Jurisprudence : Base de données
Cour de justice de l’Union européenne 5ème chambre Décision du 19 décembre 2013
Innoweb BV, Wegener ICT Media BV, Wegener Mediaventions BV
annonces - droit du producteur - droit sui generis - metamoteur - moteur de recherche - partie substantielle - protection - réutilisation de données
«Directive 96/9/CE – Protection juridique des bases de données – Article 7, paragraphes 1 et 5 – Droit sui generis du fabricant d’une base de données – Notion de ‘réutilisation’ – Partie substantielle du contenu de la base de données – Métamoteur de recherche dédié»
DISCUSSION
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données (JO L 77, p. 20).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Innoweb BV (ci-après «Innoweb») à Wegener ICT Media BV et Wegener Mediaventions BV (ci-après ensemble «Wegener»), au sujet de l’exploitation par Innoweb, au moyen de son site internet, d’un «métamoteur de recherche dédié» permettant d’effectuer des recherches sur des sites internet de tiers, et notamment sur celui proposé par Wegener, qui contiennent des recueils d’annonces de vente de voitures.
Le cadre juridique
– Le droit de l’Union
3 Les considérants 39, 42 et 48 de la directive 96/9 sont libellés comme suit :
«(39) […] la présente directive a pour objectif de protéger les fabricants de bases de données contre l’appropriation des résultats obtenus de l’investissement financier et professionnel consenti par celui qui a recherché et rassemblé le contenu, en protégeant l’ensemble ou des parties substantielles de la base de données contre certains actes commis par l’utilisateur ou par un concurrent ;
[…]
(42) […] le droit spécifique d’empêcher l’extraction et/ou la réutilisation non autorisées vise des actes de l’utilisateur qui outrepassent les droits légitimes de celui-ci et qui portent ainsi préjudice à l’investissement ; que le droit d’interdire l’extraction et/ou la réutilisation de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu vise non seulement la fabrication d’un produit concurrent parasite, mais aussi l’utilisateur qui, par ses actes, porte atteinte de manière substantielle, évaluée qualitativement ou quantitativement, à l’investissement ;
[…]
(48) […] l’objectif de la présente directive […] est d’assurer un niveau de protection appropriée et homogène aux bases de données, afin de garantir la rémunération du fabricant de la base […]»
4 Cette directive a pour objet, selon son article 1er, paragraphe 1, la protection juridique des bases de données, quelles que soient leurs formes. La base de données est définie, au paragraphe 2 de cet article, comme «un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou d’une autre manière».
5 Sous le chapitre III de ladite directive, intitulé «Droit ‘sui generis’», l’article 7 de celle-ci, relatif à l’objet de la protection, dispose :
«1. Les États membres prévoient pour le fabricant d’une base de données le droit d’interdire l’extraction et/ou la réutilisation de la totalité ou d’une partie substantielle, évaluée de façon qualitative ou quantitative, du contenu de celle-ci, lorsque l’obtention, la vérification ou la présentation de ce contenu attestent un investissement substantiel du point de vue qualitatif ou quantitatif.
2. Aux fins du présent chapitre, on entend par :
a) ‘extraction’ : le transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support par quelque moyen ou sous quelque forme que ce soit ;
b) ‘réutilisation’ : toute forme de mise à la disposition du public de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu de la base par distribution de copies, par location, par transmission en ligne ou sous d’autres formes. La première vente d’une copie d’une base de données dans la Communauté par le titulaire du droit, ou avec son consentement, épuise le droit de contrôler la revente de cette copie dans la Communauté.
Le prêt public n’est pas un acte d’extraction ou de réutilisation.
[…]
5. L’extraction et/ou la réutilisation répétées et systématiques de parties non substantielles du contenu de la base de données qui supposeraient des actes contraires à une exploitation normale de cette base, ou qui causeraient un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du fabricant de la base, ne sont pas autorisées.»
– Le droit néerlandais
6 La directive 96/9 a été transposée dans l’ordre juridique néerlandais par l’adoption de la loi sur les bases de données (Databankenwet), du 8 juillet 1999 (Stb. 1999, n° 303).
