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Jurisprudence : Jurisprudences

jeudi 06 mars 2025
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Cour d’appel de Paris, pôle 4 – Ch. 10, arrêt du 20 février 2025

M. X. / 20 Minutes France

balance de droits - dérogations - données personnelles - droit à l'oubli - journaliste - liberté d'expression - presse - RGPD

M. X. a été président de la section football du Racing club de France, situé à Colombes dans le département des Hauts-de-Seine (92) de décembre 2002 à août 2004 où il a démissionné.

Par jugement du tribunal correctionnel de Nanterre du 12 juin 2009, il a été déclaré coupable de complicité d’abus de confiance et de recel de bien obtenu à l’aide d’un abus de confiance, d’abus de biens sociaux pendant cette période, et condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis et à une amende de 20.000 euros. Il a fait appel de cette décision.

Le 15 juin 2009, un article a été publié sur le site internet du journal 20 Minutes, intitulé « Il détournait de l’argent pour un club » rendant compte de cette affaire en ces termes :
« Le tribunal de Nanterre a condamné vendredi à deux ans de prison avec sursis et
20.000 euros d’amende l’ex-président d’un club de football des Hauts-de-Seine. M. X. était jugé pour le détournement de plus de 300.000 euros de subventions destinés à une association. Aujourd’hui patron de la Fédération des sports de contact, il a été reconnu coupable de complicité et de recel d’abus de confiance ainsi que d’abus de biens sociaux remontant à l’époque où il était président du Racing club de France, entre 2002 et 2004.

La gestion du Racing avait été visée par un signalement de Tracfin (cellule anti blanchiment de Bercy) concernant des mouvements suspects entre le club en difficulté financière et l’association Vis ton foot, chargée d’animer des quartiers populaires. L’instruction avait démontré que des subventions allouées à l’association dont la majorité provenait de la région Ile-de-France, avaient été utilisées pour la gestion du club et avaient servi à payer des joueurs du Racing ».

M X. ayant interjeté appel du jugement, par un arrêt rendu le 16 février 2011, la cour d’appel de Versailles a infirmé partiellement le jugement susvisé, reconnaissant M. X. coupable de délits de complicité d’abus de confiance et de recel et ordonnant l’exclusion de sa condamnation du bulletin n°2 de son casier judiciaire, sa peine d’emprisonnement avec sursis étant ramenée à un an et l’amende portée à 30.000 euros.

Par courrier du 13 novembre 2019, le conseil de M. X. a mis en demeure la société 20 Minutes France de supprimer l’article poursuivi ou à tout le moins de l’anonymiser ainsi que de faire le nécessaire dans les 72 heures pour qu’il ne soit plus indexé par les moteurs de recherche en application des articles 17 et 21 du règlement général de protection des données (RGPD).

La société 20 Minutes a effectué une mise à jour de l’article le 15 novembre 2019, ajoutant à la fin de celui-ci : “ Le 16 février 2011, la cour d’appel de Versailles (sic) a infirmé en partie ce jugement, affirme Romain Darrière, l’avocat de M. X.”.

Estimant qu’il n’avait pas été répondu à sa demande, le conseil de M. X. a relancé par courriel la société 20 Minutes France le 5 décembre 2019.

Constatant au cours du mois de janvier 2020 que l’article avait fait l’objet de la mise à jour susvisée, le conseil de M. X. a adressé un nouveau courriel le 15 janvier 2020 à la société 20 Minutes France pour protester contre la divulgation de son nom et indiquer que cette mise à jour ne respectait pas les termes de sa mise en demeure du 13 novembre 2019.

N’ayant pu obtenir satisfaction, malgré la réitération de ses demandes, M. X. a par acte du 2 juin 2020 fait assigner la société 20 Minutes France sur le fondement de la protection des données personnelles et du droit “à l’oubli” en demandant à titre principal au tribunal :
– A titre principal, d’ordonner à la société 20 Minutes de supprimer l’article publié le 15 juin 2009 sur son site internet www.20minutes.fr sous l’intitulé “Il détournait de l’argent pour un club”,
– A titre subsidiaire, d’ordonner à la société 20 Minutes de supprimer toute référence aux nom et prénom de M. X. dans ledit article,
– A titre infiniment subsidiaire, d’ordonner à la société 20 Minutes de désindexer des moteurs de recherche l’article.

