Jurisprudence : E-commerce
Cour de justice de l’Union européenne 2ème chambre Arrêt du 6 février 2014
Martin B., Rolex
application - contrefaçon - douane - droits de propriété intellectuelle - recours préjudiciel - réglement européen - saisie - site étranger - site internet - vente en ligne
«Renvoi préjudiciel – Règlement (CE) n° 1383/2003 – Mesures visant à empêcher la mise sur le marché de marchandises de contrefaçon et de marchandises pirates – Article 2 – Champ d’application du règlement – Vente, à partir d’un État tiers, par internet, d’une montre de contrefaçon à des fins privées à un particulier, résidant dans un État membre – Saisie de la montre par les autorités douanières lors de son entrée sur le territoire de l’État membre – Régularité de la saisie – Conditions – Conditions tenant à l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle – Directive 2001/29/CE – Article 4 – Distribution au public – Directive 2008/95/CE – Article 5 – Règlement (CE) n° 207/2009 – article 9 – Usage dans la vie des affaires»
DISCUSSION
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) n° 1383/2003 du Conseil, du 22 juillet 2003, concernant l’intervention des autorités douanières à l’égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle (JO L 196, p. 7, ci-après le «règlement douanier»), de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO L 167, p. 10, ci-après la «directive sur le droit d’auteur»), de l’article 5, paragraphes 1 et 3, de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO L 299, p. 25, ci-après la «directive sur les marques»), et de l’article 9, paragraphes 1 et 2, du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO L 78, p. 1, ci-après le «règlement sur la marque communautaire»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. B. à Rolex SA et à Manufacture des montres Rolex SA (ci-après, ensemble, «Rolex») au sujet de la destruction d’une montre de contrefaçon saisie par les autorités douanières et que M. B. avait achetée par l’intermédiaire d’un site internet chinois de vente en ligne.
Le cadre juridique
– Le droit de l’Union
* Le règlement douanier
3 Les considérants 2 et 8 du règlement douanier énoncent :
«(2) La commercialisation de marchandises de contrefaçon, de marchandises pirates et, d’une manière générale, la commercialisation de toutes les marchandises enfreignant les droits de propriété intellectuelle portent un préjudice considérable aux fabricants et négociants qui respectent la loi ainsi qu’aux titulaires de droits et trompent les consommateurs en leur faisant courir parfois des risques pour leur santé et leur sécurité. Il convient dès lors d’empêcher, dans toute la mesure du possible, la mise sur le marché de telles marchandises et d’adopter à cette fin des mesures permettant de faire face efficacement à cette activité illicite sans pour autant entraver la liberté du commerce légitime. Cet objectif rejoint d’ailleurs les efforts entrepris dans le même sens au plan international.
[…]
(8) Dès lors qu’une procédure visant à déterminer s’il y a eu violation d’un droit de propriété intellectuelle au regard du droit d’un État membre est engagée, elle se fera par référence aux critères qui sont utilisés pour déterminer si des marchandises produites dans cet État membre violent les droits de propriété intellectuelle. Les dispositions des États membres relatives aux compétences juridictionnelles et aux procédures judiciaires ne sont pas affectées par le présent règlement.»
4 L’article 1er de ce règlement dispose :
«1. Le présent règlement détermine les conditions d’intervention des autorités douanières lorsque des marchandises sont soupçonnées d’être des marchandises portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle dans les situations suivantes :
[…]
b) quand elles sont découvertes à l’occasion d’un contrôle de marchandises introduites sur le territoire douanier de la Communauté ou en sortant conformément aux articles 37 et 183 du règlement (CEE) n° 2913/92 [du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1)], […].
2. Le présent règlement détermine également les mesures à prendre par les autorités compétentes lorsqu’il est établi que les marchandises visées au paragraphe 1 portent atteinte aux droits de propriété intellectuelle.»