7 L’article 2, paragraphe 1, de cette loi dispose :
«Le producteur d’une base de données a le droit exclusif d’autoriser les actes suivants:
a. l’extraction ou la réutilisation de la totalité ou d’une partie substantielle, évaluée de façon qualitative ou quantitative, du contenu de la base de données ;
b. l’extraction ou la réutilisation répétées et systématiques de parties non substantielles, évaluées de façon qualitative ou quantitative, du contenu de la base de données pour autant qu’elles supposent des actes contraires à une exploitation normale de cette base, ou qu’elles causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du producteur de la base de données.»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
8 Wegener donne accès, par l’intermédiaire de son site internet www.autotrack.nl (ci-après «AutoTrack»), à un recueil en ligne d’annonces de vente de voitures. Ce recueil contient une liste de 190 000 à 200 000 voitures d’occasion, mise à jour quotidiennement. Environ 40 000 de ces annonces ne figurent que sur le site AutoTrack. Les autres annonces peuvent également être trouvées sur d’autres sites d’annonces. À l’aide du moteur de recherche du site AutoTrack, l’internaute peut effectuer une recherche ciblée d’un véhicule sur la base de différents critères.
9 Innoweb offre, via son site internet www.gaspedaal.nl (ci-après «GasPedaal»), un métamoteur de recherche dédié à la vente de voitures. Un métamoteur de recherche utilise les moteurs de recherche d’autres sites internet en transférant les requêtes de ses utilisateurs vers ces autres moteurs de recherche, ce qui le distingue de moteurs de recherche généraux tels que Google. La qualification «dédié» pour un métamoteur signifie que celui-ci est spécialisé en ce qu’il a vocation à permettre des recherches sur un ou plusieurs sujets déterminés. GasPedaal constitue un tel métamoteur de recherche dédié à des recherches visant des annonces de vente de voitures, dans la mesure où, par une seule requête déposée sur GasPedaal, l’internaute peut opérer simultanément des recherches dans plusieurs recueils d’annonces de vente de voitures figurant sur des sites de tiers, parmi lesquels figure AutoTrack.
10 Le métamoteur de recherche dédié GasPedaal permet de procéder à des recherches dans le recueil d’AutoTrack, d’une part, en fonction de différents critères, parmi lesquels figurent non seulement la marque, le modèle, le kilométrage, l’année de construction et le prix, mais également d’autres caractéristiques d’un véhicule, telles que notamment la couleur, la forme de la carrosserie, le type de carburant utilisé, le nombre de portes et la transmission, et, d’autre part, «en temps réel», c’est-à-dire au moment où l’utilisateur de GasPedaal émet sa requête. GasPedaal exécute cette requête «en traduction», c’est-à-dire en la traduisant au format nécessaire pour le moteur de recherche d’AutoTrack.
11 Les résultats trouvés sur AutoTrack, à savoir les voitures répondant aux critères choisis par l’utilisateur final, qui figurent également parmi les résultats d’autres sites sont réunis en un seul élément tout en affichant les liens vers toutes les sources dans lesquelles cette voiture a été trouvée. Une page internet est ensuite établie avec la liste des résultats ainsi obtenus et réunis, qui affiche les informations essentielles relatives à chaque voiture, en particulier l’année de construction, le prix, le kilométrage et la photographie en miniature de celle-ci. Cette page internet est stockée pendant environ 30 minutes sur le serveur de GasPedaal et envoyée à l’utilisateur ou présentée à celui-ci sur le site internet de GasPedaal, sous l’apparence de ce site.
12 Le nombre total d’annonces sur les sites internet dans lesquels GasPedaal procède à une recherche s’élève à environ 300 000.
13 GasPedaal exécute par jour environ 100 000 requêtes de recherche dans AutoTrack. Ainsi, environ 80 % des différentes combinaisons de marques ou de modèles figurant dans le recueil d’AutoTrack font quotidiennement l’objet d’une recherche. Toutefois, GasPedaal n’affiche, par recherche, qu’une très petite partie du contenu de ce recueil. Le contenu de ces données est, pour chaque requête de recherche, déterminé par l’utilisateur sur la base de critères qu’il insère dans GasPedaal.
