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Jurisprudence : Responsabilité

mardi 16 décembre 2008
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Tribunal de grande instance de Bobigny Chambre 1, section 5 Ordonnance de référé 23 novembre 2007

Farid E., syndicat CGC France Telecom / France Telecom

responsabilité

FAITS

Suspectant que l’un de ses salariés, Monsieur Farid E., ait en violation de la clause d’exclusivité insérée dans son contrat de travail, développé une activité parallèle en utilisant les outils informatiques et de téléphonie mobile mis à sa disposition dans le cadre de ses fonctions, la société France Telecom, après avoir mis à pied cet employé et fait placer sous scellés par un huissier de justice son ordinateur portable et la carte mémoire de son téléphone portable professionnel, a saisi par requête du 25 juillet 2007 le Président du Tribunal de Grande Instance de Bobigny aux fins de voir ordonner une mesure de constat en application des dispositions de l’article 145 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par ordonnance du même jour, il a été fait droit à cette demande et Me Fabienne Allaire Huissier de Justice, a été désignée en qualité de constatant avec pour mission de prendre connaissance en présence de Farid E. du contenu de son ordinateur professionnel et de la carte SIM de son mobile professionnel et de faire toutes constatations utiles en lien avec l’exercice par l’intéressé d’une activité parallèle, avec faculté de se faire assister par toutes personnes de la société France Telecom disposant de la compétence et des moyens techniques nécessaires.

Par requête subséquente en date du 27 août 2007, la société France Telecom, se prévalant de difficultés relatives à l’exécution de l’ordonnance du 25 juillet 2007 en raison du refus opposé par Farid E. a demandé à voir compléter la mission du constatant.

Par ordonnance du même jour, le Président du Tribunal de Grande Instance de Bobigny a commis de nouveau Maître Allaire avec la même mission que précédemment, y ajoutant que le constat porterait y compris sur les éléments décrits par Farid E. comme étant personnels, que Farid E. devrait être convoqué aux opérations et que faute pour ce dernier de communiquer les codes et mots de passe permettant d’accéder à son ordinateur et à sa carte SIM et tous autres codes qui pourraient se révéler nécessaires, l’huissier de justice pourrait se faire assister par un informaticien de France Telecom pour passer outre les verrous informatiques d’accès à ces données.

Me Fabienne Allaire a procédé aux opérations de constat prévues par ces deux ordonnances les 23 et 31 août 2007 et en a dressé procès-verbal.

Par assignation en date du 5 septembre 2007, Farid E. a fait citer la société France Telecom devant le Président du Tribunal de Grande Instance de Bobigny statuant dans la forme des référés aux fins de voir :
– rétracter les ordonnances rendues les 25 juillet et 27 août 2007,
– ordonner la restitution de l’ordinateur et du téléphone portable, sous astreinte de 1000 € par jour de retard, passé le délai de deux jours calendaires après le prononcé de l’ordonnance de rétractation,
– ordonner la destruction, sous astreinte de 1000 € par jour de retard, passé le délai de deux jours calendaires après le prononcé de l’ordonnance de rétraction, de tous les éléments obtenus par France Telecom du chef de la mise en oeuvre des ordonnances rétractées,
– condamner la société France Telecom aux dépens et au paiement de la somme de 4000 € au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

A l’audience des débats du 22 octobre 2007, le Syndicat National CGC – France Telecom est intervenu volontairement à l’instance en rétractation.

Les parties ont développé oralement les termes de leurs écritures à la lecture desquelles il conviendra de se reporter pour un plus ample libellé des faits, prétentions et moyens exposés.

A l’appui de ses demandes, Farid E. s’est prévalu du manque de loyauté de la société France Telecom qui a omis d’informer le juge des requêtes de sa qualité de délégué syndical désigné par le Syndicat National CGC-France Telecom, cette omission ayant conduit ce magistrat à autoriser une mesure d’investigation générale du contenu de son ordinateur professionnel portant atteinte au secret syndical en permettant “à toute personne de la société France Telecom” de prendre connaissance de la messagerie, du carnet d’adresse et des dossiers utilisés pour l’exercice de son mandat,
– du caractère légitime au sens de l’article Il du Nouveau Code de Procédure Civile de son opposition à l’exécution de la mesure d’instruction afin d’assurer la protection du secret syndical,
– de l’illicéité du procédé ayant consisté pour l’employeur à se saisir et à analyser le 21 juin 2007 sans autorisation de justice le contenu de son ordinateur puis à tenter de régulariser a posteriori cette violation manifeste du secret des correspondances et du secret syndical par voie de requête,
– de l’absence de toute circonstance justifiant qu’il ait été dérogé au principe du contradictoire pour ordonner la mesure d’instruction probatoire par ordonnance sur requête,
– du fait que la mesure ordonnée n’est pas légalement admissible s’agissant de confier à un huissier de justice une mission d’analyse d’un disque dur dépassant le cadre d’une simple constatation matérielle,
– de la violation de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui impose que ne soit associé à une opération de justice en qualité d’expert ou de technicien qu’une personne indépendante des parties et qui exige que toute personne accusée soit informée dans le plus court délai et d’une manière détaillée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre elle ;