5 L’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), dudit règlement est libellé dans les termes suivants :
«Aux fins du présent règlement, on entend par ‘marchandises portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle’ :
a) les ‘marchandises de contrefaçon’, à savoir :
i) les marchandises, y compris leur conditionnement, sur lesquelles a été apposée sans autorisation une marque de fabrique ou de commerce identique à la marque de fabrique ou de commerce valablement enregistrée pour le même type de marchandises ou qui ne peut être distinguée dans ses aspects essentiels de cette marque de fabrique ou de commerce et qui, de ce fait, porte atteinte aux droits du titulaire de la marque en question, en vertu du droit communautaire et notamment du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1) ou en vertu du droit interne de l’État membre dans lequel la demande d’intervention des autorités douanières est introduite ;
[…]
b) les ‘marchandises pirates’, à savoir des marchandises qui sont, ou qui contiennent, des copies fabriquées sans le consentement du titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin ou du titulaire d’un droit relatif au dessin ou modèle, enregistré ou non en droit national, ou d’une personne dûment autorisée par le titulaire dans le pays de production dans les cas où la réalisation de ces copies porte atteinte au droit en question en vertu du [règlement (CE) n° 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p.1)] ou en vertu du droit interne de l’État membre dans lequel la demande d’intervention des autorités douanières est introduite».
6 L’article 9, paragraphe 1, du même règlement prévoit :
«Lorsqu’un bureau de douane […] constate […] que les marchandises se trouvant dans l’une des situations visées à l’article 1er, paragraphe 1, sont soupçonnées de porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle […], il suspend la mainlevée ou procède à la retenue desdites marchandises.»
7 Selon l’article 10, premier alinéa, du règlement douanier :
«Les dispositions de droit en vigueur dans l’État membre sur le territoire duquel les marchandises se trouvent dans l’une des situations visées à l’article 1er, paragraphe 1, sont applicables pour déterminer s’il y a eu violation d’un droit de propriété intellectuelle au regard du droit national.»
8 Aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement :
«Sans préjudice des autres voies de recours ouvertes au titulaire du droit, les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre aux autorités compétentes :
a) selon les dispositions pertinentes du droit national, de détruire les marchandises reconnues comme portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle ou de les épuiser hors des circuits commerciaux de manière à éviter de causer un préjudice au titulaire du droit, sans indemnisation d’aucune sorte et sauf disposition contraire prévue par le droit national, et sans frais aucun pour le Trésor public ;
[…]»
* La directive sur le droit d’auteur
9 L’article 4, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur est libellé comme suit :
«Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute forme de distribution au public, par la vente ou autrement, de l’original de leurs œuvres ou de copies de celles-ci.»
* La directive sur les marques
10 Selon l’article 5, paragraphes 1 et 3, de la directive sur les marques :
«1. La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires :
a) d’un signe identique à la marque […] ;
[…]
3. Si les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment être interdit :
[…]
b) d’offrir les produits ou de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe ;
c) d’importer ou d’exporter les produits sous le signe ;
[…]»
* Le règlement sur la marque communautaire
11 Aux termes de l’article 9, paragraphes 1 et 2, du règlement sur la marque communautaire :
«1. La marque communautaire confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires :
a) d’un signe identique à la marque […] ;
[…]
2. Il peut notamment être interdit, si les conditions énoncées au paragraphe 1 sont remplies ;
[…]
b) d’offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe ;
c) d’importer ou d’exporter les produits sous le signe ;
[…]»
– Le droit danois
12 Selon l’article 2, paragraphes 1 et 3, de la loi sur le droit d’auteur (ophavsretsloven), dans sa version résultant de l’arrêté de codification n° 202 (lovbekendtgørelse nr. 202), du 27 février 2010, qui a transposé la directive sur le droit d’auteur :
«1. Sous réserve des limites prévues par la présente loi, le droit d’auteur comprend le droit exclusif de disposer de l’œuvre par reproduction et de la mettre à la disposition du public, sous forme originale ou modifiée, traduite ou retravaillée, dans un autre genre littéraire ou artistique, ou selon une autre technique.
[…]
3. L’œuvre est rendue publique lorsque
1) des exemplaires de l’œuvre sont offerts à la vente, à la location ou à l’emprunt ou diffusés au public d’une autre manière ;
2) des exemplaires de l’œuvre sont montrés au public, ou
3) l’œuvre est diffusée publiquement.»
13 Aux termes de l’article 4, paragraphes 1 et 3, de la loi sur les marques (varemærkeloven), dans sa version résultant de l’arrêté de codification n° 109 (lovbekendtgørelse nr. 109), du 24 janvier 2012, qui a transposé la directive sur les marques :
«1. Le titulaire d’un droit de marque est habilité à interdire à autrui, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires, d’un signe si
1) le signe est identique à la marque et les produits ou services pour lesquels il est utilisé sont identiques aux produits ou services pour lesquels la marque est protégée, ou
2) le signe est identique ou similaire à la marque et les produits ou services sont identiques ou similaires, lorsqu’il existe un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque.