Par jugement en date du 30 juin 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :
– Débouté M. X. de ses demandes ;
– Condamné M. X. à verser à la société 20 Minutes France la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Débouté la société 20 Minutes France du surplus de ses demandes ;
– Condamné M. X. aux dépens.

Le tribunal a estimé qu’en l’espèce le traitement des données personnelles litigieuses était nécessaire à l’exercice de la liberté d’expression et d’information par la défenderesse, éditrice de presse, et que l’anonymisation subsidiairement sollicitée par le demandeur serait de nature, compte tenu de son objet, à faire perdre pour le public tout intérêt à l’article en cause, et excéderait dès lors les restrictions pouvant être apportées à la liberté de la presse. Il a enfin jugé que le maintien des données litigieuses dans l’article ne constituait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée.

Par déclaration du 11 août 2021, M. X. a interjeté appel de ce jugement.

Par dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 15 octobre 2024, M. X. demande à la cour de :
Vu les articles 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme,
Vu les articles 5, c), 17 et 21 du règlement (UE) n°2016/679 du 27 avril 2016 dit
« RGPD »,
Vu les articles 51 et 56 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés,
Vu la jurisprudence,

– Infirmer le jugement rendu le par le tribunal judiciaire de Paris en toutes ses dispositions ;

Et statuant de nouveau :
A titre principal,
– Ordonner à la société 20 Minutes France de supprimer la brève publiée le 15 juin 2009 sur son site internet www.20minutes.fr, sous l’intitulé « Il détournait de l’argent pour un club »,
A titre subsidiaire,
– Ordonner à la société 20 Minutes France de supprimer toute référence aux nom et prénom de Monsieur Denis Marie CINTURA dans la brève publiée le 15 juin 2009 sur son site internet www.20minutes.fr, sous l’intitulé « Il détournait de l’argent pour un club »,

A titre infiniment subsidiaire,
– Ordonner à la société 20 Minutes France de désindexer des moteurs de recherche la brève publiée le 15 juin 2009 sur son site internet www.20minutes.fr, sous l’intitulé « Il détournait de l’argent pour un club »,

En tout état de cause,
– Condamner la société 20 Minutes France à verser à M. X. la somme de 15.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral ;
– Condamner la société 20 Minutes France à verser à M. X. la somme de 8.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens d’instance et d’appel.

M. X. soutient que c’est à la société 20 Minutes France de prouver qu’il existe des motifs légitimes et impérieux de s’opposer à une demande d’opposition de traitement de ses données personnelles et demande à la cour de se fonder sur les sept critères retenus pour apprécier la légitimité de l’atteinte au droit d’oubli par la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt rendu le 4 juillet 2023 par Grande chambre dans l’affaire « M. Y. c. Belgique », venu confirmer un arrêt du 22 juin 2021 : la nature de l’information archivée, le temps écoulé depuis les faits rapportés, l’intérêt contemporain de l’information, la notoriété de la personne, les répercussions négatives de la persistance de l’information sur le site, le degré d’accessibilité de l’information, l’impact de la mesure sur la liberté d’expression.

Il prétend qu’au regard de ces critères, le maintien de l’information sur le site de 20mn.fr ne se justifie pas, que la brève litigieuse expose non seulement son passé pénal 20 ans après la commission des faits, mais qu’elle véhicule également des informations erronées à son égard, qu’en effet, il n’y a pas eu plus de 300.000 € de subventions détournées, que l’appel a diminué la peine et l’a relaxé de certains faits.