14 Considérant qu’Innoweb porte atteinte à son droit sui generis relatif aux bases de données, Wegener a introduit un recours contre Innoweb en demandant qu’il soit ordonné à celle-ci de mettre fin à cette atteinte, et a, pour l’essentiel, obtenu gain de cause en première instance.
15 Innoweb a interjeté appel de cette décision devant le Gerechtshof te ʼs‑Gravenhage.
16 La décision de renvoi est fondée sur la prémisse selon laquelle le recueil d’annonces de Wegener constitue une base de données qui satisfait aux conditions nécessaires pour être protégée par l’article 7 de la directive 96/9.
17 En outre, la juridiction de renvoi considère que, dans l’affaire au principal, il n’y a pas d’extraction de la totalité ou d’une partie substantielle de la base de données de Wegener. L’extraction répétée de parties non substantielles du contenu de cette base de données n’aurait pas non plus un tel effet cumulatif, de sorte qu’elle ne serait pas contraire au paragraphe 5 dudit article.
18 Dans ces conditions, le Gerechtshof te ʼs‑Gravenhage a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’article 7, paragraphe 1, de la directive [96/9] doit-il être interprété en ce sens qu’il y a réutilisation (mise à disposition) de la totalité ou d’une partie substantielle, évaluée de façon qualitative ou quantitative, du contenu d’une base de données proposée par l’intermédiaire d’un site web (en ligne), par un tiers, si ce tiers offre la possibilité au public, au moyen d’un métamoteur de recherche dédié, de procéder ‘en temps réel’ à des recherches dans la totalité du contenu d’une base de données ou d’une partie substantielle de celle-ci, en exécutant la requête de recherche d’un utilisateur ‘en traduction’ dans le moteur de recherche du site web sur lequel la base de données est proposée ?
2) Si non, en va-t-il autrement si ce tiers après réception en retour des résultats de la requête envoie à chaque utilisateur une partie minime du contenu de la base de données ou la fait apparaître sur son propre site web et selon sa propre présentation ?
3) La réponse aux [première et deuxième] questions […] est-elle différente dès lors que ce tiers répète en permanence ces actes et qu’il exécute au total quotidiennement 100 000 requêtes de recherche des utilisateurs au moyen de son moteur de recherche ‘en traduction’ et qu’il met à la disposition des différents utilisateurs les résultats obtenus au moyen de ces recherches de la manière décrite ci-dessus ?
4) L’article 7, paragraphe 5, de la directive [96/9] doit-il être interprété en ce sens que n’est pas admise la réutilisation répétée et systématique de parties non substantielles du contenu de la base de données qui supposerait des actes contraires à une exploitation normale de cette base, ou qui causerait un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du fabricant de la base, ou suffit-il pour cela qu’il y ait réutilisation répétée ou systématique ?
5) S’il est exigé qu’il y ait réutilisation répétée et systématique :
a) Quelle est la signification du mot systématique ?
b) En est-il question lorsque la réutilisation se fait au moyen d’un système automatisé ?
c) Le fait que dans ce cadre soit utilisé un métamoteur de recherche dédié de la façon précédemment décrite est-il un élément pertinent ?
6) L’article 7, paragraphe 5, de la directive [96/9] doit-il être compris en ce sens que l’interdiction qui y est consacrée ne s’applique pas si, de façon répétée, pour chaque requête de recherche, ce ne sont que des parties non substantielles du contenu de la base de données qui sont mises à la disposition d’utilisateurs distincts du métamoteur de recherche d’un tiers par le tiers en question ?
7) Si oui, en va-t-il de même lorsque l’effet cumulatif de la réutilisation répétée de ces parties non substantielles est qu’une partie substantielle du contenu de la base de données est mis à la disposition de ces utilisateurs distincts pris dans leur ensemble ?