[…]
3. Est notamment à considérer comme un usage, dans la vie des affaires, le fait
1) d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement,
2) d’offrir les produits ou de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe,
3) d’importer ou d’exporter les produits sous le signe, et
4) d’utiliser le signe dans les papiers d’affaires et la publicité.»
14 Selon l’article 5 de la l’arrêté de codification n° 1047 portant application du règlement européen relatif aux marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle (lovbekendtgørelse nr. 1047 om anvendelse af Det Europæiske Fællesskabs forordning om toldmyndighedernes indgriben over for varer, der mistænkes for at krænke visse intellektuelle ejendomsrettigheder, og om de foranstaltninger, som skal træffes over for varer, der krænker sådanne rettigheder), du 20 octobre 2005 :
«[1.] En cas de mesure prise au titre de l’article 9 du [règlement douanier], le destinataire des marchandises peut demander au tribunal de déterminer si les conditions prévues à cet article pour la suspension de la mainlevée sont remplies. Le tribunal peut décider la mainlevée des marchandises.
2. Le destinataire des marchandises ne peut pas faire appel devant une autorité administrative supérieure de la décision de suspension de la mainlevée prise par l’administration des douanes et des contributions.»
15 L’article 4 de l’arrêté n° 12 portant application du règlement européen relatif aux marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle (bekendtgørelse nr. 12 om anvendelse af Det Europæiske Fællesskabs forordning om toldmyndighedernes indgriben over for varer, der mistænkes for at krænke visse intellektuelle ejendomsrettigheder, og om de foranstaltninger, som skal træffes over for varer, der krænker sådanne rettigheder), du 9 janvier 2006, dispose ce qui suit :
«[1.] Les marchandises reconnues comme des marchandises portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle qui relèvent de la définition de l’article 2, paragraphe 1, du [règlement douanier] sont cédées au profit du Trésor public afin d’être détruites. La destruction est réalisée dans les conditions prévues à l’article 17, paragraphe 1, sous a), de ce règlement.
2. Il n’est fait droit à aucune demande d’indemnisation lors de la destruction des marchandises conformément au paragraphe 1.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
16 En janvier 2010, M. B., résidant au Danemark, a commandé, par l’intermédiaire d’un site internet chinois de vente en ligne, une montre décrite comme étant de la marque Rolex. La commande a été passée et a été payée à partir du site internet anglais de ce vendeur. Celui-ci a expédié la montre depuis Hong Kong par colis postal.
17 Le paquet a fait l’objet d’un contrôle par les autorités douanières lors de son arrivée au Danemark. Celles-ci ont suspendu le dédouanement de la montre, soupçonnant une contrefaçon de la montre originale de la marque Rolex et une violation des droits d’auteur sur le modèle concerné. Elles en ont informé, le 18 mars 2010, Rolex et M. B.
18 Rolex a alors demandé, conformément à la procédure prévue par le règlement douanier, que la suspension du dédouanement soit maintenue, après avoir constaté qu’il s’agissait effectivement d’une contrefaçon, et a sollicité de M. B. qu’il donne son accord pour que la montre soit détruite par les autorités douanières.
19 M. B., faisant valoir qu’il avait acheté légalement cette montre, s’est opposé à cette destruction.
20 Rolex a alors saisi le Sø- og Handelsretten (tribunal de commerce) d’une action tendant à ce qu’il soit enjoint à M. B. d’admettre la suspension du dédouanement et la destruction de la montre sans indemnisation. Cette juridiction a fait droit à la demande de Rolex.
21 M. B. a saisi en appel le Højesteret. Celui-ci s’interroge sur la réalité de l’atteinte, dans une situation telle que celle de l’espèce, à un droit de propriété intellectuelle, condition nécessaire à la mise en œuvre du règlement douanier, alors que, pour l’application de ce règlement, il faut, d’une part, qu’il s’agisse d’une violation du droit d’auteur ou d’un droit de marque protégé au Danemark et, d’autre part, que la violation alléguée ait eu lieu dans ce même État membre. Dès lors qu’il est établi que M. B. a acheté sa montre pour son usage personnel et qu’il n’a pas méconnu les lois danoises sur le droit d’auteur et sur les marques, se pose la question de savoir, pour la juridiction de renvoi, si le vendeur a violé le droit d’auteur et le droit des marques au Danemark. En conséquence, et au regard de la jurisprudence de la Cour (arrêts du 12 juillet 2011, L’Oréal e.a., C‑324/09, Rec. p. I‑6011; du 1er décembre 2011, Philips, C‑446/09 et C‑495/09, non encore publié au Recueil, et du 21 juin 2012, Donner, C‑5/11, non encore publié au Recueil), le Højesteret se demande s’il est question, en l’espèce, d’une distribution au public, au sens de la directive sur le droit d’auteur, et d’un usage dans la vie des affaires, au sens de la directive sur les marques et du règlement sur la marque communautaire.