qu’elle dispose du temps nécessaire à la préparation de sa défense et qu’elle ne fasse l’objet d’aucune contrainte pour l’obliger à apporter des preuves contre elle-même,
– de la circonstance que la société France Telecom ne peut en application de l’article 146 du Nouveau Code de Procédure Civile obtenir la mise en oeuvre d’une mesure d’instruction pour suppléer sa carence dans l’administration de la preuve,
– de la violation de l’article 6 de la loi informatique et liberté et des articles L 121-8 et L 432-1 du Code du Travail.

Le Syndicat National CGC-France Telecom s’est associé pour les mêmes motifs aux demandes de Farid E. et a sollicité pour son compte l’allocation d’une indemnité provisionnelle de 15 000 € titre de dommages et intérêts pour atteinte à la liberté syndicale outre 2500 € en application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Répondant aux arguments adverses, la société France Telecom a conclu principalement au rejet de le demande de rétractation des ordonnances des 25 juillet et 27 août 2007 en faisant valoir :
– la parfaite loyauté dont elle a fait preuve à l’égard du magistrat saisi sur requête qui a été dûment informé le 27 août 2007 de la qualité de délégué syndical de Farid E.,
– que le bénéfice d’un mandat syndical ne saurait exonérer un salarié de toute responsabilité vis-à-vis de son employeur, notamment dans l’usage fait des outils mis à sa disposition,
– la préservation suffisante des droits de Farid E. par sa convocation aux opérations de constat et par l’intervention d’un officier ministériel,
– la parfaire licéité des premiers éléments recueillis le 21 juin 2007, s’agissant de vérifications effectuées avec l’accord du requérant, en sa présence et sous le contrôle d’un huissier de justice,
– l’absence de toute violation des dispositions de la loi informatique et liberté et des exigences du Code du Travail,
– la légitimité de la mesure d’instruction requise au regard des dispositions de l’article 145 du Nouveau Code de Procédure Civile et la justification du recours à la procédure d’ordonnance sur requête au regard de la jurisprudence de la Cour de Cassation,
– la légalité de la mesure confiée à Me Allaire qui n’excède pas le cadre de simples constatations et ne prévoit l’assistance de personnels techniques de l’entreprise que sous le contrôle de l’huissier constatant,
– le défaut d’application de dispositions de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme aux conditions d’exécution d’une mesure d’instruction in futurum mise en oeuvre avant tout procès.

Elle conclut également que la demande de restitution de l’ordinateur et du téléphone portable formée par Farid E. échappe au domaine de la procédure de rétractation des ordonnances sur requêtes.

Elle demande enfin à titre subsidiaire au Président du Tribunal de Grande Instance de Bobigny de dire qu’il sera procédé aux mesures précédemment ordonnées ou à toutes mesures nouvelles ayant le même objet, dans le respect du contradictoire.

En tout état de cause, elle conclut au rejet des demandes du Syndicat National CGC- France Telecom et sollicite la condamnation de ce dernier au paiement de la somme de 2500 € au titre de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et celle de Farid E. aux dépens et au paiement de la somme de 1500 € sur le même fondement.

DISCUSSION

Sur la demande de rétractation des ordonnances des 25 juillet et 27 août 2007

En application des dispositions de l’article 145 du Nouveau Code de Procédure Civile, toute mesure d’instruction légalement admissible peut être ordonnée sur requête ou en référé, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige,
L’option procédurale ouverte par ce texte n’est pas pour autant laissée à la libre appréciation du requérant et il est nécessaire pour qu’une mesure d’instruction “in futurum” soit ordonnée sur requête que les circonstances exigent qu’il soit dérogé au principe du contradictoire conformément à l’article 812 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Or au cas présent, il est constant que la société France Telecom était depuis le 21 juin 2007 en possession de l’ordinateur portable ainsi que de la carte SIM précédemment mis à la disposition de Farid E. dans le cadre de ses fonctions.