8) L’article 7, paragraphe 5, de la directive [96/9] doit-il être interprété en ce sens que, dès lors que sont en cause des comportements pour lesquels aucune autorisation n’a été donnée et qui ont pour portée que, du fait de l’effet cumulatif de la réutilisation, la totalité ou une partie substantielle du contenu d’une base de données protégée est mise à la disposition du public, il est satisfait aux exigences de [cette disposition], ou faut-il encore invoquer et démontrer que ces actes sont contraires à l’exploitation normale de la base de données ou qu’elles portent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du producteur de la base de données ?
9) Faut-il présumer qu’une atteinte grave est portée à l’investissement de la personne qui a constitué la base de données dès lors que sont en cause les comportements susmentionnés ?».
Sur les questions préjudicielles
19 À titre liminaire, il convient de relever que les questions visent, en substance, à savoir si l’exploitant d’un métamoteur de recherche dédié tel que celui en cause au principal procède à une activité relevant de l’article 7, paragraphes 1 ou 5, de la directive 96/9, de sorte que le fabricant d’une base de données qui remplit les critères prévus à ce paragraphe 1 peut s’opposer à ce que cette base soit, sans aucune contrepartie, insérée dans le service du métamoteur de recherche dédié.
20 L’article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9, sur l’interprétation duquel portent les première à troisième questions, permet au fabricant d’une base de données d’interdire la réutilisation de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu de celle-ci.
21 En revanche, selon l’article 7, paragraphe 5, de ladite directive, dont l’interprétation fait l’objet des quatrième à neuvième questions, n’est pas autorisée la réutilisation de parties non substantielles du contenu d’une base de données protégée lorsque cette réutilisation a lieu de manière répétée et systématique et supposerait des actes contraires à une exploitation normale de cette base ou causerait un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du fabricant de la base.
22 Toutefois, la protection conférée par ces dispositions est réservée, selon l’article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9, aux bases de données qui répondent à un critère précis, à savoir que l’obtention, la vérification ou la présentation du contenu de la base attestent un investissement substantiel du point de vue qualitatif ou quantitatif. Or, ainsi qu’il résulte du point 16 du présent arrêt, les questions sont posées en partant de la prémisse selon laquelle le recueil d’annonces de vente de voitures en cause au principal satisfait à cette condition.
Sur les première à troisième questions
23 Par ses première à troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9 doit être interprété en ce sens que l’exploitant d’un métamoteur de recherche dédié tel que celui en cause au principal procède à une réutilisation de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu d’une base de données couverte par son service.
24 Afin de répondre à cette question, il importe, en premier lieu, de rappeler les caractéristiques essentielles d’un tel métamoteur de recherche dédié et de son fonctionnement, qui ressortent du dossier soumis à la Cour et qui, d’ailleurs, distinguent sensiblement le métamoteur de recherche dédié d’un moteur de recherche général basé sur l’algorithme, tel que Google ou Yahoo.
25 D’une part, il ressort de la décision de renvoi qu’un métamoteur de recherche dédié tel que celui en cause au principal ne dispose pas d’un moteur de recherche propre parcourant les autres sites internet. En revanche, pour exécuter les requêtes de recherche, il a recours aux moteurs de recherche dont sont équipées les bases de données couvertes par son service, comme précisé au point 9 du présent arrêt. En effet, le métamoteur de recherche dédié traduit «en temps réel» les requêtes de ses utilisateurs dans ces moteurs de recherche, de sorte que toutes les données desdites bases sont explorées.
26 D’autre part, il ressort de la décision de renvoi qu’un métamoteur de recherche dédié tel que celui en cause au principal offre des avantages similaires à ceux de la base de données elle-même en ce qui concerne la formulation d’une requête de recherche et la présentation des résultats, tout en permettant d’explorer par une seule requête plusieurs bases de données, comme précisé aux points 9 et 10 du présent arrêt. En effet, à l’instar de la base de données, le formulaire de recherche du métamoteur de recherche dédié dans lequel l’utilisateur final introduit sa requête comprend différents champs qui permettent à cet utilisateur de cibler sa recherche en fonction de plusieurs critères que les résultats doivent remplir. En outre, les résultats sont affichés, tant par la base de données que par le métamoteur de recherche dédié, en fonction de certains critères, par ordre croissant ou décroissant, au choix de l’utilisateur final.