Par dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 8 octobre 2024, la société 20 Minutes France demande à la cour de :

Vu le règlement (UE) du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et en particulier l’article 17.3,
Vu la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et en particulier l’article 80,

– Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 30 juin 2021 en ce qu’il a :
Débouté M. X. de l’ensemble de ses demandes ;
Condamné M. X. à verser à 20 Minutes France la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamné M. X. aux dépens ;
– Juger que 20 Minutes France peut se prévaloir du droit à la liberté d’expression et d’information et que le droit à l’effacement de ses données personnelles ainsi que le droit d’opposition de M. X. sont inapplicables en l’espèce ;
– Juger que M. X. ne justifie pas l’existence et l’étendue de son préjudice prétendu,
– En conséquence, rejeter l’intégralité des fins, moyens et prétentions de M. X. ;
– Condamner M. X. au paiement de la somme de 5.000 euros au titre des frais d’appel non compris dans les dépens conformément à l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner M. X. aux entiers dépens d’appel dont distraction au profit de la SCP AFG conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

La société 20 Minutes France fait valoir que les législations européenne et française ont institué le droit à l’oubli et le droit d’opposition mais ont choisi d’exclure l’application de ces droits dans certains cas afin de protéger la liberté d’expression et d’information et en raison du rôle essentiel de la presse dans une société démocratique, que ces exceptions prévues dans l’article 17.3 du RGPD pour les organes de presse sont applicables à 20mn.fr qui est un site d’information et non un moteur de recherches. Elle relève notamment que la CEDH elle-même dans les arrêts cités par M X. a rappelé que “des obligations différentes peuvent être appliquées aux moteurs de recherche et aux éditeurs à l’origine de l’information litigieuse”.

Elle soutient que, contrairement aux affirmations de l’appelant, la Cour ne s’est pas prononcée dans ces arrêts sur la portée des termes « nécessaire à la liberté d’expression » au sens du RGPD, et estime que les circonstances étaient différentes.

Elle estime que l’article est licite, participe à un débat d’intérêt général puisque M. X. était dirigeant d’un club très connu et a ensuite toujours été dirigeant d’une fédération sportive. Elle conteste que l’article soit inexact puisque M. X. a bien été déclaré par la cour de Versailles “coupable du recel des abus de confiance retenus contre ses coprévenus », et que sa peine d’amende a été aggravée.

Elle prétend que M. X. ne peut en outre se prévaloir d’aucune des circonstances exceptionnelles dégagées par la CEDH dans son arrêt du 22 juin 2021.

Elle conclut que l’article de 20 Minutes est bien « nécessaire à la liberté d’expression » au sens de l’article 17 du RGPD, de sorte que le droit à l’effacement et le droit d’opposition de M. X. doivent être écartés.

La société 20 Minutes France fait valoir enfin qu’en toute hypothèse, le préjudice allégué n’est établi ni dans son existence ni dans son étendue.

La clôture a été prononcée le 23 octobre 2024.

DISCUSSION

L’article 51 de la loi du 6 janvier 1978 modifié par l’ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018 article 1 dispose que le droit à l’effacement s’exerce dans les conditions prévues à l’article 17 du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016, connu sous l’appellation de “Règlement général sur la protection des données”, ou RGPD.

L’article 56 de la loi du 6 janvier 1978 modifié par l’ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018 dispose que le droit à l’opposition au traitement de ses données personnelles s’exerce dans les conditions prévues à l’article 21 du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016.

Article 17 du RGPD
“la personne concernée a le droit d’obtenir du responsable du traitement l’effacement, dans les meilleurs délais, de données à caractère personnel la concernant et le responsable du traitement a l’obligation d’effacer ces données à caractère personnel dans les meilleurs délais, lorsque l’un des motifs suivants s’applique :
a) les données à caractère personnel ne sont plus nécessaires au regard des finalités pour lesquelles elles ont été collectées ou traitées d’une autre manière ;
…/…
c) la personne concernée s’oppose au traitement en vertu de l’article 21, paragraphe 1, et il n’existe pas de motif légitime impérieux pour le traitement, ou la personne concernée s’oppose au traitement en vertu de l’article 21, paragraphe 2;
d) les données à caractère personnel ont fait l’objet d’un traitement illicite ;
…/…
“ces dispositions ne s’appliquent pas dans la mesure où ce traitement est nécessaire :
a) à l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information”

Article 21
“La personne concernée a le droit de s’opposer à tout moment, pour des raisons tenant à sa situation particulière, à un traitement des données à caractère personnel la concernant fondé sur l’article 6, paragraphe 1, point e) ou f), y compris un profilage fondé sur ces dispositions”.