Cet élément factuel est rappelé expressément dans les motifs de la requête du 25 juillet 2007 qui relatent les conditions dans lesquelles, Me Fabienne Allaire, Huissier de Justice a saisi le 21 juin 2007 à la demande de l’employeur cet outil informatique et cette carte mémoire, concomitamment à la mise à pied du salarié.

Il n’existait ainsi aucun risque de disparition, de destruction ou de corruption des informations enregistrées dans l’ordinateur et dans la carte à puce ni aucune nécessité de procéder à la constatation de leur contenu par surprise.

Par ailleurs aucune circonstance particulière ne justifiait que Farid E., délégué syndical, soit privé de tout débat contradictoire préalable sur la légitimité d’une mesure de constat portant sur l’analyse de l’intégralité des données contenues clans son ordinateur professionnel et dans la carte mémoire de son téléphone portable y compris les informations personnelles et syndicales.

Cette circonstance justifie à elle seule que les deux ordonnances sur requêtes soient rétractées ce qui a pour effet d’entraîner l’annulation du procès-verbal de constat dressé les 23 et 31 août 2007 par Maître Allaire en exécution de ces décisions.

Il convient en outre d’ordonner la destruction sous astreinte des éléments obtenus dans le cadre des opérations de constat annulées suivant les modalités définies au dispositif ci-après.

Sur le surplus des demandes

L’instance en rétractation introduite en application des articles 496 et 497 du Nouveau Code de Procédure Civile devant le Président du Tribunal de Grande Instance qui a rendu l’ordonnance querellée statuant dans la forme des référés a pour seul objet de soumettre à la vérification d’un débat contradictoire la régularité de la procédure suivie sur requête ainsi que les mesures prises dans ce cadre.

La saisine du juge de la rétractation est ainsi nécessairement définie dans les limites de cet objet et se trouve épuisée lorsque comme en l’espèce il est fait droit aux rétractations demandées.

Il s’ensuit que la demande incidente de Farid E. tendant à voir obtenir la restitution de son ordinateur et de son téléphone portable professionnels qui n’ont pas été appréhendés en exécution des ordonnances rétractées est irrecevable comme celle identique du Syndicat National CGC-France Telecom.

Il en est de même de la demande subsidiaire de la société France Telecom tendant à voir ordonner une nouvelle mesure de constat probatoire aux mêmes fins, celle-ci ne pouvant être présentée que devant le juge des référés et non devant le juge de la rétractation.

Pour les mêmes motifs, la demande de provision formée par le Syndicat National CGC-France Telecom CGC pour atteinte à la liberté syndicale sera déclarée irrecevable.

Succombant, la société France Telecom sera condamnée aux dépens et conservera la charge de ses frais irrépétibles
Il n’y a pas lieu en équité de faire application des dispositions de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile au bénéfice du Syndicat National CGC-France Telecom.

En revanche, l’équité commande d’allouer à Farid E. la somme de 1500 € en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

DECISION

Statuant publiquement, par ordonnance contradictoire rendue dans la forme des référé, en premier ressort, avec exécution provisoire de droit,

. Ordonnons la rétractation des ordonnances sur requête rendues les 25 juillet et 27 août 2007 et en conséquence l’annulation du procès-verbal de constat dressé les 23 et 31 août 2007 par Maître Allaire, Huissier de Justice, en exécution de ces décisions,

. Ordonnons la destruction des données collationnées dans le cadre des opérations de constat annulées par l’effet de la rétractation dans le mois suivant la signification de la présente décision et sous astreinte provisoire de 200 € par jour de retard passé ce délai,

. Déclarons irrecevables les demandes incidentes formées par Farid E., la société France Telecom et le Syndicat National CGC-France Telecom,

. Condamnons la société France Telecom à payer à Farid E. la somme de 1500 € en application de l’article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

. Déboutons la société France Telecom et le Syndicat National CGC-France Telecom de leurs demandes d’indemnité de procédure,

. Condamnons la société France Telecom aux dépens de l’instance en rétractation.

Le tribunal : Mme Nina Touati (vice président)

Avocats : SCP Henri Leclerc & Associés, Me Frédéric Benoist, SCP Fl

Voir décision de Cour d’appel

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