27 S’agissant, en deuxième lieu, de l’activité de l’exploitant d’un métamoteur de recherche dédié tel que celui en cause au principal, qui doit être qualifiée au regard de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9, il convient de rappeler que la première question vise l’offre, par cet exploitant, au moyen du métamoteur de recherche dédié, au public de la possibilité de procéder «en temps réel» à des recherches dans la totalité du contenu d’une base de données ou d’une partie substantielle de celle-ci, en exécutant la requête de recherche d’un utilisateur final «en traduction» dans le moteur de recherche de la base de données.
28 Cette description de l’activité pertinente dudit exploitant tient compte du fait que l’exécution, par le métamoteur de recherche dédié, d’une requête de recherche donnée, y compris la présentation des résultats trouvés à l’utilisateur final, se déroule de manière automatique, selon la programmation dudit métamoteur, sans que, à ce stade, une intervention de l’exploitant ait lieu. À ce stade, seul l’utilisateur final qui introduit sa requête de recherche déploie une activité.
29 En revanche, les actes réellement accomplis par l’exploitant d’un métamoteur de recherche dédié tel que celui en cause au principal se situent en amont des activités accomplies par les utilisateurs finaux et de l’exécution d’une requête de recherche donnée. En effet, il s’agit de la mise à disposition sur internet du métamoteur de recherche dédié qui est destiné à traduire les requêtes de recherche des utilisateurs finaux y introduites dans les moteurs de recherche des bases de données couvertes par le service du métamoteur en question.
30 Par conséquent, il convient d’examiner, en troisième lieu, si cette activité relève de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9, ce qui présuppose que ladite activité constitue une «réutilisation» au sens du paragraphe 2, sous b), de cet article 7 et qu’elle concerne la totalité ou une partie substantielle du contenu de la base de données concernée.
31 En ce qui concerne la notion de «réutilisation» au sens de l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 96/9, celle-ci y est définie comme «toute forme de mise à la disposition du public de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu de la base par distribution de copies, par location, par transmission en ligne ou sous d’autres formes». Toutefois, la référence au caractère substantiel de la partie réutilisée ne concerne pas la définition de ladite notion en tant que telle (voir arrêt du 9 novembre 2004, The British Horseracing Board e.a., C‑203/02, Rec. p. I‑10415, point 50).
32 La notion de réutilisation étant utilisée aux paragraphes 1 et 5 dudit article 7, il y a lieu de l’interpréter dans le contexte général de ce même article (voir en ce sens, s’agissant de la notion d’«extraction», arrêt du 9 octobre 2008, Directmedia Publishing, C‑304/07, Rec. p. I‑7565, point 28).
33 L’emploi, à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 96/9, de l’expression «toute forme de mise à la disposition du public» montre que le législateur communautaire a donné un sens large à la notion de réutilisation (voir, en ce sens, arrêts The British Horseracing Board e.a., précité, point 51, ainsi que du 18 octobre 2012, Football Dataco e.a., C‑173/11, non encore publié au Recueil, point 20).
34 Cette acception large de la notion de réutilisation est confortée par l’objectif poursuivi par le législateur communautaire à travers l’institution d’un droit sui generis (voir en ce sens, concernant la notion d’extraction, arrêt Directmedia Publishing, précité, point 32).
35 Ainsi que la Cour l’a déjà jugé en se fondant sur plusieurs considérants de la directive 96/9, notamment sur les considérants 39, 42 et 48, cet objectif est de stimuler la mise en place de systèmes de stockage et de traitement de données afin de contribuer au développement du marché de l’information dans un contexte marqué par une augmentation exponentielle du volume de données générées et traitées chaque année dans tous les secteurs d’activités (voir, notamment, arrêts The British Horseracing Board e.a., précité, points 30 et 31; du 9 novembre 2004, Fixtures Marketing, C‑46/02, Rec. p. I‑10365, point 33, ainsi que du 1er mars 2012, Football Dataco e.a., C‑604/10, non encore publié au Recueil, point 34).