Le responsable du traitement ne traite plus les données à caractère personnel, à moins qu’il ne démontre qu’il existe des motifs légitimes et impérieux pour le traitement qui prévalent sur les intérêts et les droits et libertés de la personne concernée, ou pour la constatation, l’exercice ou la défense de droits en justice.

Sur le droit à l’effacement et le droit d’opposition

Dans la mesure où d’après ces textes, le droit à l’effacement comme le droit d’opposition ne s’appliquent pas si le maintien des données est nécessaire à l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information ou s’il est motivé par des motifs légitimes et impérieux, il convient d’apprécier avant tout en l’espèce si les données d’identification de la personne et la mention de sa condamnation pénale doivent être considérées comme nécessaires à la liberté d’expression.

M. X., à l’époque des faits qui ont donné lieu à condamnation, était président d’un club de football français de premier plan et il a été déclaré coupable d’avoir été complice et receleur du détournement pour l’usage de ce club des fonds à destination d’association promouvant le football dans des quartiers populaires et notamment l’association Vis ton foot, en rappelant que le complice en droit français est puni comme l’auteur principal. Il a notamment été relevé dans l’arrêt que M. X. avait nécessairement bénéficié en pleine connaissance de cause des flux d’argent que l’association assurait vers son club.

La diffusion de la condamnation pénale relevait à l’évidence du droit à l’information au moment où elle est intervenue, ce qui n’est pas sérieusement contesté par M. X., mais celui-ci conteste que cette diffusion soit intéressante pour tous 20 ans après les faits et 15 ans après la condamnation.

La mention des éléments d’identification et l’évocation de condamnations pénales relève à l’évidence dans une telle situation du droit à l’information du citoyen, comme toute divulgation au public d’informations, d’opinions ou d’idées, et de la liberté d’expression sur un sujet d’intérêt général comme celui de la condamnation d’une personnalité officielle ayant présidé un club sportif très connu et s’inscrivant dans le sujet toujours actuel des relations entre le sport et l’argent, et sont dès lors nécessaires au sujet traité, sous la forme d’un compte-rendu de la condamnation pénale.

La circonstance qu’il existe une erreur sur les sommes détournées n’est pas non plus déterminante, l’article évoquant 300.000 € alors que l’arrêt indique “le montant des détournements retenus par la cour est d’un total de 257 700 €”, et la différence ne suffit pas à considérer l’information comme fausse.

Si la mention de l’appel aurait pu être faite de façon plus directe, sans la considérer comme des propos non vérifiables de l’avocat, dont il n’est pas anormal de citer le nom alors qu’il est public, elle n’est pas inexacte et dans la mesure où elle contient notamment la date exacte de l’appel, elle reprend un caractère affirmatif. Elle ne précise pas non plus totalement en quoi l’arrêt a infirmé partiellement le jugement mais ceci non plus ne rend pas inexactes les informations publiées.

Le maintien de la publication de l’article qui pouvait porter à la connaissance de tout intéressé l’existence d’une condamnation pénale n’est pas en contradiction avec la dispense d’inscription au casier judiciaire B2 prononcée par la cour d’appel de Versailles qui a, elle, pour objet d’ouvrir la possibilité pour un employeur public d’embaucher malgré tout une personne condamnée, mais non d’interdire sa connaissance de la condamnation.

Le droit à la protection des données personnelles ne peut être interprété comme un droit à faire disparaître à première demande des contenus médiatiques publiés sur internet, indépendamment d’un abus de la liberté d’expression et des règles de procédure destinées à protéger cette liberté fondamentale, dans la mesure où ils constituent un vivier d’informations à disposition des internautes devant pouvoir faire des recherches y compris sur des événements passés, la presse contribuant à la mission de formation de l’opinion.