22 Dans ces conditions, le Højesteret a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
«1) L’article 4, paragraphe 1, de la directive [sur le droit d’auteur] doit-il être interprété en ce sens que relève de la ‘distribution au public’ dans un État membre d’une marchandise protégée par le droit d’auteur le fait pour une entreprise de conclure, via un site internet situé dans un pays tiers, un contrat de vente et d’expédition de la marchandise à un acheteur privé, dont l’adresse est connue du vendeur, dans l’État membre où la marchandise est protégée par les dispositions sur le droit d’auteur, qu’il perçoive le paiement de la marchandise et effectue l’expédition à l’acheteur à l’adresse convenue ou existe-t-il une condition supplémentaire que, préalablement à la vente, la marchandise ait fait l’objet d’une offre de vente ou d’une publicité dirigée vers les consommateurs de l’État membre où la marchandise est livrée ou présentée sur un site internet destiné aux consommateurs de cet État ?
2) L’article 5, paragraphes 1 et 3, de la directive [sur les marques] doit-il être interprété en ce sens que doit être considéré comme l’’usage dans la vie des affaires’ d’une marque dans un État membre le fait pour une entreprise de conclure, via un site internet situé dans un pays tiers, un contrat de vente et d’expédition de la marchandise portant cette marque à un acheteur privé, dont l’adresse est connue du vendeur dans l’État membre où la marque est enregistrée, qu’il perçoive le paiement de la marchandise et effectue l’expédition à l’acheteur à l’adresse convenue ou existe‑t‑il dans cette situation une […] condition supplémentaire que la marchandise ait fait l’objet, préalablement à la vente, d’une offre de vente ou d’une publicité dirigée vers les consommateurs de l’État membre où la marchandise est livrée ou présentée sur un site internet destiné aux consommateurs de cet État ?
3) L’article 9, paragraphes 1 et 2, du règlement [sur la marque communautaire] doit-il être interprété en ce sens que doit être considéré comme l’’usage dans la vie des affaires’ d’une marque dans un État membre le fait pour une entreprise de conclure, via un site internet situé dans un pays tiers, un contrat de vente et d’expédition d’une marchandise portant la marque communautaire à un acheteur privé, dont l’adresse est connue du vendeur, dans un État membre, qu’il perçoive le paiement de la marchandise et effectue l’expédition à l’acheteur à l’adresse convenue ou existe‑t‑il dans cette situation une condition supplémentaire que la marchandise ait fait l’objet, préalablement à la vente, d’une offre de vente ou d’une publicité dirigée vers les consommateurs de l’État membre où la marchandise est livrée ou présentée sur un site internet destiné aux consommateurs de cet État ?
4) L’article 2, paragraphe 1, sous b), du règlement [douanier] doit-il être interprété en ce sens que l’application dans un État membre des dispositions sur l’empêchement de la mise en libre pratique et de la destruction de ‘marchandises pirates’ est subordonnée à la condition qu’il y ait eu ‘distribution au public’ dans cet État membre selon les mêmes critères que ceux indiqués dans la réponse à la première question ?
5) L’article 2, paragraphe 1, sous a), du règlement [douanier] doit-il être interprété en ce sens que l’application dans un État membre des dispositions sur l’empêchement de la mise en libre pratique et de la destruction de ‘marchandises de contrefaçon’ est subordonnée à la condition qu’il y ait eu ‘usage dans la vie des affaires’ dans cet État membre selon les mêmes critères que ceux indiqués dans les réponses aux deuxième et troisième questions ?»
Sur les questions préjudicielles
23 À titre liminaire, il convient de relever que, par ses questions, la juridiction de renvoi cherche à être éclairée sur la notion de «distribution au public», au sens de l’article 4, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur, ainsi que sur la notion d’«usage dans la vie des affaires», au sens de l’article 5, paragraphes 1 et 3, de la directive sur les marques et de l’article 9, paragraphes 1 et 2, du règlement sur la marque communautaire, afin de pouvoir apprécier, dans l’affaire au principal, l’existence d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle.