36 À cette fin, la protection par le droit sui generis organisée par la directive 96/9 vise à garantir à la personne ayant pris l’initiative et assumé le risque de consacrer un investissement substantiel, en termes de moyens humains, techniques et/ou financiers, à la constitution et au fonctionnement d’une base de données la rémunération de son investissement en la protégeant contre l’appropriation non autorisée des résultats obtenus de cet investissement (voir arrêts précités The British Horseracing Board e.a., points 32 et 46 ; Fixtures Marketing, point 35, ainsi que Directmedia Publishing, point 33).
37 À la lumière de cette finalité, la notion de «réutilisation» au sens de l’article 7 de la directive 96/9 doit être interprétée comme se référant à tout acte consistant à mettre à la disposition du public, sans le consentement de la personne qui a constitué la base de données, les résultats de son investissement, privant ainsi cette dernière de revenus censés lui permettre d’amortir le coût de cet investissement (voir arrêt The British Horseracing Board e.a., précité, point 51). Ladite notion vise donc tout acte non autorisé de diffusion au public du contenu d’une base de données protégée ou d’une partie substantielle d’un tel contenu (voir arrêts The British Horseracing Board e.a., précité, point 67; du 5 mars 2009, Apis-Hristovich, C‑545/07, Rec. p. I‑1627, point 49, ainsi que du 18 octobre 2012, Football Dataco e.a., précité, point 20). La nature et la forme du procédé utilisé sont dépourvues de pertinence à cet égard (arrêt du 18 octobre 2012, Football Dataco e.a., précité, point 20).
38 La seconde partie de la définition figurant à l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 96/9, à savoir «par distribution de copies, par location, par transmission en ligne ou sous d’autres formes», et en particulier la variante «sous d’autres formes», permet également une interprétation large de cette définition sur le fondement de l’objectif de cet article 7, rappelé aux points 35 et 36 du présent arrêt.
39 En ce qui concerne l’activité de l’exploitant d’un métamoteur de recherche dédié tel que celui en cause au principal qui est pertinente dans la présente affaire, à savoir la mise en ligne sur internet d’un tel métamoteur destiné à traduire les requêtes de recherche des utilisateurs finaux y introduites dans les moteurs de recherche des bases de données couvertes par le service dudit métamoteur, il convient de relever que cette activité ne se limite pas à indiquer à l’utilisateur les bases de données fournissant des informations sur un certain sujet.
40 En effet, elle a pour objet de fournir à tout utilisateur final un dispositif permettant d’explorer toutes les données figurant dans une base de données protégée et, dès lors, de fournir un accès au contenu entier de cette base par une autre voie que celle prévue par le fabricant de ladite base, tout en utilisant le moteur de recherche de la base et en offrant les mêmes avantages de recherche que la base elle-même, ainsi qu’il résulte des points 25 et 26 du présent arrêt. L’utilisateur final, à la recherche de données, n’a plus besoin de se rendre sur le site internet de la base de données concernée, ni sur sa page d’accueil, ni sur son formulaire de recherche, pour consulter cette base, étant donné qu’il peut consulter le contenu de celle-ci «en temps réel» à travers le site internet du métamoteur de recherche dédié.
41 Ladite activité de l’exploitant d’un métamoteur de recherche dédié tel que celui en cause au principal risque de faire échapper au fabricant de la base de données des recettes, en particulier celles tirées de la publicité sur son site internet, et de priver ainsi ce fabricant de revenus censés lui permettre d’amortir le coût de son investissement dans la constitution et le fonctionnement de la base de données.
42 En effet, l’utilisateur final n’ayant plus besoin de passer par la page d’accueil et le formulaire de recherche de la base de données, il est possible que le fabricant de cette base de données perçoive moins de recettes provenant de la publicité apparaissant sur cette page d’accueil ou sur ledit formulaire de recherche, notamment dans la mesure où il paraît plus profitable aux opérateurs souhaitant placer des annonces publicitaires en ligne de le faire sur le site internet du métamoteur de recherche dédié que sur l’une des bases de données couvertes par ce métamoteur.
