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Jurisprudence : Vie privée

mardi 02 octobre 2001
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Cour de Cassation chambre sociale Arrêt du 2 octobre 2001

SA Nikon France / Frédéric O.

courrier électronique - licenciement pour faute - vie privée

La Cour de cassation, chambre sociale, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par la SA Nikon France, en cassation d’un arrêt rendu le 22 mars 1999 par la cour d’appel de Paris (18e chambre civile, section A), au profit de Frédéric O., défendeur à la cassation ;

Frédéric O. a formé un pourvoi incident contre le même arrêt ;

La Cour, en l’audience publique du 10 juillet 2001, où étaient présents : M. Waquet, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lemoine Jeanjean, conseiller rapporteur, MM. Boubli, Ransac, Chagny, Bouret, Lanquetin, Coueret, Bailly, conseillers, M. Frouin, Mmes Trassoudaine-Verger, Lebée, M. Richard de la Tour, Mme Andrich, M. Leblanc, conseillers référendaires, M. Kahrig, avocat général, Mme Ferré, greffier de la chambre ;

Sur le rapport de Mme Lemoine Jeanjean, les observations de la SCP Gatineau, avocat de la société Nikon France, de la SCP Vier et Barthélémy, avocat de Frédéric O., les conclusions de M. Kahrig, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu que la société Nikon France a engagé Frédéric O. le 22 avril 1991 en qualité d’ingénieur, chef du département  » topographie  » ; que, le 7 septembre 1992, le salarié a conclu avec les sociétés Nikon Corporation et Nikon Europe BV un accord de confidentialité lui interdisant de divulguer certaines informations confidentielles communiquées par ces deux sociétés ; que, le 29 juin 1995, il a été licencié pour faute grave, motif pris, notamment, d’un usage à des fins personnelles du matériel mis à sa disposition par la société à des fins professionnelles ; qu’il a saisi la juridiction prud’homale d’une demande tendant au paiement d’indemnités fondées sur un licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que d’un somme à titre de contrepartie de la clause de non-concurrence conventionnelle ;

Sur le moyen unique du pourvoi de la société Nikon France :

Vu l’article 1134 du code civil ;

Attendu que pour condamner la société Nikon France à payer l’indemnité prévue par la clause de non-concurrence conventionnelle, la cour d’appel a énoncé que l’interdiction de divulguer des informations confidentielles revenait à interdire au salarié de s’engager en sa qualité d’ingénieur-géomètre chez un concurrent et que l’accord de confidentialité devait donc produire les effets de cette clause de non-concurrence ;

Attendu, cependant, que l’accord de confidentialité conclu le 7 septembre 1992 entre le salarié et les sociétés Nikon Corporation et Nikon BV interdisait seulement au salarié de divulguer des informations, portées à sa connaissance par ces deux sociétés, expressément identifiées comme confidentielles, et de nature à permettre le développement d’un programme spécifique ; que, contrairement à la clause de non-concurrence prévue par l’article 28 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie applicable en l’espèce, l’accord n’interdisait pas au salarié de s’engager au service d’une entreprise concurrente après avoir quitté la société ;

Qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel, qui a donné à l’accord de confidentialité, dont les termes étaient clairs et précis, une portée qu’il n’avait pas, a dénaturé cet accord et ainsi violé le texte susvisé ;

Sur le pourvoi incident de Frédéric O. :

Vu l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 9 du code civil, l’article 9 du nouveau code de procédure civile et l’article L. 120-2 du code du travail ;

Attendu que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimé de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l’employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail, et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur ;

Attendu que, pour décider que le licenciement de Frédéric O. était justifié par une faute grave, la cour d’appel a notamment retenu que le salarié avait entretenu pendant ses heures de travail une activité parallèle ; qu’elle s’est fondée pour établir ce comportement sur le contenu de messages émis et reçus par le salarié, que l’employeur avait découverts en consultant l’ordinateur mis à la disposition de Frédéric O. par la société et comportant un fichier intitulé  » personnel  » ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs :

. casse et annule, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 22 mars 1999, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

. laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;

. vu l’article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes ;

. dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du 2 octobre 2001.

Notre présentation de la décision

 
 

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