24 Selon la définition des termes «marchandises de contrefaçon» et «marchandises pirates» figurant à l’article 2, paragraphe 1, du règlement douanier, ces notions visent des atteintes portées à une marque, à un droit d’auteur ou à un droit voisin ou encore à un dessin ou à un modèle, qui s’applique en vertu de la réglementation de l’Union ou en vertu du droit interne de l’État membre dans lequel sont intervenues les autorités douanières. Il s’ensuit que sont uniquement visées des atteintes à des droits de propriété intellectuelle tels que conférés par le droit de l’Union et le droit national des États membres (voir arrêt Philips, précité, point 50).
25 Le règlement douanier n’instaure à cet égard aucun nouveau critère permettant de vérifier l’existence d’une atteinte aux droits de propriété intellectuelle (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2006, Montex Holdings, C‑281/05, Rec. p. I‑10881, point 40). Une telle atteinte ne saurait, par conséquent, être invoquée pour justifier l’intervention des autorités douanières au titre de ce règlement que si la vente de la marchandise concernée est susceptible d’affecter des droits conférés dans les conditions prévues par la directive sur le droit d’auteur, la directive sur les marques et le règlement sur la marque communautaire.
26 Dans ces conditions, il y a lieu de comprendre les questions préjudicielles en ce sens que la juridiction de renvoi cherche à savoir s’il résulte du règlement douanier que, pour que le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle sur une marchandise vendue à une personne résidant sur le territoire d’un État membre à partir d’un site internet de vente en ligne situé dans un pays tiers bénéficie de la protection garantie à ce titulaire par ledit règlement au moment où cette marchandise entre sur le territoire de cet État membre, il est nécessaire que cette vente soit considérée, dans ledit État membre, comme une forme de distribution au public ou comme relevant d’un usage dans la vie des affaires. La juridiction de renvoi se demande également si, préalablement à la vente, ladite marchandise doit avoir fait l’objet d’une offre de vente ou d’une publicité s’adressant aux consommateurs du même État.
27 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, d’une part, le titulaire d’une marque est habilité, sur le fondement de la directive sur les marques et du règlement sur la marque communautaire, à interdire l’usage, sans son consentement, d’un signe identique à ladite marque par un tiers lorsque cet usage a lieu dans la vie des affaires, est fait pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, et porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque (arrêt du 23 mars 2010, Google France et Google, C‑236/08 à C‑238/08, Rec. p. I‑2417, point 49 et jurisprudence citée).
28 D’autre part, conformément à la directive sur le droit d’auteur, un droit exclusif est conféré aux auteurs d’autoriser ou d’interdire toute forme de distribution au public, par la vente ou autrement, de l’original de leurs œuvres ou de copies de celles-ci. La distribution au public se caractérise par une série d’opérations allant, à tout le moins, de la conclusion d’un contrat de vente à l’exécution de celui-ci par la livraison à un membre du public. Un commerçant est dès lors responsable de toute opération réalisée par lui-même ou pour son compte donnant lieu à une «distribution au public» dans un État membre où les biens distribués sont protégés par un droit d’auteur (voir, en ce sens, arrêt Donner, précité, points 26 et 27).
29 Dans ces conditions, le droit de l’Union exige que cette vente soit considérée, sur le territoire d’un État membre, comme une forme de distribution au public, au sens de la directive sur le droit d’auteur, ou comme relevant d’un usage dans la vie des affaires, au sens de la directive sur les marques et du règlement sur la marque communautaire. L’existence d’une telle distribution au public doit être considérée comme avérée en cas de conclusion d’un contrat de vente et d’expédition.
30 Il n’est pas contesté que, dans l’affaire au principal, Rolex est titulaire au Danemark des droits d’auteur et de marques qu’elle revendique et que la montre en cause dans cette affaire constitue une marchandise de contrefaçon et une marchandise pirate au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous a) et b), du règlement douanier. Il n’est pas davantage contesté que Rolex eût été en droit de faire valoir l’atteinte à ses droits pour le cas où cette marchandise aurait été mise en vente par un commerçant établi dans cet État membre, puisque, à l’occasion d’une telle vente, intervenue à titre commercial, il aurait été fait usage, lors d’une distribution au public, de ses droits dans la vie des affaires. Il reste dès lors à vérifier, afin de répondre aux questions posées, si un titulaire de droits de propriété intellectuelle, tel que Rolex, peut prétendre à la même protection de ses droits pour le cas où, comme dans l’affaire au principal, la marchandise en cause a été vendue à partir d’un site internet de vente en ligne situé dans un pays tiers sur le territoire duquel cette protection ne trouve pas à s’appliquer.
