Jurisprudence : Vie privée
TGI Paris, Ordonnance de référé, 10 janvier 2000
AFF. C. Marc, P. Marie-Rose et G. Patrick / Mes Lebosse-Peluchonneau Michèle et Simonin Gérald, Front National
administrateur judiciaire - assemblée générale - association - calcul de quorum - déclaration préalable - décret 90-115 du 12 février 1990 - données à caractère politique - informatique et libertés - vie privée
Le tribunal – M. Jean-Jacques Gomez (premier vice-président), M. Dillange (premier substitut). Avocats : Mes Bertrand Vallantin, Stéphane Dumaine et La Violette-Slanka.
Voir les commentaires de Me Véronique Beaujard, d’Ambroise Soreau
FAITS ET PROCEDURE
Vu l’assignation en référé introductive d’instance, délivrée le 17 décembre 1999, et les motifs y énoncés,
A l’occasion d’un différend opposant l’association Front National et certains de ses membres, il a été sollicité la convocation d’une assemblée générale extraordinaire en application de l’article 24 des statuts de l’association ;
La justification du quorum requis par les statuts pour réclamer une telle assemblée étant contestée par l’association Front National, le tribunal de céans, saisi du litige des parties, a, par jugement en date du 11 mai 1999, auquel il convient de se reporter, et entre autres mesures, désigné Me Lebosse-Peluchonneau en qualité d’administrateur judiciaire avec mission de « décompter les demandes déposées le 19 janvier 1999 (en vue de la tenue de cette assemblée extraordinaire) au siège de l’association et actuellement en dépôt sous scellés, en l’étude de la SCP Cohen et Susini, de vérifier, pour chacune, la date à laquelle elle a été formée et si à cette date l’intéressé était bien membre du Front National, autant pour être à jour de ses cotisations que pour ne pas en avoir démissionné ou en avoir été exclu, ce qui l’autorisait à former une telle demande » ;
Les demandeurs à la présente instance sont au nombre de ceux qui ont adressé une demande de convocation de cette assemblée générale extraordinaire ;
Ayant appris que pour remplir sa mission, Me Lebosse-Peluchonneau avait constitué un fichier automatisé de traitement de données nominatives, soutiennent-ils, en contravention aux dispositions de l’article 31 de la loi du 6 janvier 1978, dit « Informatique et Libertés », qui interdit toute mise ou conservation en mémoire informatisée des données nominatives qui directement ou indirectement font apparaître les origines sociales ou les opinions publiques, philosophiques ou religieuses ou les appartenances syndicales des personnes, les demandeurs, qui font observer que ni le juge ni eux-mêmes n’ont été sollicités pour donner leur éventuel accord à l’établissement d’un tel fichier et que le fichier en cause n’a pas fait l’objet d’une déclaration préalable à la Cnil et que, en tout état de cause, l’établissement d’un fichier ne correspondait pas aux termes de la mission judiciaire, demandant au président du tribunal de céans statuant en référé :
– de constater que Me Lebosse-Peluchonneau n’a pas respecté la mission qui lui était impartie par le jugement du 11 mai 1999,
– de désigner tel huissier de justice avec mission de se rendre sur les lieux et saisir les disquettes Mac (4) et PC (7) contenant les fichiers relatifs aux demandes déposées le 19 janvier 1999 au siège de l’association Front National,
– d’ordonner la conservation par l’huissier désigné des différents listings nominatifs se trouvant au cabinet de Me Gérald Simonin, et plus précisément des disquettes Mac (4) et PC (7),
– d’ordonner l’effacement desdits listings informatiques sous le contrôle de l’huissier désigné,
– de condamner Me Lebosse-Peluchonneau et Me Gérald Simonin à payer aux requérants la somme de 15 000 F au titre de l’article 700 du Ncpc et aux entiers dépens.
Pour sa défense, Me Lebosse-Peluchonneau fait valoir pour l’essentiel qu’elle tire se pouvoirs d’une décision de justice et que le fichier litigieux a été créé en exécution de cette décision, sous le contrôle du tribunal, lequel a confirmé son bien-fondé dans « sa décision du 16 décembre 1999 » faisant observer que c’est la défaillance du président du Front National qui a rendu nécessaire la constitution d’un tel fichier ;
Considérant que la procédure dont elle est l’objet est abusive, elle sollicite, outre le débouté de la demande, la condamnation des demandeurs à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 25 000 F sur le fondement de l’article 700 du Ncpc ; Me Simonin demande de constater qu’il est étranger au présent litige ;
L’association Front National relève le trouble grave dont elle a été victime et demande en conséquence au président du tribunal de céans statuant en référé :
– de lui donner acte de ce qu’elle entend soumettre l’ordonnance du 16 décembre 1999 à l’appréciation de la juridiction du second degré par la voie de l’appel à jour fixe comme elle a interjeté appel incident du jugement du 11 mai 1999 s’agissant du principe même de la désignation d’un mandataire ad hoc,
– de dire que Me Lebosse-Peluchonneau ne saurait valablement prétendre s’être « heurtée à l’obstruction systématique de l’association Front National qui a favorablement répondu aux demandes du mandataire, le seul désaccord étant constitué par le fait que l’association a proposé au mandataire de consulter ses fiches d’adhérents en son siège, conformément au désir initialement exprimé par Me Lebosse-Peluchonneau le 15 juillet 1999, alors que le mandataire, n’ayant apparemment pas donné suite à son projet initial, entendait avoir accès à ces fichiers au travers d’une communication desdites fiches,
– de dire que le jugement du 11 mai 1999 lui ayant exclusivement donné mission « de décompter les demandes (…),de vérifier, pour chacune, la date à laquelle elle a été formée et si, à cette date, l’intéressé était bien membre du Front National », Me Lebosse-Peluchonneau ne saurait valablement prétendre que « le fichier litigieux a été créé en exécution de cette décision », le tribunal ne l’ayant pas investie de la mission de constituer un fichier informatique et n’en ayant pas fait son mandataire à ce titre,
– de dire que Me Lebosse-Peluchonneau ne saurait, sans abus, invoquer les termes de l’ordonnance du 16 décembre 1999 pour soutenir qu’elle « pouvait donc créer un fichier informatique », alors que l’attendu de l’ordonnance auquel elle se réfère (page 7) fait référence à la production d’un fichier, en multiples supports, par le mandataire flanqué d’un huissier et d’un cabinet d’audit, non dans le cadre d’une mission de service public qui eût, en tout état de cause, nécessité un avis préalable de la Cnil, mais dans le cadre d’un litige privé opposant une association à 22 de ses adhérents exclus.