L’ancienneté relative des informations ne les rend pas obsolètes au regard du sujet, étant observé que comme l’a relevé le jugement, M. X. était resté dirigeant dans le domaine sportif (président de la fédération française des sports de combat, président de la fédération des sports de combat au Luxembourg) et il est resté une personnalité du monde politico-médiatique au vu de la pièce qu’il produit lui-même (article de Bakchich : pièce 18). Les informations contenues dans l’article de 20 Minutes, bien que relativement anciennes, contribuent à alimenter un débat d’intérêt général, notamment sur les liens entre l’argent et le sport, et le maintien du lien présente en conséquence un intérêt prépondérant pour le public.

M X. ne conteste pas que le droit à l’information puisse faire échec au droit à l’oubli mais soutient que dans certaines conditions, ce droit formellement reconnu doit prévaloir, il demande l’application des critères retenus par la CEDH dans ses arrêts M. Y. contre Belgique. La société 20mn conteste et soutient que le droit à l’oubli ne s’applique pas aux organes de presse.

Cependant la dérogation au droit à l’oubli à l’égard des sociétés de presse n’est pas absolue et l’organe de presse doit pouvoir démontrer que la persistance de la publicité des données est nécessaire à l’exercice du droit à la liberté d’expression et d’information ne porte pas une atteinte exagérée au droit à l’oubli et au respect de la vie privée. Il convient de trouver un équilibre entre le droit à l’effacement et le droit à l’information, et certains des critères de la cour peuvent donc être utilisés, comme le demande M. X.

Le temps écoulé depuis les faits rapportés et l’intérêt contemporain de l’information

L’importance et l’intérêt de la publication d’une information peuvent diminuer avec le temps et ces deux critères sont relatifs au temps écoulé depuis les faits rapportés et à l’intérêt contemporain de l’information.

En l’espèce il s’est écoulé une période de 10 ans entre la condamnation de la cour d’appel de Versailles, date où l’information était totalement actuelle et le jugement du tribunal judiciaire refusant d’ordonner la suppression de cette information, durée qui n’est pas en elle-même suffisante pour enlever de l’intérêt à celle-ci. Dans la mesure où cette condamnation concernait en effet des faits graves : complicité de ce qui doit être considéré un détournement de l’usage de fonds destinés à promouvoir le sport pour tous et recel et usage de ces fonds pour un autre usage, elle n’a pas perdu son intérêt 10 ans après.

Le souhait du monde sportif de rendre celui-ci “propre” maintient une actualité évidente pour cette condamnation et participe encore aujourd’hui de la liberté d’expression et d’information.

La notoriété de la personne

M. X. qui se présente comme un “homme sans aucune notoriété”, produit cependant lui-même un article du journal Bakchich expliquant qu’il a été très lié également à la vie politique, jusqu’à être ministre des sports dans le cabinet fantôme de Mme Alliot-Marie. Même si cet article date de fin 2008, la réputation ne disparaît pas avec le temps lorsque le nom était connu dans le domaine du sport, notamment de par les fonctions exercées, et c’est donc à bon droit que le tribunal judiciaire a considéré M. X. comme une “personnalité officielle ayant présidé un club sportif notoire”, étant relevé que la classe dans laquelle évoluait le club n’est pas le seul critère de notoriété.

La nature de l’information archivée

L’information en l’espèce est la publication d’une décision de justice sur un sujet d’intérêt public, et la liberté de cette publication doit donc être particulièrement protégée notamment pour permettre à la justice de jouer son rôle de prévention des infractions. Contrairement à l’affaire ayant donné lieu aux arrêts Herblain, cités par l’appelant, où la condamnation pour une infraction routière d’un médecin généraliste sans aucune notoriété n’avait pas d’intérêt des années après qu’elle a été prononcée, la condamnation d’un homme ayant eu un rôle d’une certaine importance à la fois dans le domaine de la politique et dans celui du sport et pouvant souhaiter en retrouver un, et concernant des délits graves en rapport direct avec sa fonction de directeur d’un club de sports, n’avait pas perdu son intérêt d’information.

