin, les activités associatives de Maryvonne R., dans le même domaine, faisaient concurrence de façon déloyale à celles de l’agence dont elle était responsable dans la mesure où l’intéressée avait organisé des activités similaires, comme un dîner dansant en octobre 1999, ce qui était de nature à détourner des clients potentiels de l’entreprise ;
Considérant, sur la prime de fin de contrat, que Serge M. relève que la cour d’appel n’est plus saisie de cette demande dans la mesure où la Cour de cassation a précisé que l’arrêt rendue le 30 novembre 2001 par la cour d’appel de Paris était cassé seulement en ce qui concerne ses dispositions relatives à la demande de dommages-intérêts pour rupture abusive de son contrat de travail à durée déterminée, formée par Maryvonne R. ; qu’il soutient que les autres dispositions dudit arrêt sont en conséquences définitives ;
Que Serge M. fait en tout état de cause valoir que cette indemnité n’est pas due à la salariée en raison de la faute grave qu’elle a commise, exclusive de son versement.
Considérant, sur la rupture anticipée de son contrat de travail à durée déterminée que Maryvonne R. demande la confirmation du jugement déféré en soutenant que les faits qui lui sont reprochés ne constituent par une faute grave, aux termes de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 6 octobre 2004 ;
Qu’alors que l’activité principale de l’entreprise dirigée par Serge M. relevait du BTP, et que l’activité d’agence matrimoniale à laquelle elle avait été affectée n’était qu’accessoire, c’est l’employeur qui lui avait demandé, de toute évidence, de restituer ses chèques à l’unique client de cette agence, aux fins de cesser cette activité accessoire ; que la résiliation de cet unique contrat ne pouvait en conséquence être de nature à compromettre l’activité de l’entreprise, inexistante en réalité dans ce domaine ;
Considérant que Maryvonne R. fait valoir que la dégradation des relations contractuelles ont débuté lorsqu’elle a réclamé le paiement de ses heures supplémentaires ; qu’elle avait accepté de distribuer des prospectus, ce qui ne relevait pas de ses attributions de cadre ; qu’elle conteste avoir refusé de gérer le site internet de l’agence, en soutenant qu’au contraire, que c’était l’employeur qui lui avait retiré la responsabilité de cette tâche ; qu’elle conteste de même toute activité déloyale et concurrente envers son employeur, alors que son activité était associative et, en tout état de cause, antérieure à son embauche par Serge M. ;
Considérant, sur les limites de la cassation, que Maryvonne R. fait valoir que celle-ci portait uniquement sur l’indemnité de rupture, en application des dispositions de l’article L 122-3-8 du code du travail et non sur l’indemnité de précarité qui lui est due en l’absence de faute grave, comme l’a jugé le conseil de prud’hommes ;
Le ministère public ayant été entendu en ses réquisitions.
DISCUSSION
Sur les limites de la cassation
Considérant que, dans son arrêt rendu le 6 octobre 2004, la Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu le 30 novembre 2001 au seul visa de l’article L 122-3-8 du code du travail en ce qui concerne l’indemnité pour rupture anticipée abusive du contrat de travail à durée déterminée de Maryvonne R., en jugeant que les faits retenus par la dite cour, à savoir la seule initiative de la salariée, consistant dans la résiliation d’unique contrat de l’unique client de l’agence, ne caractérisant pas la faute grave ;
Que, dans ces conditions, la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur le sort de l’indemnité de précarité, qui n’est qu’une conséquence de l’existence ou de l’inexistence de la faute grave, retenue par la cour d’appel dans son arrêt du 23 novembre 2001 ;
Que la Cour de cassation n’ayant pas statué sur la demande formée par Maryvonne R. au titre des heures supplémentaires cette demande est réputée avoir été définitivement tranchée par la cour d’appel qui a rejeté la demande formée sur ce point par la salariée, qui, au demeurant, ne la présente plus devant la cour ;
Sur le bien fondé du licenciement de Maryvonne R. pour faute grave
Considérant que s’agissant d’un contrat de travail à durée déterminée, il appartient à l’employeur qui invoque une faute grave, seule de nature à permettre la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée de Maryvonne R. en application des dispositions de l’article L 122-3-8 du code du travail, de rapporter la preuve de la réalité et de la gravité des fautes reprochées à la salariée ;