31 Il est certes vrai que la simple accessibilité d’un site internet sur le territoire couvert par cette protection ne suffit pas pour conclure que les offres de vente affichées sur ce site sont destinées à des consommateurs situés sur ce territoire (voir arrêt L’Oréal e.a., précité, point 64).
32 Toutefois, la Cour a déjà jugé qu’il peut y avoir atteinte aux droits ainsi protégés lorsque, même avant leur arrivée sur le territoire couvert par cette protection, des marchandises provenant de pays tiers font l’objet d’un acte commercial dirigé vers les consommateurs situés sur ce territoire, tel qu’une vente, une offre à la vente ou une publicité (voir, en ce sens, arrêt Philips, précité, point 57 et jurisprudence citée).
33 Ainsi, des marchandises provenant d’un État tiers et constituant une imitation d’un produit protégé dans l’Union européenne par un droit de marque ou une copie d’un produit protégé dans l’Union par un droit d’auteur, un droit voisin, ou encore un dessin ou un modèle peuvent porter atteinte à ces droits et donc être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ou de «marchandises pirates» lorsqu’il est prouvé qu’elles sont destinées à une mise en vente dans l’Union, une telle preuve étant rapportée, notamment, lorsqu’il s’avère que lesdites marchandises ont fait l’objet d’une vente à un client dans l’Union, d’une offre à la vente ou d’une publicité adressée à des consommateurs dans l’Union (voir, en ce sens, arrêt Philips, précité, point 78).
34 Or, il est constant que, dans l’affaire au principal, la marchandise en cause a fait l’objet d’une vente à un client dans l’Union, une telle situation n’étant dès lors, et en tout état de cause, pas comparable à celle des produits proposés sur une «place de marché en ligne» ni davantage à celle de produits introduits sur le territoire douanier de l’Union sous un régime suspensif. En conséquence, la seule circonstance que cette vente ait eu lieu à partir d’un site internet de vente en ligne situé dans un pays tiers ne saurait avoir pour effet de priver le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle sur la marchandise ayant fait l’objet de la vente de la protection résultant du règlement douanier, sans qu’il soit nécessaire de vérifier si une telle marchandise a fait l’objet en outre, préalablement à cette vente, d’une offre au public ou d’une publicité adressée aux consommateurs de l’Union.
35 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que le règlement douanier doit être interprété en ce sens que le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle sur une marchandise vendue à une personne résidant sur le territoire d’un État membre à partir d’un site internet de vente en ligne situé dans un pays tiers bénéficie, au moment où cette marchandise entre sur le territoire de cet État membre, de la protection garantie à ce titulaire par ledit règlement du seul fait de l’acquisition de ladite marchandise. Il n’est à cet effet pas nécessaire que, en outre, préalablement à la vente, la marchandise en cause ait fait l’objet d’une offre de vente ou d’une publicité s’adressant aux consommateurs de ce même État.
Sur les dépens
36 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
DÉCISION
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
Le règlement (CE) n° 1383/2003 du Conseil, du 22 juillet 2003, concernant l’intervention des autorités douanières à l’égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle, doit être interprété en ce sens que le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle sur une marchandise vendue à une personne résidant sur le territoire d’un État membre à partir d’un site internet de vente en ligne situé dans un pays tiers bénéficie, au moment où cette marchandise entre sur le territoire de cet État membre, de la protection garantie à ce titulaire par ledit règlement du seul fait de l’acquisition de ladite marchandise. Il n’est à cet effet pas nécessaire que, en outre, préalablement à la vente, la marchandise en cause ait fait l’objet d’une offre de vente ou d’une publicité s’adressant aux consommateurs de ce même État.
La cour : Mme R. Silva de Lapuerta (président de chambre), MM. J. L. da Cruz Vilaça, G. Arestis, J.-C. Bonichot (rapporteur) et A. Arabadjiev, (juges)
Avocats : Me J. Petersen, Mes K. Dyekjær et T. Mølsgaard,
Source : curia.europa.eu
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