– de constater que la Cnil n’a été saisie d’aucune demande d’avis préalable concernant la mise en œuvre d’un traitement automatisé, – de dire que, faute pour le mandataire de s’être conformé aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978, il apparaît notamment que l’exercice du droit d’accès (communication, rectification, annulation) prévu au chapitre V de la loi du 6 janvier 1978 ne peut être mis en œuvre, les formalités requises pour la constitution d’un fichier n’ayant pas été remplies ;
Ouï M. le procureur de la République en ses observations ; Vu pour le surplus ensemble les écritures des parties et les pièces produites aux débats.
DISCUSSION
Attendu que, pour l’exécution de la mission que lui a confiée le tribunal, dans son jugement du 11 mai 1999, Me Lebosse-Peluchonneau a fait constituer, par la société FFC Audit et Conseil dont il s’est adjoint la collaboration, un fichier informatique des personnes invoquant leur appartenance au Front National et qui avaient réclamé la convocation d’une assemblée générale extraordinaire, demande à laquelle il n’avait pas été donné suite ;
Attendu qu’il est sans doute légitime de considérer qu’un tel fichier, qui comporte des données nominatives faisant apparaître l’appartenance politique des personnes concernées, doive faire l’objet d’une déclaration préalable à la Cnil chargée par la loi d’assurer l’application des dispositions de la loi du 6 janvier 1978, dite « Informatique et Libertés », ce quand bien même a-t-il été établi dans le cadre et pour l’exécution d’une mission judiciaire, étant précisé que les dispositions de l’article 1er du décret n° 90-115 du 12 février 1990 ne paraissent pas applicables au cas d’espèce ;
Que, toutefois, force est de constater qu’il s’agit d’une question de fond qui relève d’un débat au fond ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article 809 du Ncpc, le juge des référés, même en présence d’une difficulté sérieuse (ce qui est le cas en l’espèce, s’agissant de la nécessité de soumettre le point dont s’agit à l’examen du juge du fond), peut prescrire les mesures qui s’imposent pour prévenir un dommage imminent ; Attendu que, pour satisfaire aux prescriptions précitées, il sera désigné un expert informaticien qui sera constitué séquestre dudit fichier avec mission de la crypter pour éviter ou supprimer tout risque de duplication (les données pouvant être restituées pour les besoins du débat au fond) et, au terme de la mission du mandataire de justice, de procéder à la destruction dudit fichier sur tout support sur lequel il aura pu être reproduit tant chez FCC Audit Conseil que chez le mandataire de justice, ce dernier ayant également l’obligation de s’assurer qu’il n’existe plus alors aucune reproduction dudit fichier ;
Attendu que les frais découlant de la mise en œuvre de la mesure précitée seront mis à la charge des demandeurs.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement en premier ressort, par ordonnance contradictoire :
. renvoyons les parties au fond ;
. désignons François Wallon, expert judiciaire en informatique, en qualité de séquestre du fichier litigieux, avec mission de procéder à son cryptage afin d’éviter et/ou de supprimer tout risque de duplication ;
. disons qu’à l’issue de la mission du mandataire, il procédera à la destruction dudit fichier sur tout support sur lequel il aura pu être reproduit tant chez FCC Audit Conseil que chez le mandataire de justice ;
. rappellons que les données cryptées pourront être utilement restituées pour les besoins du débat au fond (mise à disposition d’une clef) ;
. fixons à 2 500 F la provision à valoir sur la rémunération du séquestre qui devra être consignée directement entre ses mains par les demandeurs ;
. disons n’y avoir lieu de prescrire d’autres mesures, ni application de l’article 700 ;
. laissons provisoirement à chaque partie la charge de ses propres dépens.
Notre présentation de la décision
* Nous portons l'attention de nos lecteurs sur les possibilités d'homonymies particuliérement lorsque les décisions ne comportent pas le prénom des personnes.