43 S’agissant, en outre, de bases de données contenant des annonces, les vendeurs pourraient se mettre à ne placer leurs annonces que dans une seule base, compte tenu de la possibilité de faire des recherches simultanément dans plusieurs bases de données à l’aide du métamoteur de recherche dédié et de l’indication des doublons par ce métamoteur, si bien que les bases de données deviendraient moins volumineuses et, partant, moins attrayantes.
44 L’existence dudit risque que la mise en ligne sur internet d’un métamoteur de recherche dédié tel que celui en cause au principal prive le fabricant d’une base de données concernée de revenus n’est pas exclue en raison du fait que, afin d’accéder à toutes les informations relatives à un résultat trouvé dans une base de données, à savoir, dans l’affaire au principal, à toutes les informations sur une voiture figurant dans une annonce, il demeure, en principe, nécessaire de suivre l’hyperlien vers la page d’origine sur laquelle le résultat a été trouvé.
45 En effet, d’une part, les informations présentées par le métamoteur de recherche dédié permettent à l’utilisateur final de faire, dans une certaine mesure, un tri entre les résultats trouvés et de constater qu’il ne lui est pas nécessaire d’obtenir plus d’informations sur un résultat particulier. D’autre part, il est possible que l’utilisateur final accède à des informations plus détaillées sur une donnée trouvée sans suivre le lien vers la base de données concernée, lorsque cette donnée figure dans plusieurs bases de données couvertes par le métamoteur de recherche dédié, étant donné que ce dernier révèle de tels doublons en les regroupant.
46 Certes, la protection accordée par l’article 7 de la directive 96/9 ne vise pas les actes de consultation d’une base de données (voir arrêts précités The British Horseracing Board e.a., point 54, ainsi que Directmedia Publishing, point 51). Dès lors, si le fabricant d’une base de données rend accessible à des tiers, serait-ce à titre onéreux, le contenu de celle-ci, son droit sui generis ne lui permet pas de s’opposer à la consultation de cette base par de tels tiers à des fins d’information (voir arrêts précités The British Horseracing Board e.a., point 55, ainsi que Directmedia Publishing, point 53).
47 Toutefois, il importe de souligner que l’activité de l’exploitant d’un métamoteur de recherche dédié tel que celui en cause au principal ne constitue pas un acte de consultation de la base de données concernée. En effet, cet exploitant n’est aucunement intéressé par les données figurant dans la base de données, mais il fournit à l’utilisateur final un accès particulier à cette base et à ses données qui diffère de la voie prévue par le fabricant de ladite base, tout en présentant les mêmes avantages de recherche. En revanche, c’est l’utilisateur final introduisant une requête de recherche dans le métamoteur de recherche dédié qui consulte, par le biais de ce métamoteur, la base de données.
48 Par ailleurs, l’activité pertinente de l’exploitant d’un métamoteur de recherche dédié tel que celui en cause au principal, à savoir la mise en ligne sur internet de ce métamoteur, se rapproche de la fabrication d’un produit concurrent parasite visé par le considérant 42 de la directive 96/9, sans, toutefois, copier les éléments figurant dans la base de données concernée. En effet, eu égard aux possibilités de recherche offertes, un tel métamoteur de recherche dédié ressemble à une base de données, sans toutefois disposer lui-même de données.
49 Il suffit, pour l’utilisateur final, de se rendre sur le site internet du métamoteur de recherche dédié afin d’accéder simultanément au contenu de toutes les bases de données couvertes par le service de ce métamoteur, une recherche effectuée par ledit métamoteur fournissant la même liste de résultats que celle qui aurait pu être obtenue par des recherches effectuées séparément dans chacune de ces bases de données, qui, toutefois, est présentée sous l’apparence du site internet du métamoteur de recherche dédié. L’utilisateur final n’a plus besoin de se rendre sur le site internet de la base de données, sauf s’il trouve parmi les résultats affichés une annonce dont il souhaiterait connaître les détails. Cependant, dans ce cas, il est directement dirigé vers l’annonce même et, en raison du regroupement des doublons, il est même tout à fait possible qu’il la consulte dans une autre base.