Les répercussions négatives de la persistance de l’information sur le site

M. X. soutient qu’il a subi un lourd préjudice du fait du maintien en ligne de l’article, qu’il n’a pas pu retravailler, notamment dans le domaine du sport.

Ainsi que relevé par le jugement, il avait trouvé un emploi dans une autre fédération sportive et ce alors même que l’article était encore en ligne et même accessible sur le site de recherches Google (utilisé par plus de 90% des internautes français) en tapant directement son nom. Cet affichage ne l’avait donc pas empêché de retrouver un emploi dans le domaine du sport. Il échoue donc à démontrer que ce soit la persistance de la présence de l’article en ligne, dont il n’apparaît pas qu’il ait été lu par de nombreux lecteurs, plus que sa réputation même en dehors de l’article et la connaissance de l’affaire dans le milieu du sport, qui l’aient empêché de trouver un emploi. Ses conclusions sont d’ailleurs assez contradictoires en ce qu’il estime d’une part que la persistance de l’article l’empêche de retrouver un emploi, et soutient d’autre part qu’il a quitté le monde du sport. En toutes hypothèses, M. X. échoue à démontrer que l’éventuel préjudice serait disproportionné par rapport à la nécessité de l’information.

L’impact de la mesure sur la liberté d’expression et le degré d’accessibilité

Il est important que des condamnations de personnes “publiques “ puissent être portées à la connaissance de tous de façon libre et sans restriction. L’accessibilité de l’information est fonction de son importance et conforme à la nécessité de celle-ci.

M. X. ne justifie donc pas de la nécessité de supprimer les données en ligne, justifiée par la liberté d’expression et la nécessité d’information.

Sur l’anonymisation

Subsidiairement M. X. demande que l’article soit anonymisé.

Il convient donc d’apprécier si, en application l’article 17 3 a) du RGPD, la présence des données personnelles concernées est “nécessaire à la liberté d’expression” et si l’anonymisation sollicitée ne constituerait pas une restriction excessive à la liberté de la presse.

Or, en l’espèce, il est important que le nom apparaisse, il est un élément essentiel de l’information et la faire paraître sans qu’il soit désigné serait une restriction excessive à la liberté d’information. La mention des éléments d’identification et l’évocation de condamnations pénales relèvent en effet du droit à l’information du citoyen, comme toute divulgation au public d’informations, d’opinions ou d’idées, et de la liberté d’expression.

Le jugement qui a refusé cette anonymisation doit donc être confirmé.

Sur la désindexation

M. X. demande que la société 20 Minutes procède à la désindexation de la brève, prétendant que celle-ci pourrait être faite très simplement par la société elle-même.

Cette dernière s’y oppose, faisant valoir qu’elle est un organe de presse et non un exploitant de moteur de recherches.

Il convient de relever que l’article incriminé n’est plus indexé sur Google, de sorte qu’une recherche avec le nom de X. sur le site ne fait plus apparaître l’article.

Ainsi que relevé par le tribunal, la société 20 Minutes est un organe de presse et ce n’est pas à elle de faire disparaître l’article des moteurs de recherche.

Il appartiendra à M. X. de présenter cette demande auprès des différents moteurs de recherche, comme il l’a fait avec succès pour le site Google.

Sur les autres demandes

Le jugement sera donc confirmé dans son intégralité notamment sur les condamnations aux dépens et sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

M. X., partie perdante, sera condamné aux dépens d’appel et il devra payer à la société 20 Minutes la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

DECISION

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Déboute M. X. de toutes ses demandes,

Condamne M. X. aux dépens d’appel,

Condamne M. X. à payer à la société 20 Minutes la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

 

La Cour : Marie-Odile Devillers (présidente), Valérie Morlet, Anne Zysman (conseillères), Catherine Silvan (greffière)

Avocats : Me Romain Darrière, Me Arnaud Guyonnet, Me Anne Cousin

Source : Legalis.net

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