Or considérant, alors que Maryvonne R. ne conteste pas avoir résilié le contrat conclu avec M. P., en lui adressant un courrier à en-tête de l’agence, portant le nom de Serge M. et rendant à ce client les 4 chèques que celui-ci avait établis à l’ordre de l’agence dirigée, pour un montant de 4900 francs ; que l’autorisation verbale d’effectuer cette clôture de contrat qu’elle prétend avoir obtenue de l’employeur est contredite par un courrier que lui a adressé Serge M. peu de temps avant la rupture de son contrat de travail ;
Que Serge M. communique en effet aux débats le courrier qu’il a adressé le 9 novembre 1998 à Maryvonne R. dans lequel, contestant les réclamations de cette dernière dans ses lettres des 20 octobre et 5 novembre 1998, portant sur la baisse d’activité de l’agence, et des modifications d’horaires et contrôles divers qu’elle lui imputait eu demeurant sans preuve, il lui reprochait de « s’être complètement désintéressée de l’entreprise une fois la période d’essai terminée », déclarant « s’être rendu compte début septembre que l’activité était quasi nulle, avec un seul contrat signé » ;
Que dans ce même courrier, Serge M., qui revendiquait sa liberté de décision quant à l’importance à donner aux dépenses de publicité et de téléphone, compte tenu de la situation difficile de l’entreprise, soulignait l’importance des contacts et des suivis des clients ; qu’en particulier, il précisait que « Maryvonne R., malgré son soit disant fichier de personnes inscrites gratuitement, était à peine capable jusqu’à présent de satisfaire les demandes de ce client, qui, il l’espérait, le restera… » ; que l’employeur lui demandait dans ce courrier « de se remettre en question, un maximum d’efficacité, une motivation accrue et du rendement justifié par des contrats signés et encaissés » ;
Que ces termes explicites démontrent la volonté de Serge M. de conserver cet unique client dont il n’est pas contesté qu’il s’agissait de M. P., et de développer l’activité de l’agence ;
Considérant, dans ces conditions que la seule résiliation du contrat de ce dernier, de sa propre initiative, et l’affirmation faite à ce client, attestée par ce dernier, que Serge M. entendait cesser son activité, constituaient des faits revêtant une particulière gravité dans la mesure où Maryvonne R. ne pouvait pas ignorer, compte tenu de ses responsabilités et de la petite structure de l’agence que, s’agissant de l’unique client de celle-ci à cette date, il était particulièrement important de le conserver ;
Qu’en outre, il ressort du courrier adressé par Maryvonne R. à Serge M. le 5 novembre 1998, que cette dernière refusait de voir figurer son nom sur le site internet de l’agence alors qu’aucun élément probant n’établit la réalité de l’accusation qu’elle portait envers l’employeur de lui avoir retiré la responsabilité de ce site, notamment dans le courrier précité que l’employeur lui a adressé le 9 novembre 1998 ;
Or, considérant que, compte tenu des responsabilités de l’intéressée et de la petite structure de l’entreprise, fût-ce exercée à titre accessoire par l’employeur, par ailleurs spécialisée en BTP alors que son contrat de travail lui confiait la responsabilité de « créer, développer et coordonner l’agence » que l’ensemble de ces fautes rendait impossible le maintien des relations contractuelles, même durant la période limitée du préavis et justifiait la rupture anticipée du contrat de travail de travail à durée déterminée de Maryvonne R., en application des dispositions de l’article L 122-3-8 du code du travail ;
Que le jugement déféré est en conséquence infirmé ; que la faute grave étant exclusive du versement de l’indemnité de précarité, aux termes de l’article L 122-3-4 du code du travail, il y a lieu de débouter Maryvonne R. de cette demande ;
Qu’il y a lieu en conséquence de débouter Maryvonne R. de l’ensemble de ses demandes et de la condamner à verser à Serge M., la somme de 500 € au titre de l’article 700 du ncpc pour l’ensemble de la procédure de première instance et d’appel ;
DECISION
Par ces motifs,
Statuant sur renvoi après cassation,
. Reçoit Serge M. en son appel,
. Infirme le jugement déféré du 22 novembre 1999,
. Dit que le licenciement de Maryvonne R. est fondé sur une faute grave,
. La déboute en conséquence de l’ensemble de ses demandes,
. La condamne à verser à Serge M. la somme de 500 € au titre de l’article 700 du ncpc,
. Déboute Serge M. du surplus de sa demande,
. Condamne Maryvonne R. aux entiers dépens.
La cour : M. Jean Pierre Robert (président), Mmes Irène Lebe, Marie Christine Degrandi, Claude Joly et Michèle Martinez (conseillers)
Avocats : Me Jean Louis Mary, Me Stella Ohayon
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