50 Il résulte des considérations qui précèdent que la mise en ligne sur internet d’un métamoteur de recherche dédié tel que celui en cause au principal par son exploitant destiné à ce que les utilisateurs finaux y introduisent des requêtes de recherche afin que celles-ci soient traduites dans le moteur de recherche d’une base de données protégée constitue une «mise à disposition» du contenu de cette base de données au sens de l’article 7, paragraphe 2, sous b), de la directive 96/9.
51 Cette mise à disposition s’adresse au «public», étant donné qu’un tel métamoteur de recherche dédié peut être utilisé par n’importe quelle personne et vise donc un nombre indéterminé de personnes, indépendamment du fait de savoir combien de personnes utilisent effectivement ledit métamoteur.
52 Par conséquent, l’exploitant d’un métamoteur de recherche dédié tel que celui en cause au principal procède à une réutilisation du contenu d’une base de données au sens de ladite disposition.
53 Cette réutilisation porte sur une partie substantielle du contenu de la base de données concernée, voire sa totalité, étant donné qu’un métamoteur de recherche dédié tel que celui en cause au principal permet d’explorer le contenu entier de cette base de données, à l’instar d’une requête de recherche introduite directement dans le moteur de recherche de ladite base. Dans ces circonstances, le nombre de résultats effectivement trouvés et affichés par requête de recherche introduite dans le métamoteur de recherche dédié est sans importance. En effet, comme le souligne la Commission européenne, le fait que, en fonction des critères de recherche définis par l’utilisateur final, une partie seulement de la base de données soit effectivement consultée et affichée ne change rien au fait que toute la base de données est mise à la disposition de cet utilisateur final, comme indiqué aux points 39 et 40 du présent arrêt.
54 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première à troisième questions que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9 doit être interprété en ce sens qu’un opérateur qui met en ligne sur internet un métamoteur de recherche dédié tel que celui en cause au principal procède à une réutilisation de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu d’une base de données protégée par cet article 7 dès lors que ce métamoteur de recherche dédié :
– fournit à l’utilisateur final un formulaire de recherche offrant, en substance, les mêmes fonctionnalités que le formulaire de la base de données ;
– traduit «en temps réel» les requêtes des utilisateurs finaux dans le moteur de recherche dont est équipée la base de données, de sorte que toutes les données de cette base sont explorées, et
– présente à l’utilisateur final les résultats trouvés sous l’apparence extérieure de son site internet, en réunissant les doublons en un seul élément, mais dans un ordre fondé sur des critères qui sont comparables à ceux utilisés par le moteur de recherche de la base de données concernée pour présenter les résultats.
Sur les quatrième à neuvième questions
55 Eu égard à la réponse apportée aux première à troisième questions, il n’y a plus lieu de répondre aux quatrième à neuvième questions.
Sur les dépens
56 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement
DECISION
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
L’article 7, paragraphe 1, de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données, doit être interprété en ce sens qu’un opérateur qui met en ligne sur internet un métamoteur de recherche dédié tel que celui en cause au principal procède à une réutilisation de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu d’une base de données protégée par cet article 7 dès lors que ce métamoteur de recherche dédié :
– fournit à l’utilisateur final un formulaire de recherche offrant, en substance, les mêmes fonctionnalités que le formulaire de la base de données;
– traduit «en temps réel» les requêtes des utilisateurs finaux dans le moteur de recherche dont est équipée la base de données, de sorte que toutes les données de cette base sont explorées, et
– présente à l’utilisateur final les résultats trouvés sous l’apparence extérieure de son site internet, en réunissant les doublons en un seul élément, mais dans un ordre fondé sur des critères qui sont comparables à ceux utilisés par le moteur de recherche de la base de données concernée pour présenter les résultats.
La cour : M. T. von Danwitz (président de chambre), MM. E. Juhász, A. Rosas, D. Šváby et C. Vajda (juges)
Avocats : Mes M. H. Elferink et M. A. S. M. van Leent, Me J. van Manen
Source : curia.europa.eu
Notre présentation de la décision
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